Les Zébrures d’automne:quarantième anniversaire des Francophonies de Limoges Convictions de Lara Arabian, mise en scène de Djennie Laguerre
Les Zébrures d’automne, de l’écriture à la scène: quarantième anniversaire des Francophonies de Limoges (suite)
Quarantième anniversaire de ce festival dirigé depuis quatre ans par Hassane Kassi Kouayaté et où sont créées ou présentées les pièces de nombreux auteurs du Congo, Canada, Belgique, Rwanda, Togo, Luxembourg… Des pays riches ou pas, très ou peu habités, occidentaux, d’Afrique,du Moyen-Orient, d’Amérique du Nord etc. mais qui ont tous un dénominateur commun, la langue française comme moyen d’expression écrit et/ou parlé: environ trois cent millions de locuteurs dans le monde!
Il faut rappeler que ces Francophonies ont été créés il y a quarante ans par Monique Blin, et par Pierre Debauche, alors directeur du Centre Dramatique du Limousin, tous les deux aujourd’hui disparus.
Cela a été une pépinière et une vitrine pour de jeunes artistes comme Robert Lepage, auteur-metteur en scène québécois et Wajdi Mouawad, auteur et metteur en scène d’origine libanaise et qui a vécu longtemps au Québec, et maintenant directeur du Théâtre de la Colline à Paris… Mais aujourd’hui pas d’illusions: le pur théâtre de texte a nettement perdu de sa suprématie, et où danses les plus diverses mais surtout « urbaines », acrobatie, musique et vidéo, magie attirent nettement plus les jeunes?
« Aux côtés de la nouvelle Cité internationale de la langue française de Villers-Cotterêts (que va inaugurer Emmanuel Macron) et du réseau actif que nous constituons avec la Cité internationale des arts de Paris et la Chartreuse de Villeneuve-lez-Avignon, dit le grand philosophe sénégalais Souleymane Bachir Diagne, on veut ici envisager avec optimisme l’immédiat avenir d’une Francophonie «qui va vers sa jeunesse. »
Oui mais comment, où, et avec quels budgets en ce qui concerne les Francophonies de Limoges? Des questions pour l’instant sans réponse. Qu’en pense Rima Abdul Malak, ministre de la Culture (qui n’est pas venue à ces Zébrures d’automne)?
Convictions de Lara Arabian, mise en scène de Djennie Laguerre
Cela se passe au Canada, pays de l’autrice. Les Khourry: père libanais et mère canadienne, ont récemment emménagé avec Zara, leur fille de treize ans, dans la banlieue de Toronto.
Très vite, elle se met à entendre la voix d’une personne mystérieuse qui lui parle. Lara Arabian qui joue aussi la Mère, se demande avec son mari (Nabil Traboulsi) si leurs convictions viennent de leurs familles, ou de la religion. Djenie Laguerre, d’origine haïtienne (L’Adolescente) a une belle présence, une bonne diction et une gestuelle parfois étonnante.
Elle apporte par moments un souffle d’air frais à ces dialogues indigents et poussiéreux du genre Plus belle la vie... Mais la plaisanterie dure une heure quarante et l’éternité, c’est long, surtout vers la fin, disait déjà Alphonse Allais.
Et comme Djennie Laguerre n’est pas encore une metteuse en scène, ce texte déjà faible ne passe vraiment pas, et cerise sur ce pudding estouffadou, il y a un cube sur roulettes au milieu du petit plateau qui gêne la circulation et qui ne sert à rien. Et la direction d’acteurs est inexistante…Bref, un spectacle sans intérêt qui n’aurait jamais dû venir ici. On peut juste sauver la présence de Djennie Laguerre…Le public a applaudi très mollement cet ovni.
On marronne ? (Si ça te dit, viens) de Gustave Akakpo, mise en scène de Geneviève Pelletier
On connait bien en France cet écrivain togolais de quarante-neuf ans dont les pièces ont souvent pour thème les injustices socio-politiques… Comme À petites pierre (2007) ou La Mère trop tôt (2004), où il évoque le génocide des Tutsis au Rwanda et les enfants-soldats en Afrique. Et dans Le Petit Monde merveilleux (2008), il essaye de faire prendre conscience des impératifs écologiques.
Ici, une femme qui a quitté sa terre natale, vit dans la Cité de l’Espace à Kourou en Guyane… Oui, mais voilà pour le reste, l’acoustique de l’Opéra-Théâtre de Limoges est si mauvaise qu’il faut être très attentif pour glaner quelques bribes de dialogues, mais on ne comprend pas grand chose à cette histoire!
La distribution, très inégale, frise souvent l’amateurisme, la balance texte/musique est défaillante et les lumières plus qu’approximatives… La metteuse en scène québécoise n’arrive jamais à nous intéresser à cette ennuyeuse fiction et ose encore employer des poncifs comme des jets de fumigène latéraux à plusieurs reprises ou des lumières stroboscopiques qui font mal aux yeux!
Bref, ce spectacle d’une heure et demi, dix fois trop long, tout simplement mauvais, n’a aucune chance s’il reste dans l’état d’être joué ailleurs. Tant pis, mais dommage pour les Francophonies de Limoges.
Zoé d’Olivier Choinière, mise en scène d’Hassane Kassi Kouyaté
Enfin ouf! Une petite merveille de cet auteur québécois de cinquante ans, peu connu en France! Cela se passe dans un lycée avec juste deux personnages. Aucun décor, sinon un mince cadre de bois posé au sol et une dizaine de chaises. Un prof de philo (Patrick Le Mauff) et une de ses élèves (Adélaïde Bigot), vent debout contre la grève entamée par ses camarades de classe. Elle exige que son prof lui fasse cours, puisque, dit-elle, sans ménagement, c’est son droit le plus strict, comme les autres ont le droit de faire grève. Et elle assume pleinement cette revendication.
Zoë n’a que faire de cette lutte qui ne la concerne pas. C’est une bosseuse très individualiste et qui essaye de mettre toutes les chances de son côté : elle veut être médecin.
Mais bon, le cours individuel que cette excellent prof de philo, maître en dialectique, porte ses fruits et les certitudes et radicalités de la jeune fille commencent à se lézarder.
Le dialogue est aussi brillant et savoureux que le jeu : diction, gestuelle, présence sur scène de Patrick Le Mauff qu’on a vu autrefois dans la compagnie de l’Attroupement et celui d’Adélaïde Bigot, jeune actrice tout juste sortie de l’Ecole du Centre Dramatique National de Limoges. Et il y a une belle complicité entre elle et cet acteur des plus expérimentés, tous les deux remarquables et bien dirigés par Hassane Kassi Kouyaté.
Oui, enfin du vrai et du bon théâtre, sans doute classique mais d’une rare intelligence et très efficace: en quatre-vingt minutes, cet entretien sur fond philosophique fait le bonheur du public.
Il y a eu aussi sous un petit chapiteau un débat intéressant: La Langue frnaçaise peut-elle faire acte de fraternité?Avec Danielle Le Saulx-Farmer et Noémie F. Savoie (Oh ! Canada-Chapitre 1 -L’Est canadien), Dalila Boitaud-Mazaudier (En langues françaises), Mimi O’Bonsawin et Annick Lederlé, cheffe de la mission: sensibilisation et développement des publics à la délégation générale à la langue française et aux langues de France, au Ministère de la Culture-.
Et ont été remis les prix de la S.A.C.D. et de R.F.I.: d’autres moments de la vie de ce festival dont nous vous reparlerons. Mais il faut se demander si, après quarante ans, la vie de ces Francophonies n’a pas un coup dans l’aile. Le terme même de Francophonies a peut-être un peu vieilli à l’heure des événements actuels en Afrique. Hassane Kassi Kouyaté semblait, à l’écouter, quelque peu las, malgré sa détermination et le remarquable travail de toutes ses équipes.
Par ailleurs, il ne pouvait pas être d’accord et il l’a dit avec courage au micro de France-Inter (voir Le Théâtre du Blog) avec les récentes mesures du gouvernement français concernant les visas qui ne seront plus accordés aux ressortissants du Mali, du Burkina Faso et du Niger. Ce qui, heureusement, a suscité l’indignation des milieux artistiques français.
Et cela ne va pas arranger les affaires de ces Francophonies de Limoges, qui, de toute façon, ont besoin d’un second souffle. Depuis 84, la notion même de festival a aussi beaucoup évolué : les envies du public, l’écriture des textes comme les lieux ne sont plus les mêmes. Que ce soit à Limoges où le public est vieillissant, ou à Aurillac où il reste jeune mais qui voit seulement les spectacles gratuits et où l’arrivée cette année de « collectifs » dans les quartiers extérieurs, va bouleverser la donne…
A suivre.
Philippe du Vignal
Les Zébrures d’automne jusqu’au 20 septembre.