Une Maison de poupée, mise en scène d’Yngvild Aspeli et Paola Rizza au Festival de Charleville-Mézières

 

Festival mondial des Théâtres de marionnettes à Charleville-Mézières: vingt-deuxième édition

Une Maison de poupée, d’après Henrik Ibsen, mise en scène d’Yngvild Aspeli et Paola Rizza (en anglais surtitré)

A Doll's House_Stamsund (103 av 32) (c)- copie

© Johan Karlsson

Cette artiste norvégienne a créé en France ses premiers spectacles (voir Le Théâtre du Blog) en France. Elle était venue étudier l’art de la marionnette à Charleville. Mais, comme Maison de Poupée qui ouvre ce festival, Chambre noire (2017), Moby Dick (2020) et Dracula il y a trois ans, ont vu le jour au Figureteatret sur l’île de Vestvago. Elle est directrice artistique de ce récent mais haut lieu de l’art de la marionnette.
Ici, Nora (Yngvild Aspeli) évolue parmi des marionnettes à taille humaine en costume sombre, port et visage sinistre. Il y a là tous les personnages du drame, y compris les trois enfants de Nora et Thorwald, blottis près du sapin de Noël. Les pantins semblent là de toute éternité: on les dirait poussiéreux ! et ils attendent de prendre vie entre les mains expertes de leur créatrice.

«Tout a commencé par le bruit d’un oiseau qui est venu se cogner contre ma fenêtre. (…) « Boom ». (…) C’était comme si, ce moment où les os de l’oiseau s’étaient fracassés contre le verre, quelque chose en verre à l’intérieur de moi s’était cassé aussi. » La marionnettiste se fait narratrice et nous invite à prendre nos distances avec cette pièce créée en 1879 et nous révèle les mécanismes intimes de ce drame  bourgeois mais visionnaire pour l’époque. Avant de mettre la robe de Nora, elle en tire une minuscule réplique d’un oiseau bleu tapi dans sa main.

Cette jeune mariée, alouette aux ailes légères, tendre et insouciante, que son mari Thorvald Helmer appelle de jolis noms d’oiseau, va se cogner aux murs d’une prison invisible quand elle prendra conscience de la réalité du monde qui l’entoure. Puis les austères poupées s’animent en séquences dialoguées, tirées de la pièce. A la fois, comédienne et manipulatrice, Yngvild Aspeli Ysgvilt prête sa voix à tous les personnages qu’elle anime, dont Nora qui virevolte, insouciante dans la maison. De temps à autre, ses enfants, visage poupin et corps de chiffon, sont pendus, muets à ses vêtements…
Nora a une dette qu’elle ne peut rembourser et qu’elle avait contractée en secret pour emmener son mari se soigner guérir en Italie. Plus grave, elle avait contrefait la signature de son père. Quand elle lui avoue sa faute, Thorvald la rejette comme une criminelle: «J’aurais travaillé avec joie nuit et jour pour toi, Nora… J’aurais tout supporté, privations et soucis, pour l’amour de toi. Mais il n’existe personne qui sacrifie son honneur pour l’être qu’il aime. » «Des centaines de milliers de femmes l’ont fait, lui répond Nora. »

Sur ces quelques mots, les illusions quant à son mariage vont tomber et son entourage lui apparait sous un jour nouveau et Nora va vite perdre le contact avec la réalité. La narratrice se dédouble alors en une marionnette qu’elle applique bras et jambes sur son corps. Puis Nora va danser avec elle une tarentelle, pour distraire et séduire son mari. De tarentelle, à tarentule, il n‘y a qu’un pas : une araignée tisse sa toile autour de l’intérieur bourgeois dont les murs au joli papier peint, se transforment en une sinistre toile d’araignée. Déjà plusieurs fois apparue ici, l’insecte change progressivement de taille et devient un monstre qui avale Nora après un corps-à-corps mémorable entre l’actrice, sa marionnette et les pattes velues de l’araignée.
A l’effigie du pantin Thorvald, Viktor Lukawski, apparaît: lui et sa marionnette tiennent un dialogue croisé avec l’actrice et sa poupée Nora
. Un tissage virtuose entre interprètes vivants et doubles factices… Puis, dans cette confusion, tout un bestiaire envahit le plateau: ailes, becs, plumes, pattes, bouches et corps d’araignée. Guro Skumsnes Moe s’est inspirée pour écrire sa musique, du rythme frénétique de la tarentelle, comme la chorégraphe Cécile Laloy,  une musique qui va monter en puissance. Nora avait appris cette danse lors du voyage en Italie…

Le travail visuel et sonore, les marionnettes conçues par Yngvild Aspeli, Sébastien Puech, Carole Allemand, Pascale Blaison et Delphine Cerf, la scénographie de François Gauthier-Lafaye, les costumes de Benjamin Moreau et les éclairages de Vincent Loubière sont à la hauteur des ambitions de la créatrice: mettre en images et en perspective le  drame intime de Nora. Une Maison de poupée, écrite par un homme, pose la question du genre dans un monde dominé par le masculin.
Sans se laisser dévorer par son personnage, Yngvild Aspeli  fait ici preuve d’une absolue maîtrise de son esthétique et  des immenses ressources de la marionnette. A ne pas manquer.

Mireille Davidovici

Ce spectacle a été joué les 16 et 17 septembre au festival mondial des théâtres de marionnettes, place de l’église Saint-Rémi, Charleville-Mézières (Ardennes). T. : 03 24 59 94 94.

En Norvège, du 15 au 17 décembre, Nordland Teater, Moi Rana (Norvège). 

Les 27 et 28 janvier, Notteroy Kulturhus, Tonsberg.

Du 8 au 11 février, Teater Innlandet, Hamar.

Les 6 et 7 juin, festival Heddadagene, Oslo.

Et du 12 au 20 mars, Théâtre-Centre Dramatique National de Dijon (Côte-d’Or). Les 23 et 24 mars,  Les Gémeaux-Scène Nationale de Sceaux (Hauts-de-Seine). Les 28 et 29 mars, Le Bateau-Feu, Dunkerque (Nord).

 

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