Je voudrais parler de Duras d’après un entretien de Yann Andréa et Michèle Manceaux, adaptation et mise en scène de Katell Daunis et Julien Derivaz
Théâtre du Peuple à Bussang
Je voudrais parler de Duras, d’après un entretien de Yann Andréa et Michèle Manceaux, adaptation et mise en scène de Katell Daunis et Julien Derivaz
Une scène nue et qui le restera. Côté jardin, une femme en pull à col roulé est assise, les mains sur une petite table où il y a juste un pot de fleurs… Un homme parlera sans cesse avec des modulations variées. La femme immobile et silencieuse «cite » le propos de l’homme.
Cette nudité sous-tend le thème de la pièce: la passion et l’indétermination qui précède tout être: homme, femme, animal, plante… avant de recevoir une identité. Et l’indétermination ne se dissipe pas totalement dans l’incarnation, mais demeure toute la vie une réserve d’être. Quand la passion épuise, on meurt. Elle brûle les corps et ce qui les environne.
L’espace scénique rend ici compte à distance de cette consumation. L’indétermination apparaît aussi dans le titre : Je voudrais parler de Duras et sans « vous ». Ici, en effet, on ne s’adresse pas à un public préexistant qui doit se former à mesure du déroulement de la pièce.
Katell Daunis (La Femme immobile) et Julien Deviraz (Yann Andréa (1952-2014) mettent en scène une histoire d’amour et de littérature mêlant métaphysique et vie quotidienne. Yann Andréa rencontra Marguerite Duras (1914-1996) en lisant un texte d’elle paru en 53 : Les petits chevaux de Tarquinia. Coup de foudre littéraire.
Julien Deviraz réussit à créer un lieu intime sur cette grande scène de Bussang grâce à la douceur de sa voix sensible à toutes les modulations thématiques. Mais aussi grâce à la spatialisation de ses gestes. La peinture moderne nous l’a appris: on peut faire involuer l’espace.
Grâce au phrasé de sa narration, il y a ici des seuils entre les moments de vie commune : désir, cuisine, rapport à la mort, création littéraire, voix rauque de Duras, sexualité, absolu de l’existence. Sans cesse, la passion respire en lui mais inversée par sa voix.
L’impudeur du récit de Yann Andréa s’estompe par un trait que joue très bien Julien Deviraz : le fait d’être là, la surprise de cette vie inattendue et un étonnement qui recouvre tout. Marguerite Duras s’offre à lui, se fend en deux, trouble son homosexualité qu’elle renvoie à l’indétermination. Il va de surprise en surprise: le corps de la femme mais la nuit dans ce corps, et le dehors dans cette nuit. « J’étais totalement dans elle. »
Durant cinq ans,Yann Andréa correspondra avec Marguerite Duras: «J’écris tout le temps.» Les livres et les mots de cette correspondance préfigurent leur vie commune à partir de 1980. Le langage représente l’être du temps indéterminé et pur qui ne tient pas compte de l’écart d’âge. Commence alors une vie réelle mais aussi métaphysique.
Les mots conduisent Yann Andréa à Marguerite Duras et ils vivent ensemble par la création littéraire. Il devient ensuite lui-même un personnage de théâtre. Une histoire de la parole les enveloppe et dans les années soixante, l’être questionné par la philosophie se ramifie. Et apparaît celui du théâtre avec Peter Brook, de la littérature avec Maurice Blanchot), de la danse avec Merce Cunningham. Mais aussi de la musique avec Pierre Boulez et enfin de la peinture, avec Paul Cézanne et Paul Klee.
L’écriture possède une nouvelle notion: le dehors situé plus loin que toute extériorité, et plus profondément que toute intimité. D’où le rapport de Duras à la mer, à nuit… Elle et Yann Andréa qui fut son dernier compagnon de 80 à 96 sont les enfants du dehors…Ce Je voudrais parler de Duras a toutes les qualités poétiques et théâtrales pour être repris sur d’autres scènes.
Bernard Rémy
Spectacle vu le 20 août au Théâtre du Peuple, Bussang (Vosges). Jusqu’au 2 septembre.