L’Antichambre de Jean-Claude Brisville, mise en scène de Tristan Le Doze
L’Antichambre de Jean-Claude Brisville, mise en scène de Tristan Le Doze
Jean-Claude Brisville (1922-2014) est un auteur surtout connu pour avoir écrit le scénario du film Beaumarchais, l’insolent et par Le Souper, une pièce où Joseph Fouché et Talleyrand en 1815 décident d’imposer un régime monarchique à la France envahie. Et Édouard Molinaro en tira un film en 92 avec ces grands acteurs qu’étaient Claude Brasseur (Fouché) et Claude Rich (Talleyrand).
Cet écrivain qui avait dirigé la fameuse collection du Livre de Poche, était un peu devenu le spécialiste de débats comme, entre autres, ceux avec Descartes et Blaise Pascal pour la raison et la foi, Talleyrand et Fouché pour le génie politique et l’arrivisme, Napoléon et Hudson Lowe pour le destin tragique et la petitesse. Et dans L’Antichambre, avec la marquise du Deffand et Julie de Lespinasse où renait l’éternelle querelle des Anciens et des Modernes en littérature, théâtre, danse, musique, arts plastiques…
Cela se passe donc à Paris en 1750. Marie du Deffand a cinquante ans (soit quelque soixante-dix actuellement) et tient un salon très réputé où se croisent aristocrates, écrivains et scientifiques comme Diderot, d’Alembert, Turgot… Mais sa vue baisse et si elle veut continuer à régner dans son salon, elle doit se trouver une lectrice…
Elle choisit sa nièce Julie de Lespinasse, une fille de son frère, mais « bâtarde », comme elle dit, à la condition qu’elle reste discrète et ne lui fasse pas d’ombre… Marie du Deffand, cyniquement, met vite les choses au point : «Et puis, ne me remerciez de rien : je ne fais jamais rien par bonté. » (..) Je vous ai demandé, Julie, de ne plus faire allusion à cette parenté, même entre nous. La réputation de ma famille est à ce prix. Vous devez oublier qui vous êtes. »
Julie, à l’inverse de sa tante très conservatrice, prendra le parti de Calas, ce protestant condamné à tort puis exécuté: «En acceptant légèrement ce que notre société fait endurer aux pauvres gens, nous nous retrouvons sa complice. Et dans cette complicité, c’est notre âme que nous perdons. »
Marie du Deffand lui clouera le bec de verte façon: «Bien… bien, mademoiselle. Vous aurez eu le dernier mot. Mais assez maintenant sur ce sujet qui ne serait pas de mise au salon. Nos amis ne sont pas venus pour passer la soirée dans le prêche et le prône. »
Et au président Hénault, elle crache son venin: «On dirait que vos fonctions vous tiennent lieu de dignité… » Son grand ami qui vit plus ou moins avec elle, lui obéit mais n’hésitera pas à se venger cruellement de ses rebuffades : il se laissera séduire par Julie et malgré la différence d’âge l’épousera. Belle revanche pour cette bâtarde mal traitée par sa tante!
Et cette nièce ambitieuse aura, elle aussi, commencé à tenir salon dans la très belle chambre que Marie du Deffand lui avait attribuée. Plus toute jeune, elle se retrouvera donc bien seule, après s’être fait évincer par sa nièce qu’elle croyait aussi dévouée que naïve. Et après avoir mis à la porte celui qu’elle pensait être son grand ami… Tout s’expie, le bien, comme le mal, se paie tôt ou tard. Le bien c’est beaucoup plus cher, forcément, disait Céline…
Ce scénario en vaut un autre mais ses dialogues ciselés sont un peu bavards jusqu’au moment où après quarante-cinq minutes au moins! la pièce commence vraiment…
Il va y avoir une dispute entre Marie du Deffand et Julie de Lespinasse. Puis l’auteur a imaginé une belle scène où celle-ci, en chantant et dansant, se libère de l’emprise de sa tante qui sentait venir les choses.. et qui jalouse, pense qu’on se rassemble autour d’elle un peu trop à son gré!
Mais Marie du Deffand a sous-estimé son adversaire et Julie a du répondant: «Je suis une bâtarde, en effet-la bâtarde de votre frère. À chaque instant depuis mon arrivée chez vous, vous ne cessâtes de me dire… jusque dans votre silence, que je n’étais née de personne, aux yeux des gens, et que ma place auprès de vous tenait à l’oubli de mon ascendance. »
Ce genre de remarque ne s’oublie pas et Julie de Lespinasse aura vite compris qu’elle pouvait se venger cruellement, d’abord en gardant pour elle une information que Turgot lui avait donnée. Marie du Deffand en sera mortifiée et, comme elle ne fait aucun cadeau, elle ne le recevra plus jamais dans son salon. Et enfin Julie va séduire sans aucun scrupule le président Hénault: «Eh! Bien, je vois que l’on s’amuse.» dit simplement sa tante, quand elle les surprend! Mais bien entendu, la rupture est proche et Jean-Claude Brisville sait écrire un dialogue, même si les répliques souvent faciles, sentent parfois un peu le boulevard : «On se gausse de vous dans tous les salons de Paris » dit-elle à Hénault à propos de son mariage avec une jeunesse. Il lui répond : «Sauf dans le vôtre, puisqu’il est vide. »
Avant leur rupture finale, elle aura un mot cruel: «Et un dernier conseil-le conseil d’une amie sincère : allez prendre les eaux à Forges. Elles vous purgeront de certaines humeurs malséantes à votre âge.» Et elle remettra une dernière couche: « Vous ne reviendrez plus chez moi ? Je m’en consolerai. Allez, monsieur, allez poursuivre où vous voudrez vos amours ancillaires. »
Les dialogues de la fin sont aussi fins et brillants, et on pense souvent au Misanthrope de Molière et surtout aux Liaisons dangereuses de Choderlos de Laclos dont Jean-Claude s’est visiblement inspiré. «Je sais, dit Julie, Nos liens sont tombés. Mon avenir se lève. Le vôtre, c’est la nuit, madame. » Ce à quoi, sa tante répond: «Je préfère le vivre seule, qu’avec une hypocrite, une fille de rien.
Mais Julie enfoncera le clou: »Vous entendrez parler de moi, madame, mais ce ne sera pas par vos amis : ils viennent avec moi. »Cinglante, Madame du Deffand voudra, question de sémantique, avoir le dernier mot: «Mais ils ne sont plus les miens, puisqu’ils sont devenus les vôtres. » Elle ne l’aura pas, ce dernier mot ! Et Julie attaquera avec une indicible cruauté: « Et vous n’avez que peu de temps pour vous en faire de nouveaux. » « Sa tante lui répond: «C’est maintenant que vous êtes vous-même : un serpent. Oui, maintenant je vous connais.» « Et moi, je ne vous connais plus. Adieu.» conclura Julie.
La vie qui vient aura eu raison de la vie qui s’en va. Toujours debout, Julie aura gagné et battu sans appel Marie du Deffand. Reste à mettre en scène ce langage virtuose. Là, les choses se gâtent sérieusement. On oubliera la toile pente de cet antichambre tristounet et sans aucun meuble que deux fauteuils et un tabouret de piano…
La mise en scène de Tristan Le Doze est très statique (les personnages restent souvent assis) et sa direction d’acteurs approximative: au sixième rang, on les entend bien par moments et, à d’autres, presque pas, tant ils chuchotent. Pas un problème de diction pour Céline Yvon et et Rémy Jouvin, mais pour Marguerite Mousset. Plus chanteuse qu’actrice, elle n’est en rien crédible dans ce personnage de jeune personne que l’on croit naïve. Sauf dans la scène où elle va provoquer sa tante en dansant et en chantant. Là enfin, il se passe quelque chose mais le long moment où elle séduit le président Hainault ne tient pas la route une seconde…
En ce dimanche de septembre, il n’y avait que dix-sept spectateurs et cela n’aidait sans doute pas les comédiens. Mais vous pouvez vous épargner de rester une heure vingt dans cette Antichambre...
Philippe du Vignal
Théâtre du Ranelagh, 5 rue des Vignes, Paris (XVI ème). T. : 01 42 88 64 44.