A Noiva o Boa Noite Cinderela, conception, texte et mise en scène de Carolina Bianchi et Cara de Cavalo
A Noiva o Boa Noite Cinderela, conception, texte et mise en scène de Carolina Bianchi et Cara de Cavalo
Un mur de toile grise, devant un micro sur pied, une chaise et une table en bois blanches face public. Sur une nappe en dentelle ronde pliée en deux, une bougie, une bouteille d’eau avec un verre, une boîte de puissants sédatifs (la drogue des violeurs mise dans le verre de futures victimes (en portugais brésilien: boa noite), une épaisse liasse de feuilles, visiblement le texte d’une conférence qui pourrait durer plusieurs heures… Mais, nous rassure Carolina Bianchi, cette première partie qu’elle assumera seule, durera seulement cinquante minutes… « Je suis, dit-elle, , dans l’exploration avec cette recherche sur toutes les violences faites au femmes, physiques, sexuelles, psychologiques. C’est en effet un questionnement ouvert et sans réponse. »
Première étape de ce spectacle aux limites de la performance, une mini-conférence d’histoire de l’art avec une fine analyse du fameux tableau (1483) de Sandro Boticcelli en quatre panneaux : L’Histoire de Nastagio degli Onesti du Décaméron de Boccace où une femme est poursuivie par un cavalier, assassinée et dont les viscères seront données à manger aux chiens.
Puis Carolina Bianchi poursuit sa quête avec une initiation aux créatrices de performances au siècle dernier. Comme, entre autres, à la suite du groupe d’art corporel: le fameux Gutaï japonais avec Saburō Murakami (Gu : “instrument” et taï : corps” vers 1955, des artiste performeuses Gina, Valie Expert, Marina Abramović, Orlan, Rebecca Horn, Carolee Schneemann, etc. dans les années soixante-dix et ensuite. Toujours dans un but précis: remettre en cause l’ordre établi sexuel et patriarcal. Comme aussi et surtout Gina Pane, née de père italien et mère autrichienne, à Biarritz en 39 et morte d’un cancer du sein en 90. Connue pour ses auto-mutilations et ses mises en danger d’elle-même (entre autres, un parcours sur une corniche en zinc). Et enfin, d’une autre performeuse moins connue en France*, Pipa Bacca (1974-2008). Elle avait entrepris de faire avec une amie, un voyage en stop, aidée par de nombreux artistes pour le préparer.
Un voyage à hauts risques dans les zones de conflit au Proche-Orient, dont elles n’avaient peut-être pas vraiment conscience. Pour seulement «donner un signe de «confiance entre les êtres humains » et faire « un mariage entre les différents peuples et nations. » Elles devaient ainsi aller de Milan, à Jérusalem, par l’ex-Yougoslavie, la Turquie, le Liban, la Syrie, la Palestine. Portant symboliquement une robe blanche de mariée assez volumineuse. Mais elles se disputèrent quant au but de l’opération et se quittèrent à Istanbul.
Arrivée seule à Gebze en Turquie, Pippa Bacca sera violée et tuée. Restent de cette performance itinérante, quelques textes et photos ici projetées sur grand écran. Vraiment impressionnantes. Une forme d’art et une horrible tragédie pour Carolina Bianchi. Mais difficilement conciliables… Et elle met le doigt là où cela fait mal en cherchant à comprendre pourquoi les représentants mâles d’une société dite civilisée, peuvent en arriver là. Et elle évoque ce footballeur brésilien qui, en 2010, a fait tuer par ses copains, son amoureuse et a ensuite donné son corps à ses trois dobermans. Condamné et mis en prison, il y recevra des demandes en mariage; libéré depuis, il rejoue au foot mais dans un autre club. Vive les féminicides au Brésil comme ailleurs…
Carolina Bianchi souligne comment ce corps-outil artistique fait partie prenante d’un mouvement féministe et politique clairement revendiqué. Et le crime de viol restera en filigrane pendant tout le spectacle.Vite endormie par dix millilitres de cette drogue, elle tombe de sommeil mais reste en scène allongée sur un matelas, veillée par deux complices qui la caressent. Et elle laisse cet immense plateau à ses acteurs-performeurs.Sur le sol couvert de bâche plastique noire, huit acteurs/danseurs occuperont le plateau. Et un squelette étendu sur une bâche, le corps endormi de Carolina Bianchi, de la poudre blanche (un reste de squelette ?). Dans le fond, une voiture noire où, à un moment donné, les cinq femmes de ce collectif s’en iront pour un voyage…
Côté jardin, un écran suspendu défilera un texte sur cette injustice criante faite aux femmes, avec de nombreuses références à l’écrivain chilien Roberto Bolaño, en silence ou sur de la musique. Un texte fort défile sur un écran rouge, que Carolina Bianchi aurait pu dire. Présence/ Absence : on ne sait plus trop.
Le spectacle finit par une scène très dure (n’y emmenez pas votre vieille cousine) : allongée sur une serviette éponge blanche sur le capot d’une voiture noire, elle subit sexe ouvert face public un examen dont les images sont projetées sur grand écran. Silence absolu dans la salle qui applaudira chaleureusement..
Des images que ne renieraient pas Angelica Liddell et qui ont la même force (voir Le Théâtre du Blog) et dont Carolina Bianchi connaît sûrement les spectacles. Et loin, très loin, heureusement du Welfare de madame Julie Deliquet à la Cour d’Honneur avec, au rang Z donc le dernier, des places à 40 € (sic) où on voit mal, à cause d’un éclairage insuffisant et où on entend mal. La honte du festival…
Des bémols ? Oui, quelques-uns : le coup de la voiture en scène avec des personnages à l’intérieur, un vieux truc usé, un texte qui passe trop vite, des lumières stroboscopiques qu’on aurait pu nous épargner et quelques longueurs vers la fin…
Mais sinon, quelle beauté, quelle intelligence scénique! Quelle maîtrise de ce grand espace et de la lumière, quelle direction d’acteurs! Cette jeune artiste brésilienne est vraiment entrée dans la cour des grands : LA très bonne surprise d’un festival un peu terne… Le spectacle finit ce soir en Avignon mais ne le ratez pas, s’il va près de chez vous.
Philippe du Vignal
Jusqu’au 10 juillet, Gymnase du lycée Aubanel, Avignon. T. : 04 90 14 14 14.
Et ensuite en tournée.