L’Ile des Esclaves de Marivaux, adaptation de Michael Stampe, texte additionnels de Valérie Alane, mise en scène de Christophe Lidon

L’Ile des Esclaves de Marivaux, adaptation de Michael Stampe, texte additionnels de Valérie Alane, mise en scène de Christophe Lidon

Ecrite puis créée en 1725, il y a donc trois siècles, à l’Hôtel de Bourgogne à Paris, par les comédiens italiens du Roi. Dans une Grèce imaginaire, Iphicrate et son esclave Arlequin ont fait naufrage sur une île. Ils sont seuls, et leurs compagnons, sans doute morts.
Iphicrate veut aller à leur recherche mais Arlequin sait que cette île est un endroit où les esclaves deviennent maîtres, et les maîtres, des esclaves. Il décide alors de ne plus être subir la soumission à Iphicrate.
Un certain Trivelin, ancien esclave devenu gouverneur de l’île arrive et voit Iphicrate une épée à la main. Pour le punir de son attitude envers Arlequin, il donne cette épée à ce dernier et exige un changement d’identité: Iphicrate sera Arlequin et Arlequin sera Iphicrate, selon la loi de cette île. Quand un maître y arrive avec son esclave, le maître devient son esclave, et inversement. Ainsi on espère qu’il pourra revenir sur ses erreurs. But de l’opération: corriger l’orgueil et l’intransigeance des maîtres, plutôt que de se venger.

Arlequin et Iphicrate rencontrent alors Cléanthis, une esclave et Euphrosine sa maîtresse qui sont curieusement dans la même situation. Cléanthis fait le portrait d’Euphrosine et réussit à lui faire avouer que ce portrait est ressemblant. Arlequin fait la même chose à propos d’Iphicrate et il proposea alors à Cléanthis de tomber amoureuse d’Iphicrate et lui, séduira Euphrosine. Cléanthis dit à Euphrosine du bien d’Arlequin mais il n’arrive pas à la séduire…

Arlequin ordonne alors à Iphicrate d’aimer Cléanthis, nouvelle Euphrosine. Iphicrate essaye de le culpabiliser mais sans succès… Arlequin pardonnera à son maître, renoncera à son nouveau statut et reprendra sa livrée d’esclave. «Je ne te ressemble pas, moi, je n’aurais point le courage d’être heureux à tes dépens.» Iphicrate dit alors à Arlequin, qu’il a bien compris l’humilante leçon qui lui a été infligée et lui demande même d’oublier qu’il a été son esclave.

Un esclave  étonnamment lucide : «Nous sommes aussi bouffons que nos patrons, mais nous sommes plus sages.». Il invite Cléanthis à avancer et à pardonner Euphrosine mails elle reste froide. Cléanthis, elle, ne décolère pas: les riches ne valent pas plus que les autres et sont incapables de pardon, puisqu’ils n’ont aucune vertu…Euphrosine avouera qu’elle a abusé de son autorité sur Cléanthis qui lui rendra sa liberté. Euphrosine l’embrasse et veut qu’elle partage sa richesse.

Trivelin trouvera Cléanthis et Arlequin, libres et non plus esclaves mais agenouillés devant leurs anciens maîtres. Ce que Trivelin attendait et il conclut qu’Euphrosine et Iphicrate ont enfin vu qu’ils n’étaient pas de bons maîtres.Cléanthis et Arlequin choisissent, eux, d’oublier et de ne pas se venger… Pour Trivelin, « la différence des conditions n’est qu’une épreuve que les Dieux font sur nous». Et il dit aux quatre Athéniens qu’un bateau va bientôt les reconduire chez eux…

©x

©x

Moralité : après dix scènes de comédie avec confusion de sentiments à la clé, Marivaux nous fait assister à la reprise du pouvoir par les maîtres et à retour d’un statut quo même très amélioré pour Cléanthis et Arlequin. Trivelin, gouverneur de cette nouvelle République et représentant de la Loi, a pu enfin raisonner ces maîtres.
Mais la fable est grinçante, comme le plus souvent chez Marivaux: les maîtres resteront puissants et les prolétaires, soumis… Quoi de neuf en France, trois siècles et quelques révolutions après la création de cette pièce insolite dans le paysage théâtral mais qui, comme les autres pièces de Marivaux influencera nombre de dramaturges, comme entre autres Beaumarchais? Et actuellement, 1 % des hommes les mieux rémunérés gagnent au minimum 9. 600 euros net mensuels, soit sept mois de salaire des 10 % les moins bien payés ! Et pour les femmes les mieuxrémunérées (1 %), il y a un écart de 3. 050 euros avec les hommes !

Bon, revenons à cette Ile des Esclaves habituellement jouée avec La Colonie, une autre courte pièce, très caustique, de Marivaux qu’il écrivit en 1729 mais sans succès et qu’il reprit vingt-et-un ans après. Cela se passe aussi dans une île où où les femmes ont l’idée de prendre le pouvoir et créer  leur propre comité constitutionnel….
Ici, Christophe Lidon a choisi de monter seulement
L’Ile des Esclaves mais a demandé à Michael Stampe de l’adapter et à Valérie Alane qui joue aussi dans la pièce, de faire des ajouts pour arriver au texte. Les cinquante-cinq minutes originelles, arrivent ainsi à quatre-vingt.
Mais l’affaire est mal engagée, avec d’abord une scène bien conventionnelle où cinq acteurs, en fond de scène sont devant leur miroir et, avant d’entrer en scène, discutent dans la pénombre: rémunération non versée, contrats, etc.. Cela sonne aussi faux que les incursions de leur metteur en scène dans la salle, un livre à la main…Le théâtre dans le théâtre, un thème éculé, déjà utilisé par les auteurs élisabéthains dont Shakespeare et ici  encore repris à la fin, quand les comédiens, assis sur un banc, veulent soi-disant parler de la représentation avec le public. Tous aux abris…
Puis, d’un plafond suspendu, coule un beau rideau plissé représentant un bord de mer, lieu de l’action. Mais très prégnant, il étouffe le jeu des acteurs.

Et la mise en scène de la pièce elle-même est décevante. Thomas Cousseau, Armand Eloi, Morgane Lombard et Vincent Lorimy ont tous une excellente diction et font le boulot. Mais rien à faire, l’ensemble n’arrive pas à décoller et reste bien terne. La faute à quoi? D’abord à un manque de rythme évident, à des micros H.F., indispensables dans cette grande salle selon Christophe Lidon, mais qui uniformisent les voix.
Et il aurait pu nous épargner ces trucs usés de vieux théâtre: fumigènes à gogo par trois fois sans aucune raison, jeu des acteurs parmi le public, nuages en vidéo… Et pourquoi ces citations de Swift (pour faire chic et cultivé?) ou de Gilles Deleuze (pour faire aussi chic et cultivé mais plus en actuel?) Quant aux costumes annoncés comme « d’époque », ce qui est évidemment faux, ils sont laids et tristounets…
Cela fait quand même trop d’erreurs et d’approximations. Le public, comme à Paris, était d’un âge certain (aucun jeune dans cette salle comble) et venu d’Orléans ou de la région (Olivet, Fleury-les-Aubray, Saint-Jean de Baye, Gien…) grâce à un système bien rodé de cars mis en place par le Cado. Et avec des séries de dix représentations, ce qui est exceptionnel en France. Mais ce public qui semblait s’ennuyer par moments, a beaucoup applaudi les acteurs.
Reste, même si la dramaturgie a été bousculée par cette adaptation et par les ajouts de Valérie Alane, le plaisir d’entendre ces dialogues de Marivaux qui restent exemplaires… et qui auraient mérité un traitement aussi exemplaire. Dommage, mais là, le compte n’y est pas.
Allez, pour se consoler, une belle réplique d’Arlequin à Iphicrate devenu Arlequin: «Gai camarade! Le vin de la République est merveilleux, j’en ai bu bravement ma pinte, car je suis si altéré depuis que je suis maître, que tantôt, j’aurai encore soif pour une pinte. Que le ciel conserve la vigne, le vigneron, la vendange et les caves de notre admirable République.»

Philippe du Vignal

Jusqu’au 1 er octobre, Le Cado, Théâtre d’Orléans, boulevard Pierre Ségelle(Loiret). T. : 02 38 54 29 29.

 

DAROU L ISLAM |
ENSEMBLE ET DROIT |
Faut-il considérer internet... |
Unblog.fr | Annuaire | Signaler un abus | Le blogue a Voliere
| Cévennes : Chantiers 2013
| Centenaire de l'Ecole Privé...