La Maison du loup, texte de Benoit Solès, mise en scène de Tristan Petitgirard
La Maison du loup, texte de Benoit Solès, mise en scène de Tristan Petitgirard
Il y a un sous-titre: À la rencontre de Jack London et c’est, en fait, le thème revendiqué de ce spectacle. A l’été 1913, Ed Morrell, un homme sortant de prison veut sauver son ami Jacob Heimer condamné à mort. Et il arrive à la maison du Loup, une vaste demeure isolée où habitent seuls le célèbre écrivain et Charmian, son épouse qui l’a invité… Elle tient à raviver chez son mari l’inspiration qu’il a perdue. Double combat: Ed Morrell sauvera-t-il Jacob, et Jack London écrira-t-il à nouveau?
Jack London (1876-1916), sans doute le plus célèbre des écrivains des Etats-Unis, avec L’Appel de la forêt, Croc-Blanc, Le Talon de fer et Martin Eden, Le Cabaret de la dernière chance, plus autobiographiques, écrivit aussi plus de deux cents nouvelles.
Fils de père inconnu, il mena souvent une vie misérable et aura fait tous les boulots possibles, même les plus ingrats : pelleteur du charbon dans une centrale électrique, pilleur d’huîtres, mousse sur un bateau chasseur de phoques, chercheur d’or mais aussi journaliste, romancier…
Et comme Jack Kerouac, il voyagea beaucoup sur des trains de marchandises ou sur les routes, et ne buvait pas que de l’eau. En 1907, il entame un tour du monde avec son bateau Le Snark. Et il sera enfermé pour vagabondage dans un pénitencier. Cinq ans avant sa mort, Jack London achète avec sa femme une grande propriété: il plante des vergers, des eucalyptus et du maïs, élève des cochons mais continue à voyager en Californie, en Oregon et jusqu’au cap Horn. .
«Pendant le confinement, dit Benoît Solès, j’ai relu Jules Verne, Stevenson, Kerouac, et bien sûr… Jack London et son dernier chef-d’œuvre. Et j’ai découvert que cet Ed Morell avait vraiment existé et avait inspiré l’écrivain! Dès lors, j’ai voulu imaginer leur rencontre, orchestrée par Charmian, la femme de Jack London.»
On retrouve ici les thèmes chers à Jack London: le retour à la Nature, la place de la femme dans la société, la solitude, l’addiction totale à l’alcool, les mauvais traitements infligés aux animaux, les violences et tortures subies dans les prisons, et les condamnations à mort très fréquentes…
Et que donne sur le plateau, cet essai de revisitation de l’œuvre et du personnage de Jack London ? Il y a une scénographie encombrante avec, côté cour, la façade d’une maison avec terrasse en bois et portique à fronton triangulaire blancs (style colonial XVII ème), un rocking-chair, un gramophone et une caisse en bois avec quelques livres reliés en cuir… À jardin, un ancien bateau transformé en banquette et une roue de gouvernail. Dans le fond, des malles de voyage. Et une toile suspendue où est projetée une forêt de pins dont certains couverts de neige, alors qu’on évoque une chaleur caniculaire… Bon !
Amaury de Crayencour, grand et imposant, est un Jack London assez crédible mais Benoit Solès (Ed) et Anne Plantey (Charmian) ont bien du mal à imposer leur personnage. Et, comme la mise en scène de Tristan Petitgirard est aussi laborieuse et tristounette que le texte du même Benoît Solès, on s’ennuie très vite.
« On devra ressentir la chaleur de cette soirée, dans la lumière, le son… dit Tristan Petitgirard. L’atmosphère est explosive et l’étincelle va revivre sous toutes ses formes. L’écriture de Benoit Solès est une écriture de sensations, d’émotions. L’idée ne passe jamais devant le personnage et c’est tout ce que j’aime au théâtre.(…) Ce qui fait d’ailleurs profondément écho à l’écriture et aux thématiques de London.. »
Malheureusement, de toutes ces belles intentions, que nenni! Et on ne ressent que la chaleur de la récente canicule dans la salle. Et sur scène, il n’ y a rien d’efficace au plan théâtral: direction d’acteurs faiblarde, pauvreté du scénario et des dialogues, manque de rythme dans la mise en scène… Bref, quatre-vingt dix minutes interminables.
Alors que La Machine de Turing du même auteur et du même metteur en scène, était un spectacle bien réalisé avec un dialogue intelligent, pourquoi cette opération Jack London pour les nuls est-elle aussi mal construite? Que sauver du spectacle? Sans doute les animations sur toile de Matthias Delafu et les illustrations de Riff Rebb’s. Très réussies, elles apportent un peu d’air frais et, à la fin, le récit où Ed/Benoît Solès est émouvant quand il s’adresse au public.
Là, il se passe quelque chose à la fois dans le texte et le jeu: «Cette nuit-là, un terrible incendie ravagea entièrement la maison du loup. L’enquête conclura à la combustion spontanée d’un mouchoir imprégné d’huile de lin. Jack ne s’en remettra jamais. En 1915, la parution du Vagabond des étoiles, son dernier roman, conduit à une grande réforme du système pénitentiaire californien. L’usage de la camisole de force est abandonné et les directeurs de prisons se voient interdire de prononcer la peine capitale. Jack mourra un an plus tard, d’une surdose de morphine, sans que l’on puisse jamais déterminer si elle était accidentelle, ou pas. Il reste, à ce jour, l’écrivain américain le plus lu dans le monde… Charmian publiera plusieurs ouvrages sur les droits des prisonniers. On lui doit aussi l’invention de la jupe fendue, permettant aux femmes de monter à cheval à califourchon, et non plus en amazone.
Jusqu’à sa mort, elle habitera la Vallée de la lune et restera la promotrice infatigable de l’œuvre de son partenaire. Ils reposent désormais côte à côte, sous un bloc de granit, dans le petit enclos de bois, au cœur de la forêt.(…) »
Ah! Si tout était de la même veine! Pour le reste, le spectacle a quelque chose d’un vieux théâtre conventionnel et le public semblait très partagé! Pour nous, il ne mérite pas le déplacement, surtout à des places aussi chères; après le 24 septembre, elles sont de 54 à 30 € ! A vous de voir…
Philippe du Vignal
Théâtre Rive gauche, 6 rue de la Gaieté, Paris (XIV ème). T. : 01 43 35 32 31.