Les Zébrures d’automne aux Francophonies de Limoges (suite) Léa et la théorie des systèmes complexes d’Ian De Toffoli, mise en scène de Renelde Pierlot

Les Zébrures d’automne aux Francophonies de Limoges (suite)

8-Lea-c-2023

© CHRISTOPHE PEAN-

Léa et la théorie des systèmes complexes d’Ian De Toffoli, mise en scène de Renelde Pierlot

Pour la première fois, en coproduction avec les Théâtres de la Ville du Luxembourg, les Francophonies-des écritures à la scène reçoivent des artistes de ce pays.  Nous avions entendu avec grand intérêt une lecture du début de cette pièce aux Zébrures de printemps et Ian De Toffoli a ensuite bénéficié d’une résidence à la Maison des auteurs de Limoges pour la finaliser. C’est une vaste saga où une gamine  curieuse veut connaitre  le pourquoi et le comment du changement climatique. Sur cent cinquante pages de manuscrit, réduites ici pour arriver à trois heures trente de spectacle, deux trames narratives alternent: la généalogie d’un grand groupe pétrolier et la trajectoire d’un militante écologiste qui se radicalise: «I’m sorry, my friends/This is an emergency. » (Désolée, les amis/ Il y a urgence.), chante Léa.

Sur le plateau, un enchevêtrement tentaculaire de tuyaux délimite les espaces de jeu où s’entrelacent deux récits pris en charge par Léna Dalem Ikeda, Jil Devresse, Nancy Nkusi, Luc Schilt, Pitt Simon, Chris Thys. Les acteurs de ce chœur dynamique passent rapidement avec quelques éléments de costume, d’un rôle à l’autre., d’un monde à l’autre Et les séquences dialoguées sont introduites par des narrateurs ou narratrices se relayant.

L’épopée de la famille Koch – à la manière d’un feuilleton qu’on pourrait sous-titrer à la manière de Dallas « ton univers impitoyable ! »-  s’étend sur cent trente ans. Depuis le jour où, en 1881, le jeune migrant Hotze (devenu Harry) Koch, vingt-trois ans, débarque du train « sur le sol sec de la colonie de Quanah,/dans l’État du Texas. » Embauché comme échotier, il va finir par devenir propriétaire du journal du coin, puis achète des actions de chemin de fer et les premiers puits de pétrole.
«Le chemin de fer, c’est le nouveau boom! /Tant de forêts de chênes abattues /Pour créer les poutres de bois/qui forment les traverses, /Tant de tonnes de fer fondu/tordu/moulu/Pour devenir ces rangées parallèles/ Qui s’étendent comme une gigantesque toile d’araignée. »

 De père en fils, l’empire Koch sur trois générations achète exploitations pétrolières, brevets de cracking de brut par rupture homolytique, raffineries, usines de plastique et d’engrais chimiques (division fertilisants de Farmland Industries, Invista, filiale de DuPont, active dans les domaines fibres et résine, avec des marques comme Lycra ou Thermolite… ) La liste est longue et détaillée !

Ian De Toffoli, très documenté, nous distille en épisodes mode western, cette conquête industrielle. Des guerres fratricides viennent épicer la vertigineuse ascension du groupe. En 2018, la famille Koch, propriétaire de l’entreprise, s’est enrichie de vingt-six milliards de dollars pour atteindre cent-vingt cinq milliards de fortune cumulée !

Parallèlement, la pièce raconte l’histoire de Léa qui fait partie de cette génération d’enfants éco-anxieux: « Solastalgie, voilà le nom qu’un philosophe australien/donne dans ces années-là à la détresse psychique /provoquée par la dégradation environnementale. (….) « 

La jeune Léa s’imagine « un monde dépeuplé, /mais jonché de pièces de Lego, /de chaises blanches Monobloc, /de seaux de plage de chez Décathlon/et de sacs jetables de supermarché…. »
Elle mène l’enquête en remontant aux racines du mal: l’exploitation des énergies fossiles. De fil en aiguille, elle va faire le parallèle entre la prédation des ressources terrestres au détriment de la vie animale végétale et humaine, et la naissance du capitalisme moderne, le colonialisme, le sexisme…

Le double récit choral est entrecoupé de scènes imagées, beaucoup plus lisibles dans la partie Koch Industries, traitée sur le mode burlesque. La metteuse en scène a trouvé des codes de jeu qui échappent au didactisme, avec des moments de comédie musicale chantés et dansés. Le volet Léa, plus informatif et moins fantaisiste, peine, lui, à trouver sa forme et à s’articuler avec l’autre narration.

Renelde Pierlot a en effet placé le début de la pièce à la fin du spectacle  «Le 25 octobre 2025, /une explosion secoue le deuxième étage d’un immeuble gris et trapu,/situé entre d’autres immeubles de mêmes dimension et aspect/dans le quartier de Gasperich/,dans la ville de Luxembourg. » (…) L’explosion finira également/ selon son intention originelle/par réduire en poussière et en cendres/ les bureaux luxembourgeois /de Koch Business Solutions Europe Sarl. » De cet incipit découle un double flashback, raconté du point de vue de Léa. « J’avais envie d’écrire une épopée, dit l’auteur, un chant en vers libres. C’est le récit de Léa. Ces personnages narrateurs permettent de présenter une matière aride. Je trouve fascinant de bombarder avec des infos, jusqu’au vertige. »

Écrivain, dramaturge et universitaire, Ian de Toffoli aborde des thématiques sociétales et politiques, brouillant les frontières entre récit, documentaire et drame. Cette pièce, comme les précédentes: Rumpelstilzchen (2018) et AppHuman (2021), est une commande des Théâtres de la Ville de Luxembourg. Léa ou la Théorie des systèmes complexes pose la question de la militance et du prétendu « éco-terrorisme » (sic !) face à la violence d’un État qui, entre autres, a réprimé la manifestation contre les méga-bassines de Sainte-Soline. Des étudiants activistes présents aux Zébrures d’automne saluent l’engagement de Léa et les informations que la pièce apporte: «Léa montre que les enjeux politiques sont vertigineux. La pièce aborde la question de l’intersectionnalité des luttes. L’urgence est d’agir.»

Grâce au traitement choral de la pièce, Léa, c’est aussi un peu nous tous.

 Mireille Davidovici

 Spectacle vu le 23 septembre, Les Francophonies- des écritures à la scène : 11 avenue du Général de Gaulle, Limoges (Haute-Vienne). T. : 05 55 10 90 10. Les Zébrures d’automne se poursuivent jusqu’au 30 septembre. 

 Du 10 au 22 octobre, Théâtre des Capucins, Luxembourg.

 

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