Ismène de Carole Fréchette, mise en scène Marions Coutarel ; Rapport pour une académie de Franz Kafka, mise en scène et lumières de Georges Lavaudant

Le Printemps des Comédiens (suite )

Dans plusieurs théâtres de Montpellier et au Domaine d’Ô, il y a , l’après-midi, de petites formes et de grandes fresques qui se prolongent souvent tard le soir. Avec des créations dans l’Hexagone, notamment de courts spectacles à découvrir.

Ismène de Carole Fréchette, mise en scène de Marion Coutarel

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Mama Prassinos ©Marie Clauzade

Ismène, fille d’Œdipe et Jocaste (Mama Prassinos) avance timidement vers un micro sur une petite plate-forme sablonneuse: elle a hésité, dit-elle, « à répondre à l’invitation d’un groupe de femmes qui voulaient savoir comment elle avait vécu les événements ».
Elle s’est malgré tout décidé à raconter la tragédie qui mena à la mort sa sœur Antigone: elle avait désobéi aux ordres de leur oncle Créon et offert une sépulture à leur frère, Polynice.

Restée longtemps silencieuse, Ia seule survivante d’une famille maudite, les Labdacides, revient sur la «suite des châtiment prédits par l’oracle » , qui se sont abattus sur les siens.  Elle a vécu l’horreur : «  Ma mère s’est pendue et mon père s’est crevé les yeux. »

« Je voulais donner la parole à l’Ismène antique, intemporelle, dit Carole Fréchette, celle qui chez Sophocle a deux petites scènes seulement pour s’exprimer. J’ai imaginé ce qui se passait dans sa tête pendant ces échanges avec Antigone, puis avec Créon mais aussi les événements entre les deux. » L’autrice québécoise intéressée par ce personnage secondaire, se dit « choquée par l’intransigeance d’Antigone et par le fait qu’elle n’écoute pas sa sœur  »

On ne peut refaire l’histoire, tout au plus en tirer des leçons comme nous y incite cette pièce. Carole Fréchette a découvert l’hypothèse émise par une chercheuse américaine : Ismène aurait, en douce et nuitamment, enseveli Polynice, avant l’acte héroïque accompli par sa sœur au vu de tous. Et, quand elle revendique son geste auprès de Créon, Antigone l’envoie balader : « Tu n’as pas le droit, j’ai agi seule! »

 Mama Prassinos s’enhardit et s’anime au fur et à mesure de son récit. Elle donne corps à cette Ismène avec ferveur, lâche son micro et  s’avance vers le public pour faire valoir ses arguments de vive voix : admirative du courage de sa sœur, elle cherche cependant à « arrêter le cycle des morts », et se positionne du côté de la vie. Mais malheureusement, elle n’a pu empêcher le destin de s ‘accomplir, et Antigone de se pendre au seuil de son tombeau.   

Douce et ferme comme son anti-héroïne, Carole Fréchette a su trouver les mots et le ton pour écrire ce solo. En adresse directe au public, son écriture coule, limpide, mais toujours sous tension. Ismène balance entre une nécessaire radicalité et le compromis.
Jusqu’au bout, nous suivons ce récit et quand la tragédie arrive, retentit l’étrange mélopée de la soprano Mia Mandineau, qui, au loin dans le parc, accompagne le récit de Mama Prassinos.

La mise en scène de Marion Coutarel respecte la limpidité du texte et donne  aussi à entendre sa portée philosophique souterraine.
Sophocle fait dire à Ismène: « N’oublie pas que nous sommes des femmes, que nous ne sommes pas nées pour lutter contre des hommes. » Ismène, en restant du côté de la vie, manque-t-elle de courage ?« Si nous (les femmes) dit-elle ne préservons pas la vie, qui le fera ? Certainement pas nos frères !»

Les vieilles colonnades imaginées par Aneymone Wilhelm s’effritent dans la prairie qui accueille ce beau moment de théâtre et la dernière des princesses de Thèbes conclut : « Le monde a peut-être besoin de mes doutes. A chacun son rôle dans le théâtre du monde. »


Rapport pour une académie de Franz Kafka, traduction de Daniel Loayza, mise en scène et lumières de Georges Lavaudant

Rapport pour une académie_Crédit M_3HD

Manuel Le Lièvre © Marie Clauzade

«Éminents Académiciens, vous me faites l’honneur de me demander de fournir à l’Académie un rapport sur ma vie antérieure de singe. Telle que vous la formulez, je ne puis malheureusement déférer à votre invitation. Près de cinq années me séparent de l’état de singe, un temps peut-être court pour le calendrier, mais infiniment long quand on le traverse au galop  comme j’ai fait. »
Ainsi commence cette courte nouvelle ( 
Ein Bericht für eine Akademie). Écrite en 1917, elle fait pendant à La Métamorphose (1915) et rejoint le bestiaire kafkaïen pour évoquer la condition humaine avec drôlerie et cynisme.

Georges Lavaudant, un habitué du Printemps des comédiens, fait jouer le prénommé Peter par Manuel Le Lièvre qui a partagé maintes aventures théâtrales avec lui, dont Le Roi LearPlus humain que simiesque (maquillage, coiffure et perruques de Sylvie Cailler, et Jocelyne Milazzo), il apparaît minuscule et voûté, quand il franchit la haute et lourde porte sculptée, dessinée par Jean-Pierre Vergier qui l’a costumé d’une chemise blanche et d’une queue de pie des plus solennels.

 Sur le tapis rouge déroulé pour lui, Peter va devant nous les « honorables messieurs », raconter ses premiers jours chez les humains : une capture brutale, un voyage en fond de cale, comment il a évité les barreaux d’un parc zoologique, et la petite chimpanzé « au regard hagard de bête à moitié dressée ».

Le primate réfléchit, observe : « J’ai eu de nombreux maîtres », dit-il.  Ils lui appris à serrer la main, boire de l’alcool et, après une verre de trop, il prononce ses premiers mots « hé ! là » De bête de foire en animal savant, il devient, la parole aidant, artiste de music-hall. Aurait-t-il trouvé le chemin de la liberté dans la jungle des hommes? Leur condition est-elle plus enviable que celle des singes ? « Plus j’apprends à parler, moins j’ai de choses à dire. », ironise-t-il.

La figure du singe traverse l’histoire de la littérature avec: Esope, Pierre Boulle (La Planète des singes, 1963), La Fontaine… Mais Kafka a donné à sa fable une profondeur philosophique sans pesanteur moraliste. « Il faut se méfier des interprétations, dit Georges Lavaudant. Kafka aimait la littéralité. Tenons-nous en donc au récit de Peter. ».

Manuel Le Lièvre nous transmet avec tact la fantaisie farcesque, le douloureux apprentissage, les coûteux renoncements et le terrible manque de liberté que ce mutant éprouve parmi nous. Sans singer le singe, l’acteur reste drôle et émouvant, avec la gestuelle et la silhouette hybride de celui qui ne trouve sa place ni dans le monde qu’il a quitté, ni dans celui qu’il a adopté. Eternel exilé, tel Franz Kafka et bien d’autres en tout temps, il conclut, malicieux : «Je n’ai fait qu’un rapport. » Avant de se fondre dans la magnifique image finale que nous vous laisserons découvrir.

A suivre 

 Mireille Davidovici

Du 1er au 21 juin, Le Printemps des comédiens, Cité du Théâtre, Domaine d’Ô, Montpellier (Hérault ) T. : 04 67 63 66 67.
Printempsdescomediens.com


Archive pour juin, 2023

Mehdi Ait Elhocine

© Xavier Bogenschutz

© Xavier Bogenschutz

 Mehdi Ait Elhocine

Il avait huit ans quand son frère qui en avait dix-neuf, lui montra un tour: sans jamais regarder le jeu, il devait deviner la carte qui lui faisait face. Avec plusieurs techniques: au début, il touchait la carte et la devinait, mettait le paquet sur sa tête et il devinait à nouveau! Un moment incroyable pour le petit garçon qu’il était… Mais le grand frère refuse de lui indiquer comment cela marche et lui dit de trouver par lui-même.
Mehdi cherche donc, s’entraîne encore et encore, trouve une solution et veut bien révéler son secret, à condition qu’il lui révèle le sien. Il le fait, son frère aussi mais ce n’est pas la même technique et il trouve ça tout aussi incroyable…

A seize ans, pour impressionner une fille, il lui montre les tours qu’il a appris, plus jeune. Elle adore et se met à en chercher des nouveaux. Heureusement, c’est Noël et il va au marché de Noël à la Défense où se trouve un stand de magie tenu par Paul Techer (MagicLandes) qui y fait des démonstrations incroyables.
Mais le matériel a un coût et Mehdi Ait Elhocineva faire des anniversaires pour financer ses tours. Trois ans plus tard, il entre dans l’animation et crée ses premiers spectacles pour enfants… A vingt-et un ans, il en réalise un pour adultes et commence à s’exercer à l’hypnose. Apprentissage de nombreuses techniques, lecture de nombreux livres spécialisés…. Puis il entre dans Les 78 Tours, une association d’échanges entre magiciens où il peut tester ses spectacles en public lors d’événements et festivals…

 

« Max de Magic Dream, dit-il, m’a aidé : une personne en or et le cœur sur la main qui m’a toujours parfaitement conseillé et accompagné dans mes choix. Comme Faïd Lecame, un artiste incroyable qui critique toujours de manière objective et constructive. Il a su élever ma magie, m’encourage dans mes nouvelles actions et me soutient. Mehdi Ait Elhocine, dit-il, a une famille et des amis d’une valeur inestimable, présents à chaque instant. Son épouse a vu ses premiers tours et ils font maintenant des spectacles ensemble. «M’ont aussi aidé à grandir: le fait d’avoir joué à Gaveau à Paris, devant l’ambassadeur de Chine. La salle était pleine et c’était impressionnant pour le jeune magicien que j’étais. Et maintenant, je gère mieux mon stress et je m’adapte aux différentes situations et toujours, je trouve vite une solution aux imprévus.
Mais il y a aussi des évènements qui m’ont fait perdre confiance en moi pour m’intégrer. J’avais été harcelé au collège… Et être devenu magicien a un lien avec ça. Dans ce rôle, je suis une autre personne et je peux m’exprimer. Après en avoir pris conscience, il y a trois ans, j’ai créé mon action de sensibilisation au harcèlement scolaire et tout mis en œuvre et là, j’ai découvert une autre influence de la magie. »
Il aime, en particulier, celle pour enfants. «Que ce soit sur scène, dans un gymnase, à domicile., etc. je sais que tout va bien se passer. Mais j’apprécie aussi le mentalisme, le mystère et la magie avec les adultes pour créer une émotion, les accompagner dans mon monde, les faire réfléchir et poser des questions sur ce qu’ils viennent de voir. Que ce soit sur scène, pour un mariage, pour des événements, soirées. « 

Mehdi Ait Elhocine admire, entre autres, Derren Brown : «La psychologie qu’il y a derrière, est incroyable et il sait créer des émotions fortes. Mais l’artiste qui m’a véritablement marqué est Yann Frisch. J’ai eu la chance d’assister à son spectacle Le Syndrome de Cassandre que j’ai adoré. Ce mélange de clown, magie, histoire… tout est bon. A voir pour la technique comme pour l’écriture. J’ai aussi vu Personne, dans la même veine. Un spectacle déroutant où il joue des gens aux fortes personnalités. Avec une énergie folle et les tours inclus dans l’histoire, sont dingues.
Et j’ai eu la chance de le voir en conférence avec son numéro Baltass. Encore plus folle que le numéro : on voit le travail de précision qu’il y a eu en amont et tout est calculé : rires, temps faibles, temps forts. Bref, aucun hasard et il n’est pas champion du monde pour rien !Enfin, il y a les livres de Jacques Delord qui m’accompagnent encore. »

 Attiré par le mentalisme, les techniques psychologiques, la magie avec des objets quotidiens : billets, rubicube, cartes…. il dit avoir aussi  été influencé par des films comme Jumanji, Hook… qui ont stimulé son imaginaire : « Quand je suis devenu magicien, j’ai créé mes spectacles autour d’histoires.  Celui que j’ai en tête, un personnage qui a marqué l’histoire, j’aimerais qu’il voit le jour. J’aime beaucoup dire un conte au public et l’amener dans mon univers. 

Et la magie actuelle ? Il pense ne pouvoir la juger. « Les temps changent et il faut s’adapter. J’ai du mal avec les réseaux sociaux mais il faut y être présent. J’ai du mal aussi avec cette magie commerciale où, chaque jour « Le Tour de l’année » va sortir.
Mais je vois des magiciens créant des effets incroyables avec les nouvelles technologies qui changent la vision de leur art comme Kévin Micoud ou Étienne Saglio…
Il faut savoir se renouveler, chercher tout ce qui parle au public et qui le touche… Et bien vérifier nos informations. Il est très à l’écoute et nos mots ont un poids. Chaque personne a une culture différente et je dois prendre cela en compte dans mes choix de tours et mon discours. De fortes croyances peuvent créer un climat gênant après un tour. Je dois donc faire attention à mon style et aux histoires que je choisis. Mais je suis curieux, j’aime apprendre, découvrir… cela influence mon travail. » 

A part son métier, il aime les sorties, le théâtre, l’improvisation théâtrale, les jeux vidéo et de société, surtout ceux de stratégie. Il lit aussi Stephen King et jouer aux playmobil avec ses fils, voyager en restant sur place. Et dit-il, « si vous avez des univers imaginaires à me proposer, je suis preneur. »

 Sébastien Bazou

Interview réalisée le 3 juin.

https://mehdillusion.fr/
Et sur l’action de sensibilisation au harcèlement scolaire: https://youtu.be/XbvEimG3xl0

Le Groupe 33: Les Archives à la racine, une exposition aux Archives de Bordeaux-Métropole

Le Groupe 33: Les Archives à la Racine, une exposition aux Archives de Bordeaux-Métropole
 
Rares sont les compagnies de théâtre qui atteignent la cinquantaine comme le Groupe 33 à Bordeaux. Dans cette exposition-rétrospective, aucune odeur de naphtaline mais le goût du bordelais qui vieillit bien en barrique. Cette troupe du cru s’appelait la  Compagnie Dramatique Universitaire de Bordeaux; fondée en mai 68, elle réunissait de joyeux étudiants de la Fac et était animée par Jacques Albert-Canque, leur professeur, et l’ami de la compagnie dramatique d’Aquitaine, ancêtre de l’actuel Théâtre National de Bordeaux en Aquitaine.
 
Jaquel, disparu il y a trois ans, était un boulimique de la scène. Il avait su appliquer des principes qui ont peu cours dans le théâtre, dit amateur: la rigueur, la force d’un collectif et la foi absolue en un travail expérimental. Il n’aimait guère les instituions parisiennes  comme il l’avait clairement dit dans un manifeste écrit en 85, et ici présenté. Lesquelles le lui rendaient bien! À peine une création faite, il en préparait une nouvelle. Caractéristique essentielle chez lui : mettre en scène des textes, souvent plus que des pièces  dans des lieux hors-circuit théâtral mais absolument raccord avec le thème de l’œuvre. 

© Sud-Ouest

© Sud-Ouest


Une chose peu pratiquée et devenue aujourd’hui presque une mode…
Il faut bien connaître Bordeaux, son histoire et ses lieux secrets à l’image d’une bourgeoisie fermée à toute innovation, pour apprécier cette démarche. Lieux non conventionnels, souvent désaffectés: salles en déshérence, base sous-marine de la dernière guerre, entrepôts Lainé, toit de théâtre, garage Pigeon…
Tel a été aussi le fil conducteur de l’exposition présentée dans une scénographie de Claire Morin à l’Hôtel de Ragueneau à Bordeaux, un des rares hôtels particuliers du XVII ème siècle encore visibles à Bordeaux et
ancien siège des Archives municipales.

© Fabien Cottereau. répétition sur les toits du Théâtre Barbey

© Fabien Cottereau. Répétition sur les toits du Théâtre Barbey

Plus de cinq cent interprètes ont travaillé avec ce metteur en scène, très cultivé et grand connaisseur du romantisme allemand, en particulier de Friederich Hölderlin qui vécut un temps à Bordeaux où il fut précepteur. Jacques Albert-Canque aimait aussi les dramaturges en rupture, comme, entre autres, Jean Genet dont il avait mis en scène Les Bonnes, Les Paravents, Le Balcon et Les Nègres. Il fallait à l’époque à Bordeaux, avoir un sacré culot pour s’attaquer à un tel répertoire.

Humble mais habité d’un feu sacré, il savait le transmettre avec foi, rigueur  et compétence aux artistes en herbe amateurs qui l’entouraient. Tous restés fidèles à cette troupe comme on disait… Un terme un peu désuet encore utilisé pour parler de la Comédie-Française. Rappelant aussi Molière et son théâtre nomade trimbalant ses malles, de scène en scène dans le Sud de la France.

©x L'Illusion comique de Corneille (2006)

©x L’Illusion comique de Corneille (2006)


Jacques Albert-Canque avait dirigé le festival de Blaye (Gironde), y accueillit plusieurs fois l’Ecole du Théâtre National de Chaillot avec Peines d’amour Perdues, mise en scène d’Andrezj Seweryn et Noces et banquets monté par le Théâtre de l’Unité ( Hervée de Lafond et Jacques Livchine) en 94 .
Il avait aussi mis en scène conjointement pour le festival de Condom, là aussi dans un lieu non- théâtral, l’allée d’un cloître, avec les élèves-acteurs de cette école, Cédrats de Sicile de Luigi Pirandello et La Demande en mariage d’Anton Tchekhov. Des pièces courtes mais brillantes, l’une sur un amour malheureux et l’autre sur un amour heureux qui avaient obtenu un réel succès populaire. Là aussi, sans scène, avec juste quelques accessoires.

© Sud-Ouest Jacques-Albert Canque à Blaye en 91

© Sud-Ouest Jacques-Albert Canque à Blaye en 91

Cette exposition traduit bien la vie du Groupe 33 avec de nombreuses photos, articles, accessoires, boîtes de maquillage, vidéos de spectacles, enregistrement vocaux. Ces documents viendront enrichir les fonds privés des Archives métropolitaines pour les rendre accessibles gratuitement à tous, chercheurs, curieux…
Un sacré déballage qui n’a pourtant rien d’un vide-grenier mais qui retrace le parcours aussi insolite qu’exemplaire, de Jacques Albert-Canque qui resta professeur à la Fac des Sciences et qui créa le Groupe 33 en 72… 850 visiteurs ont apprécié cette exposition.
Leur ami Jacquel disparu, ses compagnons, Colette Sardet en tête, ont repris le travail avec la même ardeur et répètent actuellement un prochain spectacle… 

 
Guy Lenoir
Cette exposition a été présentée du 10 au 20 mai à l’Hôtel Ragueneau, 71 rue du Loup, Bordeaux ( Gironde).

Le Printemps des comédiens 2023

Le Printemps des comédiens 2023

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©Marie Clauzade

Ce festival né en 1987, est devenu un endroit incontournable de la création théâtrale. Une histoire exemplaire de «décentralisation». « Le Conseil général de l’Hérault, raconte Odette Michel, a demandé à Daniel Bedos qui dirigeait la Maison Molière à Pézenas, d’imaginer un festival pour les habitants de Montpellier et au-delà. Il a lieu en juin et Daniel Bedos fut dès l‘origine, un pilier du Printemps des comédiens, en contribuant à sa mise en réseau. » A la bibliothèque centrale de prêt du département où elle travaillait, elle a pu interpeller ses collègues « pour voir s’il y avait un public potentiel ». Et très vite, le public fut au au rendez vous : «J’ai créé l’accueil des professionnels, et la presse a rapidement  adhéré à ce festival. Grâce à des acteurs comme Michel Galabru, Michel Bouquet et au président,  Jean-Claude Carrière, des metteurs en scène reconnus sont venus  comme Ariane Mnouchkine qui y a créé Les Atrides. » 

Itinérant à l’origine, le Printemps a établi son quartier général au domaine d’Ô. Ce grand parc, à la lisière de Montpellier, était le lieu rêvé pour cette manifestation. En bas du jardin, d’un premier théâtre en dur (le Théâtre d’Ô) et d’un autre avec des gradins en plein air, les spectacles ont progressivement migré vers la pinède en haut, où deux salles ont été construites: le théâtre Jean-Claude Carrière et un amphithéâtre de mille huit cent places. « Le Printemps a eu dès le départ une vocation internationale, souligne Odette Michel. Avec des artistes européens, chinois, japonais… »

Depuis l’arrivée de Jean Varella à sa direction en 2011, le Printemps n’a rien perdu de son souffle et continue à grandir. Il accueille aujourd’hui de grandes productions européennes et des ténors de la création . Cette année:  Ivan van Hove, Julien Gosselin, Robert Wilson, Georges Lavaudant, complice artistique de Jean Varella de longue date. Sans oublier les artistes de la région Occitanie, sollicités au long de l’année dont Mama Prassinos et son remarquable Ismène ou Marie Lamarchère qui fait jouer La Tempête et Le Songe de Shakespeare par, entre autres, des artistes handicapés. Présentes aussi cette année les grandes écoles de théâtre: celle du T.N.S. avec L’Esthétique de la résistance et la troupe éphémère de l’Atelier-Cité du Centre Dramatique National de Toulouse, avec Même si le monde meurt (voir Le Théâtre du blog).

Avec quarante-cinq spectacles sur cent-trente représentations, et grâce à des tarifs abordables (de 6 à 38 €) le public revient tous les ans. Se mêlent aux fidèles des jeunes gens qui ont pu suivre pendant l’année les ateliers de pratique artistique ou le nouveau dispositif Campus. Mais aussi les apprentis-comédiens de l’E.N.S.A.D. dirigé par Gildas Milin, ou ceux du cours Florent racheté aujourd’hui par Galileo, un groupe privé qui gère des écoles de commerce et qui a ouvert une école de théâtre à Montpellier, Bruxelles, Bordeaux…

Le Printemps des comédiens organise aussi Le Printemps des collégiens, un festival dans le festival, avec, en juin, une journée pour présenter les travaux des ateliers de pratique théâtrale sur une pièce de Shakespeare depuis 2016, et de Molière, depuis 2022. Ces auteurs sont un des fils rouges de la programmation du festival. Les élèves de chaque classe sont tour à tour acteurs et spectateurs. Il s’agit d’éveiller la curiosité artistique et la sensibilité de ces futurs, ou déjà, citoyens. Une  École du spectateur vise à initier les élèves à la pratique culturelle.  Et, dans la foulée sera mis en place à la rentrée prochaine au lycée Clemenceau (premier lycée de jeunes filles créé en France) un baccalauréat à double cursus, avec les classes du Conservatoire de Montpellier  en théâtre, musique, danse…

Jean Varella a pour objectif, la transmission et depuis cette année, Campus invite des artistes de plusieurs disciplines et de toutes générations à dispenser leur savoir-faire. Pour les jeunes professionnels, «Il s’agit de formations thématiques d’une semaine fondées sur l’échange d’expertises, méthodes et pratiques (interprétation, mise en scène, image, écriture) à partir de textes et langages artistiques. » 

Porté par la candidature de Montpellier-Sète au statut de Capitale européenne de la Culture 2028, le festival va muter, avec l’appui du maire de Montpellier et des collectivités régionales. Il sera en effet permanent toute l’année, grâce à sa fusion avec l’Etablissement Public du domaine d’Ô. Sur vingt-trois hectares, il offre de nombreux espaces de représentation. Et cette future Cité européenne du théâtre va devenir un pôle régional de création avec, à la clef, des moyens pour produire des spectacles, au-delà des résidences pour artistes qu’il accueille déjà. Il ne faut pas hésiter à s’y rendre. En tramway depuis le centre de Montpellier. et une navette part du domaine à la fin des spectacles tardifs.

A suivre 

Mireille Davidovici

Du 1er au 21 juin, Le Printemps des comédiens, Cité du Théâtre, Domaine d’Ô, Montpellier (Hérault ) T. : 04 67 63 66 67.
Printempsdescomediens.com

 

 

 

La Collection d’Harold Pinter, traduction d’Olivier Cadiot, mise en scène de Ludovic Lagarde

 

  © Gwendal le Flem

© Gwendal le Flem

On connait bien en France cette pièce créée à Londres en 61, puis à Paris quatre ans plus tard dans la mise en scène de Claude Régy. Mais elle est moins jouée que les autres œuvres du dramaturge anglais (1930-2008) devenu des classiques du théâtre contemporain, influencés par celles de Samuel Beckett.

Comme le jury du Prix Nobel qu’il avait obtenu en 2005, l’avait justement remarqué, on y trouve «l’abîme sous les bavardages se force un passage dans les pièces closes de l’oppression. » Aucun dramaturge du XX ème siècle-sauf justement Samuel Beckett- n’a imaginé avec une telle force, ces conversations d’une rare banalité où il réussit avec maestria à faire transparaître dans de courts dialogues, une volonté pourtant bien cachée de domination psychologique et/ou sexuelle. Chez des personnages à la fois différents de nous, mais qui nous ressemblent un peu.

Cela se passe dans les salons de deux appartements cossus à Londres juxtaposés sur le plateau. Côté jardin, de hauts murs blancs, un large tapis en laine tout aussi blanc et une belle méridienne où aime se lover Stella (Valérie Dashwood). Elle et James, son mari (Laurent Poitrenaud) habitent Chelsea, le quartier des artistes et travaillent dans la mode, d’où le titre de la pièce.
Côté cour, un salon aux murs noirs, deux fauteuils en cuir fin XIX ème, une table roulante avec alcools sous un grand escalier tournant menant aux chambres. Là, vit un autre couple. Bill, un jeune styliste (Micha Lescot) et Harry plus âgé, (Mathieu Amalric) sans que l’auteur donne plus de précisions.

Stella, une jeune femme en voyage professionnel à Leeds, aurait fait l’amour dans un hôtel avec Bill, comme elle l’avouera plus tard à son mari. Bill, lui, dit que c’est absolument faux, mais qu’il y a une petite vérité dans cette histoire qu’ils ont imaginée après un léger flirt.
Entre temps, James commence à téléphoner souvent chez Harry puis un jour sans avoir prévenu, arrive, glacial et menaçant. Comme s’il était chez lui, il entre s’assoit et se sert à boire. Curieusement très au fait de cette aventure dont il connait même des détails révélateurs, il viendra plusieurs fois eixger des comptes à Bill, sans qu’on sache bien s’il est réellement jaloux. En tout cas, il dit aussi qu’il admire Bill et semble même naître même une certaine complicité entre eux. Bref, une revisitation, sur fond d’homosexualité, du fameux triangle : le mari, la femme et l’amant.
Il y a de très belles scènes entre Harry, obsédé par cette histoire et dont Laurent Poitrenaux montre bien le quasi-sadisme et ce Bill très finement joué par Micha Lescot, un personnage finalement assez ambigu qui va réussir à le déstabiliser en niant, puis si on peut traduire, en niant un peu moins! Le public ravi compte les points…
Matthieu Amalric est aussi solide et très juste dans ce personnage douteux qu’est Harry. Il ira voir Stella mais elle lui dit ne pas connaître Bill et que toute cette histoire a été inventée par son mari.
Harry revient chez lui :James a lancé un couteau à Bill qui a la main blessée… Harry semble vouloir brouiller un peu les pistes et après une heure vingt qui passe très vite malgré quelques longueurs, nous ne saurons jamais bien entendu le fin mot de cette histoire. Bravo Pinter…

 Ce spectacle créé en 2019 au Théâtre National de Bretagne, puis joué aux Bouffes du Nord, est repris au Théâtre de l’Atelier à Paris où Ludovic Lagarde met aussi an scène une courte pièce d’Harold Pinter L’Amant (1962). « La Collection, dit-il, est une pièce fascinante et sombre, le texte distille le poison du mensonge. (…) Quels réglages passionnels guident chacun de ces personnages entre désir, fantasme, jalousie, envie, mépris et volonté de puissance? Pinter nous conduit sur de multiples pistes, comme autant de départs de fictions, créant une collection d’interprétations. Car tout est fragment dans cette pièce. Mélange inédit de réalisme et d’abstraction, elle ne dit des personnages que l’essentiel qui sert l’action. Esquisse, puzzle, l’intrigue emprunte sa forme au roman noir. Ces quatre-là semblent à la recherche de leur propre histoire. »

 Une pièce de1960, quand a commencé à écrire des pièces l’auteur anglais. En soixante ans, les rapports humains ont bien changé surtout depuis l’arrivée d’internet, du téléphone portable et la disparition des cabines téléphoniques. Immédiatement, et partout dans le monde, on peut en principe joindre qui on veut et savoir où il est, éventuellement le regarder vivre quelque part, et non ailleurs comme il le prétend.
Restent les non-dits, les éternels mensonges: déjà les armes virulentes et préférées de Labiche et Feydeau, et qui règnent ici. Même si le scénario est un peu léger, Harold Pinter sait y faire et nous embarque avec virtuosité dans le jeu entre ces couples. La petite histoire d’amour entre Stella et Bill peut sembler quelquefois datée mais les dialogues restent toujours aussi brillants.

Les quatre interprètes au solide métier, sont très crédibles, même si on entend souvent mal Valérie Dashwood qui a du mal à s’imposer dans ce rôle mineur, tant son personnage semble écrasé par ces trois hommes. Ils ont quelquefois des paroles machistes que les jeunes actrices du mouvement Mi-Tout ne supporteraient sans doute pas chez  un cinéaste ou un dramaturge contemporain !
La scénographie d’Antoine Vasseur, la réalisation sonore de David Bichindaritz, les lumières de Sébastien Michaud comme la mise en scène de Ludovic Lagarde sont très soignées, même si la direction d’acteurs est parfois un peu relâchée, et si le rythme fablit un peu sur la fin.
Une bonne occasion de voir ou revoir cette pièce un peu moins jouée que les autres, du grand dramaturge anglais qui fut aussi le scénariste de
The Servant de Joseph Losey. Ce serait bien que les jeunes gens puissent aussi découvrir l’univers d’Harold Pinter mais, éternel problème du théâtre dit privé, les places sont ici de 41 à 21 euros!

Nous vous parlerons aussi très vite de L’Amant. En attendant, ayez une pensée pour le grand metteur en scène Charles Dullin (1885-1949) qui dirigea ce théâtre- le plus ancien de Paris- déjà deux siècles! jusqu’en 49. Il y a une belle photo de lui, juste au dessus du contrôle. Il y venait à cheval qu’il mettait dans la petite cour, côté rue d’Orsel.

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Lui succéda son décorateur André Barsacq, le père d’Alexis, metteur en scène qui dirigea le petit Théâtre de l’Atalante situé juste à côté de l’Atelier. Et encore à côté, dans une vieille maison aujourd’hui remplacée par un hôtel moderne, habitait enfant, Martin Lartigue, le petit-fils de Jacques-Henri Lartigue, photographe, qui joua Petit Gibus, le héros de La Guerre des boutons, aujourd’hui peintre réputé.
Marc Darnault, l’acteur qui avait créé le personnage de
Victor ou le enfants au pouvoir de Roger Vitrac dans la mise en scène d’Antonin Artaud en1928, nous avait dit que celui-ci dormit un temps dans le grenier du théâtre avec la belle actrice Génica Athanasiou, son grand amour.
Artaud avait été l’élève, puis l’acteur de Charles Dullin, comme entre autres et, excusez du peu : 
Étienne Decroux, Jean-Louis Barrault, Madeleine Robinson, Jean Vilar, Roger Bin, le créateur d’En attendant Godot, Alain Cuny…
Voilà, c
‘était le feuilleton dominical: Histoire du théâtre, par

 Philippe du Vignal

 Jusqu’au 25 juin, Théâtre de l’Atelier, 1 place Charles Dullin, Paris ( XVIII ème) et L’Amant jusqu’au 25 juin. T. :  01 46 06 49 24.

Biennale internationale des Arts de la Marionnette Fantine ou le désir coupable,d’après Victor Hugo, mise en scène d’Alain Blanchard

Biennale internationale des Arts de la Marionnette

Fantine ou le désir coupable, d’après Victor Hugo, mise en scène d’Alain Blanchard

Fantine, un des personnages des célèbres Misérables, sans doute moins connu que  Cosette, sa fille ou Jean Valjean, Marius, Gavroche… Ici plus ou moins remis dans l’actualité. Après tout, pourquoi pas? Le roman de Victor Hugo qui fait une critique virulente sur la société de son temps en a vu d’autres: adaptations au théâtre, films, feuilletons radio,chorégraphies, comédies musicales, bandes dessinées…
Fantine, une très belle jeune femme sans argent se retrouve enceinte mais elle sera abandonnée par son amant, Tholomyès, un bourgeois. Mais le personnage de Fantine n’apparait que dans le troisième livre des Misérables. Précision pour les jeunes générations: jusque vers les années 1960, la contraception était des plus limitées et la pilule n’existait pas, et encore moins celle du lendemain… Solution : l’avortement pratiqué par « une faiseuse d’anges » dans des conditions le plus souvent abominables. Ou par celles qui en avaient les moyens dans une clinique… en Suisse.  Et il y avait quelques médicaments faisant expulser le fœtus  et aussi dans les campagnes, la rue: une plante soi-disant abortive connue depuis l’Antiquité par les accoucheuses et guérisseuses.
Et, si la jeune fille, vite sans moyens pour le faire vivre, gardait l’enfant, restait l’abandon dans la tournette d’un hospice pour qu’on ne voit pas qui l’y avait mis. Ou des expédients comme la vente par Fantine de longs et beaux cheveux et de ses dents, puis très vite le recours inévitable à la prostitution sur le trottoir, très fréquente chez les ouvrières exploitées au temps de Victor Hugo. La belle et pure Fantine accouchera de Cosette qu’elle remet aux époux Thénardier qui s’en occuperont mais exigeront d’elle toujours de plus en plus d’argent et exploiteront la petite fille.

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Ici, un castelet avec un rideau rouge vif au fond et un table longue et noire de manipulation de l’unique marionnette, celle de Fantine réalisée par Einat Landais avec un cou interminable et de grands yeux, tenant, en pire de la poupée Barbie.
Mélanie Depuiset, en jupe noire et serrée dans une guêpière, la manipule et la fait parler avec une très bonne diction. Et elle joue aussi les autres personnages féminins comme Sœur Simplice. A côté d’elle, lui aussi en costume noir, Jérôme Soufflet, lui, raconte l’histoire de Fantine et joue tous les « salauds » comme il dit, du roman  de Victor Hugo. Entre autres, Tholomyès, le bourgeois qui l’a abandonnée, puis le mac qui la prostitue et qui lui aussi, l’abandonnera, quand elle tombera très malade et finira par mourir.

Mais c’est là où cela ne fonctionne pas du tout, le personnage central de Fantine est écrasé par les mains non gantées de noir par sa manipulatrice et l’acteur. Le texte très faible, avec des références actuelles, comme la dramaturgie et le jeu,  (conventionnel) ne sont pas au rendez-vous. Il n’y a vraiment rien à sauver de cette médiocrité -heureusement cela ne dure que cinquante minutes mais déjà trop longues!- sauf la dernière scène où le corps de Fantine est allongé couvert d’un linceul blanc que Mélanie Depuiset déroule avec lenteur. Là surgit enfin une véritable émotion

Cela ne suffit pas à sauver ce spectacle vieillot, laid et sans aucune âme qui n’arrive pas, comme Victor Hugo savait le faire, à dénoncer la misère du peuple, la condition des ouvrières et l’exploitation féminine: «Tant, écrivait-il, que les trois problèmes du siècle, la dégradation de l’homme par le prolétariat, la déchéance de la femme par la faim, l’atrophie de l’enfant par la nuit, ne seront pas résolus ; en d’autres termes, et à un point de vue plus étendu encore, tant qu’il y aura sur la terre, ignorance et misère, des livres de la nature de celui-ci pourront ne pas être inutiles. »

Nous n’avons sans doute pas eu de chance mais en dehors des magnifiques prestations de Marta Cuscunà : Sorry Boys et La Simplicita ingannata (voir Le Théâtre du Blog) les autres spectacles : Bleu opéra,  Et il mangea de cette Biennale auxquels  nous avons pu assister étaient bien mauvais et nous reposons la même question : pourquoi et comment ce Fantine ou le désir coupable a-t-il été programmé dans cette Biennale…

Thénardier comme le théâtre où le spectacle est joué? Jean Valjean/M. Madeleine, comme le maire de Montreuil, mais Montreuil-sur-mer dans le roman? Une piste??? !!!

Philippe du Vignal

 Spectacle vu au Théâtre Thénardier, Montreuil (Seine Saint-Denis), le 30 mai.

Le Petit Garde rouge de Chen Hiang Hong, mise en scène de François Orsoni

 Le Petit Garde rouge de Chen Hiang Hong, mise en scène de François Orsoni

L’auteur est avant tout peintre, et c’est un bonheur de le voir illustrer le récit de son enfance, porté par un comédien et deux danseuses. Une enfance en Chine, dans une famille fruste mais heureuse, jusqu’au moment où survient la Révolution culturelle (1971). Il a huit ans  et, à l’école, il arbore un foulard rouge et brandit le petit livre rouge de Mao Tse Dong. Mais sa vie va être bouleversée : son père est envoyé en camp de rééducation, à la grande tristesse de sa mère et de ses grands-parents…

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Alban Guyon raconte avec sobriété cette autobiographie aux anecdotes familières mais sans jugement sur l’Histoire. Et les dessins de Chen Hiang en disent plus que le texte. Sur grand écran, maisons, arbres, oiseaux, fleurs, chat, sœurs, écoliers, grands-parents et parents naissent par petites touches de pinceau ou grand traits d’encre de Chine, noire ou de couleur. Lili Chen et Namkyung Kim, sœurs de l’auteur, avec une chorégraphie évocatrice, nous transportent dans l’Empire du Milieu vers les années soixante-dix avec ses opéras révolutionnaires, hymnes patriotiques, sons et odeurs. Grâce aux bruitages d’Éléonore Mallo, nous suivons le jeune garçon dans la rue, à l’école, dans un parc ou parmi les poules de la grand-mère, égorgées par les gardes rouges…

Sans prétention, cette adaptation au théâtre du livre Petit garde rouge doit sa saveur à la simplicité du texte et à la pureté des calligraphies. Ici, aucun misérabilisme, ni parti-pris idéologique. Une histoire fluide qui finit par un moment poignant où l’artiste, après le  comédien, prend modestement la parole pour dire la suite : le collège, l’Académie centrale des Beaux-Arts à Pékin ; puis, en 1987, l’Ecole des Beaux-Arts de Paris. Ce peintre est aujourd’hui reconnu et son œuvre a fait l’objet de nombreuses expositions. Parallèlement, il écrit et illustre à l’encre de Chine sur papier de riz, des albums pour la jeunesse publiés à l’École des loisirs. François Orsoni a découvert l’artiste en 2008 et mis en scène, avec lui et selon les mêmes principes, Contes chinois.

«J’ai envisagé le projet comme un moment de partage, dit Chen Hiang Hong. Je crois qu’il est de mon devoir de transmettre ce récit aux jeunes générations, afin qu’elles puissent mieux comprendre la Chine d’aujourd’hui et cet épisode qui a durablement marqué le XX ème siècle. Je vois aujourd’hui cela comme une mission à la fois politique et humaniste et le théâtre permet cela, bien au-delà du livre.»
Il ne faut pas s’attendre à une fresque sur la Révolution culturelle mais petits et grands auront le plaisir d’entendre, et surtout de voir, une belle histoire.

Mireille Davidovici

Jusqu’au 18 juin, Théâtre du Rond Point, 2 bis avenue Franklin D. Roosevelt, Paris (VIII ème). T. :01 44 95 98 21.

Le 3 juin : ateliers parents/enfants à partir de cinq ans. Bruitage animé et danse traditionnelle chinoise… Et le 6 juin, rencontre avec l’historienne Annette Wieviorka, autrice de Mes années chinoises.

Et il me mangea, texte et mise en scène de Francesca Bettini (tout public à partir de dix ans)

Et il me mangea, texte et mise en scène de Francesca Bettini (tout public à partir de dix ans)

© Christophe Loiseau

© Christophe Loiseau

D’abord un peu d’histoire. 1981: François Mitterrand devient le président de la République et  Tania Castaing et Charlot Lemoine créent leur premier spectacle au festival d’Avignon où Philippe du Vignal les repère aussitôt. Sur un vieux vélo de livraison anglais, ils avaient mis en scène un des premiers, sinon le premier, aussi merveilleux que poétique, théâtre d’objets avec des marionnettes miniatures. Mais depuis nous les avions perdu un peu de vue…
Ce spectacle de référence dans l’histoire de la marionnette donna son nom à la compagnie : le Vélo Théâtre. Depuis vingt ans, cette Scène Scène conventionnée pour le théâtre d’objets et le croisement des arts et des sciences occupe une ancienne usine de fruits confits à Apt (Vaucluse). Et son travail est soutenu par la ville, l’État, la Région, le Département, etc. C’est un lieu de création et d »accueil pour de nombreuses compagnies. Mais Tania Castaing et Charlot Lemoine continuent aussi à jouer leurs spectacles.

Et il me mangea, un spectacle non daté mais qui ne doit pas être récent, appartient au théâtre d’objets; surtout silencieux, il est fondé sur des images et accompagné de quelques paroles et musiques.
Toujours aussi grand et sympathique, Charlot Lemoine a maintenant les cheveux blancs. En costume noir, il raconte une vaste forêt de sapins noirs, symbolisée ici par une maquette avec un arbre et une petite maison blanche. Il est aussi question d’un loup.
Côté cour, une sorte de bureau aux parois en grillage avec un ordinateur et des tas d’objets où règne un assistant et complice (José Lopez) en longue blouse grise comme en avaient autrefois les quincaillers. Il y a aussi de grandes bottes qui avancent comme par magie au rythme de la marche lente de Charlot Lemoine. Suivi ou toujours accompagné par un valet absolument muet qui a aussi comme son maître, une queue de lapin. Il y a ainsi quelques belles images.
Côté jardin, un rétroprojecteur envoyant sur le mur du fond des images de moulin à café, broc en tôle, grand lit en fer forgé, etc. Nostalgie, quand tu nous tiens… Il y a aussi une grand-mère (Tania Castaing) sur son fauteuil rouge à roulettes qui, avec sa petite voix, essaye de trier ses souvenirs. Une histoire sur fond de grand méchant loup et de petit chaperon rouge…
La petite maison, si on a bien compris, aurait été le lieu d’un crime et ces images avec des moyens très simples: papiers déchirés, dessins, petits objets et quelques titres projetés, sur fond de conte à la Charles Perrault, à de rares moments, possèdent  un certain charme. Et Charlot Lemoine a toujours une excellente diction.
Oui, mais voilà! le texte est d’une rare indigence -on se demande ce que les enfants peuvent comprendre- et la mise en scène, assez prétentieuse, n’a aucun intérêt. Bref, ce livre d’images ne fonctionne pas. Dommage! Tania Castaing et Charlot Lemoine auraient sûrement plein de choses à nous dire, comme le fait en ce moment Pierre Louis-Calixte dans son Matériau(x) Molière (voir Le Théâtre du Blog).
Reste à savoir pourquoi Et il me mangea a été programmé à cette Biennale! Là, il y a comme un loup ( excusez l’astuce facile). Quelqu’un du Mouffetard-Théâtre de la marionnette et/ou du Théâtre Gérard Philipe à Saint-Denis l’avait-il vu avant? Oui, nous sommes en colère. Une après midi ratée pour nous : pas bien grave, même après un Fantine d’une rare  médiocrité  vu la veille à Montreuil et dont nous vous reparleront.
Mais des familles, sûrement pas riches, de Saint-Denis payent-elles pour que leurs jeunes enfants (qui n’ont sûrement pas dix ans comme préconisé) , aillent voir ce genre de choses, alors qu’ils méritent toujours le meilleur? Non!  Un spectacle à éviter absolument.

Philippe du Vignal

Spectacle vu le 31 mai au Théâtre Gérard Philipe-Centre Dramatique National, Saint-Denis (Seine-Saint-Denis).
Le 3 juin à 16h.

Le Vélo-Théâtre, Pépinière d’Entreprises, 171 avenue Eugène Baudouin, 84400 Apt (Vaucluse) . T. : 04 90 04 85 25 velos@velotheatre.com

L’Esthétique de la résistance, d’après le roman de Peter Weiss, adaptation et mise en scène de Sylvain Creuzevault

L’Esthétique de la résistance, d’après le roman de Peter Weiss, adaptation et mise en scène de Sylvain Creuzevault

Le  spectre du communisme hantait autrefois l’Europe: comment peut-on être communiste, à l’époque du nazisme et de la seconde guerre mondiale quand, de la Révolution d’octobre, émanent la bureaucratie et la dictature d’Hitler et Staline ? Le pacte germano-soviétique était expliqué aux militants comme nécessaire, puis il fut rompu pour des raisons tout aussi nécessaires… Un petit siècle plus tard, le poids de l’Histoire est toujours là. On nous dira que le communisme est mort et enterré depuis la chute du mur de Berlin en novembre 1989. Voire? Tout le refoulé socio-politique, ce que le spectre agite dans son sommeil, n’est pas résolu et le mérite de ce spectacle est de le réveiller.

Avec Peter Weiss, on ne peut séparer art et politique. Gabriel Garran, fondateur du Théâtre de la Commune d’Aubervilliers récemment disparu avec son maire Jack Ralite lui aussi décédé (voir Le Théâtre du Blog) le fit découvrir en France avec L’Instruction (1966) et Comment Monsieur Mockinpott fut libéré de ses tourments 1970). En 2010, Gwenaël de Gouvello avait mis en scène Monsieur Mockinpott et replacé Peter Weiss dans la lumière. À son tour, Sylvain Creuzevault avec une adaptation de son roman autobiographique L’Esthétique de la résistance, poser la question qui le taraude : celle de la révolution et celle, indissociable, du théâtre et plus largement de l’art.Un objet non essentiel ? Jamais, en tout cas, pour le narrateur de cette histoire. Celle des vaincus, tués, exilés qui ont ouvert la brèche et donnent à penser.
Le Guernica de Picasso remue en eux leur expérience des brigades internationales pendant la guerre d’Espagne, un terrain d’exercice pour les dictatures et l’aviation nazie pour la seconde guerre mondiale. Dans Le Massacre des innocents de Brueghel l’ancien (1585), ils lisent le crime contre l’Humanité et dans la frise du grand autel de Pergame ( II ème sicèle avant J.C.) les corps magnifiques et torturés des hommes dans leur combat avec les Dieux. Et c’est leur regard qui ouvre celui du spectateur d’aujourd’hui.

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Le metteur en scène use de tous les procédés de la distance et pas seulement brechtienne -nous aurons quand même droit à la carriole de Mère Courage- avec numéros de cabaret, projections, adresses au public, éléments d’agit-prop comme ces pancartes suspendues au cou des personnages (surtout Le Narrateur  et Peter Weiss ).
Sylvain Creuzevault donne un rythme parfait au spectacle mais laisse se développer une scène mais parfois avec une rupture de ton, un changement de décor, au moment où la fiction prend trop de pouvoir. Pour aller vers la tragédie finale où chacun des condamnés porte son nom, en l’honneur de tous ceux dont les noms ont été oubliés.

La Halle Gruber, ainsi appelée en hommage au grand metteur en scène, (1941-2008) est un ancien bâtiment industriel début XX ème siècle avec hautes colonnes de fer: un lieu idéal pour ce grand projet avec un espace offrant toute liberté à une scénographie frontale.
Cette Esthétique de la Révolution est un spectacle d’école mais cette Ecole travaille, comme celle de feu l’Ecole de Chaillot,  au cœur d’un théâtre national. Les futurs interprètes y apprennent en vraie grandeur que la mis en scène, le jeu, l’interprétation ne sont pas une affaire individuelle mais une construction réalisée avec plusieurs corps de métiers, et à plusieurs corps. Avec aussi plusieurs générations de femmes et d’hommes aux expériences différentes : Des métiers tout aussi essentielles : construction, couture, mécanique, électronique son et image… Et les élèves ont la chance de travailler avec des professionnels et sur la durée.

Le théâtre est aussi un artisanat… Le T.N.S. a eu cette trouvaille de ne pas appeler ce travail : spectacle de sortie d‘école mais spectacle d’entrée dans la vie professionnelle. Et quelle entrée ! Sylvain Creuzevault a suivi ce Groupe 47 dont il faut citer tous les élèves: Jonathan Bénéteau de Laprairie, Juliette Bialek, Yanis Bouferrache, Gabriel Dahmani, Hameza El Omari, Jade Emmanuel, Felipe Fonseca Nobre, Chalottte Issaly, Vincent Padauc, Naïssa Randrianasolo, Lucie Rouxel, Thomas Stachorsky, Manon Xardel, sur scène. Et à la scénographie, Louise Beauseigneur et Valentine Lê ; aux costumes : Jeanne Daniel Nguyen ; à la lumière : Charlotte Moussié, au son : Lï Waridel, à la vidéo : Simon Anquetil, à la régie plateau :Léa Bonhomme, à la régie générale : Arthur Mandô et, comme assistant à la mise en scène ; Ivan Marquez. Le metteur en scène a travaillé avec eux pendant presque un an et a joint à ce Groupe 47, plusieurs de ses comédiens Boutaïna El Fekkak, Vladislav Galard, Arthur Igual, Frédéric Noaille.

Un grand spectacle qui est à la fois politique et populaire, a besoin d’un collectif fort et de cette importance où tous ces métiers sont aussi représentés. Les jeunes acteurs professionnels ont eu une formidable chance qu’ils n’auront plus de sitôt : participer à une aventure de cette envergure et cela aura au moins placé haut la barre de leurs ambitions et de leurs exigences. C’est toute l’histoire de l’Ecole du T.N.S… Déjà, Sylvain Creuzevault a choisi certains d’entre eux pour jouer dans Edelweiss (France Fascisme), un spectacle où il poursuit une réflexion engagée avec Esthétique de la résistance.

Christine Friedel

Spectacle vu à la Halle Gruber, Théâtre National de Strasbourg.

Les 9 et 10 juin, Printemps des comédiens, Montpellier (Hérault).

Du 9 au 12 novembre, MC 93-Bobigny (Seine-Saint-Denis) dans le cadre du Festival d’automne à Paris.

Edelweiss (France Fascisme), Théâtre national de l’Odéon-Ateliers Berthier, du 21 septembre au 22 octobre, dans le cadre du Festival d’automne à Paris.

La Vie est une fête, mise en scène de Jean-Christophe Meurice

La Vie est une fête, mise en scène de Jean-Christophe Meurice

Comment se portent Les Chiens de Navarre? Pas mal, merci. Mais leur regard sur la francitude (d’où la référence à la Navarre), ou la francité, voire même la franchouillerie, se fait, avec les temps qui ne valent pas mieux, de plus en plus cru… et cruel.
La fête commence dès que les spectateurs ont pris leurs places, par un débat aussi virulent qu’auto-phage (qui se dévore lui-même), à l’Assemblée Nationale –merci, cher public, pour la figuration- sur la retraite à soixante-quatorze ans (pourquoi pas?) dans ce cercle de d’actifs qui rêvent de n’être jamais… à la retraite.

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Les Chiens de Navarre ne se privent de rien : satire à deux balles, calembours du genre : sous-député/député saoul  ou burne-août quand la session parlementaire mord sur les vacances, trituration des idées reçues et lieux communs, au risque de les faire retomber sur leurs pieds, comme de bonne vieilles blagues sexistes… Bref, le ridicule tire sur tout ce qui bouge, ou ne bouge pas,et tue. Ou tuerait, si la folie n’explosait.

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Il faut croire qu’elle était déjà prête…Cela se passe entre dans un service d’urgence psychiatrique-, «l’un des rares endroits à recevoir quiconque à toute heure sans exception d’âge et de sexe», selon le metteur en scène. Là, tout est possible : violence sauvage, animale, confrontée aux efforts d’une sociabilité proprette, scatologie entre innocent caca-boudin  et clystère de Molière, sadisme médical, lent ballet amoureux commencé par des violences entre un C.R.S et un gilet jaune, tandis qu’une manif a lieu derrière les baies vitrées au lointain… Défaite et éjection d’un cadre de la « tech » pour cause d’âge (voir plus haut, la question des retraites) et obsolescence non programmée, du moins le croyait-il. Mais la folie ne fait que changer d’habillage et les tourments de l’actualité sont pris un par un sous le faisceau des projecteurs.
On rit: cela grince, c’est culotté et déculotté, maîtrisé par des acteurs engagés et valeureux: Delphine Baril, Lula Huot, Charlotte Laemmel, Anthony Paliotti, Gaëtan Peau, Ivandros Serodios, Fred Tousch et Bernie. Scénographie efficace de François Gauthier-Lafaye.Bref, du bon travail énergique et désabusé pour un robuste défoulement. Mais qu’on n’en demande pas plus… 

Christine Friedel

Jusqu’au 3 juin, Théâtre des Bouffes du Nord, 37 bis boulevard de la Chapelle, Paris (X ème). T. : 001 46 07 34 50.

 

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