Static Shot, chorégraphie de Maud Le Pladec par le Centre National Chorégraphique National-Ballet de Lorraine

Static Shot, chorégraphie de Maud Le Pladec par le Centre National Chorégraphique National-Ballet de Lorraine

Cette œuvre a été créée dans un théâtre (voir Le Théâtre du Blog) mais dans les festivals d’été, on peut les voir autrement. Quel souvenir aurions-nous du Soulier de satin de Paul Claudel, mise en scène d’Antoine Vitez, sans l’écrin de la Cour d’honneur du Palais des Papes en Avignon, avec le vol des martinets où il a été créé?
Le festival, à l’époque nommé Paris-Quartiers d’été, avait été créé par Patrice Martinet en 1990 qui avait plusieurs missions. Enter autres, la revalorisation du patrimoine architectural parisien avec des créations artistiques quand la plupart des théâtres font relâche. On se souvient avec émotion de Bartabas, seul, sur son cheval au soleil levant dans le jardin des Tuileries, de Roméo et Juliette en nocturne dans les jardins du Palais Royal par le Footsbarn Travelling Theater…

© Quentin Chevrier

© Quentin Chevrier

Avant de voir Static Shot, en ouverture du festival Paris l’été,  nous sommes invités à nous promener dans la Galerie des sculptures italiennes. La danse a toujours inspiré les sculpteurs et ici, vient naturellement magnifier les œuvres de pierre ou de marbre que l’on découvre à la nuit tombante.
La cour intérieure Lefuel, dans la dernière aile du Palis, date du XIX ème siècle et permettait l’accès des chevaux aux écuries et à la salle du Manège impérial, par un escalier en  pente douce rappelant celui du château de Fontainebleau. Pendant cette pièce de trente minutes, les statues semblent vouloir sortir de leurs niches et rejoindre les danseurs, tant la musique de Peter Harden et Chloé Thévenin est entraînante. En bas de cet escalier, deux sculptures de loups, les mâchoires grandes ouvertes… Comme pour répondre aux subites ruptures de rythme de cette danse alternant mouvements lents et très rapides.

  »La pièce, dit Maud Le Pladec, pensée comme un  bloc  de corps, images et sons, ne comprend ni début, ni milieu, ni fin. Tel un climax permanent, les interprètent tiennent ensemble ce point culminant, l’énergie devant toujours se trouver à son zénith. » Comme à un défilé de mode, les artistes descendent ces escaliers lentement et esquissent des mouvements effrénés.
Les costumes de Christelle Kocher, fondatrice de la marque de mode Koché, sont des œuvres d’art et rappellent ceux conçus par John Galliano ou Pierre Balmain. Et le peintre Jean-Michel Basquiat aurait pu aisément  les peindre. Avec cette chorégraphie qui a soulevé l’enthousiasme du public, cette saison estivale parisienne commence bien.

 Jean Couturier

 Les 10 et 11 juillet, Cour Lefuel, Musée du Louvre, rue de Rivoli,  Paris (1er).

Les 17 et 18 octobre Nantes-le lieu Unique.

Le 15 décembre, Opéra du Grand Avignon.


Archive pour juillet, 2023

Nature des fonds à dos de girafe, de Johnny Lebigot

Nature des fonds à dos de girafe, de Johnny Lebigot

Un titre énigmatique pour une exposition un peu secrète… Pour accéder aux appartements de la Princesse, à l’hôtel de Soubise aux Archives Nationales, on passe par l’exposition Louis XVI, Marie-Antoinette et la Révolution. Mais, temporairement fermée, elle rouvrira le 30 août.
Et pour rejoindre, en tout petit groupe, cette exposition Nature des fonds à dos de girafe, il faut simplement attendre une accompagnatrice. Notre privilège: avoir exploré escaliers, cours et avoir aperçu les salles de travail et réunion de ceux qui travaillent ici pour parvenir, presque en douce, aux délicieux appartements de la Princesse, style rocaille. Il y a ici un raffinement paradoxal avec, dorées, les roches, grottes et autres formes tourmentées de la nature. Un décor fait pour accueillir l’art « pauvre » de Johnny Lebigot.

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Archiviste de la nature, il collectionne et classe les reliques végétales, animales ou minérales qu’il trouve: branches, nœuds d’un tronc, graines séchées, petits os, traces de vies éteintes, passées au statut d’archives.
Quant aux «girafes», elles ne sont pas celles du zoo de Vincennes ni la Zafara offerte par Mehémet Ali, vice-roi d’Egypte à Charles X en 1827mais ces échelles roulantes qui permettent d’accéder aux boîtes d’archives haut perchées.

L’installation de Johnny Lebigot joue avec ces verticales, en réponse à la hauteur princière des plafonds. Des boîtes ouvertes nous révèle un contenu fragile, fleurs séchées intactes et raidies, insectes délicats. Il fait apparaître les figures animales nées de formes végétales, la puissance monstrueuse d’une branche, la grâce d’une autre. Il crée un dialogue entre la fantaisie et la richesse de la décoration des salons, inspirée par la folle et inépuisable créativité de la Nature. Disciplinées ici par l’or et la technique d’artisans experts. Une Nature inépuisable, mais fragile, mortelle et nous voilà malgré nous, entraînés par le plaisir des yeux mais aussi par la conscience du Temps et une mélancolie lucide…

Christine Friedel

Jusqu’au 18 septembre, Archives Nationales, Hôtel de Soubise, 60 rue des Francs-Bourgeois, Paris (III ème). T. : 01 40 27 60 96. Entrée libre.

Johnny Lebigot fera plusieurs performances sur les lieux de l‘exposition, les 16 et 17 septembre.

 

Le Jardin des délices de Philippe Quesne

Le Jardin des délices de Philippe Quesne

Boulbon à une dizaine de kms d’Avignon: une ancienne carrière de pierre qu’avait magnifiquement investi Peter Brook avec son Mahabharata en 85, donc il y a déjà quarante ans ou presque. Souvenirs, souvenirs…. Un lieu que lui avait trouvé le formidable directeur du festival Alain Crombecque mort brutalement en 2009. Et Jérôme Savary y avait créé Le Songe d’une nuit d’été de Shakespeare avec sensibilité et poésie.
Y firent aussi des mises en scène Stuart Seide, Wouajdi Mouawad, Bartabas, Anatoli Vassiliev  et en dernier lieu Jean Bellorini. Bref, la carrière Boulbon fait partie d’une mémoire collective pour tous ceux comme nous qui avons suivi le festival d’Avignon depuis si longtemps. Dans ce lieu pas facile, cher à investir mais magique et dont rêve tout créateur.  mais fermé il y a sept ans, il n’y avait plus de spectacles… Une immense aire de jeu (une cinquantaine mètres d’ouverture sur trente de profondeur) avec au fond, un mur des rochers de pierre brunes parsemés de hautes herbes un peu partout sur une hauteur de vingt-cinq mètres…
Un espace à la fois très grand et comme une bulle où peut aussi se jouer l’intime dans un silence absolu avec des gradins pour  mille spectateurs. Il y faut bien entendu une logistique à toute épreuve: au moins une centaine de régisseurs, techniciens, pompiers, ouvreurs…
Philippe Quesne s’est inspiré du célèbre triptyque de Jérôme Bosch,  qu’analyse si bien Hector Obalk au Théâtre Rouge-Gorge et dont nous vous parlerons bientôt. 

©Ch. Raynaud de Lage

©Ch. Raynaud de Lage

Rien sur le sol de ce grand espace. Arrive un petit car immaculé, très blanc avec une dizaine de sièges, poussé par quelques-uns de ses voyageurs.  Sur le toit, des valises et un haut-parleur. Six hommes et deux femmes, tous curieusement habillés, voire emperruqués, y monteront ensuite et l’un d’eux commencera à jouer du violoncelle, et un autre, de la guitare. Le conducteur, lui pianotera quelques airs sur un synthé placé sur le tableau de bord, et chantés par cette petite communauté (mais pourquoi deux femmes seulement?).
Tous sortent du car puis s’assoient en rond sur des chaises en plastique, comme pour un curieux rituel. Côté cour, un journal lumineux égrène quelque phrases poétiques. Le temps semble suspendu et nous avons tout loisir de les
regarder ne rien faire. Puis arrive un gros œuf apporté par les acteurs qui rappelle ceux du panneau central du triptyque de Jérôme Bosch. Ils l’installent avec soin sur le sol. Deux d’entre eux creusent parfois la terre brune, l’un avec une pioche, l’autre avec une pelle.

© Ch. Raynaud de Lage

© Ch. Raynaud de Lage

Il y a aussi, dits avec une grande douceur par le chanteur et violoncelliste Sébastien Jacobs, quelques extraits du chant XIII du célèbre Enfer de la Divine comédie de Dante. Les acteurs confirmés: Jean-Charles Dumay, Léo Gobin, Elina Löwensohn, Nuno Lucas, Isabelle Prim et Thierry Raynaud font le boulot avec précision mais rien à faire, le spectacle ne décolle   pas et distille un remarquable ennui…
Philippe Quesne sait mieux gérer l’espace, que le temps…
Plus tard, de quatre écrans, surgiront des flammes rouges dans la nuit… Et en un moment formidable de poésie, arrive un violent orage avec éclairs et terribles coups de tonnerre. Et s’affiche alors en grandes lettres gothiques, sur la falaise de pierres : Le Jardin des Délices. Un rayon de lumière bleu-vert  vient frapper la roche, avant de se transformer en  un immense triangle. A la toute fin, les acteurs seront là,  en costumes du Moyen-Age, sauf un homme en collant chair avec dessin de squelette. Des images d’une intensité poétique… Mais qu’il faut mériter.

© Ch. Raynaud de Lage

© Ch. Raynaud de Lage

 Avant d’en arriver là, le public  doit en effet  être patient : il ne se passe  rien dans ce qui est plus une «performance-happening», qu’un spectacle théâtral. Lentement, les acteurs vont démonter les parois et les sièges du car à grands coups de meuleuse et perceuse avec des gerbes d’étincelle (mais bon, ce sont- heureusement- des feux d’artifice!).

Philippe Quesne, bon scénographe, bien formé à L’Ecole Nationale Supérieure des Arts Décoratifs à Paris, a dû se souvenir du mot fameux de John Cage pour lequel l’ennui faisait partie d’un happening. Et ici, tout se passe comme si cela devenait un principe esthétique, comme entre autres, chez Andy Warhol avec des films sans fin… L’ennui serait alors comme une stratégie esthétique à laquelle devrait adhérer un public qui a déjà eu sa dose avec le triste Welfare de Julie Deliquet à la Cour d’honneur (voir Le Théâtre du Blog)… Et avec aussi Vivre sa vie de Pauline Bayle.

Et là dans ce Jardin des délices, pour s’ennuyer, il y a matière à ! Et Philippe Quesne est généreux! De petite séquence en petite séquence, le temps (plus de deux heures) passe très lentement. Et dit-il, avec une certaine prétention « comme si un problème rendait l’avenir ouvert et que ce qu’ils avaient sous la main - une mémoire culturelle hétérogène et un ensemble de pratiques connues - allait permettre d’atterrir pour rêver d’autre chose dans le lieu où ils sont. »
A la fin, les acteurs poussent un autre œuf, beaucoup plus gros que le premier mais à demi-cassé, comme ceux du panneau central L’Humanité avant le déluge de Jérôme Bosch et ils regardent tous regroupés ce qu’il y a l’intérieur et qui restera invisible au public. Et Philippe Quesne ne peut s’empêcher de faire gicler plusieurs fois contre les rochers des jets de fumigène gris. Il se fait visiblement plaisir mais n’a pas grand chose à nous dire…
Les spectateurs visiblement aussi s’ennuient.  Quelques-uns écœurés par tant de médiocrité sont sortis Mais pas les autres! Où aller quand on est à Boulbon isolé de tout ? Ils sont donc restés mais ont applaudi très mollement et n’avaient qu’une envie: rejoindre au plus vite un des cars qui les ramèneraient en Avignon.
Bref, un spectacle très soigné, bien éclairé avec de bons interprètes et quelques beaux instants mais… vraiment peu convaincant. Aucun doute là-dessus, Philippe Quesne sait parfois créer de fabuleuses images mais qu’a-t-il voulu nous dire? La fin de la vie de nous humains avant un déluge et une catastrophe finale? Habiterions-nous un faux paradis? Là, nous sommes restés sur notre faim.

«L’œuvre de Jérôme Bosch, dit-il, est réjouissante, car elle permet de parcourir un vaste territoire historique, esthétique, intellectuel, spirituel, psychanalytique… entre autres ! En cela, elle résonne avec le processus de travail que nous développons depuis vingt ans avec Vivarium Studio, une façon de tisser un réseau de liens et de rapprochements autour d’un titre et de mémoires communes, en convoquant indifféremment l’histoire de l’art et les sciences humaines, la culture populaire et les questions socio-politiques qui nous habitent, l’absurde et la réflexivité. »
On veut bien mais ici, un texte assez faible ne fait pas vraiment sens surtout dans cet espace qu’il estime «être porteur d’une mémoire de spectacles passés et dont l’installation en tant que telle est particulièrement visible.»
Encore une fois merci à Alain Crombecque brutalement disparu en 2009- pour avoir trouvé autrefois ce lieu magnifique auquel ce spectacle doit beaucoup et que nous nous sommes réjouis de retrouver. Mais le prochain opus de Philippe Quesne, cela sera sans nous: il y a des limites!Le spectacle affiche complet jusqu’à la fin mais la salle n’était pas pleine…
Comprenne qui pourra! Pour le reste, encore une création décevante: à la sortie, les commentaires des spectateurs n’étaient pas tendres! Nous avons du mal à saisir les choix de Tiago Rodrigues  et cette soixante-dix septième édition du festival ne sera pas à marquer d’une pierre blanche !

Philippe du Vignal

Jusqu’au 18 juillet, à la carrière Boulbon. Navette gratuite devant la Poste d’Avignon face à la gare. .

Festival d’Avignon Face de cuiller de Lee Hall, traduction de Fabrice Melquiot, mise en scène de Laurent Laffargue

Festival d’Avignon

Face de cuiller
de Lee Hall, traduction de Fabrice Melquiot, mise en scène de Laurent Laffargue

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ne pièce que Michel Didym avait montée avec Romane Bohringer. Lee Hall (cinquante-six ans) auteur de La Cuisine d’Elvis est aussi le scénariste de Billy Elliot, une comédie musicale bien connue, écrite par Elton John (2005) et créée au Victoria Palace Theatre à Londres. Lee Hall s’est inspiré de Sous le regard des étoiles, un roman bien connu du romancier écossais A. J. Cronin (1896-1981). Un des auteurs les plus traduits et adaptés par le cinéma et par la télévision.

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Ici, une adolescente atteinte d’un cancer et qu’on surnomme: face de cuillère. Elle a une tête toute ronde comme un visage reflété sur le dos d’une cuillère. Et les autres pensent qu’elle est mentalement « retardée ».
Mais elle raconte sa passion pour les interprètes d’opéra et, en particulier, pour Maria Callas. Et aussi les engueulades de ses parents et comment elle a rencontré le professeur Bernstein…
La jeune fille a conscience qu’elle va bientôt mourir. Seule avec ce visage qu’elle n’aime pas. Et difficile pour elle de vivre le peu qui lui reste, avec un père souvent absent et une mère alcoolique!
« Maman m’a dit qu’à ma naissance, c’était nuit noire et il pleuvait et le tonnerre avec ça (…) mais je m’en fichais parce que j’étais à l’hôpital et maman m’embrassait et quand elle a regardé ma figure elle a remarqué qu’elle était toute ronde – et tout le monde est venu me regarder la figure – et ils ont rigolé (…) »
Comme pour se rassurer elle arrive à faire des exercices de calcul très difficiles. Et aux musiques de son temps, elle préfère écouter encore et encore Maria Callas. Lee Hall a choisi d’écrire cette histoire de grave maladie avec  distance et sans aucun pathos.

Sur le plateau, une toile qui remonte du sol aux cintres comme dans un studio de photo et qui ici, fait office d’écran où on voit d’abord des photos de la Callas. Au milieu, un gros ballon noir où Déborah Joslin est souvent assise.  Elle a une belle présence  et Laurent Laffargue, metteur en scène d’expérience, la dirige avec précision.
Mais on ne sait trop pourquoi, il y a souvent des moments où elle boule son texte, ou le dit trop bas, ou mal. Alors que ce genre de monologue, très intimiste, doit être ciselé au maximum. Ennui de dernier moment?  Ou trac devant une salle qui était loin d’être pleine?  Ou pas le  bon jour? Mais au théâtre, comme le dit notre amie Christine Friedel, il n’y a jamais d’excuses…
Il faudrait que le metteur en scène revoit d’urgence les choses: il y a encore du travail pour Déborah Joslin…  Pour le moment, le compte n’y est pas encore. A suivre

 Philippe du Vignal

 Théâtre La Scala-Provence, 3 Rue Pourquery Boisserin, Avignon.T. :  04 65 00 00 90

Euphrate, texte et interprétation: Nil Bosca, collaboration à la mise en scène: Stanislas Roquette et Olivier Constant

Euphrate, texte et interprétation: Nil Bosca, collaboration à la mise en scène de Stanislas Roquette et Olivier Constant

© Victor-Hadrien

© Victor-Hadrien

Un spectacle créé l’an derniers que nous n’avions pu voir est un solomais en fait, une suite de dialogue très bien enlevées.Cette jeune actrice, fille d’un père turc et d’une mère française, a  une double culture et après le bac, elle doit affronter comme tout le monde, le trop fameux Parcours Sup, cible de nombreuses critiques. Avec à la clé, un choix obligatoire d’orientation professionnelle. Peut-être pas définitif mais qui jouera sur son avenir immédiat.
Et les dialogues comme ceux avec un prof ou une conseillère d’orientation  sont bien vus
. Koyuncu, pardon. C’est un nom de quelle origine ?- Turque.  Vous êtes turque ? J’adore la Turquie. Merhaba nasil sin ? Ouais mais en fait je parle pas turc.

Elle s’en va en Turquie à la rencontre de sa famille qu’elle ne connait pas. Petit à petit, les femmes commencent à préparer une fête en mon honneur. Les langues se délient, on me raconte des anecdotes sur mon père. On me dit qu’au lieu de garder les moutons, il voulait aller à l’école. Mais comme on l’en empêchait, un jour il a décidé de libérer tous les moutons dans la nature.On est assis, on mange du riz, du poulet, des yaourts à l’ail avec du concombre, et on partage tout : la même grande assiette, le même verre, la même fourchette. Et moi, je commence à me sentir un peu des leurs. « 

Comme dans une sorte de roman d’apprentissage, elle est constamment à la recherche de son identité et sur le plateau, elle joue tous les rôles avec un savoir-faire redoutable. Mais elle chante et danse aussi parfois.Ce solo, au texte parfois inégal et parfois un peu facile, ne manque pourtant  pas d’humour piquant et Nil Bosca sait mettre en lumière le racisme souvent inconscient de Français au quotidien. Elle sait être drôle mais aussi virulente, quand elle a affaire à la bêtise.
En fait, comme beaucoup de jeunes gens à peine sortis du lycée, elle cherche sa place et pense aborder plusieurs métiers dont médecin mais finalement, comme elle le sait bien au fond d’elle-même, elle veut être actrice… C’est là, qu’elle pense pouvoir s’accomplir au mieux.
Sur le plateau, juste une table en bois et un portant avec robes, chemises, grand manteau trop grand pour elle… Nil Bosca adore en enfiler plusieurs malgré la chaleur étouffante et faire le clown avec. En une heure, avec une sacrée énergie, elle a vite fait d’emballer un public… acquis d’avance. Et il lui a fait une longue ovation debout absolument méritée, une chose plutôt rare dans le off. Cet Euphrate  est sans aucun doute le meilleur dans le genre solo . Si vous pouvez, ne le ratez pas.
Oralement comme gestuellement toujours très juste et précise, Nil Bosca a déjà tout d’une grande actrice.

Philippe du Vignal

Jusqu’au 26 juillet, Le Train Bleu, 40 rue Paul Saïn,  Avignon. (réservations par internet)

Escapade, soirée théâtrale hors-les-murs par Bonlieu -Scène nationale d’Annecy

Escapade, soirée théâtrale hors-les-murs par Bonlieu-Scène nationale d’Annecy

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Manolo Théâtre du Centaure © M. D.

Une échappée belle au bord du lac, imaginée par l’équipe de Bonlieu et Les Jardins EnChantés dirigés par Blaise Merlin.  Avec une trentaine d’artistes, musiciens, circassiens, chanteurs… dans les vastes jardins de l’Europe, face au lac. Sur les pelouses et sous les lampions suspendus aux arbres centenaires, des tables accueillent les familles en pique-nique.
Plus de six mille personnes ont assisté à cette soirée gratuite qui clôt la saison théâtrale et ouvre l’exposition d’œuvres contemporaines en plein air Annecy Paysage, tout l’été dans les parcs.

Cette version plus modeste de La Grande Balade du Semnoz en 2020 (voir Le Théâtre du blog), se déroule en partie dans les frondaisons où des musiciens perchés sur des nacelles, donnent un concert. Hissés dans les branches avec cordes et poulies, ils jouent à tour de rôle pour éviter la cacophonie et nous emmènent dans des univers sonores contrastés :les étonnantes polyphonies, chants, et percussions des Pygmées Aka  du Congo alternent avec les solos lancinants de kora du Sénégalais Abdou Kouyaté, et les airs soufis du Palestinien Abo Gabi.

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Chant pygmées Aka © Yannick Perrin

Mais aussi le Trio Unio de Grenoble avec Armande Ferry-Wilczek (chant), Juliette Rillard (chant) et violon), Elise Kusmeruck (chant et violon).
Les mélodies grecques et orientales de Dafné Kritharas et Paul Barreyre, les chants flamenco de Paloma Pradal (Espagne), le duo occitan Duò Lavoà Lapò  de Manu Théron et Damien Toumi, les chants d’Italie du Sud par Eléonora Petrulli, et le chanteur basque Julen Achiary..

Nous avons aussi vu Manolo, l’acteur-centaure sur son cheval noir au bord du lac, suivi par le public surpris et par Anwar Khan, le percussionniste du Rajahstan qui l’accompagnait dans son récent spectacle Animal.

 

Nous avons aussi retrouvé aussi Les Filles du Renard Pâle, cette fois pas sur un fil mais dans une roue giratoire où Noa Aubry tourne élégamment, accompagnée par Johann Guillon à la guitare.

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Les filles du renard pâle© Yannick Perrin

Cet agrès fait partie du prochain spectacle de la compagnie en résidence de création à Annecy, troisième volet de la trilogie de la funambule Johanne Humblet, artiste associée à Bonlieu depuis 2021. Après Résiste et RespireRévolte ou Tentatives de l’échec, mettra en scène cinq artistes, circassiennes, danseuses et musiciennes : elles iront jusqu’au bout quitte à échouer, et à recommencer inlassablement pour suivre le fil de la liberté « face à la déraison, gangrène sociale, y a-t-il d’autres possibilités ? Et si elles vont jusqu’à l’effondrement, ce sera le poing levé ! »

 

Nous assistons aussi à Desorden, une performance de dix-huit minutes duo pour patins à roulettes batterie. Justine Berthillot, juchée sur des rollers luminsecents élégante sous des éclairages violets, se lance, après quelques tours de pistes apaisants, dans des figures acrobatiques et équilibres précaires. Elle glisse, chute après de grands écarts périlleux, mais se relève avec grâce, sous l’impérieux diktat du batteur Xavier Roumagnac. Révolte et soumission se succèdent chez Justine Berthillot sous l’emprise de la musique, mais elle aura le dernier mot, quand les sons et mouvements se fondent en une commune énergie. Une artiste à suivre.

 Ce menu de qualité invitera-t-il les gens à entrer dans la Scène Nationale ? La prochaine saison a été programmée par Salvador Garcia, avant de quitter Bonlieu après vingt-six ans à sa tête, et par Géraldine Garin qui en assure la direction par intérim. En attendant une nouvelle nomination l’année prochaine….

 Mireille Davidovici

 Le 8 juillet, dans le cadre d’Annecy-Paysage.

Bonlieu-Scène nationale, 1 rue Jean Jaurès, Annecy (Haute-Savoie) T. : 04 50 33 44 11.

Voyage à Zurich de Jean-Benoît Patricot, mise en scène de Franck Berthier

Voyage à Zurich de Jean-Benoît Patricot , mise en scène de Franck Berthier

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De hauts voilages blancs encadrent une chambre. Sur grand écran en fond de scène, un long couloir d’hôpital blanc, immaculé… Ainsi commence inspiré d’une histoire vraie, ce Voyage à Zurich. Le thème:  le suicide assisté d’une vieille dame qui refuse tout traitement chimique pour la prolonger et qui veut être en forme pour choisir d’aller mourir calmement et avec dignité en Suisse. Entour de sa fils, de son gendre et d’une grande amie. Bref, nous sommes priés d’assister à ce voyage, comme celui de l’actrice Maia Simon, une proche de l’auteur qui, elle aussi, il y a seize ans avait choisi d’aller en Suisse se faire euthanasier.

Une épreuve à laquelle cette vieille dame s’est préparée et relevant de l’intimité mais beaucoup plus traumatisante pour ses proches qui acceptent avec difficulté de savoir que dans quelques jours, puis dans une dizaine de minutes, elle, aussi joyeuse et calme, ne sera plus là. Une gestion du temps dans un pays célèbre pour son exactitude qui ne doit pas être facile. Le tout sous l’œil vigilant d’une caméra de la Police helvétique pour qu’il n’y ait aucun malentendu.

Et cela donne quoi ? Pas grand chose d’inoubliable. Le texte est du genre bavard et la mise en scène de Franck Berthier est assez conventionnelle et part un peu dans tous les sens. les vidéos, sauf la première avec grand couloir blanc d’hôpital, ne font pas sens comme souvent au théâtre : paysages de forêt en noir et blanc, ensembles de lignes noires et blanches laides sans intérêt Et côté scéno, il y a des meubles que l’on déplace souvent.
Et ce qui aurait pu faire une sorte de performance est ici bien longuet: la pièce dure plus d’une heure! Ce n’est sûrement pas le bon format mais on nous dira sans doute que sinon le public ne viendrait pas. Pas sûr du tout ! Ici, les acteurs font leur boulot mais il faut attendre la fin pour que naisse l’émotion.


Avec cette dernière scène très réussie où dans une clinique, Florence (Marie-Christine Barrault) assise dans un grand fauteuil de cuir attend patiemment à côté de ses proches qu’un très stylé assistant (pantalon noir et veste blanche) lui serve le verre fatal, après bu un café… Souriante et paisible, elle semble nous dire que c’est juste un mauvais moment à passer mais qu’ensuite tout ira bien pour elle comme pour eux.  Elle s’affaisse sur le côté quelques minutes après. L’assistant dit simplement après lui avoir pris  le pouls: c’est fini. Mais ils sortent de la pièce accablés, surtout son fils. Ce choix de fin de vie est aussi une épreuve douloureuse pour la famille, et l’auteur fait bien de le rappeler…
Mais bon, cette scène mise à part, ce spectacle nous a laissé sur notre faim. La présence de Marie-Christine Barrault réussit heureusement à l’éclairer.Alors à voir? A vous de juger…

Philippe du Vignal

Jusqu’au 27 juillet , Présence Pasteur,  13 Rue Pont Trouca, Avignon. T : 04 32 74 18 54

 

Maison Close, chez Léonie, texte et mise en scène d’Agnès Chamak et Odile Huleux

Maison Close, chez Léonie, texte et mise en scène d’Agnès Chamak et Odile Huleux

Cela se passe en 1900. Donc il y a déjà très longtemps ; quand les bordels fleurissaient à Paris comme dans toutes les grandes et petites villes de la douce France. Avant la loi Marthe Richard en 1946 avec la fermeture de ces « maisons closes » et le renforcement de la lutte contre le proxénétisme,
Ici, Louise, une très jeune femme arrive, amenée d’Yvetot en Normandie par un recruteur, arrive dans le petit bordel de Léonie (appelé aussi maison close : la loi imposait que le bâtiment ait toujours ses volets fermés, qu’une lanterne rouge et un gros numéro le signalent. Un commerce très rentable et tout à fait admis par l’Etat, comme dans plusieurs milliers d’Eros Centers en Espagne et aussi très fréquentés… par les Français… et les Belges

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Léonie est autoritaire et les jeunes ou moins jeunes prostituées doivent obéir. Comme Louise parait plus jeune que son âge, elle sera «la mineure » ou « la vierge », selon les désirs des clients.
Ses nouvelles camarades : Céleste, la sous-maîtresse enceinte de son mac, Fantine qui rêve toujours d’abandonner la prostitution et de faire un beau mariage et Victoire qui ne doute de rien..
Sans instruction, elles semblent résignées à accepter  pour vivre, ce « métier»,  au lieu d’être bonnes à tout faire chez des bourgeois dans une campagne reculée. Souvent aussi obligées de coucher avec monsieur, et d’initier les fils de la maison.
Mais elles vont avertir Louise qui tombe de sa chaise : ici, elles reçoivent un salaire mensuel, mais… entièrement récupéré par la mère maquerelle pour frais de logement, nourriture, vêtements. La misère non, mais l’exploitation, oui! Et c’est à prendre ou à laisser. Seuls, leur restent les cadeaux des clients, y compris la syphilis et autres maladies vénériennes.
Bref, un vrai rêve, comme ne le voyait pas tout à fait la naïve Louise… qui ne va pas le rester longtemps… Les jeunes femmes peuvent toujours refuser un client. Mais une nuit, le fils syphilitique d’un notable de la région essaye de violer Louise qui n’a pas voulu de lui. Elle se défend mais il meurt accidentellement dans une chambre de ce bordel.
Et son cocher qui l’a attendu dehors toute la nuit, affirmera qu’il ne l’a jamais vu ressortir de  cette maison close.  Parole contre parole. Mais que vaut celle d’une pute devant la Justice française en 1900!
Les filles et la tenancière comprennent quand arrive Louise, le corset couvert de sang, que l’heure est grave et qu’elles risquent toutes d’aller en taule pour un bon moment. Cette société patriarcale avec flic douteux, juge d’instruction qui leur fait la morale, mac sans scrupule… a un pouvoir exorbitant. Alors qu’elles ne sont que de jeunes putes sans défense et tout juste utiles à des hommes… qui ne les aideront jamais.
Elles cherchent mais en vain comment s’en sortir et, avec la sous-maîtresse, elles vont emballer le corps dans un tapis puis d’aller le jeter dans un étang. Mais cela ne va se passer comme prévu: le juge devient de plus en plus méfiant, bref, l’étau se resserre. Seule solution, elles vont mettre le feu à la maison pour faire disparaître toute trace. Et essayer ainsi de sauver leur peau.

C’est un spectacle que nous avions vu il y a quinze ans ! Ici repris dans une version un peu différente par son autrice Agnès Chamak et par Odile Huleux.La mise en scène, pas toujours très précise, mériterait des ajustements, le texte a quelques longueurs et mieux vaut oublier la scénographie et les costumes. Mais la direction des actrices et de Fabien Floris qui endosse plusieurs rôles est tout à fait remarquable. Tous avec une bonne diction et très crédibles dès qu’ils entrent sur le petit plateau, à la fois justes et pleins de vie. Un petit miracle. Comme une plongée dans un monde disparu (encore que?). Mais avec toujours en filigrane, l’exploitation des corps,  la maladie et  la mort qui guette.
Ici pas de fumigènes, lumières sophistiquées, micros H.F… Mention spéciale à Montaine Fregeai et Taos Sonzogni pour la qualité de leurs personnages. Allez découvrir ce petit spectacle très applaudi et à juste titre, vous ne le regretterez pas.

Philippe du Vignal

Jusqu’au 27 juillet, Théâtre des Brunes, 32 rue Thiers Avignon . T : 04 84 36 00 37.

Avignon, pourquoi j’y retourne…

 Avignon, pourquoi j’y retourne…
Je n’arrive pas à me désintéresser de l’avenir du théâtre, je veux encore savoir comment il vieillit et il grandit. Je lui ai donné toute ma vie, et là, j’aimerais bien m’en détacher, le voir de haut et comment il a évolué depuis Jean Vilar.

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©x Jean Vilar


Mais impossible, je n’y arrive pas. Hier, je passais devant le verger d’Urbain V où nous allions l’écouter religieusement dans les années 67. Vilar faisait et pensait le théâtre. Visionnaire, mage, voyant, pénétrant… Personne n’a pris sa place aujourd’hui.

La priorité: sauver notre planète qui s’engloutit dans une réchauffement climatique sans précédent et le festival d’Avignon est une aberration. Parkings monstrueux et dans tous les lieux théâtraux ou pas, la climatisation ronronne au maximum. Les compagnies du off placardent leurs affiches papier et carton par tonnes et cela enlaidit la ville…

Sort en plein festival d’Avignon, la thèse de Marjorie Glas : Quand l’Art chasse le populaire. Pas besoin d’être sociologue pour voir que dans le In, les places à 40 € sont un instrument à filtrer le public. Il y a des réductions pour les jeunes mais ils sont en minorité. L’an passé, nous disait Philippe du Vignal, la billetterie du festival essayait de vendre des places très bon marché, à une école d’Avignon mais les étudiants n’en voulaient même pas…

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 Public blanc et âgé : on sent qu’ils viennent de leur maison du Lubéron pour voir ce qu’ils pensent être l’avant-garde et pour en discuter à l’apéro au bord de leur piscine avec des amis: « Qu’est-ce que tu as vu de beau? »
Ce sont les lecteurs du Nouvel Obs et de Télérama. Jusqu’à ma mort, le problème du public me hantera.
Dans la Cour d’honneur, au dernier rang ,nous  ne captions pas du tout le Welfare de Julie Deliquet. Nous étions très loin au rang Z et le texte était trop quotidien, bref, cela ne passait pas. J’étais en colère contre ce festival : on ne vend pas 40 €, des places où l’on entend à peine et où les acteurs ressemblent à des fourmis.

8 juillet à minuit trente, et je me dis que cela serait drôle de filmer mon ennui. Il y a la case : filmer en direct sur FB. Et fusent les commentaires haineux : ça a l’air chiant. C’est quoi ce vieux terrain de basket ? Il ne se passe rien, etc. Tu ne juges pas un spectacle d’après une vidéo de portable, et pourtant, on se fait une idée.

Welfare
déborde de bons sentiments. Sur une scène de théâtre bourgeois, Julie Deliquet nous montre la misère du peuple. Ce théâtre social renvoie sans nul doute à nos gilets jaunes… Alors que le spectacle est fondé sur un documentaire tourné à Manhattan avec de pauvres gens par Frederick Wiseman, il y a un demi-siècle.
Retour à la case théâtre populaire: les pauvres eux, ne sont pas dans la salle, cela c’est sûr ! Alors mettons-les sur scène.  C’est mon vieux côté brechtien: il ne s’agit pas de montrer la misère sociale sur une scène, mais de dire que le monde peut être transformable. Je savais que cela allait arriver : je vais voir des spectacles pour les détester et me bâtir ainsi un univers de valeurs.
Trop facile d’injurier ce qu’on n’a pas vu! Un jour, j’étais allé au théâtre du Palais-Royal à Paris voir C’était La Cage aux folles de Jean Poiret, avec lui-même et Michel Serrault.. Selon moi, la bassesse la plus vile: le théâtre de boulevard….alors étudiant de l’Institut d’études théâtrales avec des professeurs théoriciens absolus de l’art du spectacle, je devais détester ce que j’allais voir.
Alors, drame absolu: je ne fais alors aucun rejet et suis même carrément admiratif: les acteurs n’étaient pas cabots, ne cherchaient pas les rires faciles… Le texte ne tombait pas dans l’homophobie et le spectacle était de grande qualité. D’où ensuite mon envie de tout vérifier par moi même.
Avignon, le Graal. Toute la critique parisienne est présente. Jadis j’avais appris que le festival défrayait les journalistes du Monde… Cela me choquait, j’ose croire que ce n’est plus le cas. Donc je lis tous les articles contradictoires du Monde, de Libération, Télérama, des Inrocks… Les critiques sont tous là.

Tiago Rodrigues, le nouveau directeur du festival, c’est l’état de grâce… Olivier Py, personne ne le regrette et Vincent Baudriller, son prédécesseur, non plus. Événement majeur: le festival accueille à nouveau des spectacles à la carrière Boulbon, un lieu adoré par Peter Brook, Jérôme Savary, etc. Mais à quel prix ? Il y aurait 600.000 € de travaux pour consolider le site. Aujourd’hui, la vérité vraie, ce sont les chiffres… A suivre.

Jacques Livchine, co-directeur avec Hervée de Lafond, du Théâtre de l’Unité.

A Noiva o Boa Noite Cinderela, conception, texte et mise en scène de Carolina Bianchi et Cara de Cavalo


A Noiva o Boa Noite Cinderela, conception, texte et mise en scène de Carolina Bianchi et Cara de Cavalo

© Ch. Raynaud de Lage

© Ch. Raynaud de Lage

Un mur de toile grise, devant un micro sur pied, une chaise et une table en bois blanches face public. Sur une nappe en dentelle ronde pliée en deux, une bougie, une bouteille d’eau avec un verre, une boîte de puissants sédatifs (la drogue des violeurs mise dans le verre de futures victimes (en portugais brésilien: boa noite), une épaisse liasse de feuilles, visiblement le texte d’une conférence qui pourrait durer plusieurs heures… Mais, nous rassure Carolina Bianchi, cette première partie qu’elle assumera seule, durera seulement cinquante minutes… « Je suis, dit-elle, , dans l’exploration avec cette recherche sur toutes les violences faites au femmes, physiques, sexuelles, psychologiques. C’est en effet un questionnement ouvert et sans réponse. »

Première étape de ce spectacle aux limites de la performance, une mini-conférence d’histoire de l’art avec une fine analyse du fameux tableau (1483) de Sandro Boticcelli en quatre panneaux : L’Histoire de Nastagio degli Onesti du Décaméron de Boccace où une femme est poursuivie par un cavalier, assassinée et dont les viscères seront données à manger aux chiens.
Puis Carolina Bianchi poursuit sa quête avec une initiation aux créatrices de performances
au siècle dernier. Comme, entre autres, à la suite du groupe d’art corporel: le fameux Gutaï japonais avec Saburō Murakami (Gu : “instrument” et taï : corps” vers 1955, des artiste performeuses Gina, Valie Expert, Marina Abramović, Orlan, Rebecca Horn, Carolee Schneemann, etc. dans les années soixante-dix et ensuite. Toujours dans un but précis: remettre en cause l’ordre établi sexuel et patriarcal. Comme aussi et surtout Gina Pane, née de père italien et mère autrichienne, à Biarritz en 39 et morte d’un cancer du sein en 90. Connue pour ses auto-mutilations et ses mises en danger d’elle-même (entre autres, un parcours sur une corniche en zinc). Et enfin, d’une autre performeuse moins connue en France*, Pipa Bacca (1974-2008).  Elle avait entrepris de faire avec une amie, un voyage en stop, aidée par de nombreux artistes  pour le préparer.

Un voyage à hauts risques dans les zones de conflit au Proche-Orient, dont elles n’avaient peut-être pas vraiment conscience. Pour seulement «donner un signe de «confiance entre les êtres humains » et faire « un mariage entre les différents peuples et nations. » Elles devaient ainsi aller de Milan, à Jérusalem, par l’ex-Yougoslavie, la Turquie, le Liban, la Syrie, la Palestine. Portant symboliquement une robe blanche de mariée assez volumineuse. Mais elles se disputèrent quant au but de l’opération et se quittèrent à Istanbul.
Arrivée seule à Gebze en Turquie
, Pippa Bacca sera violée et tuée. Restent de cette performance itinérante, quelques textes et photos ici projetées sur grand écran. Vraiment impressionnantes. Une forme d’art et une horrible tragédie pour Carolina Bianchi. Mais difficilement conciliables… Et elle met le doigt là où cela fait mal en cherchant à comprendre pourquoi les représentants mâles d’une société dite civilisée, peuvent en arriver là. Et elle évoque ce footballeur brésilien qui, en 2010, a fait tuer par ses copains, son amoureuse et a ensuite donné son corps à ses trois dobermans. Condamné et mis en prison, il y recevra des demandes en mariage; libéré depuis, il rejoue au foot mais dans un autre club. Vive les féminicides au Brésil comme ailleurs…

Carolina Bianchi souligne comment ce corps-outil artistique fait partie prenante d’un mouvement féministe et politique clairement revendiqué. Et le crime de viol restera en filigrane pendant tout le spectacle.Vite endormie par dix millilitres de cette drogue, elle tombe de sommeil mais reste en scène allongée sur un matelas, veillée par deux complices qui la caressent. Et elle laisse cet immense plateau à ses acteurs-performeurs.Sur le sol couvert de bâche plastique noire, huit acteurs/danseurs occuperont le plateau. Et un squelette étendu sur une bâche, le corps endormi de Carolina Bianchi, de la poudre blanche (un reste de squelette ?). Dans le fond, une voiture noire où, à un moment donné, les cinq femmes de ce collectif s’en iront pour un voyage…

Côté jardin, un écran suspendu défilera un texte sur cette injustice criante faite aux femmes, avec de nombreuses références à l’écrivain chilien Roberto Bolaño, en silence ou sur de la musique. Un texte fort défile sur un écran rouge, que Carolina Bianchi aurait pu dire. Présence/ Absence : on ne sait plus trop.
Le spectacle finit par une scène très dure (n’y emmenez pas votre vieille cousine) : allongée sur une serviette éponge blanche sur le capot d’une voiture noire, elle subit sexe ouvert face public un examen dont les images sont projetées sur grand écran. Silence absolu dans la salle qui applaudira chaleureusement..
Des images que ne renieraient pas Angelica Liddell et qui ont la même force (voir Le Théâtre du Blog) et dont Carolina Bianchi connaît sûrement les spectacles. Et loin, très loin, heureusement du Welfare de madame Julie Deliquet à la Cour d’Honneur avec, au rang Z donc le dernier, des places à 40 € (sic) où on voit mal, à cause d’un éclairage insuffisant et où on entend mal. La honte du festival…

Des bémols ? Oui, quelques-uns : le coup de la voiture en scène avec des personnages à l’intérieur, un vieux truc usé, un texte qui passe trop vite, des lumières stroboscopiques qu’on aurait pu nous épargner et quelques longueurs vers la fin…
Mais sinon, quelle beauté, quelle intelligence scénique! Quelle maîtrise de ce grand espace et de la lumière, quelle direction d’acteurs! Cette jeune artiste brésilienne est vraiment entrée dans la cour des grands : LA très bonne surprise d’un festival un peu terne… Le spectacle finit ce soir en Avignon mais ne le ratez pas, s’il va près de chez vous.

 Philippe du Vignal

 Jusqu’au 10 juillet, Gymnase du lycée Aubanel, Avignon. T.  : 04 90 14 14 14.

Et ensuite en tournée.

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