Le nouvel homme, texte de Peter Van den Eede, Natali Broods ,Willem de Wolf, par le collectif de Hoe
Le nouvel homme, texte de Peter Van den Eede, Natali Broods ,Willem de Wolf , par le collectif de Hoe
Sur le plateau , une série de tables de café nappées de blanc, avec des chaises Thonet en désordre. Au-dessus, une installation de sept châssis lumineux en oblique et un enchevêtrement de barres fluo blanc posée sur un vieux sommier. Comme une sculpture/installation assez banale, telle qu’on en voit dans les musées d’art contemporain occidentaux.
Côté cour, une grosse machine à café de bistrot. Devant et au milieu de la scène quelques potelets noirs avec sangle pour files d’attente semblables dans tous les aéroports.
Willem de Wolf, membre du noyau artistique de la compagnie, avait assisté à une reprise de L’Homme au crâne rasé, un spectacle créé il y a une vingtaine d’années par Natali Broods et Peter Van den Eede Profondément touché par cette histoire d’amour, il leur a proposé d’imaginer ensemble une suite si, vingt ans après, ils se retrouvaient par hasard…
« Pendant quelque temps, disent-ils, nous écrivons chacun de notre côté des scènes, des bribes, une matière autonome qui ne se conforme pas encore à la structure d’une pièce de théâtre. Ensuite nous nous réunissons pour lire nos scènes à voix haute et de ces échanges naissent tout naturellement de nouvelles idées et des dialogues, en réaction aux scènes précédentes. Petit à petit s’impose ainsi une structure. »
Ici, ils jouent une actrice et un écrivain qui ont vécu ensemble. Mais, en proie à un amour qui les dévorait, ils se sont séparés depuis quelque vingt ans et se retrouvent par hasard dans un hall de l’aéroport de Rome. Ils s’étaient rencontrés en faisant la queue pour entrer à la chapelle Sixtine. Peter avait été professeur d’histoire de l’art de Natali. Et ce n’est donc pas un hasard, si la pièce se passe en Italie et si elle vit à Rome.
Cela commence dans le noir et on les entend chuchoter. Et il y a très vite une sorte d’ambiguïté. Où est le vrai et la fiction, le vécu et le crédible, le fantasme et la vie réelle? Dans le fond, un homme en T-shirt blanc, le mari de Natali est seul assis sur une chaise; il attend en silence et assiste à leurs retrouvailles… Une rencontre due au hasard ? Pas si sûr comme si elle avait déjà été orchestrée. Natali sait qu’elle est observée par Nico qui doit venir la récupérer à l’aéroport et il sait qu’elle le sait…
Quant à Peter, il se demande s’il connait finalement bien son ancienne amoureuse et s’il est encore capable de l’aimer, depuis que Natali a viré à l’extrême-droite. Autant de questions qui resteront sans réponse.
Où est ici la vérité? Dans cette pièce, toutes les cartes semblent rebattues et l’espace-temps est bouleversé. Ce qui était, ou est encore crédible, n’est pas forcément vrai, et vice-versa.
En vingt ans, le monde a beaucoup changé et l’un comme l’autre, ne sont plus jeunes. Natali est une actrice célèbre qui s’est mariée et qui a quatre enfants. Elle dit à Peter que, même si le temps a passé, elle n’a cessé de penser à lui tous les jours! Crédible? Ensuite, elle nuance… Là encore où est la vérité? Peter, lui, avoue qu’il sait tout d’elle, grâce à son compte Facebook qu’il consulte régulièrement. Du moins, il le prétend.
Souvenirs, souvenirs… que le temps n’a cessé de grignoter. Mais c’est une évidence, ils restent fascinés l’un par l’autre et se parlent beaucoup. Même s’ils ont changé et s’ils ne veulent pas se l’avouer et si elle, de gauche à l’origine, flirte maintenant avec l’extrême droite… Alors que lui, est resté ancré à gauche. Et, après ces révélations, un certain malaise s’installe, comme si quelque chose s’était subitement cassé entre eux. Mais ils finiront par s’embrasser dans une danse magnifique…
A la toute fin, Nico et Peter, donc l’ex-partenaire et le mari de Natali se retrouveront face à face, chacun assis à une table, loin de l’autre. Adversaires politiques, ils essayent de se parler mais en vain, l’un parle italien, et l’autre pas…
C’est un spectacle remarquablement écrit, très bien mis en scène et interprété: Natali Broods, Peter Van den Eede et Nico Sturm ont une présence indéniable dès qu’ils sont sur le plateau. Et impossible de ne pas être accroché par les retrouvailles de ces anciens amoureux, nième variation sur le célèbre thème du trio boulevardier: femme-amant-mari mais où tout le monde peut se retrouver.
Les bémols: des micros H.F. portés en évidence mais inutiles, des longueurs dans ces dialogues d’une étonnante virtuosité verbale mais qui mériteraient d’être élagués, quelques ruptures de rythme et deux fausses fins.
Mais quelle intelligence et quelle sensibilité théâtrales! Un spectacle comme on aimerait en retrouver plus souvent dans une rentrée assez morose…
Philippe du Vignal
Jusqu’au 29 septembre, Théâtre de la Bastille, 76 rue de la Roquette, Paris (XI ème). T. : 01 43 57 42 14.