Festival d’Avignon L’écriture ou la vie, d’après le texte de Jorge Semprun, adaptation et mise en scène d’Hiam Abbass et Jean-Baptiste Sastre

Festival d’Avignon

L’Ecriture ou la vie, d’après le texte de Jorge Semprún, adaptation et mise en scène d’Hiam Abbass et Jean-Baptiste Sastre

Déporté à Buchenwald, Jorge Semprún (1923-2011) est libéré par les troupes de Patton, le 11 avril 1945. Etudiant du lycée Henri lV et lauréat du concours général de philosophie, ce jeune poète connaissait tous les intellectuels parisiens mais va découvrir à Buchenwald ce que peut être: vivre sa mort.

Hiam Abbass et Jean-Baptise Sastre, artistes total: comédien(ne), metteur(se) en scène, réalisateur(trice), auteur(trice), chanteuse, collaborent ensemble depuis 2012. En 2017, ils se lancent dans la création d’un triptyque consacré aux défis et espoirs de la société moderne vus par trois penseurs du XX.è.s. : La France contre les robots et autres textes de Georges Bernanos, présenté au Festival Off d’Avignon 2018, Plaidoyer pour une civilisation nouvelle de Simone Weil, Festival Off d’Avignon 2019, Notre jeunesse de Charles Péguy, Festival Off d’Avignon 2021. À la suite de ce triptyque marquant et en cette année 2023, fidèles au festival Off et pour notre plus grande curiosité et désir, Hiam Abbass et Jean Baptise Sastre, rejoints par l’acteur et poète hongrois, Geza Rohrig, et Caroline Vicquenault, actrice et scénographe du spectacle,  nous offre une nouvelle création, avec l’adaptation pour la scène théâtrale de L’Écriture ou la vie de Jorge Semprun. 

© Vincent Berenger

© Vincent Berenger

À l’endroit du chœur de la chapelle du théâtre des Halles, une femme de dos, à la chevelure et robe noires est assise sur le sol. Un homme vêtu d’un smoking, semblable à un personnage de cabaret ou à un mondain, fait les cents pas. Le public s’installe, ambiance silencieuse, attente concentrée. 

Les metteurs en scène se sont adaptés à cet espace limité et c’est une réussite, avec des lumières jouant subtilement entre le noir et les camaïeux de gris , ou des teintes plus dorées ou blanches.
La scénographie est sobre. Le mur habillé d’une surface en carton, couleur terre, épouse l’arrondi du fond. Seule, côté cour, s’impose la cheminée des crématoriums: «Elle fumait sans cesse, dit
Simone Veil dans Une Vie. Symbole de cette horrible industrie de la mort, jamais encore fabriquée avec tant de minutie et aussi effroyablement pensée !
Le Mal et son carburant, la cruauté à son paroxysme ! « Le Mal est un des projets possibles de la liberté constitutive de l’humanité et de l’inhumanité de l’homme… De la liberté où s’enracinent à la fois l’humanité et l’inhumanité de l’être humain… » écrit Jorge Semprun dans L’Écriture ou la vie. Troublant et théâtral, certains des acteurs, tous remarquables, portent par moment ou pour un des personnages constamment, un masque comme pour marquer l’impossible réalité du récit, et/ou la déshumanisation. L’inimaginable réalité et la vérité sont transmises par les comédiens, à fleur de peau ou  avec sang froid, avec ou sans paroles. S’ajoute à cette dense théâtralité, le chant :  Magnifique présence et voix de Hiam Abbass. La mise en scène du récit de Jorge Semprun crée ici une rare émotion..

Le spectacle et l’interprétation ont été réalisés avec un grand sens poétique et dramatique. Les artistes, et le choix du livre de Jorge Semprun, nous transmettent ici avec intelligence et interrogation tragique, ce moment effroyable encore terriblement d’actualité à travers les atrocités toujours subies dans le monde entier.

Pour Hiam Abbas, Jean-Baptise Sastre et beaucoup d’autres, le XX ème. siècle est l’un des plus terrible dans le déchainement de la violence humaine… Ils posent cette question qui reste actuelle: comment le Mal a-t-il pu survivre à Auschwitz et au nazisme, comment garder la mémoire des camps, transmettre pour l’éternité -le mot n’est pas trop fort- la vie de ces martyrs, alors qu’ils ont tous pratiquement disparu. Un seule réponse : « Ne pas oublier » ! 
Un projet ambitieux mais vital : « La question est d’autant plus obsédante, dit Jean-Baptiste Sastre, quand on n’a pas fait l’expérience des camps. » Et demeure complexe après avoir lu cette phrase si forte, et incontournable, dans un entretien entre Jorge Semprún et Elie Wiesel : « Se taire est interdit, parler est impossible. »
L’utilisation des masques est une réponse envisageable. Apparaît lors du spectacle, celui du visage d’un des personnages du film de Max Ophuls : Le Plaisir… Jean-Baptiste Sastre porte le même costume que lui…

Ce théâtre de haut niveau s’adresse à tous, qualité peu simple à concrétiser sur un thème si grave. Il dit la nécessité de la fiction pour que le récit puisse être entendu et partagé. Mission tant réfléchie par l’auteur lui-même et ses camarades des camps : la nécessité de l’artifice et de la fiction. Jorge Semprun insiste sur cette notion esthétique primordiale: « La vérité que nous avons à dire (…) n’est pas aisément crédible, comment susciter l’imagination de l’inimaginable, si ce n’est en élaborant, en travaillant la réalité. Avec un peu d’artifice, donc ! » et il ajoute : « « Suffisamment d’artifice pour que ça devienne de l’art ! ». L’écriture et la conception de la tragédie grecque n’en demandaient pas moins et la pensée de ce grand écrivain du XXè.s nous le rappelle comme un impératif au sein de l’écriture et de la vie ! 

Un spectacle primordial en ces temps où règne l’injustice et où la violence des hommes n’ a pas cessé de blesser, d’assassiner. Mais l’art reste une des noble faculté humaine et nous permet de continuer à vivre et aimer le mystère et la beauté de l’existence.

Elisabeth Naud

Jusqu’au 26 juillet, Théâtre des Halles, 22 rue du Roi René. T. : 04 32 76 24 51.

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Archive pour 24 juillet, 2023

Les Misérables d’après Victor Hugo, par Isabelle Bonillo

 Les Misérables d’après Victor Hugo, par Isabelle Bonillo

Nous avons découvert ce spectacle après un tractage: une belle surprise… Depuis plusieurs années, Isabelle Bonillo est accueillie à l’espace Saint-Martial et nous raconte cette fois Les Misérables, un monument de la littérature française… Elle dispose les spectateurs en cercle autour d’elle sur des chaises ou des gradins et nous accueille au son d’un petit accordéon: « Aujourd’hui, nous sommes tous misérables. »

©x

©Fred Burnier

Rompue aux techniques d’interpellation habituelle du public dans le théâtre de rue, Isabelle Bonillo, en parfaite fille spirituelle d’Hervée de Lafond, co-directrice avec Jacques Livchine du Théâtre de l’Unité, distribue les rôles au public. Ainsi, nous allons, à tour de rôle, « interpréter « Javert, Gavroche, Jean Valjean, Les Thénardier, Cosette, etc. Son humour et son à-propos font mouche à tous les coups. Même les enfants sont heureux de participer à la re-création de cette histoire, censée être connue de tous.
Habituellement, Isabelle Bonillo va à la rencontre du public, avec une petite camionnette-chapiteau sur les routes de Suisse ou du Luxembourg. Ici elle crée son nid dans la chapelle de l’espace Saint-Martial. Allez la voir, il est encore temps !

Jean Couturier

Jusqu’au 29 juillet, espace Saint-Martial, 2, rue Jean-Henri Fabre, Avignon. T. : 04 86 34 52 24.

Après la répétition /Persona, d’après Ingmar Bergman, mise en scène d’Ivo van Hove

Après la répétition /Persona, d’après Ingmar Bergman, mise en scène d’Ivo van Hove

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Après la répétition_©Marie Clauzade_

Le metteur en scène belge avait déjà présenté ce diptyque en néerlandais avec les comédiens du Toneelgroep Amsterdam et il le reprend aujourd’hui avec une distribution française.
Réalisées à près de vingt ans de distance (
Après la Répétition, à la télévision en 1984 et Persona au cinéma, en 1966), ces œuvres très intimes du cinéaste se répondent… Il y aborde les rapports tumultueux qu’ont les artistes de théâtre avec leur métier et leurs partenaires.
Chez Ingmar Bergman, la frontière entre théâtre et vie est ténue. Décédé en 2007, il a à son actif une quarantaine de films et plus de cent mises en scène. Pour Ivo van Hove: « C’est l’un des auteurs les plus intéressants et les plus importants du XX ème siècle.»  Il monte ces pièces quasi autobiographiques, en miroir, «comme des sonates qui nous parlent de la signification du théâtre, de l’art, dans notre vie et notre société ».

Dans Après la Répétition, il montre les affres d’un metteur en scène, Henrik Vogler, la cinquantaine, aux prises avec ses actrices d’hier et d’ aujourd’hui. Comme enfermé dans la salle de répétition, il vit parmi les fantômes de ses anciens spectacles et de ses acteurs… Henrik sera tiré de sa solitude par la jeune Anna à qui il a confié le rôle principal du Songe d’August Strinberg.
Et
Persona raconte la dérive de Rakel, frappée de mutisme en pleine représentation d’Electre. Tombée dans une grave dépression, elle en sortira peut-être grâce à Alma, une jeune infirmière…

Charles Berling incarne un Henrik Vogler mi-paternel et mi-séducteur. Et il éprouve mépris et jalousie pour l’ami de sa jeune actrice à qui il entend apprendre le théâtre et la vie. Il est aussi rongé de culpabilité envers Elizabeth, la mère d’Anna qui a été sa maîtresse. Fantôme, elle apparaît dans la loge, ivre d’alcool et de rancœur, pour essayer de le séduire à nouveau.

Ivo Van Hove a confié à Emmanuelle Bercot les rôles d’Elizabeth et de Rakel. L’une prolixe, et l’autre muette : deux facettes d’une actrice en crise que le théâtre rejette au fil des ans.  Elle excelle en épave pitoyable face à son ex, visiblement dépassé par les événements. Justine Bachelet est la jeune première pas si ingénue que ça dans Après la Répétition.
Face à ses partenaires féminines,
Charles Berling, lui, semble mal à l’aise en Henrik Vogler… Comme si le metteur en scène l’avait invité à rester en sourdine et en deçà de la folie douloureuse du personnage imaginé par Ingmar Bergman.Mais il y a chez lui quelque chose d’enfantin assez émouvant.

Après l’entracte, le fatras de la loge a disparu et le plateau est nu. Seule sous des lumières crues, une femme est allongée, recroquevillée sur une table métallique de dissection. Emmanuelle Bercot dans une pose digne d’un tableau de maître, offre sans retenue sa nudité… A l’image du dénuement radical de Rakel enfermée dans une grave dépression. Va-t-elle en sortir à l’issue de son long tête à tête avec Alma, son infirmière (Justine Bachelet) dont le verbiage se heurte à un silence complet. Mais les mots portent tant et si bien, que les murs s’effondrent… La scène devient alors une île entourée d’eau où, dans une lumière irréelle, Rakel et Alma s’ébattent follement, sous les bourrasques d’une batterie de ventilateurs et une pluie torrentielle…
Une bouffée d’air insufflée par la jeunesse dans l’étouffant enfermement et les doutes de l’âge mûr. Cette deuxième partie, à la fois plus tenue et plus folle, nous éloigne du réalisme tiède d’
Après la Répétition et l’on voit le fil rouge qui lie ces deux opus d’Ingmar Bergman… Des portraits d’artistes en perdition, et ne percevant le réel qu’à l’aune de leurs obsessions théâtrales.

© Marie Clauzade

Persona © Marie Clauzade

Dans Après la Répétition, il abordait la question des rapports délicats entre un metteur en scène et ses actrices. Ivo van Hove lui emboite le pas mais, depuis la création de ce diptyque il y a dix ans, le monde du théâtre et du cinéma a été secoué par la vague #meetoo. Et les obsessions qui torturent ici les artistes semblent… d’un autre âge. C’est sans doute pourquoi Ivo van Hove a demandé à Charles Berling de faire profil bas, dans ce rôle de metteur en scène un peu libidineux.
Les femmes sont passées aujourd’hui à l’offensive, et le «tunnel de la comédienne de plus de cinquante ans» est devenu un sujet de société avec les revendications portées par les Actrices et Acteurs de France Associés.
Ces sujets affleurent sous la mise en scène. Encore assez fraîche ce soir de première, elle atteint seulement son allure de croisière dans le deuxième volet.
Après la répétition/ Persona devrait trouver son équilibre au fil des représentations par une reprise à l’automne.

 Mireille Davidovici

Spectacle vu au Printemps des comédiens, Cité du Théâtre, Domaine d’Ô, Montpellier (Hérault ). T. : 04 67 63 66 67.

Du 28 septembre au 1 er octobre, Châteauvallon-Liberté Scène Nationale, Toulon ( Var).

Du 6 au 24 novembre, Théâtre de la Ville, Paris.

Les 6 et 7 décembre, Points communs-Nouvelle Scène Nationale de Cergy-Pontoise et du Val-d’Oise.

 Les 22 et 23 mars, La Filature-Scène Nationale de Mulhouse ( Haut-Rhin).

Les 11 et 12 avril , MC2, Grenoble (Isère) .

Les 16 et 17 mai, Le Volcan- Scène Nationale du Havre (Seine-Maritime).

Et à l’automne 2024, aux Théâtres de la ville de Luxembourg  et au Théâtre National Wallonie-Bruxelles.

 

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