Tableau d’une exécution d’ Howard Barker, traduction Jean-Michel Déprats, mise en scène d’Agnès Régolo

Tableau d’une exécution d’Howard Barker, traduction de Jean-Michel Déprats, mise en scène d’Agnès Régolo

 Galactia, une peintre renommée, a été choisie par Urbino, Doge de Venise pour réaliser une fresque de trente mètres célébrant la victoire de la sainte-Ligue catholique sur l’empire ottoman en 1571 à la bataille navale de Lépante, où Miguel de Cervantès perdit un bras. Le dramaturge a été inspiré pour créer ce personnage de Galactia par la peintre Artemisia Gentileschi (1593-1652) est aussi peintre et il a écrit son texte à la manière de la fresque que l’artiste imagine, avec, entre autres, un soldat atteint par une flèche et le ventre ouvert…d’où le sang jaillit.

La République de Venise veut ainsi montrer sa puissance. Mais Galactia, elle, a décidé de montrer le massacre de quelque 30.000 Turcs…. Eternelle question: que peuvent alors être les relations d’un artiste avec le pouvoir, et si c’est une femme, quel rôle peut-elle avoir dans la société…
La pièce avait été mise en scène par Claudia Stavisky et le dramaturge anglais Howard Barker a été beaucoup joué en France. Jerzy Klesyk avait créé Les Possibilités  en 2000. Et  au théâtre de l’Odéon, furent mis en scène Hated Nightfall en 94, puis The Castle y Judith ou le corps séparé, Gertrude-Le Cri, mise en scène de Giorgio Barberio Corsetti en 2007 et, à cette même époque, Le Cas Blanche-Neige et Les Européens que réalisa Christian Esnay, avant Tableau d’une exécution.

Howard Barker a écrit, dit-il, un «théâtre de la catastrophe et c’est aussi celui d’hommes cruels. »
Avec des thèmes comme la mutilation, l’arrogance des nantis, la violence qui règne partout, même si elle est souvent invisible: «Le théâtre doit être une expérience éprouvante, dit-il, et la plus grande réussite d’un écrivain est de créer un personnage qui suscite de l’angoisse. » (…)  « Nous vivons à un moment de l’histoire de la démocratie où nous vouons un tel culte à la transparence, que cela en devient oppressant. C’est une forme de répression. »
En filigrane, c’est le thème de la pièce jusqu’à la révolte! Howard Barker situe l’action à Venise mais, dit la metteuse en scène, il fait «coexister notre présent et le passé. » Comme décor, juste quelques tables souvent dans la pénombre. Un homme nu allongé sur une table pose de dos pour la peintre, sa muse, son amante.. Déflagration en vue dans ce couple mais il ne veut pas divorcer… 

Un discours féministe mis en scène par Agnès Régolo et là, tout s’accélère. Pourquoi Galactia a-t-elle été choisie par le Doge ? Ici, vont se succéder jalousie, conquête du pouvoir, règlement de comptes, jusqu’à l’arrestation et l’enfermement de l’héroïne. Mais elle sera libérée par ceux qui l’ont eux-mêmes enfermée. Réhabilitée de justesse… l’artiste ne sera pas exécutée et sa fresque ne sera pas détruite…
Les acteurs regardent tour à tour la toile blanche : l’artiste a peint la fresque d’une exécution collective, plutôt qu’une victoire. Mais nous imaginons les couleurs rouges d’un charnier et la cruauté des soldats…

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Maud Narboni, Kristof Lorion, Pascal Henry, Rosalie Comby, Nicolas Geny et Antoine Laudet sont impeccables dans ces dialogues souvent crus mais teintés à la fois d’ironie et de lyrisme. Le Duc Urbino  ne mâche pas ses mots : «Je sais que vous êtes une artiste, et moi je suis un homme politique, et nous avons tous les deux toutes sortes de petites habitudes, de façons de parler, de croyances et ainsi de suite auxquelles nous ne serions heureux de renoncer ni l’un ni l’autre, mais afin que la communication soit plus facile, puis-je suggérer que nous arrêtions ce petit ballet de l’amour propre pour nous concentrer sur les faits ? Les faits simples et incontournables ? Mon frère est amiral de la Flotte et il n’est pas assez en vue sur ce croquis. Voilà tout ! »
Agnès Régolo sait faire naître les images conçues par Howard Barker avec une grande maîtrise. Malgré quelques longueurs du texte, un spectacle bien mis en scène et à voir.

Sylvie Joffroy

Jusqu’au 26 juillet, Théâtre des Halles, rue du Roi René, Avignon. T. : 04 32 76 24 51.
Le texte est publié aux Éditions Théâtrales-Maison Antoine Vitez.

 

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