Proches, texte et mise en scène de Laurent Mauvignier
Proches, texte et mise en scène de Laurent Mauvignier
Ce romancier a aussi écrit des pièces comme, entre autres, Ce que j’appelle oubli (2011) et l’année suivante, Tout mon amour puis Une légère blessure (voir Le Théâtre du Blog). Ici, dans une maison ou plutôt une apparence de maison-remarquable scénographie d’Emmanuel Clolus-un meuble avec évier inox côté cour, un canapé dans le fond et à jardin, une grande table avec des chaises… Le tout aussi uniformément gris. Seul un bouquet de fleurs posé sur le meuble de la cuisine apporte une note de couleur… Les costumes sont tout aussi gris, noirs ou blancs, sauf le pantalon de Yoann, d’un rouge éclatant.
Il y a ici une famille au grand complet: le père (Gilles David) la mère (Nora Krief), leurs filles avec leurs compagnons, tiennent, sagement tous rangés face public, une banderole: «Bienvenue Yoann», pour fêter le retour de ce fils, libéré après quatre ans de taule.
Comme chez Jean-Luc Lagarce dans Juste la fin du monde ou dans Tout mon amour (2022) de Laurent Mauvignier, il y a ici ce même thème du retour dans la maison familiale.
Cela fait penser à Théorème de Pasolini et aux nombreuses pièces où un étranger arrive et renverse l’ordre établi. Un thème récurrent dans les tragédies ou les comédies classiques et contemporaines. Déjà chez Eschyle avec Le Messager dans Les Perses puis Oreste dans Les Choéphores et Tartuffe, il y a quatre siècles, là aussi sur fond d’homosexualité… A noter qu’il s’agit toujours d’un homme et très rarement d’une femme, sauf dans Un Tramway nommé désir de Tennessee Williams, quand Blanche vient s’installer chez sa sœur.
Sur le devant de la scène, un jeune homme qu’on suppose être Yoann, joue sans rien dire avec une balle de tennis qu’il fait rebondir. De temps à autre mais sans raison apparente, il poussera le décor et ses éléments. Les autres ne le voient pas et lui ne voit pas les autres, comme s’il y avait ici deux mondes étanches dans cette famille à la fois soudée mais qui va se fracasser petit à petit.
Soi-disant invité par la sœur de Yoan, arrive Clément, un ancien amant de son frère, assez insolite et inquiétant, très bien joué ici par Maxime Le Gac-Olanié. Celui que l’on n’attendait pas, est chaleureusement accueilli par le Père et la Mère, mais moins par les autres. Puis le public voit Yoann et Clément debout sur la table s’embrassant dans l’indifférence générale des autres qui continuent à parler. Passé? Présent? Yoann et Clément sont-ils vraiment là, ou est-ce un fantasme? On ne le saura jamais…
Les conversations autour d’une flûte de champagne sont des plus banales, comme s’il fallait surtout ne pas faire de vagues dans une famille aussi liée et aussi oppressante : «Tellement proches. On est si proches-tellement rapprochés qu’on peut plus respirer- j’étouffe-on étouffe à force d’être si proches.» On pense à La Tache, un des bons romans de Philip Roth.
Et bien sûr, il y aura des règlements de compte, notamment entre Clément et le mari d’une sœur de Yoann sur fond d’homophobie clairement affichée… La tension monte nettement devant les parents meurtris mais impuissants et qui se sentent coupables… Symboliquement sans doute, Clément jettera un vase de fleurs par terre…
C’est un texte écrit- et là, Laurent Mauvignier sait faire- avec une grande précision mais trop souvent bavard et qui aurait mérité plusieurs coupes. Comme il nous l’a dit, il venait de finir une version en court-métrage de Proches et avait en commencé une autre pour le théâtre. Avec plusieurs acteurs, il a relu le texte pendant une semaine. Mais le confinement est arrivé et il a récrit la pièce pendant un an et a finalement monté cette nouvelle version.
Laurent Mauvignier a bien choisi ses acteurs. Expérimentés comme Gilles David ( le Père) et Nora Krief (la Mère). Magnifiques de présence, avec une diction parfaite et un jeu à l’humour discret mais intense. Charlotte Farcet (Malou) et (Lucie Digout (Vanessa) font le boulot mais sont moins convaincantes dans ces rôles de sœurs jalouses et mal dans leur peau…
Cyril Anrep et Armand Guillot (les gendres Quentin et Arthur, pièces rapportées pas très à l’aise dans cette drôle de famille) sont très justes.Et Pascal Cervo (Clément, ancien amant de Yoann) est aussi crédible, quand il est agressé à cause de sa soi-disant gueule de prof, et qu’il garde son calme. Dans cette affrontement généralisé, reste l’espoir: à la toute fin, le Grand-père dit qu’il voudrait voir son petit-fils…
C’est la première mise en scène de cet auteur et là, les choses sont moins évidentes… Laurent Mauvignier semble souvent hésiter entre situations réalistes et univers fantomatique avec retours en arrière… Yoann est-il vraiment là? Pourquoi sort-il brusquement de la maison? Pourquoi pousse-t-il sans raison apparente, le grand châssis du décor ou le bloc -cuisine et le canapé de la maison? Cette absence- présence aurait mieux convenu à une œuvre filmique comme celle dont si nous avons bien compris, cette pièce est issue. Maxime Le Gac-Olanié (Yoann) se sort plutôt bien de ce rôle pas facile d’ange à la fois là et pas là, séduisant et inquiétant mais dont la présence réelle, finalement ne s’imposait pas vraiment. Et cette réalisation, par ailleurs précise, a souvent un côté statique, surtout quand Laurent Mauvignier fige ses acteurs dans une pose bien conventionnelle…
Malgré ces défauts, cette pièce avec ses personnages qui deviennent de plus en plus attachants, surtout le Père et la Mère, fracassés par cette karchérisation de leur famille, est l’une des plus intéressantes de cette rentrée…
Philippe du Vignal
Jusqu’au 8 octobre, Théâtre de la Colline, 15 rue Malte-Brun, Paris (XXème). T. : 01 44 62 52 52.
Les 12 et 13 octobre, Théâtre du Bois de l’aune, Aix-en-Provence (Bouches-du-Rhône). Le 19 octobre, Le Trident-Scène Nationale de Cherbourg (Manche).
Et en tournée, la saison prochaine.
Le texte de la pièce est publié aux éditions de Minuit.