Ecrire sa vie,d’après l’œuvre de Virginia Woolf, mise en scène de Pauline Bayle

Ecrire sa vie,d’après l’œuvre de Virginia Woolf, mise en scène de Pauline Bayle

L’écrivaine britannique (1882-1941) est bien connue en France pour son Journal et ses romans Mrs Dalloway (1925)La Promenade au phare (1927)Orlando (1928), Les Vagues (1931) et un essai féministe Une chambre à soi (1929). Une œuvre qui a souvent séduit les metteurs en scène français comme, entre autres,  Anne-Marie Lazarini qui avait  monté un excellent Des petits cailloux dans les poches d’après Virginia Woolf, en 79 et il y a vingt ans, Robert Wilson qui mit en scène une adaptation d’Orlando avec Isabelle Huppert.
Pauline Bayle que nous connaissons depuis qu’elle était élève aux Ateliers du Soir à L’École du Théâtre National de Chaillot, a vite imprimé sa marque avec des spectacles de très haute qualité. Comme ceux tirés de L’Iliade et L’Odyssée d’Homère mais aussi Illusions perdues d’après Honoré de Balzac (voir Le Théâtre du Blog). Et elle a été nommée, il y a deux ans, directrice du Centre Dramatique National de Montreuil.

© Ch. Raynaud de Lage

© Ch. Raynaud de Lage

Séduite elle aussi par la langue poétique de Virginia Woolf, elle a écrit à partir d’une œuvre qui a encore un sens très fort aujourd’hui, une pièce touffue, pour ne pas dire assez hermétique.
« Il y a trois ans durant le premier confinement, j’ai relu Les Vagues, dit-elle, et j’en suis restée sidérée. Le chaos de la pandémie, l’impact de celle-ci sur nos vies et l’incertitude de la période à venir ont trouvé un écho très fort dans cette lecture, tant Virginia Woolf met magnifiquement en lumière l’implacable force qui gouverne nos vies et le temps qui passe sur lequel nous n’avons aucune prise.
Les personnages des 
Vagues m’ont bouleversée, car ils se jettent envers et contre tout dans l’existence, et embrassent cette condition humaine à laquelle personne ne peut échapper avec une soif absolue d’intensité. Si j’ai conservé la structure du récit d’apprentissage qui suit une bande d’amis inséparables de l’enfance à l’âge adulte, j’ai en revanche puisé dans l’ensemble du reste de son œuvre. « 

Mais, comme disaient nos grands-mères: qui trop embrasse mal étreint!  Et ce spectacle sur le thème d’un groupe de vieux amis (quatre filles et deux garçons joyeux qui attendent avec impatience l’arrivée de Jacob) ne fonctionne pas.  Ils parlent beaucoup mais il n’y a pas de véritable fil rouge dans cette suite de faux dialogues, qui sont plutôt des monologues, sur leurs parcours : carrières personnelles, espoir de maternité, relations entre eux, états d’âme…
Un projet à la base sans doute trop ambitieux… Pas facile, voire impossible d’écrire une pièce à partir de textes aux belles images poétiques mais si différents de Virginia Woolf, plus sensible aux rêveries et états d’âme de ses personnages, qu’à l’intrigue et à la progression dramatique d’une narration.
Homère et Balzac se prêtaient mieux à un exercice où Pauline Bayle a acquis une grande virtuosité. Mais ce Ecrire sa vie tourne au bavardage mondain sans grand intérêt et d’un terrible ennui.
Comment créer des personnages crédibles et qui pourraient nous émouvoir: Pauline Bayle ne réussit pas à concilier les envolées lyriques de la célèbre autrice, avec une dramaturgie, disons plus classique : on pense parfois à Tchekhov… Pourtant même si, au départ, il y avait une belle idée théâtrale: un groupe d’amis se retrouve pour fêter joyeusement un anniversaire mais il y a dans l’air le pressentiment d’une catastrophe qui va bouleverser leur vie: la première Guerre mondiale.
Virginia Woolf avait trente deux-ans et toute son existence aura été marquée par
la mort, en à peine une décennie, de sa mère, sa demi-sœur, son père et son frère. Et avant de se suicider, elle verra l’arrivée au pouvoir d’Hitler et de la seconde guerre mondiale! 

Le spectacle commence mal : les personnages joués (mais jamais incarnés) par Hélène Chevallier, Guillaume Compiano, Viktoria Kozlova, Loïc Renard, Jenna Thiam et Charlotte Van Bervesselès eux bien vivants mais hélas munis de micros H.F.! alors qu’ils ont tous une excellente diction et une bonne voix. Ils demandent chacun aux spectateurs s’ils n’ont pas vu Jacob…. Un procédé usé jusqu’à la corde et inefficace et qu’aurait pu nous épargner la metteuse en scène.
Deuxième erreur : une scénographie qui n’est pas du bois dont on fait les flûtes, avec plateau haut de cinq marches et  couvert de gravier blanc. Et quand les acteurs courent sur le plateau, à cause des micros H.F., cela fait un boucan effroyable.
Dans le beau cloître des Carmes, les trois premiers rangs sont interdits et sur la scène, trois gradins en latté accueillent une cinquantaine de spectateurs… Vous devinez la suite? Ils sont priés de regagner les places de ces rangs interdits sous la bienveillance des ouvreuses… Tous aux abris et comprenne qui pourra! Cela crée une rupture dont le spectacle n’avait pas besoin.
Au milieu du plateau, un praticable de cinq mètres de long nappé de coton blanc. D’abord au sol, il sera levé par deux acteurs et se transformera en table chargée de bouquets de fleurs, de coupe à punch, de fruits, pains, et nombreux verres à pied. Tout cela pour fêter l’anniversaire de Jacob. Mais auxquels seuls auront droit les six personnages. Les spectateurs, tout à côté d’eux, non! Cela aurait pu apporter une dimension ludique  plus juste que les verres de limonade offerts avant le spectacle…
Il y a aussi une belle image mais qui n’a rien à faire là: trois séries de huit gros ballons rouges au sol et qui vont gêner les acteurs. Puis tirés en hauteur et flottant dans le léger mistral, ils ne cesseront d’imposer une lourde présence visuelle. Enfin redescendus, ils recevront un coup de cutter d’un accessoiriste. Soit chaque soir, une trentaine de ballons crevés et non recyclables. Vous avez dit: pollution inutile?
Le texte se poursuit cahin-caha avec parfois de belles images, mais toujours sans la moindre esquisse de véritables personnages que nous ne voyons pas évoluer. Malgré la présence et l’énergie de ces jeunes acteurs qui font tout pour sauver les meubles… Et que Pauline Bayle peut remercier du fond du cœur.
Bref, ce spectacle, même avec les moyens techniques du festival d’Avignon, n’arrive jamais à prendre son envol et distille un ennui permanent. John Cage parlait de l’ennui comme intimement lié à l’esthétique des happenings mais ceux-ci ne durent jamais deux heures… Et nous ne pouvons pas vous conseiller ce spectacle. Le public n’était pas dupe et les applaudissements furent plus que légers…
A la sortie, un couple visiblement très déçu par cette représentation et voyant que nous prenions des notes, nous ont gentiment demandé si ce Vivre sa vie pouvait être amélioré… Que leur dire ? Allons, ne soyons pas pessimistes: si Pauline Bayle pouvait revoir mise en scène et scénographie et élaguer sérieusement le texte, cela irait déjà un peu mieux… Surtout dans la salle de Montreuil. Le cloître des Carmes, malgré tout son charme, n’était sans doute pas le lieu idéal. Mais c’est un gros travail en perspective, surtout quand on dirige un Centre Dramatique National où le spectacle sera repris dans deux mois…
Désolé, nous aimons beaucoup Pauline Bayle mais, même revue et corrigée, Ecrire sa vie est fondé sur une fausse bonne idée et ne sera jamais au niveau de ses précédentes créations!
Une suggestion à Tiago Rodrigues, le nouveau directeur du festival d’Avignon: pourquoi ne pas reprendre
Illusions perdues l’an prochain. Ce serait à coup sûr cette fois, un grand bonheur pour les milliers de spectateurs qui n’ont pu le voir. Un festival cela sert aussi à cela…

Philippe du Vignal

Jusqu’au 16 juillet, Cloître des Carmes, Avignon.

Du 26 septembre au 21 octobre,Théâtre Public de Montreuil, Centre dramatique national (Seine-Saint–Denis).

Les 20 et 21 novembre, Le Parvis-Scène nationale Tarbes-Pyrénées.

Les 8 et 9 décembre, Châteauvallon-Liberté, Scène Nationale de Toulon (Var). Les 14 et 15 décembre, Théâtre de Châtillon-Clamart.

Du 13 au 16 février, Théâtre Dijon-Bourgogne-Centre Dramatique National.

Du 5 au 8 mars, Théâtre de la Croix-Rousse, Lyon.

 

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