Festival d’Alba-la-Romaine 2023 ( suite et fin ) Les Josianes, Stek, À tiroirs ouverts, Voyage sur place
Festival d’Alba-la-Romaine 2023 ( suite et fin)
Les Josianes
Chez Josiane, un café-restaurant avec une façade provençale, c’est gag à gogo. A l’étage, quatre filles courent d’une chambre à l’autre et se montrent aux fenêtres, tels des pantins surgis d’un castelet.
Elles dansent sur La Valse à mille temps de Jacques Brel et s’échappent de la maison en escaladant le mur en rappel…. Elles n’ont pas froid aux yeux et Nuit d’une demoiselle, une chanson coquine de Colette Renard devient leur credo face à l’oppression masculine qu’elles dénoncent comme les premières féministes: leur modèle. Elles nous font rire avec les déclarations machistes d’un avocat, tout en grimpant à la corde lisse, en se tenant en équilibre sur une main et en voltigeant.
Cette « création circo-dansée pour quatre artistes de confession féminine » se décline au pluriel. Dans leurs disciplines respectives, mais avec un brin de nostalgie pour les suffragettes historiques et un regard aigu sur les luttes d’aujourd’hui qu’exprime leur dernière chanson : Canción sin miedo (La chanson sans peur) de Vivir Quintana, une apologie des femmes qui se soulèvent au Mexique… Des filles de Sonora aux femmes armées du Chiapas, contre les viols et féminicides. « Soy Claudia, soy Esther y soy Teresa. Soy Ingrid, soy Fabiola y soy Valeria. Soy la niña que subiste por la fuerza. Soy la madre que ahora llora por sus muertas. Y soy esta que te hará pagar las cuentas. Justicia ! Justicia ! Justicia ! (…) NOS QUEREMOS VIVAS ! Que caiga con fuerza, el feminicida » (Moi, je suis Claudia, je suis Esther, et Thérésa. Je suis Ingrid, Fabiola, et Valeria. Je suis la jeune fille bat. Je suis la mère qui pleure ses mortes. Je suis celle qui te fera payer la facture. Justice ! Justice ! Justice ! Nous voulons vivre: A bas les féminicides.)
La compagnie Josianes est née en 2020, quand le cirque croisa le chemin de la danseuse Julia Spiesser. Elle réunit des artistes, venues chacune d’un pays différent et qui, intrépides, se battent pour leurs idéesen affirmant leur féminité.
Stek par le collectif Intrepidus
Les clowns sont souvent tristes mais ceux-ci n’ont pas de vague à l’âme. Clochards célestes tout droit surgis d’une grande poubelle, en beaux diables multicolores, ils n’ont pas peur de se cogner à la vie.
Et quand ils tombent, ils se relèvent illico pour mieux s’étaler ou se prendre dans la figure, le couvercle d’une poubelle qu’ils trimballent partout comme une malle aux trésors, à la recherche du stek.
Ce graal est à griller sur un barbecue trouvé dans une décharge, décor de cette comédie foutraque qui finit par des glissades carnavalesques sur le plateau inondé par maladresse. Pantalons trop courts et vêtements trop longs en haillons ne les empêchent pas de se bagarrer ou d’être complices quand il s’agit de partager la nourriture.
Analia Vincent, la seule fille du clan, n’a pas froid aux yeux face aux jongleurs Ottavio Stazio et Mario De Jesus Barragan et au clown Léo Morala. Intrépidus, ce nom de collectif va comme un gant à cette fine équipe de cascadeurs sortis de l’école du Lido à Toulouse. Rire garanti. Et petite émotion, quand ils enterrent leur costume de clown, comme une relique d’un autre âge….
Comedia Bonita de et par le duo Bonito
Un spectacle musical nous entraine dans l’intimité d’un couple où l’amour à la longue dérape en petits agacements mutuels. Lui s’énerve quand, avec son accent espagnol, elle déforme les mots.
Et elle est dépitée quand il refuse de répondre à ses câlins en public… Qui aura le dessus? Ces petits différends scellent une complicité inoxydable entre la dynamique Raquel Esteve Mora qui, après l’école Jacques Lecoq, a rejoint Les Nouveaux Nez et l’imperturbable Nicolas Bernard, un des fondateurs de cette compagnie de clowns. Avec des chansons écrites sur mesure aux paroles agiles à la Raymond Devos, un chien savant rigolo et patient tiraillé entre ses deux maîtres, le duo Bonito expert en gags physiques et verbaux, nous amuse et nous émeut. Du clown comme on aime.
A Tiroirs ouverts, de et avec Quentin Brevet, mise en scène de Johan Lescop
Quelques planches, une table, des tabourets. L’artiste examine, dubitatif, ce décor de fortune planté sur une petite estrade. Un mobilier qu’il déplacera au gré de ses jongleries, pour infléchir les trajectoires et rebonds des balles capricieuses.
Les objets ne lui obéissent pas toujours et le plateau regorge de chausse-trappes. Maladroit de nature, il trébuche mais se rattrape… En fond sonore, quelques notes qu’il joue sur une clarinette pas toujours obéissante, elle aussi. Mais pour finir, ce solo jonglé et burlesque nous réserve la surprise d’un équilibre précaire parfaitement réussi…
Quentin Brevet compose un personnage de rêveur éveillé poétique et séduisant, mais sous ses airs benêts d’une grande dextérité
Voyage sur place de et par Alain Reynaud, mise en scène d’Alain Simon
Dans ce « solo théâtral et autobiographique », l’acteur-clown quitte Félix Tampon, son personnage de scène, pour nous raconter ses souvenirs d’enfance à Bourg Saint-Andéol dont il est parti pour y revenir avec, «d’un côté, avec la casquette de directeur de la Cascade et de l’autre, avec un chapeau de clown».
Ici, il se fait conteur et nous fait partage la saveur d’une enfance heureuse à l’ombre bienveillante de ses parents qui tiennent une menuiserie au quartier de Tourne et qui ont ouvert un cinéma pour meubler leurs loisirs. »
« C’était avant l’invention de la pédagogie, avant l’ère Dolto », dit-il, en évoquant la sévérité du père, la rigueur des instituteurs… Attiré depuis toujours par les flonflons de la fanfare et les paillettes des majorettes, il devient tambour dans l’harmonie municipale et éprouve son premier « grand trac » avant de jouer « le roulement des morts », à la cérémonie du 11 novembre. Il se voit déjà en clown : « Je voulais être un personnage. » Et il le deviendra.
Sans effets de manche mais avec malice, Alain Reynaud nous emmène dans la France profonde des années soixante-dix, avec ses souvenirs où chacun trouvera une part d’enfance…
Mireille Davidovici
Comedia Bonita le 30 juillet, Un dimanche en été, à Porcieu-Amblagnieu (Isère).
Festival d’Alba-la-Romaine, du 11 au 16 juillet.
La Cascade, Pôle national-Cirque, 9 avenue Marc Pradelle, Bourg Saint-Andéol. T. : 04 75 54 40 46.