Le Jardin des délices de Philippe Quesne
Le Jardin des délices de Philippe Quesne
Boulbon à une dizaine de kms d’Avignon: une ancienne carrière de pierre qu’avait magnifiquement investi Peter Brook avec son Mahabharata en 85, donc il y a déjà quarante ans ou presque. Souvenirs, souvenirs…. Un lieu que lui avait trouvé le formidable directeur du festival Alain Crombecque mort brutalement en 2009. Et Jérôme Savary y avait créé Le Songe d’une nuit d’été de Shakespeare avec sensibilité et poésie.
Y firent aussi des mises en scène Stuart Seide, Wouajdi Mouawad, Bartabas, Anatoli Vassiliev et en dernier lieu Jean Bellorini. Bref, la carrière Boulbon fait partie d’une mémoire collective pour tous ceux comme nous qui avons suivi le festival d’Avignon depuis si longtemps. Dans ce lieu pas facile, cher à investir mais magique et dont rêve tout créateur. mais fermé il y a sept ans, il n’y avait plus de spectacles… Une immense aire de jeu (une cinquantaine mètres d’ouverture sur trente de profondeur) avec au fond, un mur des rochers de pierre brunes parsemés de hautes herbes un peu partout sur une hauteur de vingt-cinq mètres…
Un espace à la fois très grand et comme une bulle où peut aussi se jouer l’intime dans un silence absolu avec des gradins pour mille spectateurs. Il y faut bien entendu une logistique à toute épreuve: au moins une centaine de régisseurs, techniciens, pompiers, ouvreurs… Philippe Quesne s’est inspiré du célèbre triptyque de Jérôme Bosch, qu’analyse si bien Hector Obalk au Théâtre Rouge-Gorge et dont nous vous parlerons bientôt.
Rien sur le sol de ce grand espace. Arrive un petit car immaculé, très blanc avec une dizaine de sièges, poussé par quelques-uns de ses voyageurs. Sur le toit, des valises et un haut-parleur. Six hommes et deux femmes, tous curieusement habillés, voire emperruqués, y monteront ensuite et l’un d’eux commencera à jouer du violoncelle, et un autre, de la guitare. Le conducteur, lui pianotera quelques airs sur un synthé placé sur le tableau de bord, et chantés par cette petite communauté (mais pourquoi deux femmes seulement?).
Tous sortent du car puis s’assoient en rond sur des chaises en plastique, comme pour un curieux rituel. Côté cour, un journal lumineux égrène quelque phrases poétiques. Le temps semble suspendu et nous avons tout loisir de les regarder ne rien faire. Puis arrive un gros œuf apporté par les acteurs qui rappelle ceux du panneau central du triptyque de Jérôme Bosch. Ils l’installent avec soin sur le sol. Deux d’entre eux creusent parfois la terre brune, l’un avec une pioche, l’autre avec une pelle.
Il y a aussi, dits avec une grande douceur par le chanteur et violoncelliste Sébastien Jacobs, quelques extraits du chant XIII du célèbre Enfer de la Divine comédie de Dante. Les acteurs confirmés: Jean-Charles Dumay, Léo Gobin, Elina Löwensohn, Nuno Lucas, Isabelle Prim et Thierry Raynaud font le boulot avec précision mais rien à faire, le spectacle ne décolle pas et distille un remarquable ennui…
Philippe Quesne sait mieux gérer l’espace, que le temps… Plus tard, de quatre écrans, surgiront des flammes rouges dans la nuit… Et en un moment formidable de poésie, arrive un violent orage avec éclairs et terribles coups de tonnerre. Et s’affiche alors en grandes lettres gothiques, sur la falaise de pierres : Le Jardin des Délices. Un rayon de lumière bleu-vert vient frapper la roche, avant de se transformer en un immense triangle. A la toute fin, les acteurs seront là, en costumes du Moyen-Age, sauf un homme en collant chair avec dessin de squelette. Des images d’une intensité poétique… Mais qu’il faut mériter.
Avant d’en arriver là, le public doit en effet être patient : il ne se passe rien dans ce qui est plus une «performance-happening», qu’un spectacle théâtral. Lentement, les acteurs vont démonter les parois et les sièges du car à grands coups de meuleuse et perceuse avec des gerbes d’étincelle (mais bon, ce sont- heureusement- des feux d’artifice!).
Philippe Quesne, bon scénographe, bien formé à L’Ecole Nationale Supérieure des Arts Décoratifs à Paris, a dû se souvenir du mot fameux de John Cage pour lequel l’ennui faisait partie d’un happening. Et ici, tout se passe comme si cela devenait un principe esthétique, comme entre autres, chez Andy Warhol avec des films sans fin… L’ennui serait alors comme une stratégie esthétique à laquelle devrait adhérer un public qui a déjà eu sa dose avec le triste Welfare de Julie Deliquet à la Cour d’honneur (voir Le Théâtre du Blog)… Et avec aussi Vivre sa vie de Pauline Bayle.
Et là dans ce Jardin des délices, pour s’ennuyer, il y a matière à ! Et Philippe Quesne est généreux! De petite séquence en petite séquence, le temps (plus de deux heures) passe très lentement. Et dit-il, avec une certaine prétention « comme si un problème rendait l’avenir ouvert et que ce qu’ils avaient sous la main - une mémoire culturelle hétérogène et un ensemble de pratiques connues - allait permettre d’atterrir pour rêver d’autre chose dans le lieu où ils sont. »
A la fin, les acteurs poussent un autre œuf, beaucoup plus gros que le premier mais à demi-cassé, comme ceux du panneau central L’Humanité avant le déluge de Jérôme Bosch et ils regardent tous regroupés ce qu’il y a l’intérieur et qui restera invisible au public. Et Philippe Quesne ne peut s’empêcher de faire gicler plusieurs fois contre les rochers des jets de fumigène gris. Il se fait visiblement plaisir mais n’a pas grand chose à nous dire…
Les spectateurs visiblement aussi s’ennuient. Quelques-uns écœurés par tant de médiocrité sont sortis Mais pas les autres! Où aller quand on est à Boulbon isolé de tout ? Ils sont donc restés mais ont applaudi très mollement et n’avaient qu’une envie: rejoindre au plus vite un des cars qui les ramèneraient en Avignon.
Bref, un spectacle très soigné, bien éclairé avec de bons interprètes et quelques beaux instants mais… vraiment peu convaincant. Aucun doute là-dessus, Philippe Quesne sait parfois créer de fabuleuses images mais qu’a-t-il voulu nous dire? La fin de la vie de nous humains avant un déluge et une catastrophe finale? Habiterions-nous un faux paradis? Là, nous sommes restés sur notre faim.
«L’œuvre de Jérôme Bosch, dit-il, est réjouissante, car elle permet de parcourir un vaste territoire historique, esthétique, intellectuel, spirituel, psychanalytique… entre autres ! En cela, elle résonne avec le processus de travail que nous développons depuis vingt ans avec Vivarium Studio, une façon de tisser un réseau de liens et de rapprochements autour d’un titre et de mémoires communes, en convoquant indifféremment l’histoire de l’art et les sciences humaines, la culture populaire et les questions socio-politiques qui nous habitent, l’absurde et la réflexivité. »
On veut bien mais ici, un texte assez faible ne fait pas vraiment sens surtout dans cet espace qu’il estime «être porteur d’une mémoire de spectacles passés et dont l’installation en tant que telle est particulièrement visible.»
Encore une fois merci à Alain Crombecque brutalement disparu en 2009- pour avoir trouvé autrefois ce lieu magnifique auquel ce spectacle doit beaucoup et que nous nous sommes réjouis de retrouver. Mais le prochain opus de Philippe Quesne, cela sera sans nous: il y a des limites!Le spectacle affiche complet jusqu’à la fin mais la salle n’était pas pleine… Comprenne qui pourra! Pour le reste, encore une création décevante: à la sortie, les commentaires des spectateurs n’étaient pas tendres! Nous avons du mal à saisir les choix de Tiago Rodrigues et cette soixante-dix septième édition du festival ne sera pas à marquer d’une pierre blanche !
Philippe du Vignal
Jusqu’au 18 juillet, à la carrière Boulbon. Navette gratuite devant la Poste d’Avignon face à la gare. .