Festival d’Avignon (suite et fin) Antigone ma sœur, adaptation et écriture collective d’Antigone de Sophocle, conception et mise en scène de Nelson-Rafaell Madel

Festival d’Avignon (suite et fin)

Antigone ma sœur, adaptation et écriture collective d’Antigone de Sophocle, conception et mise en scène de Nelson-Rafaell Madel

Une adaptation surprenante à la fois cabaret rock et baroque !  La pièce de Sophocle (441 avant J.C. ) devient dans cette mise en scène, un spectacle musical, et nous rappelle ainsi, l’origine religieuse et sacrée de la tragédie grecque. Avec un dithyrambe, cantique consacré à Dionysos chanté et dansé par des choristes-satyres et dirigé par un coryphée, elle fut d’abord une cérémonie rituelle où le chant occupait une place de prédilection; tragédie en grec ancien : « chant du bouc ».

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Dans cette adaptation, nous voyons exister le personnage d’Antigone dès son enfance. Ce contexte temporel et existentiel donne une valeur supplémentaire au destin de notre héroïne tragique. Figure féminine emblématique du choix et de la liberté. Chez Sophocle, elle affronte Créon, en opposant à son décret de circonstance, les «lois non écrites, inébranlables, des Dieux ».  Habité par le sentiment de la révolte et de la justice, et une quête d’absolu, le personnage, apparaît  dans le spectacle sous différentes facettes esthétiques, divers humeurs. Cette incarnation subtile de notre jeune et intrépide héroïne touche un large public qu’il soit athée ou plus croyant.

Tout commence à l’extérieur du théâtre 11 d’Avignon. Sur le boulevard, avant l’entrée en salle les spectateurs sont interpellés par une Pythie déjantée. Haute en couleur, extravagante, elle leur remet sur feuille La Chanson de Laïos : «On connait la chanson/Jocaste, c’est naturel/Accouche d’un garçon/Malédiction cruelle. » Le public, un peu surpris et amusé à la fois, est invité à chanter en sa compagnie. Une mise en scène pleine d’esprit, les trouvailles dramaturgiques et la qualité des lumières signées Lucie Joliot et des costumes d’Emmanuelle Ramu, carnavalesques ou plus dépouillés, font de ce spectacle un enchantement !

Nelson Rafaell Madel, avec Paul Nguyen pour la dramaturgie, nous offre avec cette figure inattendue d’Antigone, une actualisation du mythe antique, à la fois pleine d’humour et de gravité. L’écriture de cette version hors du commun de la pièce antique prend la forme d’un canevas lumineux où s’entrecroisent subtilement les fils des temps modernes avec ceux plus archaïques. La puissance de la pièce de Sophocle reste toujours en filigrane et le mythe apparaît en transparence. Et résonne ! A cette force dramatique pérenne se joint une tension, une parole tragique et un comique contemporains.

Dans cette mise en scène bigarrée vibrent charnellement les mots grâce à la présence formidable de tous les comédiens, exceptionnelle Antigone, à la fois solaire et fragile, puissante performance, interprétée par l’actrice Karine Pédurand. Ces qualités théâtrales habitaient déjà le spectacle Andromaque (2016), d’après la tragédie classique de Racine, monté également par les deux comédiens  Nelson Rafaell Madel et Paul Nguyen (cf. Article Théâtre du Blog).

Loin d’être une fantaisie pour rendre actuelle une tragédie, le spectacle s’impose avec une acuité éthique tout en finesse et une esthétique bigarrée parfaitement pensée. À la fois comédiens, danseurs, chanteurs, saltimbanques acrobates, tous réussissent à donner vie avec noblesse et passion, à l’art du théâtre. La qualité des chansons et la mise en voix créent l’émotion et nous questionnent sur notre moi le plus enfoui, à une époque où la part du sacré a bien du mal à trouver sa place. Un grand rendez-vous théâtral avec Dionysos et sa musique…

 Elisabeth Naud

Spectacle vu au 11, boulevard Raspail,Avignon.

 

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