Dispak Dispac’h, écriture et mise en scène de Patricia Allio
Festival d’Avignon
Dispak Dispac’h, texte de Patricia Allio, Gisti et Elise Marie, mise en scène de Patricia Allio
Le public entre,puis est prié de se déchausser et va s’asseoir sur des gradins autour d’une scène quadri-frontale, une agora se constitue. Patricia Allio va discrètement y prendre place et s’adresse à lui comme dans une assemblée.
Cette prise de parole fait office de prologue et nous pressentons l’aspect inattendu en terme de théâtre, du spectacle. L’autrice et metteuse en scène commence par nous donner le sens des mots à la sonorité rythmée et poétique du titre. Dispak, en breton, signifie: ouvert, déplié, défait. Et dispac’h: agitation, révolution révolte. Elle nous invite à regarder la scène comme un tremplin pour affiner notre écoute, être en confiance, avec les témoins rencontrés pour la réalisation de ce projet. Le pari de la réception est en jeu face à un spectacle « déspectalisé » selon son expression.
Il s’agit d’une volonté pragmatique et le public ne doit pas s’attendre ici à une parole théâtrale au sens classique du terme… Mais à celle, codifiée, de la langue juridique et celle du reportage. Pour cette artiste militante, philosophe, autrice, metteuse en scène, performeuse et réalisatrice engagée sur la question de l’égalité, la démocratie se présente comme un horizon révolutionnaire. Le théâtre doit s’inscrire dans cet espace. Informé, le public, selon Patricia Allio, peut alors «ouvrir son cœur et sa sensibilité à une parole, cathartique, issue des témoignages ».
Un spectacle en deux parties avec, d’abord une accusation juridique à charge en dix points et, dans la seconde, des témoignages.
Le texte fondateur est un acte d’accusation juridique. « Le Tribunal permanent des peuples a une mission: donner «aux personnes migrantes la dénomination -aussi juridique- de sujets du droit universel de l’habeas corpus »
Dans la première partie, Patricia Allio utilise le tatami au centre de l’espace scénique suggérant la mer, un canot de sauvetage…pour rendre plus accessible, par le biais de la corporalité et de la voix, l’écoute de textes juridiques peu poétiques !
Puis dans la seconde, les témoins deviennent comédiens-témoins dont certains sont présents et dont nous allons entendre l’histoire.
Ce spectacle ravive notre conscience. Sans détour, le public entre en contact avec une actualité tragique et mondiale, celle des exclus. Cet acte d’accusation a été rédigé par le Groupe d’information et de soutien des émigrés en 2018 et reformulé pour la scène, par Patricia Allio. Proférés ici sobrement, avec une forte présence, celle de la comédienne Élise Marie : «Les violations des droits fondamentaux sont liées aux restrictions de la liberté de circulation », comme « les violations des droits sociaux, économiques et culturels ». Le public, qui devrait être au courant, apprend qu’il est impossible de quitter son pays et qu’existe l’obligation de porter secours en mer. L’attention est à son comble.
Succède à cette exposé juridique, un intermède. Quelques participants du projet, , viennent délicatement ôter la première couche couvrant le tatami vert et bleu, couleurs de l’espoir, de la nature, de la mer et du ciel.
Au sol, prend alors forme une cartographie. De petites gommettes de couleurs fluo sont collées, pour indiquer l’installation des camps de réfugiés en Europe.Vingt-cinq en France, le chiffre le plus élevé.
Après ce moment, instructif mais trop long, l’entrée en scène des témoins est désormais attendue. Leur récit est intense et d’une intelligence de haut niveau! Chaque histoire est unique d’horreur mais aussi de courage.
Stéphane Ravacley, un boulanger de Besançon, est venu au secours de son apprenti guinéen sans papiers et a fondé par la suite, l’association Patrons-nes solidaires. Gaël Manzi est l’un des fondateurs d’Utopia 56. Mortaza Benboudi, un Afghan, arrivé en France en 2005, est devenu journaliste et a été naturalisé français en 2021. Également présente et témoin, Marie-Christine Vergiat, députée européenne et vice-présidente de la Ligue des droits de l’homme.
Le public à l’écoute de plusieurs actions précises, et d’envergure, entreprises par les associations, celle par exemple pour aider les migrants de Calais, et des institutions qui défendent le droit de chaque individu à vivre dans la dignité et le respect de la personne humaine, ravive sa mémoire et sa conscience.
Théâtre-témoignage, dont les participants-témoins sont extraordinaire de vérité, avec pour thème un problème politique majeur et qui nous concerne tous. Mais les spectateurs restent perplexes: est-ce encore là du théâtre? La transfiguration poétique si nécessaire pour lui donner vie et mieux nous faire comprendre la réalité, comme la catharsis, pourtant voulue par Patricia Allio, laisse à désirer…
Elisabeth Naud
Jusqu’au 20 juillet, Dispak Dispac’h, gymnase du lycée Mistral.