Welfare, d’après le film de Frederick Wiseman, de Julie André, Julie Deliquet, Florence Seyvos, mise en scène de Julie Deliquet (en français, surtitré en anglais)
Welfare, d’après le film de Frederick Wiseman, de Julie André, Julie Deliquet, Florence Seyvos, mise en scène de Julie Deliquet (en français, surtitré en anglais)
Le documentariste new yorkais bien connu en France a réalisé un film sorti en 73 sur le quotidien d’un bureau d’aide sociale à Manhattan. Où on répond (très mal: mission impossible) aux misérables -femmes et hommes, blancs comme noirs- qui viennent y chercher de l’aide. Incapables de comprendre les nombreux règlements et quels sont leurs droits. Bref, une machine à fabriquer de la violence, elle-même issue de la politique néo-libérale bien huilée mise en place par les gouvernements successifs aux Etats-Unis…
«Le lieu, dit la metteuse en scène, devient un cadre à la fois géographique, collectif et éminemment théâtral, où il est possible d’observer et de comprendre comment l’ordre s’établit, comment chacun ou non y résiste, comment se formalise la violence, comment s’opère la transmission et comment se met en scène et se joue la vie démocratique. » (…) J’y ai découvert la puissance de la fictionnalisation dans le documentaire. Un cinéma de l’instant, du présent, dépendant du réel, dont le récit est pris en charge par le montage. » Julie Deliquet a choisi avec une certaine prétention d’adapter ce film avec un « travail sur l’horizon collectif avec une œuvre qui regarde la réalité sociale en face ». Oui, mais…
Et ici, les choses se gâtent. Ici, Julie Deliquet, invitée par Frederick Wiseman lui-même, dit-elle, a sélectionné une cinquantaine de petites scènes/récits plus que dialogues, où se joue la vie de de ces gens qui s’expriment mal, confondent tout, ont perdu leurs papiers ou disent qu’ils n’ont jamais reçu le chèque attendu.
Ils ont bien entendu un autre rapport au temps et à l’espace. Ils habitent New York mais ont aussi vécu parfois dans un autre Etat. Et là tout se se complique, il faut réexaminer leur situation, leur dit-on, et ces pauvres sans abri (ils sont pourtant citoyens américains) ne maîtrisent plus rien de leur vie sont parfois apatrides et essayent en vain de d’expliquer leur parcours. Le plus souvent sur fond de drogue, alcoolisme et vraie misère où des mères célibataires élèvent quatre enfants… Une femme crie qu ’elle ne peut plus arriver à nourrir ses enfants, se roule par terre de désespoir, un vieil homme usé demande simplement un peu d’aide alimentaire, une autre ne sait plus trop où elle est vraiment, tiraillée qu’elle est entre deux Etats.
Quant au flic noir, il essaye tant bien que mal, de faire régner l’ordre mais se fait insulter. Aux travailleurs sociaux de démêler le vrai du faux, et dans l’urgence, de faire au mieux, c’est à dire, au moins mal. Frederick Wiseman fait une critique virulente des institutions néo-libérales de son pays.
Julie Deliquet a resitué ce bureau d’aide sociale dans un grand gymnase dans la Cour d’honneur. Et elle a voulu aussi être sa propre scénographe ( ce qu’elle n’est pas) et a accumulé tout un bric-à-brac: armoires-vestiaires, deux filets de basket, chevaux d’arçon, des chaises, matelas amortisseurs de chutes, lavabo blanc collectif, grande table pliante et côté cour, de petit gradins. C’est laid et bête.
La dramaturgie est d’une grande faiblesse et cette accumulation de courtes scènes n’a rien de vraiment convaincant pour représenter une sorte de fresque sociale… Première et grave erreur scénographique: comment Tiago Rodrigues ne n’est-il pas rendu compte que la Cour d’Honneur n’était absolument pas faite pour ce Welfare. Tous les metteurs en scène rêvent de faire un spectacle dans cette Cour mythique,une fois au moins dans leur vie mais ce n’est pas une raison….
En général, les bureaux d’aide sociale sont assez petits et là dans cette grande salle, les acteurs semblent et sont perdus. Et leur personnages se parlent à plusieurs mètre de distance, avec un texte assez faible. Dans toutes les bonnes écoles de théâtre, on apprend que la parole d’un documentaire n’a pas grand chose à voir avec un vrai dialogue de théâtre. Le film documentaire part non d’une fiction mais d’éléments d’information précis. Mais ici le mélange de genres ne peut pas fonctionner. Et tout se passe comme si Julie Deliquet avait voulu d’abord et avant tout, jouer dans la Cour d’Honneur… pour être adoubée. Alors que dans une salle fermée plus petite avec une ouverture de scène limitée, les choses auraient été plus claires. Et très franchement, fallait-il presque trois heures pour dire cette tristesse sociale? Non, ma mère…
Et même avec des micros H.F, comme il y avait un peu de vent, on ne les entendait souvent pas bien. et les éclairages étant limités, on peine à bien voir les visages des acteurs. Et manquent à l’évidence, un son correct et les gros plans de visages du film.
En fait tout se passe comme si Julie Deliquet et ses complices pour la dramaturgie avaient suivi à la lettre le documentaire de Wiseman. Résultat patent: la direction d’acteurs en prend un coup et les acteurs surjouent, boulent un texte confus avec cinquante séquences répétitives, criaillent souvent et ne sont pas crédibles. Alors comment s’attacher à ces personnes qui ne sont pas des personnages. Restant assis la plupart du temps, en attendant leur tour? Et qui jouent face trois quarts! ce qui n’arrange pas les choses.
Julie André, Astrid Bayiha, Éric Charon, Salif Cisse, Aleksandra de Cizancourt, Olivier Faliez, Vincent Garanger, Zakariya Gouram, Nama Keita, Mexianu Medenou, Agnès Ramy, David Seigneur et Thibault Perriard (batteur) font le boulot mais l’ensemble n’a jamais de véritable sens. Seuls des acteurs expérimentés comme Evelyne Didi, Marie Payen, Victor Garanger arrivent à s’en sortir.
A l’impossible, nul n’est tenu comme disaient nos grand-mères! Il y a une belle scène à la toute fin, entre un pauvre vieux, et un grand flic noir baraqué. Un moment proche d’En attendant Godot, une pièce qui a été citée..
Mais,avant d’en arriver là, à peine une demi-heure après avoir commencé, ce Welfare qui fait du surplace, distille un ennui pesant. Et il y a une hémorragie permanente de public : au moins une centaine de personnes de tout âge. C’est peu pour cette grande jauge mais cela déconcentre les acteurs…. et le public!
La metteuse en scène a choisi d’orienter son travail «sur l’horizon collectif avec une œuvre qui regarde la réalité sociale en face. » Tous aux abris! Et ce très médiocre Welfare, encore une fois assez prétentieux, a aussi un coût: il y a quinze interprètes sur le plateau et sans doute autant de techniciens qui bossent en régie et dans les coulisses! En attendant, le mal est fait et cela donne une très mauvaise image du festival d’Avignon, surtout en ouverture.
Bref, le compte n’y est pas et depuis quelques années, les spectacles présentés dans cette magnifique Cour d’Honneur ne lui font pas… honneur!
Et vous aurez sans doute compris que nous vous déconseillons celui-ci. Une amie actrice a acheté au dernier moment une place et s’est retrouvée au rang Z. Il lui en quand même coûté 40 € !! Mais elle n’entendait pas ni ne voyait pas grand-chose. Furieuse et déçue, elle est donc partie trente minutes après le début. Et elle n’était pas la seule quand nous avons écouté le public à la sortie à presque une heure du matin. Qu’en pense la direction du festival et madame Deliquet ? Nous sommes sortis de là, tristes et déçus…Il était une heure moins cinq.
Philippe du Vignal
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Méta
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