Phèdre de Sénèque, traduction et adaptation de Frédéric Boyer, mise en scène Georges Lavaudant

Phèdre de Sénèque, traduction et adaptation de Frédéric Boyer, mise en scène Georges Lavaudant

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Une pièce peu connue de cet auteur latin, elle-même inspirée de la Phèdre d’Euripide qui intéresse de plus en plus les metteurs en scène, les acteurs comme les élèves d’écoles de théâtre… Soit l’histoire d’un amour impossible considérée comme incestueux entre Phèdre et Hippolyte, le jeune fils de son époux Thésée, le vieux roi d’Athènes… Où tous les personnages vont se laisser emporter par la fureur et la violence… Il nous souvient que Madeleine Marion, la grande tragédienne, avait réussi à passionner ceux de l’Ecole du Théâtre National de Chaillot avec cette Phèdre.

« Ici, dit Georges Lavaudant, peu de décors, peu de costumes. Les corps et leurs ombres comme dans un théâtre oriental-mais réinventé. » Créé à la salle Jean Puaux au Printemps des Comédiens à Montpellier, le spectacle est joué en plein air sur un vaste plateau, près de l’église Saint-Sauveur à Figeac (Lot).  Sur un grand écran-fond de scène, en effet apparaissent de belles ombres, parfois le texte en gros caractères et les lumières de Cristobal Castillo-Mora donnent une puissance aux corps des acteurs.

L’adaptation de Frédéric Boyer est en fait une réécriture, souvent de grande qualité et avec de belles images: l’amour et la haine cachés ou non, le sexe et l’interdit, l’inévitable transgression et sa violence, le meurtre et le suicide, la folie qui s’empare des parents avec les enfants comme enjeu: bref, tout qui  existe depuis la plus haute antiquité dans les familles et qui parle encore au public d’aujourd’hui.
Mais dommage, Frédéric Boyer a fait disparaître ou presque, le texte du chœur où son auteur dit, entre autres, que cèdent à la force de l’amour, les humains de tout pays, de tout âge et et de toute origine sociale mais aussi les Dieux du ciel et des enfers, ou les animaux. Alors que, dans une première version, il y a onze ans, des chœurs étaient joués par des amateurs, issus de communautés d’Emmaüs…
Frédéric Boyer a sans aucun doute une culture latine mais a signé une adaptation où nous n’avons pas toujours retrouvé l’admirable langue de Sénèque, notamment dans la traduction de Florence Dupont qui nous semble beaucoup plus précise et surtout plus théâtrale.
Georges Lavaudant a toujours ce même sens de la scène qu’on lui connait depuis longtemps et il sait diriger ses acteurs dans ces scènes héritées de la Phèdre d’Euripide : monologue de douleur, dialogue avec sa nourrice, récit du messager… Mais pourquoi a-t-il choisi cette adaptation et pourquoi a-t-il donné à sa mise en scène, un côté très statique.Proche effectivement du nô japonais mais comparaison n’est pas  raison: sans l’extrême raffinement des costumes et de l’immuable scénographie. « J’ai demandé à Jean-Claude Gallotta de nous aider à mettre en place des attitudes qui ne soient pas naturalistes, afin de créer un théâtre anti-psychologique, dit Georges Lavaudant. Un théâtre sensuel, corporel, primitif, comme un théâtre oriental réinventé. »
En tout cas, cela ne fonctionne pas… Les acteurs, donc très rigides sauf Hippolyte et que le metteur en scène a placés trop souvent face public, avaient du mal à traduire l’émotion qui parcourt le texte, du moins celui de la pièce originale de Sénèque. Les foutus micros H.F dont ils sont affublés ne servaient à rien, sinon à rendre ternes les voix des cinq personnages. Et le spectacle peinait à prendre son envol: dans les scènes entre Phèdre et sa nourrice, Astrid Bas, actrice expérimentée, ne semblait pas ce soir-là, vraiment pas à l’aise. Sa nourrice (Bénédicte Guilbert), elle, était beaucoup plus convaincante. 

Cette Phèdre manque singulièrement de sensualité, malgré une corporalité mise en avant. Pourquoi Phèdre porte-t-elle une chemise de nuit à imprimé de fleurs, vraiment laide. Pourquoi applique-t-elle sur ses seins nus du  ruban adhésif gaffer noir? Ce qui ne fait pas vraiment sens… Pourquoi Hippolyte est-il habillé d’un seul court short noir avec, mal dissimulée la boîte du micro H.F.? Et pourquoi Phèdre rejette des costumes plus colorés qu’un  récitant (Mathurin Voltz) qui joue aussi le Messager) vient lui apporter? Des costumes non signés! Curieux chez Georges Lavaudant…

Tous les personnages ont un jeu statique et dans cette grande cour en plein air, ce qui n’arrange rien, derrière le grand écran transparent en fond de scène, apparaissent les vitraux éclairés de l’église toute proche, où avait sans doute lieu une cérémonie. Une erreur évidente dans le choix de cet espace.
La mise en scène, d’une rigueur exemplaire, manque d’incarnation et cela nuit au texte. Et bizarre: une voix off dit à un moment, le texte à la place d’Astrid Bas, des micros H.F. foutent en l’air les relations entre les personnages. Alors que tous les acteurs ont une excellente diction et une bonne voix…
Thésée (impressionnant Aurélien Recoing) arrive à parler avec émotion de son fils Hippolyte (Maxime Taffanel qui avait créé avec succès en Avignon son Cent mètres papillon (voir Le Théâtre du Blog) et qu’il a joué aussi à Figeac, le lendemain.
A la fin, sur ce grand plateau nait enfin l’émotion. Une mère envahissante qui a tué ses enfants se suicide, son fils est mis à mort par les Dieux-on dirait maintenant le Destin- et où le tout puissant Roi Thésée n’a plus personne autour de lui. Une tragédie familiale qui n’a rien hélas perdu de son actualité et que le public ressent très bien… Mais pas dupe quant à l’ensemble du spectacle où il s’ennuyait, il a salué poliment, et deux rappels après, est vite sorti. Bref, cette Phèdre a peut-être souffert de cette reprise comme souvent au théâtre, et du plein air mais il nous a déçu.

Philippe du Vignal

Spectacle vu le 28 juillet, Figeac , Cour du Puy (Lot).

Théâtre complet de Sénèque, traduction de Florence Dupont, Actes Sud.

 

 


Archive pour juillet, 2023

Les Femmes rouges de Panagiotis Mentis et Le Petit Chaperon rouge-Le premier sang de Lena Kitsopoulou

Livres et revues

Les Femmes rouges de Panagiotis Mentis et Le Petit Chaperon rouge-Le premier sang de Lena Kitsopoulou

Points communs de ces pièces: une dramaturgie des émotions et une écriture novatrice…  Elles s’inspirent du Petit Chaperon rouge et ces auteurs grecs déconstruisent le célèbre conte de tradition orale dont il existe une centaine de variations. Les plus connues étant celles écrites du Français  Charles Perrault en France (1697), puis celles des frères Grimm en Allemagne (1857).
Et ce conte a été souvent détourné avec un retour à la tradition orale et populaire. Le noir d’un monde ancien, dangereux et stagnant, s’oppose ici au rouge de l’éveil de l’adolescence aux conséquences explosives…

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Panagiotis Mentis (soixante-dix ans) a été acteur de théâtre depuis 1976 et a travaillé au Théâtre national et au Théâtre national de la Grèce du Nord, et dans ceux d’autres régions. Il a reçu deux prix pour ses pièces  Playmobil (1989) and Anna, I said! (1994). Et en 97,  Save won him a été distingué par la fondation Onassis qui lui a attribué le premier prix.. Ici, Panagiotis Mentis s’empare du célèbre conte et écrit un monologue théâtral insolite, où rôles, fonctions et personnages alternent… Et où l’aventure qu’est le passage à l’âge adulte, a pour corollaires la plongée dans notre monde intérieur, l’épreuve et la confrontation meurtrière de l’amour, le conflit inévitable avec les modèles maternel et paternel, les cauchemars et l’expérience difficile de l’adolescence. Mais les adolescents découvrent aussi la nécessité du sacrifice pour acquérir la capacité d’empathie qui existe chez les adultes.

 

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Lena Kitsopoulou, actrice elle aussi et auteure athénienne ( cinquante trois ans) suit le même chemin que Panagiotis Mentis, avec la liberté de ton qu’on lui connait quand elle revisite les classiques… Comme cette variation impromptue sur le thème d’Antigone qu’elle avait présentée au théâtre Vidy-Lausanne  il y a quelques années.
Elle nous fait partager ici une plongée cauchemardesque dans la forêt de l’inconscient. Là où même si le conte est subverti, rien ne peut invalider son sens profond et nous libérer de notre destin et des forces primitives qui régissent nos comportements excepté la mort, bien sûr.
Chez ces dramaturges grecs, l’adolescente au capuchon rouge prend conscience avec douleur des lois qui régissent l’amour et la mort: elles vont briser son arrogance et parsemer des traces sanglantes sur le sentier où elle chemine vers l’âge adulte…

Nektarios-Georgios Konstantinidis

 

Le Fossé de Jean-Baptiste Barbuscia, mise en scène de Serge Barbuccia

Festival d’Avignon

Le Fossé de Jean-Baptiste Barbuscia, mise en scène de Serge Barbuscia

Un grand mur qui avance ou recule sur le plateau, c’est selon . Derrière, on creuse un fossé que certains veulent combler mais que, bien entendu, nous ne verrons jamais. Le creusement sans raison comme image symbolique de l’absurde chez l’homme. L’enfoncement dans un confort mental ou vu comme une véritable nécessité… To be or not to be… Bien entendu, on pense aux célèbres personnages d’En attendant Godot et on sent chez Jean-Baptiste Barbuscia, l’influence qu’a pu avoir sur lui Samuel Beckett. Dans une mise en scène au cordeau de son père Serge Barbuscia qui dirige aussi le Théâtre du Balcon.

 

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Laurent Montel (Pierre), Maïssane Maroqui (Amel), Fabrice Lebert (La Chèvre) Xavier Coppet (Mousse) et Alice Faure (L’homme) jouent avec fougue et légèreté, ces personnages de cette pièce cruelle et dérangeante qui nous place devant notre propre miroir… Et quand ils parlent écologie, luttes socio-politiques et/ou féministes, ils ne semblent guère croire aux combats qu’ils mènent… Glaçant! Comme si l’auteur voulait témoigner de la stupidité des temps actuels.
« 
Ne disons pas de mal de notre époque, écrivait déjà Samuel Beckett, elle n’est pas plus malheureuse que les précédentes. N’en disons pas de bien non plusN’en parlons pas. » Un auteur à suivre…

Sylvie Joffroy

Le spectacle a été joué du 6 au 26 juillet au Théâtre du Balcon, 38 rue Guillaume Puy, Avignon. T. : 04 94 85 00 80.

Soixante-dix septième édition du festival d’Avignon : bilan

 

Soixante-dix septième édition du festival d’Avignon : bilan…

Soixante-dix sept ans d’existence… Un chiffre vertigineux pour cette manifestation sans doute unique au monde et que  Tiago Rodrigues, est le premier metteur en scène étranger à le diriger  dirige maintenant. Existe-t-il encore des spectateurs des débuts du festival? Une question que l’on nous a souvent posée, mais impossible  d’y répondre.  Sans doute quelques-uns et qui ont au moins quatre vingt-dix ans…

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Cette année, petit changement: les séries de dates sont plus longues, avec  une fréquentation légèrement en hausse : 94 %.  Soit deux points de plus que l’an passé. Et il y a eu plus de 110.000 billets vendus. Et des salles qui, parfois, refusaient du monde… Les raison essentielle: une forte envie du public de retrouver Avignon après les multiples perturbations dues au covid dans le milieu artistique.
Les Français mais aussi des Européens -enfin ceux qui peuvent se le permettre- avaient grand besoin de s’offrir une échappée belle dans cette ville mythique et de rencontrer des gens, de faire partie d’un ensemble sociétal adhérant à des valeurs culturelles communes… Et aussi de voir quelques spectacles.
Quitte à accepter de payer cher un séjour,  même court. Place des Carmes, un bol de salade de tomates cerises coupées en deux avec petit morceau de feta : 12€ !  Places de TGV chères, chambres d’hôtel aussi (plus de 30 % que pendant l’année, comme les locations de maisons et appartements). Quant au prix des salles dans le off, il ne cesse d’augmenter… Bref, Avignon cherche à profiter au maximum des trois semaines que dure le festival…

Dans le in, de belles découvertes en danse G.R.O.O.V.E.  de Bintou Dembélé. Et le retour d’Anne Teresa De Keersmaeker en Avignon. Au théâtre, nous n’oublierons jamais A Noiva e o Boa noite cinderela, la remarquable performance de la créatrice brésilienne Carolina Bianchi. Et Angela (A Strange Loop) de l’allemande Susanne Kennedy. Et The Confessions d’Alexander Zeldin. Et si on aime, Extinction de Julien Gosselin, créé au Printemps des comédiens à Montpellier (voir pour ces spectacles Le Théâtre du Blog).
Et deux autres que nous n’avons pu voir comme 
Que ma joie demeure, de Jean Giono, mis en scène de Clara Hédouin, un théâtre-randonnée. Une forme de spectacle qui a la cote, à l’image du remarquable Rimbaud du Théâtre de l’Unité créé en juin dans un chemin rural près de Charleville-Mézières (voir Le Théâtre du Blog) et repris au festival de Chalon.
L’auteure, metteuse en scène et performeuse afro-militante Rébecca Chaillon a présenté avec succès un théâtre-performance 
Carte noire nommée désir où huit artistes noires racontent leur parcours de vie… Il y aura eu  ainsi dix-sept femmes qui auront créé ou co-créé des spectacles cette année au festival d’Avignon, ce qui est un net progrès.

Mais il y a aussi plusieurs remarquables flops, dus, semble-t-il, à un tangage, côté programmation. En tête de course, le bien mauvais Welfare de Julie Deliquet  qui n’aurait jamais dû être programmé dans la Cour d’Honneur. Tout se passe comme si on avait voulu lui faire plaisir… Là, il y a une erreur évidente: ce lieu est aussi prestigieux que difficile! Et en rien adapté à cette version théâtrale d’un documentaire Et comment expliquer les tarifs prohibitifs à 39 €, quelque soit la place… Tiago Rodrigues botte en touche et répond qu’il applique le tarif unique… comme ses prédécesseurs. Un peu juste comme argument, quand on est le patron d’un tel festival… Résultat: comme les autres années, très peu de jeunes dans cette Cour d’honneur comme dans les autres lieux du in et ici une hémorragie permanente de spectateurs sur presque trois heures interminables.
Autre erreurs de choix: l’indigent
Kono atari no dokoka, à la Collection Lambert  et les très décevants An Oak Tree de Tim Crouch au cloître des Célestins et Vivre sa vie de Pauline Bayle, à celui des Carmes. Et ce Jardin des Délices de Philippe Quesne: une chose prétentieuse, sans aucun intérêt et très ennuyeuse. Enfin, seule consolation devant tant de médiocrité, certains auront pu revoir, et les autres découvrir, la mythique carrière Boulbon fermée depuis sept ans.
Cela fait quand même beaucoup d’erreurs pour un festival aussi prestigieux doté de moyens financiers publics très importants- ceux de l’Etat et des collectivités. Il bénéficie d’une logistique et d’une équipe impressionnante mais cette décevante édition du in, à part quelques découvertes, semble réservée à une «élite»: une classe sociale blanche et d’âge mûr,  heureuse de se retrouver ensemble. Mais il y a une coupure évidente… Et le mot « festival populaire » de Jean Vilar semble faire partie du Moyen-Age. Deuxième résultat: toute une partie du public ne va plus dans le in comme s’il n’existait pas et se réfugie dans le off, à l’inverse de ce qui se passait il y a trente ans.
Tiago Rodrigues doit quand même bien avoir conscience que le système installé par ses prédécesseurs ne fonctionne plus vraiment ! Et il n’y a plus au programme, aucune pièce classique, comme si elles sentaient mauvais ! Exception faite de « relectures » comme cette année Antigone par Milo Rau. Et en 2024, de sera le tour d’Hécube d’Euripide, mise en scène de Tiago Rodrigues.

Le in est de plus en plus imaginé, ne mâchons les mots, pour un public  suffisamment friqué pour acheter des places à un tarif élevé. Et, sauf erreur, Rima Abdul-Malak, ministre de la Culture n’a jamais fait de remarque là-dessus. Quant à M. Macron, il a d’autres soucis et n’est jamais venu au festival. Ces prix élevés excluent presque d’emblée les jeunes et pose vraiment question.

©x Le Village du off

©x Le Village du off

Heureusement, le in est maintenant doublé d’un off qui n’a plus rien à voir avec celui que nous avions connu, avec à ses débuts, une dizaine de spectacles. C’est maintenant un festival parallèle qui chaque année, gagne des parts de marché. Mais paradoxalement, il aurait sans doute bien du mal à exister sans le in… Et existent maintenant des théâtres bien établis comme Le Chêne noir, Le Balcon, Les Carmes, le Théâtre des Halles, Artéphile… et depuis l’an dernier, La Scala-Provence, avec une grande salle de six cent places, une autre de deux cent places et un studio.
Soit une sorte de « in » du off où il y a maintenant environ 1.500 spectacles (mais pas tous sur la durée entière du festival et avec de trop nombreux solos). Soit
466 créations dont 370 spectacles joués pour la première fois à Avignon dans 141 lieux par 1.270 compagnies françaises et 125, étrangères. La qualité de jeu y est comparable à celle du in avec souvent des acteurs très connus (Denis Lavant, Marie-Christine Barrault, etc.)
Et avec des textes de théâtre contemporain intéressants et une revisitation intelligente de classiques. Mais aussi des spectacles de danse, magie, etc. Le off ne maque pas d’atouts avec un village du off  bien organisé et situé en plein centre, des salles correctes et généralement pleines, un remarquable catalogue des spectacles, une durée de représentation convenable, un public attentif mais qui ne fréquente pas, ou très peu, le in… Les prix moyens dans le off sont
plein tarif à 19,5 € et tarif abonné à 14 €. Ceci explique sans doute cela…
Bref, un autre monde où il y a parfois des passerelles. Des acteurs du in  jouent une autre fois dans le off mais les metteurs en scène ne sont pas les mêmes et les moyens financiers non plus… Nouveau paramètre: les critiques sont de plus en plus invités à voir en avant-première des spectacles i, du off … à Paris en juin pour que les compagnies puissent  déjà être sûres d’avoir leurs papiers. La concurrence étant redoutable en Avignon…
L’équipe du Théâtre du Blog était cette année plus réduite à Avignon  mais les avis convergent quant au bilan sur ce festival.«La s
olidité du off, dit Jean Couturier, s’affirme avec de plus en plus, de bons comédiens qui viennent jouer pendant trois semaines. Mais chaque média donne  une sélection, ce qui a tendance à limiter la curiosité du public.
Quant au in, comment ne pas voir qu’il n’y a pas assez de textes, et trop de « théâtres-documentaires », « théâtres-récits, « performances »…» Donc, nos impressions sont en demi-teinte pour la première année de cette nouvelle direction. »
Elisabeth Naud est aussi claire: «Les spectacles du in que nous avons vus ne provoquent  pas de  choc esthétique. Nous avons l’impression d’être un peu à l’école….Et, comme le dit Philippe du Vignal, les spectacles sont à notre avis, beaucoup trop chers, et donc interdits à ceux qui n’ont pas de gros moyens. Et nous avons eu la nette impression que le festival cherchait à vendre le maximum de billets jusqu’au début de la représentation, quitte à la retarder. Et il est parfois difficile, voire impossible pour les critiques d’avoir une invitation comme pour
Antigone de Milo Rau…
Par ailleurs, c’est évident: il n’y a pas de beaux textes dans le in, et ceux qui y sont joués, manquent singulièrement de force!
D’un autre côté, il y a de véritables pépites dans le off avec des mises en scène, interprétations et scénographies de haut niveau. »
Nous laisserons le mot de la fin à notre amie Christine Friedel qui n’a pu aller en Avignon pour des raisons de santé:« J’aime les spectacles qui me font respirer autre chose et là, je crois que j’aurais été déçue. »

Philippe du Vignal

Le prochain festival, compte-tenu des Jeux Olympiques, aura lieu du 29 juin au 21 juillet.

Occident-Express de Matei Visniec, mise en scène d’Alain Timar

Festival d’Avignon

Occident-Express de Matei Visniec, mise en scène d’Alain Timar

 Après les derniers événements géopolitiques, Matei Visniec a revisité son texte qu’il avait écrit il y a dix ans. La pièce aborde le thème des migrants venus de l’Est et confronte leurs attentes à la réalité de l’Europe de l’Ouest, non comme un Eldorado, mais comme une source de tous les possibles!

© Luana Popa

© Luana Popa

« Est ce qu’on peut entrer? » Par la porte de la chapelle, surgit tambour battant, trois voyageurs, une valise à la main… D’où viennent-ils? Où vont-ils? Nous sommes aussitôt pris de curiosité.
Acteur 1: « Nous sommes roumains mais nous parlons français. » Acteur 3: « J’aime la France.» Ces saltimbanques en route vers un avenir plus encourageant se présentent. Acteur: 1 “Je suis le premier à avoir quitté mon village en Roumanie pour aller trouver du travail à Turin. Acteur  2 : « Et après lui, c’est moi qui y suis allé. »
Ils vont nous raconter l’Histoire, et des histoires :  récits poétiques, farces et contes…, nous offrant une belle diversité dramaturgique. Acteur 2: «Maintenant, on aimerait bien vous raconter une histoire. Acteur 3: «Une gare déserte et poussiéreuse. Un vieillard aveugle et une fille. La fille aide le vieillard à marcher. Acteur 3: “Vous allez voir, c’est une belle histoire. »

Le chœur de cette petite chapelle du XIII ème siècle devient un espace scénique et la compagnie a tout prévu : dans chaque valise, diverses objets, instruments de musique comme un harmonica, accessoires, tissus…en attente de la scène. Nous sommes à la fois séduits et un peu désorientés par ces personnalités fantasques mais qui ont bien les pieds sur terre. Le voyage « sur place »commence!
La pièce écrite toute en finesse avec un comique sous-jacent alterne entre saynètes et récits existentiels ou socio-politiques sur l’exil et  l’espoir en un avenir meilleur. L’Orient-express devient l’Occident-express: ce train luxueux et féérique d’un fastueux XX ème siècle -du moins pour certains- est ici la métaphore de l’Europe du XXI ème. 
Le public est émerveillé par le jeu ludique, les histoires surprenantes, humaines et politiques transmises avec une dense théâtralité. 

Humour ou romantisme, nostalgie et rêve d’une vie plus facile… Nous allons à la rencontre de la culture de l’Est et de ses habitants, souvent méconnus par l’Ouest d’aujourd’hui, pourtant voisine…
La Roumanie, cette année, est à l’honneur au Théâtre des Halles, avec ces pièces mises en scène par Alain Timár, son directeur et metteur en scène: Rinocerii d’Eugène Ionesco en matinée, et Occident-Express en soirée. Une création qui nous entraîne dans le berceau bigarré de l’Europe centrale écartelé entre les séquelles du communisme et les dérives du rêve capitaliste. La pièce est  jouée en français par Horia Andrei Butnaru, Cristia Florea, Cãtãlin Stefan Mindru, tous acteurs de haute volée du Theatrul Municipal Matei Visniec. 
Nous sommes sous le charme de leurs voix, et de leur interprétation si vivante et charnelle, comme si ils étaient nos  propres hôtes bienvenus ou non.

Histoires politiques et sociales, et le vécu de l’ exil, sont transmis dans cette mise-en-scène, avec une forte émotion théâtrale. Le spectacle et le récit dramatique offrent, à un public de tout âge, une vision hors du commun, aux multiples facettes, généreuse et perspicace. Nous sortons à la fois émus et ravis par cette création subtile et sans artifice inutile… Du théâtre à l’état pur !

 

Elisabeth Naud

Jusqu’au 26 juillet à 18 h 45, Théâtre des Halles, 22 rue du Roi René, Avignon. T. : 04 32 76 24 51.

The Romeo, mise en scène et chorégraphie de Trajal Harrell

The Romeo, mise en scène et chorégraphie de Trajal Harrell

© Ch. Raynaud de Lage

© Ch. Raynaud de Lage

«Il nous faut bien, après quatre ans d’existence, écrivait Jean Vilar en 51 dans la revue Le théâtre dans le monde, faire cette joyeuse constatation: «Avignon reste le seul festival de création dans le monde.»Ce spectacle est aussi une création du Schauspielhaus de Zurich dont le chorégraphe est artiste associé. Il s’adapte ici à l’immense espace de jeu de la Cour d’honneur : soit une nouvelle forme de création…

Trajal Harrel, il y a sept ans déjà, avait présenté au cloître des Célestins, Caen Amour, (voir Le Théâtre du blog). Un beau souvenir.
Le voguing, danse identitaire, a été créée par la communauté noire LGBT, en réaction au racisme et à la discrimination, vers 1970 à New York et apparait en France vers 2000. Et Trajal Harel en est un bon représentant. Il est artiste associé du festival d’automne à Paris avec neuf spectacles. « Imaginez une danse. Appelons-la : Le Roméo comme le jeune amant de Shakespeare qui, dans un enthousiasme enflammé, croyait pouvoir vaincre la mort.Imaginez cette danse qui serait connue dans le monde entier, bien que personne ne sache quand et où elle aurait été créée. Certains diraient qu’elle a été dansée pour la première fois il y a des siècles. Alors qu’il, (Roméo) gardait ses moutons dans un alpage ; d’autres pourraient prétendre l’avoir vu pour la première fois lors d’un enterrement rural. Peu importe d’où serait originaire ce Roméo : imaginez cette danse que des personnes de toute origine, sexe et génération, de tout tempérament et humeur, dansent face à leurs drames et ne font que danser. »
C’est donc à une œuvre-catharsis, en réaction à un événement marquant, que nous invite le chorégraphe. Il y fait référence à ces danses qu’il nomme archaïques, comme celle d’Isadora Duncan que l’on reconnaît aux ondulations du corps et aux battements de bras vers le ciel…
Il semble vouloir seulement montrer une gestuelle avec changements de costumes comme dans un défilé de mode… Mais cette chorégraphie ne fait pas sens, et même si elle ne dure que soixante-quinze minutes, l’ennui gagne vite le public. La bande-son est agréable à écouter mais on croit entendre la musique diffusée sur France Inter quand il y a grève!
Trajal Harrell est clair: « Dans cette création, on ne veut pas représenter quelque chose de précis. Le danseur est une forme poétique qui ne cherche pas à créer du sens mais des liens différents avec le public. »
Il accompagne lui-même ses artistes et se laisse aussi aller à quelques mouvements ondulatoires. The Romeo est donc fondée sur l’imaginaire du chorégraphe.
Ses interprètes distribuent au public une feuille de questions surréalistes. Comme  d’abord: d’où vient Roméo? Réponse : probablement de la Rome antique. Mais il y a aussi des indices qui montrent qu’il existait déjà avant, peut-être même depuis plusieurs millénaires. Cela n’a toutefois pas encore été prouvé. »A la fin de cette dernière représentation, de nombreux spectateurs ont salué le chorégraphe et ses danseurs…

Jean Couturier

Spectacle vu le 23 juillet à la Cour d’honneur du Palais des Papes, Avignon.

Les 7, 8 et 9 décembre, Théâtre de la Ville, Festival d’Automne, à Paris.

Festival d’Avignon L’écriture ou la vie, d’après le texte de Jorge Semprun, adaptation et mise en scène d’Hiam Abbass et Jean-Baptiste Sastre

Festival d’Avignon

L’Ecriture ou la vie, d’après le texte de Jorge Semprún, adaptation et mise en scène d’Hiam Abbass et Jean-Baptiste Sastre

Déporté à Buchenwald, Jorge Semprún (1923-2011) est libéré par les troupes de Patton, le 11 avril 1945. Etudiant du lycée Henri lV et lauréat du concours général de philosophie, ce jeune poète connaissait tous les intellectuels parisiens mais va découvrir à Buchenwald ce que peut être: vivre sa mort.

Hiam Abbass et Jean-Baptise Sastre, artistes total: comédien(ne), metteur(se) en scène, réalisateur(trice), auteur(trice), chanteuse, collaborent ensemble depuis 2012. En 2017, ils se lancent dans la création d’un triptyque consacré aux défis et espoirs de la société moderne vus par trois penseurs du XX.è.s. : La France contre les robots et autres textes de Georges Bernanos, présenté au Festival Off d’Avignon 2018, Plaidoyer pour une civilisation nouvelle de Simone Weil, Festival Off d’Avignon 2019, Notre jeunesse de Charles Péguy, Festival Off d’Avignon 2021. À la suite de ce triptyque marquant et en cette année 2023, fidèles au festival Off et pour notre plus grande curiosité et désir, Hiam Abbass et Jean Baptise Sastre, rejoints par l’acteur et poète hongrois, Geza Rohrig, et Caroline Vicquenault, actrice et scénographe du spectacle,  nous offre une nouvelle création, avec l’adaptation pour la scène théâtrale de L’Écriture ou la vie de Jorge Semprun. 

© Vincent Berenger

© Vincent Berenger

À l’endroit du chœur de la chapelle du théâtre des Halles, une femme de dos, à la chevelure et robe noires est assise sur le sol. Un homme vêtu d’un smoking, semblable à un personnage de cabaret ou à un mondain, fait les cents pas. Le public s’installe, ambiance silencieuse, attente concentrée. 

Les metteurs en scène se sont adaptés à cet espace limité et c’est une réussite, avec des lumières jouant subtilement entre le noir et les camaïeux de gris , ou des teintes plus dorées ou blanches.
La scénographie est sobre. Le mur habillé d’une surface en carton, couleur terre, épouse l’arrondi du fond. Seule, côté cour, s’impose la cheminée des crématoriums: «Elle fumait sans cesse, dit
Simone Veil dans Une Vie. Symbole de cette horrible industrie de la mort, jamais encore fabriquée avec tant de minutie et aussi effroyablement pensée !
Le Mal et son carburant, la cruauté à son paroxysme ! « Le Mal est un des projets possibles de la liberté constitutive de l’humanité et de l’inhumanité de l’homme… De la liberté où s’enracinent à la fois l’humanité et l’inhumanité de l’être humain… » écrit Jorge Semprun dans L’Écriture ou la vie. Troublant et théâtral, certains des acteurs, tous remarquables, portent par moment ou pour un des personnages constamment, un masque comme pour marquer l’impossible réalité du récit, et/ou la déshumanisation. L’inimaginable réalité et la vérité sont transmises par les comédiens, à fleur de peau ou  avec sang froid, avec ou sans paroles. S’ajoute à cette dense théâtralité, le chant :  Magnifique présence et voix de Hiam Abbass. La mise en scène du récit de Jorge Semprun crée ici une rare émotion..

Le spectacle et l’interprétation ont été réalisés avec un grand sens poétique et dramatique. Les artistes, et le choix du livre de Jorge Semprun, nous transmettent ici avec intelligence et interrogation tragique, ce moment effroyable encore terriblement d’actualité à travers les atrocités toujours subies dans le monde entier.

Pour Hiam Abbas, Jean-Baptise Sastre et beaucoup d’autres, le XX ème. siècle est l’un des plus terrible dans le déchainement de la violence humaine… Ils posent cette question qui reste actuelle: comment le Mal a-t-il pu survivre à Auschwitz et au nazisme, comment garder la mémoire des camps, transmettre pour l’éternité -le mot n’est pas trop fort- la vie de ces martyrs, alors qu’ils ont tous pratiquement disparu. Un seule réponse : « Ne pas oublier » ! 
Un projet ambitieux mais vital : « La question est d’autant plus obsédante, dit Jean-Baptiste Sastre, quand on n’a pas fait l’expérience des camps. » Et demeure complexe après avoir lu cette phrase si forte, et incontournable, dans un entretien entre Jorge Semprún et Elie Wiesel : « Se taire est interdit, parler est impossible. »
L’utilisation des masques est une réponse envisageable. Apparaît lors du spectacle, celui du visage d’un des personnages du film de Max Ophuls : Le Plaisir… Jean-Baptiste Sastre porte le même costume que lui…

Ce théâtre de haut niveau s’adresse à tous, qualité peu simple à concrétiser sur un thème si grave. Il dit la nécessité de la fiction pour que le récit puisse être entendu et partagé. Mission tant réfléchie par l’auteur lui-même et ses camarades des camps : la nécessité de l’artifice et de la fiction. Jorge Semprun insiste sur cette notion esthétique primordiale: « La vérité que nous avons à dire (…) n’est pas aisément crédible, comment susciter l’imagination de l’inimaginable, si ce n’est en élaborant, en travaillant la réalité. Avec un peu d’artifice, donc ! » et il ajoute : « « Suffisamment d’artifice pour que ça devienne de l’art ! ». L’écriture et la conception de la tragédie grecque n’en demandaient pas moins et la pensée de ce grand écrivain du XXè.s nous le rappelle comme un impératif au sein de l’écriture et de la vie ! 

Un spectacle primordial en ces temps où règne l’injustice et où la violence des hommes n’ a pas cessé de blesser, d’assassiner. Mais l’art reste une des noble faculté humaine et nous permet de continuer à vivre et aimer le mystère et la beauté de l’existence.

Elisabeth Naud

Jusqu’au 26 juillet, Théâtre des Halles, 22 rue du Roi René. T. : 04 32 76 24 51.

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Les Misérables d’après Victor Hugo, par Isabelle Bonillo

 Les Misérables d’après Victor Hugo, par Isabelle Bonillo

Nous avons découvert ce spectacle après un tractage: une belle surprise… Depuis plusieurs années, Isabelle Bonillo est accueillie à l’espace Saint-Martial et nous raconte cette fois Les Misérables, un monument de la littérature française… Elle dispose les spectateurs en cercle autour d’elle sur des chaises ou des gradins et nous accueille au son d’un petit accordéon: « Aujourd’hui, nous sommes tous misérables. »

©x

©Fred Burnier

Rompue aux techniques d’interpellation habituelle du public dans le théâtre de rue, Isabelle Bonillo, en parfaite fille spirituelle d’Hervée de Lafond, co-directrice avec Jacques Livchine du Théâtre de l’Unité, distribue les rôles au public. Ainsi, nous allons, à tour de rôle, « interpréter « Javert, Gavroche, Jean Valjean, Les Thénardier, Cosette, etc. Son humour et son à-propos font mouche à tous les coups. Même les enfants sont heureux de participer à la re-création de cette histoire, censée être connue de tous.
Habituellement, Isabelle Bonillo va à la rencontre du public, avec une petite camionnette-chapiteau sur les routes de Suisse ou du Luxembourg. Ici elle crée son nid dans la chapelle de l’espace Saint-Martial. Allez la voir, il est encore temps !

Jean Couturier

Jusqu’au 29 juillet, espace Saint-Martial, 2, rue Jean-Henri Fabre, Avignon. T. : 04 86 34 52 24.

Après la répétition /Persona, d’après Ingmar Bergman, mise en scène d’Ivo van Hove

Après la répétition /Persona, d’après Ingmar Bergman, mise en scène d’Ivo van Hove

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Après la répétition_©Marie Clauzade_

Le metteur en scène belge avait déjà présenté ce diptyque en néerlandais avec les comédiens du Toneelgroep Amsterdam et il le reprend aujourd’hui avec une distribution française.
Réalisées à près de vingt ans de distance (
Après la Répétition, à la télévision en 1984 et Persona au cinéma, en 1966), ces œuvres très intimes du cinéaste se répondent… Il y aborde les rapports tumultueux qu’ont les artistes de théâtre avec leur métier et leurs partenaires.
Chez Ingmar Bergman, la frontière entre théâtre et vie est ténue. Décédé en 2007, il a à son actif une quarantaine de films et plus de cent mises en scène. Pour Ivo van Hove: « C’est l’un des auteurs les plus intéressants et les plus importants du XX ème siècle.»  Il monte ces pièces quasi autobiographiques, en miroir, «comme des sonates qui nous parlent de la signification du théâtre, de l’art, dans notre vie et notre société ».

Dans Après la Répétition, il montre les affres d’un metteur en scène, Henrik Vogler, la cinquantaine, aux prises avec ses actrices d’hier et d’ aujourd’hui. Comme enfermé dans la salle de répétition, il vit parmi les fantômes de ses anciens spectacles et de ses acteurs… Henrik sera tiré de sa solitude par la jeune Anna à qui il a confié le rôle principal du Songe d’August Strinberg.
Et
Persona raconte la dérive de Rakel, frappée de mutisme en pleine représentation d’Electre. Tombée dans une grave dépression, elle en sortira peut-être grâce à Alma, une jeune infirmière…

Charles Berling incarne un Henrik Vogler mi-paternel et mi-séducteur. Et il éprouve mépris et jalousie pour l’ami de sa jeune actrice à qui il entend apprendre le théâtre et la vie. Il est aussi rongé de culpabilité envers Elizabeth, la mère d’Anna qui a été sa maîtresse. Fantôme, elle apparaît dans la loge, ivre d’alcool et de rancœur, pour essayer de le séduire à nouveau.

Ivo Van Hove a confié à Emmanuelle Bercot les rôles d’Elizabeth et de Rakel. L’une prolixe, et l’autre muette : deux facettes d’une actrice en crise que le théâtre rejette au fil des ans.  Elle excelle en épave pitoyable face à son ex, visiblement dépassé par les événements. Justine Bachelet est la jeune première pas si ingénue que ça dans Après la Répétition.
Face à ses partenaires féminines,
Charles Berling, lui, semble mal à l’aise en Henrik Vogler… Comme si le metteur en scène l’avait invité à rester en sourdine et en deçà de la folie douloureuse du personnage imaginé par Ingmar Bergman.Mais il y a chez lui quelque chose d’enfantin assez émouvant.

Après l’entracte, le fatras de la loge a disparu et le plateau est nu. Seule sous des lumières crues, une femme est allongée, recroquevillée sur une table métallique de dissection. Emmanuelle Bercot dans une pose digne d’un tableau de maître, offre sans retenue sa nudité… A l’image du dénuement radical de Rakel enfermée dans une grave dépression. Va-t-elle en sortir à l’issue de son long tête à tête avec Alma, son infirmière (Justine Bachelet) dont le verbiage se heurte à un silence complet. Mais les mots portent tant et si bien, que les murs s’effondrent… La scène devient alors une île entourée d’eau où, dans une lumière irréelle, Rakel et Alma s’ébattent follement, sous les bourrasques d’une batterie de ventilateurs et une pluie torrentielle…
Une bouffée d’air insufflée par la jeunesse dans l’étouffant enfermement et les doutes de l’âge mûr. Cette deuxième partie, à la fois plus tenue et plus folle, nous éloigne du réalisme tiède d’
Après la Répétition et l’on voit le fil rouge qui lie ces deux opus d’Ingmar Bergman… Des portraits d’artistes en perdition, et ne percevant le réel qu’à l’aune de leurs obsessions théâtrales.

© Marie Clauzade

Persona © Marie Clauzade

Dans Après la Répétition, il abordait la question des rapports délicats entre un metteur en scène et ses actrices. Ivo van Hove lui emboite le pas mais, depuis la création de ce diptyque il y a dix ans, le monde du théâtre et du cinéma a été secoué par la vague #meetoo. Et les obsessions qui torturent ici les artistes semblent… d’un autre âge. C’est sans doute pourquoi Ivo van Hove a demandé à Charles Berling de faire profil bas, dans ce rôle de metteur en scène un peu libidineux.
Les femmes sont passées aujourd’hui à l’offensive, et le «tunnel de la comédienne de plus de cinquante ans» est devenu un sujet de société avec les revendications portées par les Actrices et Acteurs de France Associés.
Ces sujets affleurent sous la mise en scène. Encore assez fraîche ce soir de première, elle atteint seulement son allure de croisière dans le deuxième volet.
Après la répétition/ Persona devrait trouver son équilibre au fil des représentations par une reprise à l’automne.

 Mireille Davidovici

Spectacle vu au Printemps des comédiens, Cité du Théâtre, Domaine d’Ô, Montpellier (Hérault ). T. : 04 67 63 66 67.

Du 28 septembre au 1 er octobre, Châteauvallon-Liberté Scène Nationale, Toulon ( Var).

Du 6 au 24 novembre, Théâtre de la Ville, Paris.

Les 6 et 7 décembre, Points communs-Nouvelle Scène Nationale de Cergy-Pontoise et du Val-d’Oise.

 Les 22 et 23 mars, La Filature-Scène Nationale de Mulhouse ( Haut-Rhin).

Les 11 et 12 avril , MC2, Grenoble (Isère) .

Les 16 et 17 mai, Le Volcan- Scène Nationale du Havre (Seine-Maritime).

Et à l’automne 2024, aux Théâtres de la ville de Luxembourg  et au Théâtre National Wallonie-Bruxelles.

 

Festival lyrique d’Aix-en-Provence L’Opéra de quat’sous de Bertolt Brecht, traduction d’Alexandre Pateau, musique de Kurt Weill, mise en scène de Thomas Ostermeier

© J.L. Fernandez

© J.L. Fernandez


Festival lyrique d’Aix-en-Provence

L’Opéra de quat’sous de Bertolt Brecht, traduction d’Alexandre Pateau, musique de Kurt Weill, mise en scène de Thomas Ostermeier (en français et en anglais surtitré)

En ouverture du festival, la scène de l’Archevêché accueille pour la première fois la Comédie-Française. En 1956, au Piccolo Teatro de Milan, Giorgio Strehler créa en Italie L’Opéra de Quat’sous. Et il reprendra le spectacle en 58 et deux ans plus tard, au T.N.P. à Paris dirigé par Jean Vilar.

« L’Opéra de Quat’sous, dit Geneviève Serreau dans Brecht dramaturge (éditions de l’Arche 1955), prétendait projeter dans le monde des mendiants, l’arrogance, l’hypocrisie, l’exploitation tyrannique, la veulerie, en un mot toutes les tares propres à la société bourgeoise, car dans une civilisation capitaliste, toute société, fût celle de la pègre, ne peut que refléter les conduites de la classe dirigeante. Des banderoles sur scène avertissaient le public qu’il ne s’agissait pas simplement d’une séduisante imagerie, mais, à travers elle, d’une impitoyable critique.

Pour Thomas Ostermeier, ce constat reste malheureusement très actuel. Il est plaisant de découvrir son travail sur cette pièce à… Aix-en-Provence. Parmi les nombreuses adresses au public: «Bonsoir, nous avons du beau linge ce soir, on est entre gentlemen, on est à Aix-en-Provence, tout de même. »
(voir l’avis de Jacques Livchine dans Le Théâtre du Blog: L’Opéra de Quat ’sous, destiné au peuple, ne devait coûter que… quat’ sous. Bertolt Brecht arrachait l’opéra à son statut bourgeois. Et voilà, il est présenté cette année au festival d’Aix-en-Provence comme un vestige archéologique, une résurgence d’un passé enterré. »

À la direction musicale, Maxime Pascal, fondateur du collectif Le Balcon, évoque une forme d’expression artistique: le parlé-chanté (« sprechgesang » en allemand,  à mi-chemin entre déclamation parlée et chant, surtout connu quand il a été utilisé par Arnold Schönberg dans Le Pierrot lunaire.
Ici, en français actuel, dans la nouvelle traduction d’Alexandre Pateau, les comédiens utilisent deux micros : les uns personnels à capteur de surface et d’autres sur pied, pour les « songs »  archi-connus de cette œuvre.

C’est le premier opéra que monte Thomas Ostermeier et il relève le défi, grâce à l’énorme travail vocal réalisé avec Maxime Pascal, les chefs de chant et les comédiens. Tous exceptionnels avec mention spéciale à Véronique Vella (Célia Peachum) reprenant le rôle qu’elle avait joué dans la mise en scène de Laurent Pelly à la Comédie-Française , Marie Oppert (Polly Peachum) qui a une formation d’artiste lyrique, Birame Ba (Macheath) et Claïna Clavaron (Lucy).
Enfin Christian Hecq (Jonathan Jeremiah Peachum) en histrion maléfique, gestionnaire de la misère dont on redécouvre la belle voix. Il fait parler Peachum avec son corps, avant que son chant s’envole vers le public et apporte une légèreté de ton qu’accompagne avec délices son épouse Célia Peachum (Véronique Vella Irrésistible avec sa gouaille populaire et ses tenues extravagantes). Florence Von Gerkan a conçu de beaux costumes…

Le metteur en scène a transformé cet Opéra de Quat’sous en un cabaret des bas-fonds de Londres. « Un opéra de clochard aussi somptueux, dit-il, ne peut exister que dans les rêves.» Et on peut lire les didascalies sur un bandeau lumineux. Elles apportent ici la fameuse « distanciation » brechtienne.
Thomas Ostermeier ne retire rien à la dimension politique de la pièce. Dans les  songs  et les dialogues, nous entendons distinctement: «Les possédants responsables de la misère ne supportent pas de la voir. »  «  Qui est le plus criminel ? Celui qui braque une banque ou celui qui la fonde. »

Les chorégraphies de Johanna Lemke que Thomas Ostermeier a ajoutées, font de ce spectacle chanté et dansé, un théâtre total. N’en déplaise aux brechtiens des années soixante-dix, c’est une belle réussite… La chanson finale à découvrir et révélée par le metteur en scène témoigne de son engagement.

Jean Couturier

Jusqu’au 24 juillet, festival d’Aix-en-Provence, Théâtre de l’Archevêché, 22 place des Martyrs de la Résistance, Aix-en-Provence. T. : 0 820 67 00 57.

Sur Arte TV.

Du 23 septembre au 5 novembre, à la Comédie-Française, Paris.

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