Welfare, film de Frederick Wiseman

Welfare, film de Frederick Wiseman

Le spectateur est prévenu: s’il tient le premier quart d’heure, il ira jusqu’au bout des deux heures quarante-sept de ce film (1973). Comme nous y invite Nicolas Philibert, lui-même grand documentariste (toujours à l’affiche: Sur l’Adamant, la péniche qui accueille des adultes souffrant de troubles psychiques).Il est venu présenter Welfare, au MK2 Beaubourg, mercredi dernier et nous a invité à écouter aussi le film : Wiseman travaille à l’oreille, et la perche du preneur de son attire l’œil de la caméra vers tel ou tel visage.

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Cela se passe dans la salle d’attente et aux guichets de ce service social à Manhattan (New York). Ici, rien que du banal assommant : la régularisation de dossiers, pour que les plus pauvres obtiennent leurs  droits. Le vital pour eux : manger ce soir et dormir sous un toit. Mais à quelle adresse envoyer le chèque de l’aide publique, à quel nom le recevoir ? Comment récupérer un bébé placé en institution de protection de l’enfance, tant que le logement en sous-sol est infesté de rats? Comment, comment, comment? La demande est sans fin, la réponse arrive parfois et même souvent, et l’on entend alors l’appel régulier des noms et numéros.

Mais le propre de la machine administrative : les blocages ! Le dossier n’est pas à jour, le demandeur a été radié par erreur, un risque d’homonymie arrête tout, la situation familiale du demandeur n’est pas claire, etc… Les employés s’efforcent de démêler tout cela, avec patience et persévérance, mais craquent parfois, comme réduits à un disque rayé : «Ne me criez pas dessus», « Je ne peux pas le faire, je ne peux pas » Exaspérés mais obligés de se contenir, impuissants…

Cinquante ans plus tard, la dématérialisation n’a rien résolu, sinon aggravé la situation à cause de la fracture numérique. Le réalisateur nous donne à voir tout le mécanisme et cela se passait en 73 : salle d’attente, guichets, vieilles machines à cartes perforées qui crachent leurs fiches, piles de dossiers, papiers, papiers, papiers….
Mais Frederick Wiseman surtout prend le temps de conduire notre regard vers les personnes. Autant d’histoires uniques et toutes semblables. Autant de colères, détresses, ruses pour essayer de contourner l’incontournable monstre. Evidemment, cela évoque avec brutalité les entretiens auxquels sont soumis chez nous aujourd’hui les demandeurs d’asile. Avec le trop fameux «récit» qu’on attend d’eux, inévitablement formaté, ce qu’on leur reprochera ensuite.
Un jeune couple qui n’est peut-être pas un couple, une femme accompagnant son amie quasi muette et qui souffre pour elle, crie pour elle. Mais aussi un homme qui tire de ses poches une lettre, puis une autre, puis une autre, pour tout lâcher au sol, renonçant à ses « justificatifs ». Un poète philosophe au vêtement soigné, juste un peu élimé et au discours d’une parfaite désespérance…  Le cinéaste les écoute, tous, avec considération.

On comprend qu’on veuille adapter ce film au théâtre. Il se passe dans un décor unique, à quelques moments près où l’on voit les bureaux plus reculés et moins accessibles, des chefs. On ne verra l’extérieur que sous la forme d’une porte. Derrière y est rejeté mais non sans peine, un homme souffrant manifestement de troubles mentaux, qui insulte en continu un agent de sécurité noir, lequel lui répond avec la même obstination sur un ton égal. De la ville, on ne reconnaîtra que le nom, celui des rues où se trouvent les différents bureaux, dans un espace qui pourrait être imaginaire, et la misère réelle que cette ville a produite.

Si Welfare était une fiction, on pourrait parler de «film choral» Et ces personnes sont devenus des personnages. Pour nous, aucune réponse à tous ces «pourquoi». Pourquoi a-t-il perdu son travail ? Pourquoi vient-elle demander du secours à New-York, alors qu’elle habite l’état voisin du New Jersey? Pourquoi cette vieille femme crie-t-elle si fort, par-dessus la plainte d’une autre ? Et là, au milieu, des enfants jouent et rient…
L’unité de temps: une journée épuisante pour tous, où les demandeurs butent contre la complication administrative et où les agents sont enfermés dans le ressassement : «Prenez-rendez-vous. » « «Demain ? « Je ne peux pas, ce n’est pas de moi que cela dépend. « Ce bureau ne fait pas la charité et ces secours sont un droit…
Pour clore la journée, le réalisateur s’attarde sur les premiers visages que nous avons vus : c’est fini, et c’est sans fin. Un long et beau film, inspirant.

Christine Friedel

Dans cinq salles de la région parisienne. Présenté chaque mercredi par un ou une cinéaste, au MK2 Beaubourg (Paris III ème).


Archive pour 8 juillet, 2023

Welfare, film de Frederick Wiseman

Welfare, film de Frederick Wiseman

Le spectateur est prévenu: s’il tient le premier quart d’heure, il ira jusqu’au bout des deux heures quarante-sept de ce film (1973). Comme nous y invite Nicolas Philibert, lui-même grand documentariste (toujours à l’affiche: Sur l’Adamant, la péniche qui accueille des adultes souffrant de troubles psychiques).Il est venu présenter Welfare, au MK2 Beaubourg, mercredi dernier et nous a invité à écouter aussi le film : Wiseman travaille à l’oreille, et la perche du preneur de son attire l’œil de la caméra vers tel ou tel visage.

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Cela se passe dans la salle d’attente et aux guichets de ce service social à Manhattan (New York). Ici, rien que du banal assommant : la régularisation de dossiers, pour que les plus pauvres obtiennent leurs  droits. Le vital pour eux : manger ce soir et dormir sous un toit. Mais à quelle adresse envoyer le chèque de l’aide publique, à quel nom le recevoir ? Comment récupérer un bébé placé en institution de protection de l’enfance, tant que le logement en sous-sol est infesté de rats? Comment, comment, comment? La demande est sans fin, la réponse arrive parfois et même souvent, et l’on entend alors l’appel régulier des noms et numéros.

Mais le propre de la machine administrative : les blocages ! Le dossier n’est pas à jour, le demandeur a été radié par erreur, un risque d’homonymie arrête tout, la situation familiale du demandeur n’est pas claire, etc… Les employés s’efforcent de démêler tout cela, avec patience et persévérance, mais craquent parfois, comme réduits à un disque rayé : «Ne me criez pas dessus», « Je ne peux pas le faire, je ne peux pas » Exaspérés mais obligés de se contenir, impuissants…

Cinquante ans plus tard, la dématérialisation n’a rien résolu, sinon aggravé la situation à cause de la fracture numérique. Le réalisateur nous donne à voir tout le mécanisme et cela se passait en 73 : salle d’attente, guichets, vieilles machines à cartes perforées qui crachent leurs fiches, piles de dossiers, papiers, papiers, papiers….
Mais Frederick Wiseman surtout prend le temps de conduire notre regard vers les personnes. Autant d’histoires uniques et toutes semblables. Autant de colères, détresses, ruses pour essayer de contourner l’incontournable monstre. Evidemment, cela évoque avec brutalité les entretiens auxquels sont soumis chez nous aujourd’hui les demandeurs d’asile. Avec le trop fameux «récit» qu’on attend d’eux, inévitablement formaté, ce qu’on leur reprochera ensuite.
Un jeune couple qui n’est peut-être pas un couple, une femme accompagnant son amie quasi muette et qui souffre pour elle, crie pour elle. Mais aussi un homme qui tire de ses poches une lettre, puis une autre, puis une autre, pour tout lâcher au sol, renonçant à ses « justificatifs ». Un poète philosophe au vêtement soigné, juste un peu élimé et au discours d’une parfaite désespérance…  Le cinéaste les écoute, tous, avec considération.

On comprend qu’on veuille adapter ce film au théâtre. Il se passe dans un décor unique, à quelques moments près où l’on voit les bureaux plus reculés et moins accessibles, des chefs. On ne verra l’extérieur que sous la forme d’une porte. Derrière y est rejeté mais non sans peine, un homme souffrant manifestement de troubles mentaux, qui insulte en continu un agent de sécurité noir, lequel lui répond avec la même obstination sur un ton égal. De la ville, on ne reconnaîtra que le nom, celui des rues où se trouvent les différents bureaux, dans un espace qui pourrait être imaginaire, et la misère réelle que cette ville a produite.

Si Welfare était une fiction, on pourrait parler de «film choral» Et ces personnes sont devenus des personnages. Pour nous, aucune réponse à tous ces «pourquoi». Pourquoi a-t-il perdu son travail ? Pourquoi vient-elle demander du secours à New-York, alors qu’elle habite l’état voisin du New Jersey? Pourquoi cette vieille femme crie-t-elle si fort, par-dessus la plainte d’une autre ? Et là, au milieu, des enfants jouent et rient…
L’unité de temps: une journée épuisante pour tous, où les demandeurs butent contre la complication administrative et où les agents sont enfermés dans le ressassement : «Prenez-rendez-vous. » « «Demain ? « Je ne peux pas, ce n’est pas de moi que cela dépend. « Ce bureau ne fait pas la charité et ces secours sont un droit…
Pour clore la journée, le réalisateur s’attarde sur les premiers visages que nous avons vus : c’est fini, et c’est sans fin. Un long et beau film, inspirant.

Christine Friedel

Dans cinq salles de la région parisienne. Présenté chaque mercredi par un ou une cinéaste, au MK2 Beaubourg (Paris III ème).

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