Festival international de théâtre de rue d’Aurillac Un Spectacle de merde par la compagnie Chris Cadillac : le point de vue de Jacques Livchine

Festival international de théâtre de rue d’Aurillac
 
Le point de vue de Jacques Livchine sur Le Spectacle de merde par la compagnie Chris Cadillac, mise en scène de Marion Duval.

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Dans les arts comme dans l’astronomie, on recherche et on découvre parfois de nouvelles étoiles, de nouvelles planètes.  Ainsi au vingtième siècle en musique, le rock and roll, puis le rap. Certains disaient que c’était juste une mode qui allait passer…

Dans les arts plastiques, il y a eu la rupture opérée entre autres par Marcel Duchamp et le dadaïsme. Mais en théâtre, me direz-vous ? Après Bertolt Brecht, après le Théâtre National Populaire avec Jean Vilar, il y a eu le scandale du Living Theatre à Avignon en 68. Et plus tard, au festival de Nancy, trois chocs: les spectacles de Tadeuz Kantor, de Pina Bausch et de Bob Wilson. Et ensuite le mouvement des arts de la rue avec Jean Digne et son opération: Aix, ville ouverte aux saltimbanques. Le quarantième anniversaire en sera fêté l’an prochain…
J’ai bien cru assister à un moment historique à Aurillac ce 25 août mais  mes prédictions sont à 80% mauvaises et je pourrais bien me tromper. Avec Un  spectacle de merde de Chris Cadillac, tous les codes habituels du théâtre sont largement foulés au pied. Le public avait le droit de bouger, de s’en aller et revenir. Il était de bon ton d’avoir sa canette d’Heineken à la main et tout au long des trois heures de spectacle, les artistes assuraient le ravitaillement en bière… à prix libre.
Un public trentenaire -tenue classique de jeunes un tantinet marginaux avec pantalons déchirés, tatouages sur tout le corps, piercings, cheveux décolorés… Pour accéder au terrain de sport de la Jordanne (pastille 108), nous passons à travers un dédale de camions-habitations peinturlurés… On pourrait se croire dans un bidonville du tiers-monde. Il y a beaucoup de chiens en liberté et nous retrouverons les habitants de ces camions sur les gradins (spectacle en accès libre mais jauge limitée à 350 personnes). Un  public très agité et très réactif, hurlant pour un rien, entrant et sortant…
Marion Duval prend la parole. La  trentaine d’années, en petit short collant vert et blouse, les cheveux très noirs, décontractée, elle déplie comme un vieux parchemin, sourit les dents très blanches et demande un micro. Elle balbutie : “Bon, ça, non, j’ai pas envie. Oui, je suis née à Nice dans une famille catho, raciste et réactionnaire.  Ah si! Le code de la route, vous le connaissez ? Vous êtes libres: vous entrez et vous sortez quand vous voulez. Vous aller pisser là-bas dans les bosquets. Oui, j’ai eu de la thune pour le spectacle. Ah! Je les aime, ce sont mes potes, j’ai partagé… »
 

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C’est décousu à souhait. Marion Duval commence une phrase mais ne la termine pas et parfois jargonne… Derrière elle, une ancienne mobylette  qu’elle l’enfourche. Elle pédale et on l’entend qui murmure : merde, cela ne marche pas ! Redwane Reis Meyer, son régisseur la pousse… Et la voilà qui tourne en rond sur un  terrain cimenté de  deux cent mètres d’ouverture et trois cent de profondeur. Les cheveux de la metteuse en scène volent au vent. Une image de grande liberté…

 Puis musique symphonique pompeuse et là, entre un de ces vieux camions tagués. A l’intérieur, des personnages qui ne nous regardent pas, puis un deuxième, un troisième, un quatrième camion, et un camping-car qui fait rire. Cela applaudit dans les gradins.
Musique en continu. Les camions font une ronde, puis des figures plus compliquées style: avions de la patrouille de France. Ils semblent valser, se croiser, etc. Apparaissent alors des nains masqués: ils se mettent à danser parmi les camions qui disparaissent puis reviennent. L’un déguisé en éléphant,avec une trompe ridicule en carton et de grandes oreilles. Un autre avec une structure gonflable sur le toit. Un autre encore avec le pare-brise couvert, laissant juste apparaitre deux yeux. Carnaval.
 
Maintenant, les camions enfin garés, il y a un espace de jeu. Tous les acteurs chantent (mais très mal): “ça c’est le spectacle” genre colonie de vacances… hurlé façon Didier Super. Quarante minutes  après et sur deux heures et quelque, des personnages loufoques vont se présenter, faire des minis-blagues pourries, dire des poèmes plus nuls-tu meurs, ou des discours insensés.
Karine arrive avec une chanson mimée sur L’Aigle noir de Barbara.  Une magicienne hurle et revient sans arrêt. Un acteur dit : « C’est politique. » Et il annonce une manifestation pour l’eau à Orléans. Un drapeau passe, avec inscrit dessus:  “Désordre”.
Mais moi, que m’arrive-t-il? Je ne m’ennuie pas, comme transporté. Sont-ce des Indiens? Une tribu? Lajoie chante Enculez- moi, devant, derrière. Un air repris par les jeunes, tous alcoolisés, ou presque… Et là, sans qu’on y fasse attention, le public déserte les gradins et se mêle aux personnages…
La représentation théâtrale devient alors la vraie vie, dans une sorte de tuilage naturel et une énergie communicative. Nous sommes dans une sorte de rave-partie.  On se trémousse dans tous les sens, c’est la fête.
Marion Duval tourbillonne comme une folle avec Pappy, un migrant sans papiers:  une image forte… Pourquoi je pense au célèbre Living Theatre des années soixante-soixante dix? Comme les artistes de Chris Cadillac, il prônait la liberté, l’amour, l’absence de frontières et un mode de vie plus communautaire. Et ses acteurs jouaient souvent leur propre rôle.
Là, mystère! Mais pas grave, il y a une belle vérité qui émane du spectacle. Les acteurs parlent en filigrane, d’extinction et rébellion, de soulèvements de la terre, batailles contre les accapareurs d’eau, etc. Marion Duval dit : « Pour que vous y compreniez quelque chose, on va faire le final, on va délivrer un message…
Il y a un défilé de mode avec de beaux costumes et elle lit -trop vite-un texte qui dit ce qui va arriver à chacun des personnages.
.. Nous ne comprenons rien mais sommes entraînés par le mouvement et par une énergie incroyable. Puis il y a un vague salut et la musique reprend. Les corps élastiques de tous les spectateurs s’agitent en cadence.

Je prends conscience que les luttes anciennes, les marches de la Bastille à la République laissent la place à de nouvelles résistances anti-bourgeoises. « Le changer la vie » d’Arthur Rimbaud est toujours d’actualité mais des formes nouvelles surgissent,  symbolisées ici  par cette armée de camions.
Le théâtre, c’est tout de même fort quand ça déstabilise et qu’on ne sait pas séparer le vrai, du faux. Important: ce Spectacle de merde recharge les batteries et joue le rôle d’un stimulant de l’âme…

 Jacques Livchine 

Spectacle vu le 25 août à Aurillac.

En Suisse: à Bienne, le 2 septembre, à Neuchâtel, les 8 et 9 septembre.
Et à Genève, au festival de la Bâtie.


Archive pour 29 août, 2023

Festival international de théâtre de rue d’Aurillac Un Spectacle de merde par la compagnie Chris Cadillac : le point de vue de Jacques Livchine

Festival international de théâtre de rue d’Aurillac
 
Le point de vue de Jacques Livchine sur Le Spectacle de merde par la compagnie Chris Cadillac, mise en scène de Marion Duval.

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Dans les arts comme dans l’astronomie, on recherche et on découvre parfois de nouvelles étoiles, de nouvelles planètes.  Ainsi au vingtième siècle en musique, le rock and roll, puis le rap. Certains disaient que c’était juste une mode qui allait passer…

Dans les arts plastiques, il y a eu la rupture opérée entre autres par Marcel Duchamp et le dadaïsme. Mais en théâtre, me direz-vous ? Après Bertolt Brecht, après le Théâtre National Populaire avec Jean Vilar, il y a eu le scandale du Living Theatre à Avignon en 68. Et plus tard, au festival de Nancy, trois chocs: les spectacles de Tadeuz Kantor, de Pina Bausch et de Bob Wilson. Et ensuite le mouvement des arts de la rue avec Jean Digne et son opération: Aix, ville ouverte aux saltimbanques. Le quarantième anniversaire en sera fêté l’an prochain…
J’ai bien cru assister à un moment historique à Aurillac ce 25 août mais  mes prédictions sont à 80% mauvaises et je pourrais bien me tromper. Avec Un  spectacle de merde de Chris Cadillac, tous les codes habituels du théâtre sont largement foulés au pied. Le public avait le droit de bouger, de s’en aller et revenir. Il était de bon ton d’avoir sa canette d’Heineken à la main et tout au long des trois heures de spectacle, les artistes assuraient le ravitaillement en bière… à prix libre.
Un public trentenaire -tenue classique de jeunes un tantinet marginaux avec pantalons déchirés, tatouages sur tout le corps, piercings, cheveux décolorés… Pour accéder au terrain de sport de la Jordanne (pastille 108), nous passons à travers un dédale de camions-habitations peinturlurés… On pourrait se croire dans un bidonville du tiers-monde. Il y a beaucoup de chiens en liberté et nous retrouverons les habitants de ces camions sur les gradins (spectacle en accès libre mais jauge limitée à 350 personnes). Un  public très agité et très réactif, hurlant pour un rien, entrant et sortant…
Marion Duval prend la parole. La  trentaine d’années, en petit short collant vert et blouse, les cheveux très noirs, décontractée, elle déplie comme un vieux parchemin, sourit les dents très blanches et demande un micro. Elle balbutie : “Bon, ça, non, j’ai pas envie. Oui, je suis née à Nice dans une famille catho, raciste et réactionnaire.  Ah si! Le code de la route, vous le connaissez ? Vous êtes libres: vous entrez et vous sortez quand vous voulez. Vous aller pisser là-bas dans les bosquets. Oui, j’ai eu de la thune pour le spectacle. Ah! Je les aime, ce sont mes potes, j’ai partagé… »
 

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C’est décousu à souhait. Marion Duval commence une phrase mais ne la termine pas et parfois jargonne… Derrière elle, une ancienne mobylette  qu’elle l’enfourche. Elle pédale et on l’entend qui murmure : merde, cela ne marche pas ! Redwane Reis Meyer, son régisseur la pousse… Et la voilà qui tourne en rond sur un  terrain cimenté de  deux cent mètres d’ouverture et trois cent de profondeur. Les cheveux de la metteuse en scène volent au vent. Une image de grande liberté…

 Puis musique symphonique pompeuse et là, entre un de ces vieux camions tagués. A l’intérieur, des personnages qui ne nous regardent pas, puis un deuxième, un troisième, un quatrième camion, et un camping-car qui fait rire. Cela applaudit dans les gradins.
Musique en continu. Les camions font une ronde, puis des figures plus compliquées style: avions de la patrouille de France. Ils semblent valser, se croiser, etc. Apparaissent alors des nains masqués: ils se mettent à danser parmi les camions qui disparaissent puis reviennent. L’un déguisé en éléphant,avec une trompe ridicule en carton et de grandes oreilles. Un autre avec une structure gonflable sur le toit. Un autre encore avec le pare-brise couvert, laissant juste apparaitre deux yeux. Carnaval.
 
Maintenant, les camions enfin garés, il y a un espace de jeu. Tous les acteurs chantent (mais très mal): “ça c’est le spectacle” genre colonie de vacances… hurlé façon Didier Super. Quarante minutes  après et sur deux heures et quelque, des personnages loufoques vont se présenter, faire des minis-blagues pourries, dire des poèmes plus nuls-tu meurs, ou des discours insensés.
Karine arrive avec une chanson mimée sur L’Aigle noir de Barbara.  Une magicienne hurle et revient sans arrêt. Un acteur dit : « C’est politique. » Et il annonce une manifestation pour l’eau à Orléans. Un drapeau passe, avec inscrit dessus:  “Désordre”.
Mais moi, que m’arrive-t-il? Je ne m’ennuie pas, comme transporté. Sont-ce des Indiens? Une tribu? Lajoie chante Enculez- moi, devant, derrière. Un air repris par les jeunes, tous alcoolisés, ou presque… Et là, sans qu’on y fasse attention, le public déserte les gradins et se mêle aux personnages…
La représentation théâtrale devient alors la vraie vie, dans une sorte de tuilage naturel et une énergie communicative. Nous sommes dans une sorte de rave-partie.  On se trémousse dans tous les sens, c’est la fête.
Marion Duval tourbillonne comme une folle avec Pappy, un migrant sans papiers:  une image forte… Pourquoi je pense au célèbre Living Theatre des années soixante-soixante dix? Comme les artistes de Chris Cadillac, il prônait la liberté, l’amour, l’absence de frontières et un mode de vie plus communautaire. Et ses acteurs jouaient souvent leur propre rôle.
Là, mystère! Mais pas grave, il y a une belle vérité qui émane du spectacle. Les acteurs parlent en filigrane, d’extinction et rébellion, de soulèvements de la terre, batailles contre les accapareurs d’eau, etc. Marion Duval dit : « Pour que vous y compreniez quelque chose, on va faire le final, on va délivrer un message…
Il y a un défilé de mode avec de beaux costumes et elle lit -trop vite-un texte qui dit ce qui va arriver à chacun des personnages.
.. Nous ne comprenons rien mais sommes entraînés par le mouvement et par une énergie incroyable. Puis il y a un vague salut et la musique reprend. Les corps élastiques de tous les spectateurs s’agitent en cadence.

Je prends conscience que les luttes anciennes, les marches de la Bastille à la République laissent la place à de nouvelles résistances anti-bourgeoises. « Le changer la vie » d’Arthur Rimbaud est toujours d’actualité mais des formes nouvelles surgissent,  symbolisées ici  par cette armée de camions.
Le théâtre, c’est tout de même fort quand ça déstabilise et qu’on ne sait pas séparer le vrai, du faux. Important: ce Spectacle de merde recharge les batteries et joue le rôle d’un stimulant de l’âme…

 Jacques Livchine 

Spectacle vu le 25 août à Aurillac.

En Suisse: à Bienne, le 2 septembre, à Neuchâtel, les 8 et 9 septembre.
Et à Genève, au festival de la Bâtie.

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