Festival d’Avignon The Confessions, texte et mise en scène d’Alexander Zeldin

Festival d’Avignon

The Confessions, texte et mise en scène d’Alexander Zeldin

Ce créateur aime se confronter à la réalité et nous avions apprécié Une Mort dans la famille (voir Le Théâtre du blog) où il parlait du quotidien d’un E.P.H.A.D., en y mêlant des événements personnels, comme la perte de sa grand-mère.

c Ch. Raynaud de Lage

© Ch. Raynaud de Lage

La mode est au théâtre-récit et cet artiste associé au National Theatre de Londres et à l’Odéon-Théâtre de l’Europe décrit ici le parcours d’une vie, celle de sa mère: «Je l’ai interrogée et l’ai fait parler pendant plusieurs jours. Cette vie est la base de l’histoire que j’ai écrite, même si ce n’est pas une reconstitution exacte… L’important : il ne s’agit pas d’une vie fictive  mais d’une vraie vie qui pourra, je l’espère, en raconter d’autres aussi. Elle est à la fois très spécifique et universelle. » Alexander Zeldin nous dévoile ici l’histoire d’une femme, à la fois jeune et âgée, jouée par deux comédiennes. La plus âgée déambule de séquence en séquence avec un doux sourire nostalgique et nous prend à témoin.

Alice, née en 1943, passionnée de peinture et d’art, est pleine d’ambition mais à cause de ses échecs, restera institutrice. Et s’égrène ici une existence faite de déceptions : imposé par sa mère,un mariage forcé avec un militaire phallocrate, Gray.  Elle divorce rapidement car elle ne veut pas d’enfants.« Gray, lui dit-elle, tu ne peux pas m’imposer cela. »
Puis elle a une histoire d’amour contrariée avec un poète volage qui l’a séduite en déclamant des vers de Shakespeare. Et Un viol impuni et qu’elle va tenter d’oublier, commis par Terry, un ami universitaire lâche qu’elle admire.

Ensuite, elle s’installera en Australie, puis en Italie et enfin en Angleterre dans les années quatre vingt. Mais, dernière lumière, dans un itinéraire chaotique, elle rencontre par hasard, dans une bibliothèque, un Juif né en 1930 qui deviendra le père de ses deux enfants, dont Alexander Zeldin.
En deux heures quinze sans entracte, Alexander Zeldin brosse le portrait d’une femme qui, malgré les contraintes d’un monde patriarcal et dominant, a réussi à choisir sa vie. On pense à L’Étrange intermède, une pièce d’Eugene O’Neill où il raconte la vie d’une femme  hantée par son passé.
Joe Bannister, Amelda Brown, Jerry Killick, Lilit Lesser, Brian Lipson, Eryn Jean Norvill, Pamela Rabe, Gabrielle Scawthorn et Yasser Zadeh, tous exceptionnels, jouent plusieurs personnages. Dans la belle scénographie modulable de Marg Horwell, qui nous fait découvrir parfois l’envers du décor.

Les longs silences, ici plus importants que les dialogues, expriment les violences et humiliations subies au quotidien par les femmes, dans une totale indifférence de la société de l’époque. La scène de viol est peinte avec une grande pudeur dans un silence de mort. « Je suis un « story-teller» avant toute chose, dit le metteur en scène. J’aime raconter des histoires qui parlent aux gens directement, sans fard, sans intermédiaire, qui les mettent en alerte, les touchent sincèrement. C’est toujours une histoire du réel.

Alexander Zeldin qui est aussi un remarquable directeur d’acteurs, nous livre une histoire simple. Et, malheureusement encore aujourd’hui, beaucoup de spectatrices peuvent s’y identifier. Une œuvre à découvrir et un bon exemple de théâtre-récit.

Jean Couturier

Jusqu’au 23 juillet, sauf le 20, La Fabrica, 11 rue Paul Achard, Avignon (Vaucluse),

Odéon-Théâtre de l’Europe, Paris ( VI ème) du 29 septembre au 15 octobre.


Archive pour juillet, 2023

Frère(s) de Clément Marchand, mise en scène de l’auteur

Frère(s) de Clément Marchand, mise en scène de l’auteur

C’est l’histoire d’une amitié à l’épreuve du temps et de l’apprentissage professionnel dans un milieu réputé pour être dur, voire insupportable à vivre, celui de la restauration. Maxime et Emile (quinze ans) préparent un C.A.P. cuisine. Ils viennent de milieux différents : Émile, fils d’un grand chef, subira, encore plus que son ami, vexations, insultes, etc.

©x

©x

Mais ils deviendront vite inséparables et il faut bien que leur amitié naissante soit solide pour les aider dans l’apprentissage de ce métier où, et ils le savent bien, on ne leur fera aucun cadeau. Ils ont l’un et l’autre une telle envie d’en découdre que tout leur paraît sinon facile, du moins possible.
Mais, bien entendu, le monde des restaurants dits gastronomiques est impitoyable et d’une brutalité sans nom. Avec au menu: insultes en permanence des chefs, humiliations, fatigue intense et bas salaires. Et où on devient vite une machine à produire des repas sophistiqués. L’amitié de ce jeunes gens amoureux du foot en prendra un coup mais perdurera, malgré pour l’un d’eux, un passage par la case prison…
Ce
Frères n’est sans doute pas un grand texte mais il y a, par moments,  un rappel savoureux de La Cuisine d’Arnold Wesker, le célèbre dramaturge anglais ( 1932-2016). Il fut, lui, pâtissier et décrit les coulisses d’un grand restaurant. Ariane Mnouckhine en 67, à la tête du Théâtre du Soleil, monta cette remarquable pièce et le spectacle la consacra comme metteuse en scène.
Ici, la scénographie est inutilement compliquée et n’aide pas les acteurs. Malgré tout, en une heure quinze, bien dirigés par l’auteur, Jean-Baptiste Guichard et Guillaume Tagnati font le boulot avec efficacité et arrivent à faire passer le message.

Philippe du Vignal

Jusqu’au à 29 juillet, La Scala Provence., 3 rue Pourquery de Boisseron, Avignon.

Festival d’Avignon Vox populi, instantanés de vie en phonomaton, conception, création et écriture, d’après des enregistrements de Sophie Dufouleur

Festival d’Avignon

Vox populi, instantanés de vie en Phonomaton, conception, création et écriture, d’après des enregistrements, de Sophie Dufouleur

A partir de témoignages, c’est d’abord une pure création sonore. Une dizaine de transats et chaises de toile sont installés dans la cour du lycée Pasteur. Chaque spectateur est prié de s’asseoir sous un casque de salon de coiffure aux couleurs acidulées des années cinquante. Et il peut entendre quelques confidences, grâce à une autre casque, audio, celui-ci. Le tout pendant une dizaine de minutes.

©x

©x

Puis une actrice emmène le public dans une petite caravane (climatisée) où, en tassant bien, il y a des places assises pour dix personnes. Mais ce matin-là, nous étions seul et devant nous, une sorte de miroir gris comme ceux des cabines photomaton des années soixante.
Cela rappelle aussi es éphémères peep-show des années soixante-dix avec une cabine où on  regardait une hôtesse faisant un strip-tease sans aucun contact physique avec le client.
Silence absolu, puis apparaît en très gros plan, le visage d’une actrice qui va nous parler pendant quinze minutes environ. Dans un curieux face à face. Et il y a ici un rapport de proximité que nous n’avons jamais au théâtre.

D’autant plus que nous savons bien que nous voyons une comédienne qui nous regarde. Mais existe-t-elle et nous voit-elle? Ou est-ce simplement une vidéo… Nous ne vous en dirons rien mais Sophie Dufouleur avec ce gros plan en permanence, réussit habilement à créer  un sentiment d’étrangeté- le très fameux « verfremdungseffet » cher à Bertolt Brecht- en français (mais mal traduit) : distanciation…
« L’écriture, dit elle, s’appuie sur une vaste récolte de témoignages autour d’expressions imagées, populaires, cocasses et poétiques. Avoir le trouillomètre à zéro, faire le joli cœur, être vent debout, perdre le nord, s’en pourlécher les babines… (…) Ces enregistrements constituent la matière première du spectacle, à l’intérieur et à l’extérieur de la caravane. »

©x

©x

C’est un spectacle qui se joue à la fois dehors et dedans mais dans un espace public.
Réalisation précise et jeu d’actrice très solide, comme on aimerait en voir plus souvent dans le in comme dans le off d’Avignon. Sophie Dufouleur a trouvé une idée théâtrale en trente minutes qui mérite d’être creusée.  A suivre…

Philippe du Vignal

Jusqu’au 28 juillet, Présence Pasteur, rue du Pont Trouca, Avignon. (Entrée toutes les quinze minutes, à partir de 11 h (dernière entrée à 18 h 30).

Les 9 et 10 septembre, Festival Perché sur la Colline, Sombernon (Côte-d’Or).

L’utopie du théâtre populaire définitivement enterrée

L’utopie du théâtre populaire définitivement enterrée

Ce 12 juillet, j’ai pris conscience que l’utopie du théâtre populaire était définitivement enterrée.  L’Opéra de Quat ’sous s’appelait ainsi:  destiné au peuple, il ne devait coûter que… quat’ sous. Bertolt Brecht arrachait l’opéra à son statut bourgeois. Et voilà, il est présenté cette année au festival d’Aix-en-Provence comme un vestige archéologique, une résurgence d’un passé enterré.

©x

©x

Bien ridicule, ce parterre de gens friqués regardant avec une certaine compassion le jeune Brecht qui voulait ébranler l’opéra culinaire bourgeois et le capitalisme. Ce fut aussi ma grande illusion: je dois mettre à jour mes logiciels. L’engagement marxiste n’est plus à la mode. Être engagé au théâtre, c’est parler des L.G.B.T., du climat, des féminicides, de la place des femmes dans la société, c’est  une tournée théâtrale à pied ou à vélo:  la sobriété.

Notre seul souci, aujourd’hui: ne plus regarder la composition du public  mais évaluer le nombre de professionnels présents. C’est à eux que nous nous adressons en priorité:  notre destin en dépend. Le théâtre vise les catégories cultivées de la société: c’est leur hochet, leur divertissement et leur statut. Et moi, comme un naïf, je hurle encore: le théâtre doit concerner la ville toute entière… Pauvre Jacques!
Dans un livre qui vient de sortir, Quand l’Art chasse le populaire, Socio-histoire du théâtre public en France depuis 1945  de Marjorie Glas, on parle de “la posture démagogique et populiste de Jacques Livchine. »

Cela dit, le dernier spectacle du Théâtre de l’Unité, Une Saison en Enfer (voir Le Théâtre du Blog) est une sorte de testament: « J’ai voulu créer toutes les fêtes, tous les triomphes, tous les drames, j’ai essayé d’inventer de nouvelles fleurs, de nouveaux astres, de nouvelles chairs, de nouvelles langues, eh! bien je dois enterrer mon imagination et mes souvenirs ! Une belle gloire d’artiste et de conteur emportée! »Arthur Rimbaud va alors ranger ses carnets et ses crayons…
Il est temps que je suive son exemple.

Jacques Livchine, co-directeur avec Hervée de Lafond, du Théâtre de l’Unité à Audincourt.

 

Festival d’Avignon Portrait de l’artiste en ermite ornemental, de Patrick Corillon (suite)

 Festival d’Avignon

Portrait de l’artiste en ermite ornemental de Patrick Corillon (suite) : Les Images flottantes

Dans la chapelle des Pénitents blancs*, cet artiste nous propose un chemin intérieur et féérique. Un paysage subtil entre le vivant, la matérialité, l’image et la langue… Mêlant douleur et joie, absurde et raison, rêve et réalité notre esprit et notre âme ont accès ici à la beauté, si souvent asphyxiée, du monde visible et des êtres.
Patrick Corillon aux talents multiples de conteur et d’artiste nous invite à un voyage où l’imagination est à l’honneur. De celles qui rendent notre quotidien merveilleux. Mais il reste lucide sur la réalité complexe et intraitable. À travers les mots, les objets usuels, une souris etc., la banalité de tous les jours et ses astreintes sont ici transfigurées.

Entre imaginaire et réalité, fiction et biographie, le public entre aussitôt dans cette jubilatoire traversée poétique existentielle. Attentifs à un jeu théâtral avec de simples ustensiles, nous passons du rire à la mélancolie, fascinés par une gestuelle tout en finesse,et à l’écoute d’une langue bigarrée et dite à merveille par Patrick Corillon.

© Patrock Corilon

© P. Corillon

Ce conteur exceptionnel a aussi mis en scène ici un spectacle enchanteur et d’une étonnante profondeur esthétique. Soudain, l’univers inventif, créatif de l’enfance, lointain ou devenu absent pour certains, ressurgit à notre conscience…. Un instant épiphanique !  

 Il y a aussi à voir avant une exposition de ses œuvres dans cette même chapelle et dans la deuxième partie du spectacle, ludique et participative, Patrick Corillon tel un magicien, réussit avec fantaisie et sensibilité, à mener sans faux pas une danse dionysiaque.
Ce spectacle a marqué tous les amoureux des arts de la scène ou les simples curieux qui ont découvert une performance hors du commun. Avec cet objet théâtral hors normes, avec une parole originale et pleine de d’émotion… « Les images flottantes, c’est le nom qu’on donne à ce que l’on voit quand on ferme les ici yeux » : ces mots de Patrick Corillon prennent ici tout leur sens et toute leur vérité ! 

 Elisabeth Naud 

Spectacle présenté les 10, 11 et 12 juillet à la Chapelle des Pénitents blancs, Avignon. 

*Un hommage et une lecture seront orchestrés par Théâtre Ouvert demain mardi 18 juillet à 11 h, à la Chapelle des Pénitents Blancs que Lucien et Micheline Attoun ont inaugurée en 1971. Un acte fondateur pour Théâtre Ouvert. Lucien est mort il y a deux mois.

©x

©x


Sera lu, l’un des premiers textes présentés à l’époque: La Demande d’emploi de Michel Vinaver. La lecture faite par Hinda Abdelaoui, Emmanuelle Lafon, Stanislas Nordey et Laurent Poitrenaux. Cette lecture sera précédée d’un témoignage de Joëlle Gayot, ancienne collaboratrice de Lucien Attoun à Théâtre Ouvert et à France Culture.

 

Portrait de l’artiste en ermite ornemental : L’Appartement à trous de Patrick Corillon

Portrait de l’artiste en ermite ornemental : L’Appartement à trous de Patrick Corillon

Un curieux titre… Mais nous dit l’artiste et conteur belge, «les ermites ornementaux ont réellement existé au XVIIIe siècle au Royaume-Uni. De riches propriétaires les invitaient à s’installer dans une grotte ou une fabrique de jardin, en échange du gîte et du couvert. Ils devaient, de leur côté, offrir des conseils ou faire acte de présence à des fins ludiques. Je trouve que se niche beaucoup d’humour dans la perception de ces êtres humains faisant office de décoration à des fins spirituelles. (…)
Dans mes histoires, je mêle toujours quelque chose de personnel qui peut être familial ou intime à ce que d’aucuns pourraient appeler la grande histoire ou le cours du temps.

© P. Corillon

© P. Corillon

Patrick Corillon, artiste reconnu (voir Le Théâtre du Blog) nous emmène avec des anecdotes personnelles dans ses rêves et a une passion pour les objets qui, chez lui, sont à égalité avec les êtres vivants. A la célèbre question de Lamartine: « Objets inanimés avec-vous donc une âme? » il répond oui, bien sûr et ce conteur exemplaire sait nous faire rêver en manipulant aussi pendant qu’il parle des séries de dessins posés sur une table et qu’il fait tourner grâce à une baguette magique aimantée. Des dessins où la ligne est primordiale et où on reconnait un chat, un arbre, etc. Il parle aussi de Pétrarque qui, il y a sept siècles, vivait à Avignon et lisait Saint-Augustin quand il marchait vers le mont Ventoux : «Les hommes vont admirer les cimes des monts, les vagues de la mer immense, les vastes cours des fleuves, le rivage de l’Océan et le mouvement des astres, et ils s’oublient eux-mêmes. » 

E tout sonne juste dans ce récit dit avec clarté, douceur et humilité par Patrick Cornillon, dans le merveilleux silence de la chapelle des Pénitents blancs. Il se sert aussi très habilement et avec  en appui du texte, de livres-cahiers qu’il tire habilement au dos d’une table. Comme il le dit, «ce sont de puissants révélateurs de fiction.»  Une première partie, à la fois d’une remarquable intelligence artisanale et d’une grande poésie, ce qui n’est pas incompatible… Un bon moment de ce festival.

 

© P. Corillon

© P. Corillon

Dans une seconde partie d’environ trente minutes, Dominique Roodthooft lit un texte (mais au micro!) et dans la pénombre, on la voit très mal. Le public a auparavant été séparé en deux groupes qui se font face. A chacun est distribué un collier avec lumières, pour regarder en même temps un beau dispositif en carton peint par des artistes iraniens et reproduit ici pour ce spectacle.  Avec un disque que l’on fait tourner selon le numéro indiqué par l’artiste.
Apparaissaient alors dans une case un nuage, un oiseau…. Mais sans doute à cause d’une diction très limite  et d’un mode d’emploi peu clair, le résultat de ces
Fantaisies était peu convaincant…

Philippe du Vignal

Spectacle présenté les 6, 7 et 8 juillet à la Chapelle des Pénitents blancs, Avignon.
Jouons avec l’ermite ornemental de Patrick Corillon, est publié aux éditions Le Corridor.

Festival Paris l’été Asylum, chorégraphie de Rami Be’er par la Kibbutz Contemporary Dance Company

Festival Paris l’été

Asylum, chorégraphie de Rami Be’er, par la Kibbutz Contemporary Dance Company

Asylum by Rami Be_er - Photo Credit - DSC_9987

© Udi Hilman

Fondée en 1970, cette compagnie israélienne dirigée depuis 1996 par Rami Be’er, un de ses anciens danseurs, revient à Paris avec ce ballet présenté au festival de la Danse, il y a quatre ans, et qui avait enthousiasmé le public.
Dix-huit interprètes se déploient avec une exceptionnelle énergie, guidés par un danseur au mégaphone qui pourrait être leur garde-chiourme. Et si l’on en croit son titre, cette pièce traite du sort des migrants. Un propos risqué aujourd’hui en Israël, quand le gouvernement veut expulser les milliers de demandeurs d’asile africains…

La narration, peu explicite, est relayée par une gestuelle nerveuse traduisant les violences subies, en les plaçant dans un contexte plus large. Comme le suggèrent les numéros de matricule égrenés sur la bande-son et les chants d’enfants en hébreu: «  On tourne, on tourne en rond toute la journée, debout assis, on marche en rond jusqu’à ce que nous trouvions notre place. » On pense à d’autres exils et déportations…

Apeurée, harassée, la troupe défile à l’unisson avec des mouvements mécaniques et répétitifs. Certains danseurs essayent parfois des échappées en solo ou duo, avant de se fondre de nouveau dans le cortège. Il y a des luttes au corps à corps qui mettent en valeur leurs qualités athlétiques. Sur les visages se lit la terreur, et les bouches ouvertes laissent échapper des cris muets.

Cette danse, très expressionniste, ne se veut pas mouvement esthétique mais répond à un engagement politique: «Mes chorégraphies, dit Rami Be’er, sont influencées par le fait que nous vivons au Nord d’Israël, à seulement huit kilomètres de la frontière libanaise. Cela fait partie de notre identité. »

Après Horse in the sky  (2018) dénonçant la souffrance des soldats à la guerre, Asylum renvoie à celle des exilés. Malgré un fil dramaturgique peu clair fait de déchaînements de violence, la puissance et la beauté plastique des corps, la parfaite cohésion et la précision des mouvements de ces excellents danseurs nous emportent plus loin que cette dénonciation. Et ici, nous est révélée une compagnie d’Israel, moins connue en France que d’autres….

Mireille Davidovici

Spectacle vu le 15 juillet, au lycée Jacques Decour, 12 avenue Trudaine Paris (IX ème).


Festival Paris l’été, jusqu’au 30 juillet. T. 01 44 94 98 00.

Festival d’Alba-la-Romaine 2023 ( suite et fin ) Les Josianes, Stek, À tiroirs ouverts, Voyage sur place

Festival d’Alba-la-Romaine 2023 ( suite et fin)

Les Josianes

IMG_0880

Les Josianes © M.D.

Chez Josiane, un café-restaurant avec une façade provençale, c’est gag à gogo. A l’étage, quatre filles courent d’une chambre à l’autre et se montrent aux fenêtres, tels des pantins surgis d’un castelet.
Elles dansent sur La Valse à mille temps de Jacques Brel et s’échappent de la maison en escaladant le mur en rappel…. Elles n’ont pas froid aux yeux et Nuit d’une demoiselle, une chanson coquine de Colette Renard devient leur credo face à l’oppression masculine qu’elles dénoncent comme les premières féministes: leur modèle. Elles nous font rire avec les déclarations machistes d’un avocat, tout en grimpant à la corde lisse, en se tenant en équilibre sur une main et en voltigeant.

Cette « création circo-dansée pour quatre artistes de confession féminine » se décline au pluriel. Dans leurs disciplines respectives, mais avec un brin de nostalgie pour les suffragettes historiques et un regard aigu sur les luttes d’aujourd’hui qu’exprime leur dernière chanson : Canción sin miedo (La chanson sans peur) de Vivir Quintana, une apologie des femmes qui se soulèvent au Mexique… Des filles de Sonora aux femmes armées du Chiapas, contre les viols et féminicides. « Soy Claudia, soy Esther y soy Teresa. Soy Ingrid, soy Fabiola y soy Valeria. Soy la niña que subiste por la fuerza. Soy la madre que ahora llora por sus muertas. Y soy esta que te hará pagar las cuentas. Justicia ! Justicia ! Justicia ! (…) NOS QUEREMOS VIVAS ! Que caiga con fuerza, el feminicida » (Moi, je suis Claudia, je suis Esther, et Thérésa. Je suis Ingrid, Fabiola, et Valeria. Je suis la jeune fille bat. Je suis la mère qui pleure ses mortes. Je suis celle qui te fera payer la facture. Justice ! Justice ! Justice ! Nous voulons vivre: A bas les féminicides.)
La compagnie Josianes est née en 2020, quand le cirque croisa le chemin de la danseuse Julia Spiesser. Elle réunit des artistes, venues chacune d’un pays différent et qui, intrépides, se battent pour leurs idées
en affirmant leur féminité.

Stek par le collectif Intrepidus

116 copie

Les clowns sont souvent tristes mais ceux-ci n’ont pas de vague à l’âme. Clochards célestes tout droit surgis d’une grande poubelle, en beaux diables multicolores, ils n’ont pas peur de se cogner à la vie.
Et quand ils tombent, ils se relèvent illico pour mieux s’étaler ou se prendre dans la figure, le couvercle d’une poubelle qu’ils trimballent partout comme une malle aux trésors, à la recherche du stek.
Ce graal est  à griller sur un barbecue trouvé dans une décharge, décor de cette comédie foutraque qui finit par des glissades carnavalesques sur le plateau inondé par maladresse. Pantalons trop courts et vêtements trop longs en haillons ne les empêchent pas de se bagarrer  ou d’être complices quand il s’agit de partager la nourriture.
Analia Vincent, la seule fille du clan, n’a pas froid aux yeux face aux jongleurs Ottavio Stazio et Mario De Jesus Barragan et au clown Léo Morala. Intrépidus, ce nom de collectif va comme un gant à cette fine équipe de cascadeurs sortis de l’école du Lido à Toulouse. Rire garanti. Et petite émotion, quand ils enterrent leur costume de clown, comme une relique d’un autre âge….

Comedia Bonita de et par le duo Bonito

Un spectacle musical nous entraine dans l’intimité d’un couple où l’amour à la longue dérape en petits agacements mutuels. Lui s’énerve quand, avec son accent espagnol, elle déforme les mots.
Et elle est dépitée quand il refuse de répondre à ses câlins en public… Qui aura le dessus? Ces petits différends scellent une complicité inoxydable entre la dynamique Raquel Esteve Mora qui, après l’école Jacques Lecoq, a rejoint Les Nouveaux Nez et l’imperturbable Nicolas Bernard, un des fondateurs de cette compagnie de clowns. Avec des chansons écrites sur mesure aux paroles agiles à la Raymond Devos, un chien savant rigolo et patient tiraillé entre ses deux maîtres, le duo Bonito expert en gags physiques et verbaux, nous amuse et nous émeut. Du clown comme on aime.

 

A Tiroirs ouverts, de et avec Quentin Brevet, mise en scène de Johan Lescop

tioroirs ouverts

A tiroirs ouverts © Patricia Lopez

Quelques planches, une table, des tabourets. L’artiste examine, dubitatif, ce décor de fortune planté sur une petite estrade. Un mobilier qu’il déplacera au gré de ses jongleries, pour infléchir les trajectoires et rebonds des balles capricieuses.

Les objets ne lui obéissent pas toujours et le plateau regorge de chausse-trappes. Maladroit de nature, il trébuche mais se rattrape… En fond sonore, quelques notes qu’il joue sur une clarinette pas toujours obéissante, elle aussi. Mais pour finir, ce solo jonglé et burlesque nous réserve la surprise d’un équilibre précaire parfaitement réussi…

Quentin Brevet compose un personnage de rêveur éveillé poétique et séduisant, mais sous ses airs benêts d’une grande dextérité

 

Voyage sur place de et par Alain Reynaud, mise en scène d’Alain Simon

Dans ce « solo théâtral et autobiographique », l’acteur-clown quitte Félix Tampon, son personnage de scène, pour nous raconter ses souvenirs d’enfance à Bourg Saint-Andéol dont il est parti pour y revenir avec, «d’un côté, avec la casquette de directeur de la Cascade et de l’autre,  avec un chapeau de clown».

Ici, il se fait conteur et nous fait partage la saveur d’une enfance heureuse à l’ombre bienveillante de ses parents qui tiennent une menuiserie au quartier de Tourne et qui ont ouvert un cinéma pour meubler leurs loisirs. »
« C’était avant l’invention de la pédagogie, avant l’ère Dolto », dit-il, en évoquant la sévérité du père, la rigueur des instituteurs… Attiré depuis toujours par les flonflons de la fanfare et les paillettes des majorettes, il devient tambour dans l’harmonie municipale et éprouve son premier  « grand trac » avant de jouer « le roulement des morts », à la cérémonie du 11 novembre. Il se voit déjà en clown : « Je voulais être un personnage. » Et il le deviendra.
Sans effets de manche mais avec malice, Alain Reynaud nous emmène dans la France profonde des années soixante-dix, avec ses souvenirs où chacun trouvera une part d’enfance…

Mireille Davidovici

Comedia Bonita  le 30 juillet, Un dimanche en été, à Porcieu-Amblagnieu (Isère).

Festival d’Alba-la-Romaine, du 11 au 16 juillet.

La Cascade, Pôle national-Cirque, 9 avenue Marc Pradelle, Bourg Saint-Andéol. T. : 04 75 54 40 46.

Festival d’Alba-la-Romaine 2023 : Brèves Tempêtes et Furieuse Tendresse

Festival d’Alba-la-Romaine : Brèves Tempêtes et Furieuse Tendresse

054

Brèves Tempêtes © Daniel Michelon

 Toujours aussi assidu, le public revient chaque année, nombreux et ravi des propositions atypiques qu’offre cet événement voué depuis 2009 aux arts du cirque, sous la gouverne des Nouveaux Nez, une compagnie qui venait alors d’ouvrir La Cascade- Pôle national des arts du cirque, à Bourg- Saint-Andéol.

«Ce festival s’écrit au fil des ans comme un scénario qui met en scène les humains dans un paysage… » dit Alain Reynaud, le directeur du festival et de la Cascade. Les spectacles ont investi les ruines bucoliques du théâtre romain et, au cœur du village, la salle des fêtes, la cour d’école, les places publiques, une prairie au bord de l’eau, jusqu’aux contreforts d’un pic volcanique… « On prend les lieux comme ils sont, avec le moins d’éclairages et de technique possibles», dit Marie-Odile Roux, la secrétaire générale.
Le public peut déambuler d’un lieu à l’autre à la découverte d’Alba-la-Romaine. Parmi ses 1.200 habitants, près de 170 bénévoles, travaillent  à l’entrée du parking, à la billetterie, au bar, à la cuisine, ou à l’accueil des artistes et des journalistes qu’ils accueillent chez eux… Ils viennent en appui des équipes professionnelles mobilisées pour une quinzaine de spectacles pendant une semaine, du matin au soir. ».
Ce
festival, c’est aussi des spectacles gratuits, (deux par jour)  des initiations au trapèze, à la danse, aux échasses, dans un espace convivial: Le Carbunica sous de grands arbres. Au bar, ou à la roulotte des glaces, on paye en carbus, une monnaie du nom d’un antique cépage local.

La programmation s’articule autour du clown, dans le sillage des Nouveaux Nez. « On n’est pas dans l’événementiel mais dans le résultat du travail de territoire à l’année que mène La Cascade, dit Alain Reynaud. Au cirque, il n’y a pas de vedette, et cela touche tout le monde. »
Nous avons pu voir en deux jours neuf spectacles, certains en création mais tous à guichet fermé. Petites formes ou grandes fresques ont tous une dose d’humour. Et si certaines abordent les versants sombres de notre humanité, la bonne humeur reste au rendez-vous. À commencer par les spectacles grand format sous le chapiteau et au théâtre antique.

Brèves tempêtes, mise en scène d’Alain Reynaud et Eric Louis, par le collectif T.B.T.F.

 Une création in situ, issue d’une résidence de ce collectif à La Cascade. Du sur-mesure pour le théâtre antique, avec vingt artistes qui ont élu domicile à Bourg Saint-Andéol, sous l’aile protectrice d’Alain Reynaud. Il vient d’ouvrir un espace d’entraînement dans une ancienne chapelle (voir Le Théâtre du blog), dans ce Pôle national-Cirque.

Les artistes se présentent et racontent comment ils se sont rencontrés dans leur quartier, au collège, ou dans des écoles ce cirque, et comment, de fil en aiguille, ils se sont rassemblés pour faire ce spectacle qui scelle leur collaboration. Un historique mis en scène avec grâce, comme une ronde ininterrompue.
Suivront, en une heure vingt, des numéros qui s’enchaînent, se superposent en un mouvement perpétuel. Figures au mât chinois, en solo, à deux ou à trois, avec Mahé Nithardt, Bernadette Favre, Rémi De Carvalho. Se succèdent au cerceau aérien Inès Arabi, et  Elisa Bitschnau au trapèze fixe, Mara Procacci ou Réhane Arabi à la corde lisse. Aïna Duc sur tissu est aussi clown à ses heures….
Yannis Gilbert, Justin Collas, Arthur Amouroux et Timothée Aïna Meiffren se propulsent dans les airs et d’autres comme Sophie Nusbaumer, Xavier Mermod, Calou Raisse se livrent à des acrobaties en cascades, mains-à-mains et jeux icariens.
Ambroise Donnier tourne sur son mono-cycle et Timothée Vincent dans sa roue Cyr. L’élégant Ricardo S.Mendes jongle avec ses balles jaunes et l’amusant Juri Bisegna Minder avec ses chapeaux dont il coiffera ses camarades.

Ici, personne ne cherche à tirer son épingle du jeu et tous échangent leurs pratiques, dansent, chantent, se succèdent au piano ou à la batterie… Il se passe toujours quelque chose de joyeux et poétique sur le plateau construit en format panoramique le long du mur d’enceinte romain. Pendant que certains travaillent, d’autres prennent du repos en composant de jolies scènes d’ensemble, attablés en fond de scène ou assis sur un canapé.

Ces chassés-croisés, solos, duos, trios et scènes de groupes dans une grande fluidité, sont portés par une énergie commune revendiquée : « Nous nous réunissons avec l’envie d’explorer les arts vivants. De culture, disciplines et formations différentes, nous mettons en commun nos connaissances et parcours au profit de la création. »Au sein du collectif T.B.T.F., existent plusieurs entités avec différents projets artistiques. Ces brèves tempêtes soulèvent un vent prometteur.

Furieuse Tendresse, mise en scène de Sara Desprez et Angelos Matsakis, par le Cirque Exalté

download

Furieuse Tendress © Cirque exalté

Portés acrobatiques, danse, BMX flat-land, jonglerie, trapèze ballant:    annonce la nouvelle création du Cirque Exalté. Sous la houlette d’un cycliste déguisé en coyote sur une B.M.X. (Bicycle Moto Cross), une meute tourne autour du chapiteau, au dos des spectateurs, sur une coursive spécialement conçue…
Ce mouvement circulaire imprègnera tout le spectacle. En piste, l’homme-coyote sur sa monture fait des équilibres, sauts et retournements sur des repose-pieds à l’arrière du vélo et sur la fourche avant. Et ses partenaires se rassemblent pour des portés acrobatiques très audacieux. Sarah Desprez et Maria Jesus Penjean Puig s’envolent sur les épaules de leurs porteurs, avec sauts et  puissants mains-à-mains… Angelos Marsakis jongle avec grâce, tout en tournoyant, jupe et cheveux au vent.

Une voix demande : « Connectez-vous au sauvage qui est en vous. » Placé sous le totem ambivalent du coyote, ce spectacle, accompagné par la musique répétitive de Romain Dubois veut être «un rituel inventé de toutes pièces par des gens qui prennent le temps de fêter leur vulnérabilité, pour toujours se souvenir qu’elle fait partie de leur humanité.»
L’animal souvent appelé chien sacré par les premières nations d’Amérique est, selon la mythologie, rusé et farceur. Il a mis la pagaille dans les étoiles au moment de la création du monde et est aussi un puissant sorcier et guérisseur.

Foutoir Céleste porte bien son titre: Sara Desprez sur son trapèze ballant s’envole au firmament du chapiteau. Toujours plus haut, toujours plus risqué. « J’ai peur d’avoir peur d’avoir peur d’avoir peur.», dit-elle après cette performance qui nous a donné des frissons.

Une cérémonie giratoire où s’enflamment les énergies jusqu’au paroxysme et qui célèbre un cirque où chacun affronte le danger et ensemble le partage, entre artistes et avec public.

Le Cirque Exalté, fondé en 2009 par Sara Desprez et Angelos Matsakis est installée au Mans et ici, c’est leur quatrième création, après Complètement Swing ! (2010) Furieuse Tendresse (2014) Coyote ( 2018) et Amants (2020).  Àne pas manquer.

Mireille Davidovici

Festival d’Alba-la-Romaine du 11 au  16 juillet.

Foutoir Céleste
, les 15 et 22 septembre, Village de cirque, Pelouse de Reuilly, Paris (XII ème)

La Cascade, Pôle national Cirque, 9 avenue Marc Pradelle, Bourg Saint-Andéol. T. : 04 75 54 40 46

Ecrire sa vie,d’après l’œuvre de Virginia Woolf, mise en scène de Pauline Bayle

Ecrire sa vie,d’après l’œuvre de Virginia Woolf, mise en scène de Pauline Bayle

L’écrivaine britannique (1882-1941) est bien connue en France pour son Journal et ses romans Mrs Dalloway (1925)La Promenade au phare (1927)Orlando (1928), Les Vagues (1931) et un essai féministe Une chambre à soi (1929). Une œuvre qui a souvent séduit les metteurs en scène français comme, entre autres,  Anne-Marie Lazarini qui avait  monté un excellent Des petits cailloux dans les poches d’après Virginia Woolf, en 79 et il y a vingt ans, Robert Wilson qui mit en scène une adaptation d’Orlando avec Isabelle Huppert.
Pauline Bayle que nous connaissons depuis qu’elle était élève aux Ateliers du Soir à L’École du Théâtre National de Chaillot, a vite imprimé sa marque avec des spectacles de très haute qualité. Comme ceux tirés de L’Iliade et L’Odyssée d’Homère mais aussi Illusions perdues d’après Honoré de Balzac (voir Le Théâtre du Blog). Et elle a été nommée, il y a deux ans, directrice du Centre Dramatique National de Montreuil.

© Ch. Raynaud de Lage

© Ch. Raynaud de Lage

Séduite elle aussi par la langue poétique de Virginia Woolf, elle a écrit à partir d’une œuvre qui a encore un sens très fort aujourd’hui, une pièce touffue, pour ne pas dire assez hermétique.
« Il y a trois ans durant le premier confinement, j’ai relu Les Vagues, dit-elle, et j’en suis restée sidérée. Le chaos de la pandémie, l’impact de celle-ci sur nos vies et l’incertitude de la période à venir ont trouvé un écho très fort dans cette lecture, tant Virginia Woolf met magnifiquement en lumière l’implacable force qui gouverne nos vies et le temps qui passe sur lequel nous n’avons aucune prise.
Les personnages des 
Vagues m’ont bouleversée, car ils se jettent envers et contre tout dans l’existence, et embrassent cette condition humaine à laquelle personne ne peut échapper avec une soif absolue d’intensité. Si j’ai conservé la structure du récit d’apprentissage qui suit une bande d’amis inséparables de l’enfance à l’âge adulte, j’ai en revanche puisé dans l’ensemble du reste de son œuvre. « 

Mais, comme disaient nos grands-mères: qui trop embrasse mal étreint!  Et ce spectacle sur le thème d’un groupe de vieux amis (quatre filles et deux garçons joyeux qui attendent avec impatience l’arrivée de Jacob) ne fonctionne pas.  Ils parlent beaucoup mais il n’y a pas de véritable fil rouge dans cette suite de faux dialogues, qui sont plutôt des monologues, sur leurs parcours : carrières personnelles, espoir de maternité, relations entre eux, états d’âme…
Un projet à la base sans doute trop ambitieux… Pas facile, voire impossible d’écrire une pièce à partir de textes aux belles images poétiques mais si différents de Virginia Woolf, plus sensible aux rêveries et états d’âme de ses personnages, qu’à l’intrigue et à la progression dramatique d’une narration.
Homère et Balzac se prêtaient mieux à un exercice où Pauline Bayle a acquis une grande virtuosité. Mais ce Ecrire sa vie tourne au bavardage mondain sans grand intérêt et d’un terrible ennui.
Comment créer des personnages crédibles et qui pourraient nous émouvoir: Pauline Bayle ne réussit pas à concilier les envolées lyriques de la célèbre autrice, avec une dramaturgie, disons plus classique : on pense parfois à Tchekhov… Pourtant même si, au départ, il y avait une belle idée théâtrale: un groupe d’amis se retrouve pour fêter joyeusement un anniversaire mais il y a dans l’air le pressentiment d’une catastrophe qui va bouleverser leur vie: la première Guerre mondiale.
Virginia Woolf avait trente deux-ans et toute son existence aura été marquée par
la mort, en à peine une décennie, de sa mère, sa demi-sœur, son père et son frère. Et avant de se suicider, elle verra l’arrivée au pouvoir d’Hitler et de la seconde guerre mondiale! 

Le spectacle commence mal : les personnages joués (mais jamais incarnés) par Hélène Chevallier, Guillaume Compiano, Viktoria Kozlova, Loïc Renard, Jenna Thiam et Charlotte Van Bervesselès eux bien vivants mais hélas munis de micros H.F.! alors qu’ils ont tous une excellente diction et une bonne voix. Ils demandent chacun aux spectateurs s’ils n’ont pas vu Jacob…. Un procédé usé jusqu’à la corde et inefficace et qu’aurait pu nous épargner la metteuse en scène.
Deuxième erreur : une scénographie qui n’est pas du bois dont on fait les flûtes, avec plateau haut de cinq marches et  couvert de gravier blanc. Et quand les acteurs courent sur le plateau, à cause des micros H.F., cela fait un boucan effroyable.
Dans le beau cloître des Carmes, les trois premiers rangs sont interdits et sur la scène, trois gradins en latté accueillent une cinquantaine de spectateurs… Vous devinez la suite? Ils sont priés de regagner les places de ces rangs interdits sous la bienveillance des ouvreuses… Tous aux abris et comprenne qui pourra! Cela crée une rupture dont le spectacle n’avait pas besoin.
Au milieu du plateau, un praticable de cinq mètres de long nappé de coton blanc. D’abord au sol, il sera levé par deux acteurs et se transformera en table chargée de bouquets de fleurs, de coupe à punch, de fruits, pains, et nombreux verres à pied. Tout cela pour fêter l’anniversaire de Jacob. Mais auxquels seuls auront droit les six personnages. Les spectateurs, tout à côté d’eux, non! Cela aurait pu apporter une dimension ludique  plus juste que les verres de limonade offerts avant le spectacle…
Il y a aussi une belle image mais qui n’a rien à faire là: trois séries de huit gros ballons rouges au sol et qui vont gêner les acteurs. Puis tirés en hauteur et flottant dans le léger mistral, ils ne cesseront d’imposer une lourde présence visuelle. Enfin redescendus, ils recevront un coup de cutter d’un accessoiriste. Soit chaque soir, une trentaine de ballons crevés et non recyclables. Vous avez dit: pollution inutile?
Le texte se poursuit cahin-caha avec parfois de belles images, mais toujours sans la moindre esquisse de véritables personnages que nous ne voyons pas évoluer. Malgré la présence et l’énergie de ces jeunes acteurs qui font tout pour sauver les meubles… Et que Pauline Bayle peut remercier du fond du cœur.
Bref, ce spectacle, même avec les moyens techniques du festival d’Avignon, n’arrive jamais à prendre son envol et distille un ennui permanent. John Cage parlait de l’ennui comme intimement lié à l’esthétique des happenings mais ceux-ci ne durent jamais deux heures… Et nous ne pouvons pas vous conseiller ce spectacle. Le public n’était pas dupe et les applaudissements furent plus que légers…
A la sortie, un couple visiblement très déçu par cette représentation et voyant que nous prenions des notes, nous ont gentiment demandé si ce Vivre sa vie pouvait être amélioré… Que leur dire ? Allons, ne soyons pas pessimistes: si Pauline Bayle pouvait revoir mise en scène et scénographie et élaguer sérieusement le texte, cela irait déjà un peu mieux… Surtout dans la salle de Montreuil. Le cloître des Carmes, malgré tout son charme, n’était sans doute pas le lieu idéal. Mais c’est un gros travail en perspective, surtout quand on dirige un Centre Dramatique National où le spectacle sera repris dans deux mois…
Désolé, nous aimons beaucoup Pauline Bayle mais, même revue et corrigée, Ecrire sa vie est fondé sur une fausse bonne idée et ne sera jamais au niveau de ses précédentes créations!
Une suggestion à Tiago Rodrigues, le nouveau directeur du festival d’Avignon: pourquoi ne pas reprendre
Illusions perdues l’an prochain. Ce serait à coup sûr cette fois, un grand bonheur pour les milliers de spectateurs qui n’ont pu le voir. Un festival cela sert aussi à cela…

Philippe du Vignal

Jusqu’au 16 juillet, Cloître des Carmes, Avignon.

Du 26 septembre au 21 octobre,Théâtre Public de Montreuil, Centre dramatique national (Seine-Saint–Denis).

Les 20 et 21 novembre, Le Parvis-Scène nationale Tarbes-Pyrénées.

Les 8 et 9 décembre, Châteauvallon-Liberté, Scène Nationale de Toulon (Var). Les 14 et 15 décembre, Théâtre de Châtillon-Clamart.

Du 13 au 16 février, Théâtre Dijon-Bourgogne-Centre Dramatique National.

Du 5 au 8 mars, Théâtre de la Croix-Rousse, Lyon.

12345

DAROU L ISLAM |
ENSEMBLE ET DROIT |
Faut-il considérer internet... |
Unblog.fr | Annuaire | Signaler un abus | Le blogue a Voliere
| Cévennes : Chantiers 2013
| Centenaire de l'Ecole Privé...