Avignon, pourquoi j’y retourne…

 Avignon, pourquoi j’y retourne…
Je n’arrive pas à me désintéresser de l’avenir du théâtre, je veux encore savoir comment il vieillit et il grandit. Je lui ai donné toute ma vie, et là, j’aimerais bien m’en détacher, le voir de haut et comment il a évolué depuis Jean Vilar.

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©x Jean Vilar


Mais impossible, je n’y arrive pas. Hier, je passais devant le verger d’Urbain V où nous allions l’écouter religieusement dans les années 67. Vilar faisait et pensait le théâtre. Visionnaire, mage, voyant, pénétrant… Personne n’a pris sa place aujourd’hui.

La priorité: sauver notre planète qui s’engloutit dans une réchauffement climatique sans précédent et le festival d’Avignon est une aberration. Parkings monstrueux et dans tous les lieux théâtraux ou pas, la climatisation ronronne au maximum. Les compagnies du off placardent leurs affiches papier et carton par tonnes et cela enlaidit la ville…

Sort en plein festival d’Avignon, la thèse de Marjorie Glas : Quand l’Art chasse le populaire. Pas besoin d’être sociologue pour voir que dans le In, les places à 40 € sont un instrument à filtrer le public. Il y a des réductions pour les jeunes mais ils sont en minorité. L’an passé, nous disait Philippe du Vignal, la billetterie du festival essayait de vendre des places très bon marché, à une école d’Avignon mais les étudiants n’en voulaient même pas…

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 Public blanc et âgé : on sent qu’ils viennent de leur maison du Lubéron pour voir ce qu’ils pensent être l’avant-garde et pour en discuter à l’apéro au bord de leur piscine avec des amis: « Qu’est-ce que tu as vu de beau? »
Ce sont les lecteurs du Nouvel Obs et de Télérama. Jusqu’à ma mort, le problème du public me hantera.
Dans la Cour d’honneur, au dernier rang ,nous  ne captions pas du tout le Welfare de Julie Deliquet. Nous étions très loin au rang Z et le texte était trop quotidien, bref, cela ne passait pas. J’étais en colère contre ce festival : on ne vend pas 40 €, des places où l’on entend à peine et où les acteurs ressemblent à des fourmis.

8 juillet à minuit trente, et je me dis que cela serait drôle de filmer mon ennui. Il y a la case : filmer en direct sur FB. Et fusent les commentaires haineux : ça a l’air chiant. C’est quoi ce vieux terrain de basket ? Il ne se passe rien, etc. Tu ne juges pas un spectacle d’après une vidéo de portable, et pourtant, on se fait une idée.

Welfare
déborde de bons sentiments. Sur une scène de théâtre bourgeois, Julie Deliquet nous montre la misère du peuple. Ce théâtre social renvoie sans nul doute à nos gilets jaunes… Alors que le spectacle est fondé sur un documentaire tourné à Manhattan avec de pauvres gens par Frederick Wiseman, il y a un demi-siècle.
Retour à la case théâtre populaire: les pauvres eux, ne sont pas dans la salle, cela c’est sûr ! Alors mettons-les sur scène.  C’est mon vieux côté brechtien: il ne s’agit pas de montrer la misère sociale sur une scène, mais de dire que le monde peut être transformable. Je savais que cela allait arriver : je vais voir des spectacles pour les détester et me bâtir ainsi un univers de valeurs.
Trop facile d’injurier ce qu’on n’a pas vu! Un jour, j’étais allé au théâtre du Palais-Royal à Paris voir C’était La Cage aux folles de Jean Poiret, avec lui-même et Michel Serrault.. Selon moi, la bassesse la plus vile: le théâtre de boulevard….alors étudiant de l’Institut d’études théâtrales avec des professeurs théoriciens absolus de l’art du spectacle, je devais détester ce que j’allais voir.
Alors, drame absolu: je ne fais alors aucun rejet et suis même carrément admiratif: les acteurs n’étaient pas cabots, ne cherchaient pas les rires faciles… Le texte ne tombait pas dans l’homophobie et le spectacle était de grande qualité. D’où ensuite mon envie de tout vérifier par moi même.
Avignon, le Graal. Toute la critique parisienne est présente. Jadis j’avais appris que le festival défrayait les journalistes du Monde… Cela me choquait, j’ose croire que ce n’est plus le cas. Donc je lis tous les articles contradictoires du Monde, de Libération, Télérama, des Inrocks… Les critiques sont tous là.

Tiago Rodrigues, le nouveau directeur du festival, c’est l’état de grâce… Olivier Py, personne ne le regrette et Vincent Baudriller, son prédécesseur, non plus. Événement majeur: le festival accueille à nouveau des spectacles à la carrière Boulbon, un lieu adoré par Peter Brook, Jérôme Savary, etc. Mais à quel prix ? Il y aurait 600.000 € de travaux pour consolider le site. Aujourd’hui, la vérité vraie, ce sont les chiffres… A suivre.

Jacques Livchine, co-directeur avec Hervée de Lafond, du Théâtre de l’Unité.


Archive pour 10 juillet, 2023

A Noiva o Boa Noite Cinderela, conception, texte et mise en scène de Carolina Bianchi et Cara de Cavalo


A Noiva o Boa Noite Cinderela, conception, texte et mise en scène de Carolina Bianchi et Cara de Cavalo

© Ch. Raynaud de Lage

© Ch. Raynaud de Lage

Un mur de toile grise, devant un micro sur pied, une chaise et une table en bois blanches face public. Sur une nappe en dentelle ronde pliée en deux, une bougie, une bouteille d’eau avec un verre, une boîte de puissants sédatifs (la drogue des violeurs mise dans le verre de futures victimes (en portugais brésilien: boa noite), une épaisse liasse de feuilles, visiblement le texte d’une conférence qui pourrait durer plusieurs heures… Mais, nous rassure Carolina Bianchi, cette première partie qu’elle assumera seule, durera seulement cinquante minutes… « Je suis, dit-elle, , dans l’exploration avec cette recherche sur toutes les violences faites au femmes, physiques, sexuelles, psychologiques. C’est en effet un questionnement ouvert et sans réponse. »

Première étape de ce spectacle aux limites de la performance, une mini-conférence d’histoire de l’art avec une fine analyse du fameux tableau (1483) de Sandro Boticcelli en quatre panneaux : L’Histoire de Nastagio degli Onesti du Décaméron de Boccace où une femme est poursuivie par un cavalier, assassinée et dont les viscères seront données à manger aux chiens.
Puis Carolina Bianchi poursuit sa quête avec une initiation aux créatrices de performances
au siècle dernier. Comme, entre autres, à la suite du groupe d’art corporel: le fameux Gutaï japonais avec Saburō Murakami (Gu : “instrument” et taï : corps” vers 1955, des artiste performeuses Gina, Valie Expert, Marina Abramović, Orlan, Rebecca Horn, Carolee Schneemann, etc. dans les années soixante-dix et ensuite. Toujours dans un but précis: remettre en cause l’ordre établi sexuel et patriarcal. Comme aussi et surtout Gina Pane, née de père italien et mère autrichienne, à Biarritz en 39 et morte d’un cancer du sein en 90. Connue pour ses auto-mutilations et ses mises en danger d’elle-même (entre autres, un parcours sur une corniche en zinc). Et enfin, d’une autre performeuse moins connue en France*, Pipa Bacca (1974-2008).  Elle avait entrepris de faire avec une amie, un voyage en stop, aidée par de nombreux artistes  pour le préparer.

Un voyage à hauts risques dans les zones de conflit au Proche-Orient, dont elles n’avaient peut-être pas vraiment conscience. Pour seulement «donner un signe de «confiance entre les êtres humains » et faire « un mariage entre les différents peuples et nations. » Elles devaient ainsi aller de Milan, à Jérusalem, par l’ex-Yougoslavie, la Turquie, le Liban, la Syrie, la Palestine. Portant symboliquement une robe blanche de mariée assez volumineuse. Mais elles se disputèrent quant au but de l’opération et se quittèrent à Istanbul.
Arrivée seule à Gebze en Turquie
, Pippa Bacca sera violée et tuée. Restent de cette performance itinérante, quelques textes et photos ici projetées sur grand écran. Vraiment impressionnantes. Une forme d’art et une horrible tragédie pour Carolina Bianchi. Mais difficilement conciliables… Et elle met le doigt là où cela fait mal en cherchant à comprendre pourquoi les représentants mâles d’une société dite civilisée, peuvent en arriver là. Et elle évoque ce footballeur brésilien qui, en 2010, a fait tuer par ses copains, son amoureuse et a ensuite donné son corps à ses trois dobermans. Condamné et mis en prison, il y recevra des demandes en mariage; libéré depuis, il rejoue au foot mais dans un autre club. Vive les féminicides au Brésil comme ailleurs…

Carolina Bianchi souligne comment ce corps-outil artistique fait partie prenante d’un mouvement féministe et politique clairement revendiqué. Et le crime de viol restera en filigrane pendant tout le spectacle.Vite endormie par dix millilitres de cette drogue, elle tombe de sommeil mais reste en scène allongée sur un matelas, veillée par deux complices qui la caressent. Et elle laisse cet immense plateau à ses acteurs-performeurs.Sur le sol couvert de bâche plastique noire, huit acteurs/danseurs occuperont le plateau. Et un squelette étendu sur une bâche, le corps endormi de Carolina Bianchi, de la poudre blanche (un reste de squelette ?). Dans le fond, une voiture noire où, à un moment donné, les cinq femmes de ce collectif s’en iront pour un voyage…

Côté jardin, un écran suspendu défilera un texte sur cette injustice criante faite aux femmes, avec de nombreuses références à l’écrivain chilien Roberto Bolaño, en silence ou sur de la musique. Un texte fort défile sur un écran rouge, que Carolina Bianchi aurait pu dire. Présence/ Absence : on ne sait plus trop.
Le spectacle finit par une scène très dure (n’y emmenez pas votre vieille cousine) : allongée sur une serviette éponge blanche sur le capot d’une voiture noire, elle subit sexe ouvert face public un examen dont les images sont projetées sur grand écran. Silence absolu dans la salle qui applaudira chaleureusement..
Des images que ne renieraient pas Angelica Liddell et qui ont la même force (voir Le Théâtre du Blog) et dont Carolina Bianchi connaît sûrement les spectacles. Et loin, très loin, heureusement du Welfare de madame Julie Deliquet à la Cour d’Honneur avec, au rang Z donc le dernier, des places à 40 € (sic) où on voit mal, à cause d’un éclairage insuffisant et où on entend mal. La honte du festival…

Des bémols ? Oui, quelques-uns : le coup de la voiture en scène avec des personnages à l’intérieur, un vieux truc usé, un texte qui passe trop vite, des lumières stroboscopiques qu’on aurait pu nous épargner et quelques longueurs vers la fin…
Mais sinon, quelle beauté, quelle intelligence scénique! Quelle maîtrise de ce grand espace et de la lumière, quelle direction d’acteurs! Cette jeune artiste brésilienne est vraiment entrée dans la cour des grands : LA très bonne surprise d’un festival un peu terne… Le spectacle finit ce soir en Avignon mais ne le ratez pas, s’il va près de chez vous.

 Philippe du Vignal

 Jusqu’au 10 juillet, Gymnase du lycée Aubanel, Avignon. T.  : 04 90 14 14 14.

Et ensuite en tournée.

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