Proches, texte et mise en scène de Laurent Mauvignier

Proches, texte et mise en scène de Laurent Mauvignier

Ce romancier a aussi écrit des pièces comme, entre autres, Ce que j’appelle oubli (2011) et l’année suivante, Tout mon amour puis Une légère blessure (voir Le Théâtre du Blog). Ici, dans une maison ou plutôt une apparence de maison-remarquable scénographie d’Emmanuel Clolus-un meuble avec évier inox côté cour, un canapé dans le fond et à jardin, une grande table avec des chaises… Le tout aussi uniformément gris. Seul un bouquet de fleurs posé sur le meuble de la cuisine apporte une note de couleur… Les costumes sont tout aussi gris, noirs ou blancs, sauf le pantalon de Yoann, d’un rouge éclatant.
Il y a ici une famille au grand complet: le père (Gilles David) la mère (Nora Krief), leurs filles  avec leurs compagnons, tiennent, sagement tous rangés face public, une banderole: «Bienvenue Yoann», pour fêter le retour de ce fils, libéré après quatre ans de taule.

Comme chez Jean-Luc Lagarce dans Juste la fin du monde ou dans Tout mon amour (2022) de Laurent Mauvignier, il y a ici ce même thème du retour dans la maison familiale.
Cela fait penser à Théorème de Pasolini et aux nombreuses pièces où un étranger arrive et renverse l’ordre établi. Un thème récurrent dans les tragédies ou les comédies classiques et contemporaines. Déjà chez Eschyle avec Le Messager dans Les Perses puis Oreste dans Les Choéphores et Tartuffe, il y a quatre siècles, là aussi sur fond d’homosexualité… A noter qu’il s’agit toujours d’un homme et très rarement d’une femme, sauf dans Un Tramway nommé désir de Tennessee Williams, quand Blanche vient s’installer chez sa sœur.

Sur le devant de la scène, un jeune homme qu’on suppose être Yoann, joue sans rien dire avec une balle de tennis qu’il fait rebondir. De temps à autre mais sans raison apparente, il poussera le décor et ses éléments. Les autres ne le voient pas et lui ne voit pas les autres, comme s’il y avait ici deux mondes étanches dans cette famille à la fois soudée mais qui va se fracasser petit à petit.

Soi-disant invité par la sœur de Yoan, arrive Clément, un ancien amant de son frère, assez insolite et inquiétant, très bien joué ici par Maxime Le Gac-Olanié. Celui que l’on n’attendait pas, est chaleureusement accueilli par le Père et la Mère, mais moins par les autres. Puis le public voit Yoann et Clément debout sur la table s’embrassant dans l’indifférence générale des autres qui continuent à parler. Passé? Présent? Yoann et Clément sont-ils vraiment là, ou est-ce un fantasme? On ne le saura jamais…

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Les conversations autour d’une flûte de champagne sont des plus banales, comme s’il fallait surtout ne pas faire de vagues dans une famille aussi liée et aussi oppressante : «Tellement proches. On est si proches-tellement rapprochés qu’on peut plus respirer- j’étouffe-on étouffe à force d’être si proches.» On pense à La Tache, un des bons romans de Philip Roth.
Et bien sûr,  il y aura des règlements de compte, notamment entre Clément et le mari d’une sœur de Yoann sur fond d’homophobie clairement affichée… La tension monte nettement devant les parents meurtris mais impuissants et qui se sentent coupables… Symboliquement sans doute, Clément jettera un vase de fleurs par terre…

C’est un texte écrit- et là, Laurent Mauvignier sait faire- avec une grande précision mais trop souvent bavard et qui aurait mérité plusieurs coupes. Comme il nous l’a dit, il venait de finir une version en court-métrage de Proches et avait en commencé une autre pour le théâtre. Avec plusieurs acteurs, il a relu le texte pendant une semaine. Mais le confinement est arrivé et il a récrit la pièce pendant un an et a finalement monté cette nouvelle version.
Laurent Mauvignier a bien choisi ses acteurs. Expérimentés comme Gilles David ( le Père) et Nora Krief (la Mère). Magnifiques de présence, avec une diction parfaite et un jeu à l’humour discret mais intense. Charlotte Farcet (Malou) et (Lucie Digout (Vanessa) font le boulot mais sont moins convaincantes dans ces rôles de sœurs jalouses et mal dans leur peau…
Cyril Anrep et Armand Guillot (les gendres Quentin et Arthur, pièces rapportées pas très à l’aise dans cette drôle de famille) sont très justes.Et Pascal Cervo (Clément, ancien amant de Yoann) est aussi crédible, quand il est agressé à cause de sa soi-disant gueule de prof, et qu’il garde son calme. Dans cette affrontement généralisé, reste l’espoir: à la toute fin, le Grand-père dit qu’il voudrait voir son petit-fils…

C’est la première mise en scène de cet auteur et là, les choses sont moins évidentes… Laurent Mauvignier semble souvent hésiter entre situations réalistes et univers fantomatique avec retours en arrière… Yoann est-il vraiment là? Pourquoi sort-il brusquement de la maison? Pourquoi pousse-t-il sans raison apparente, le grand châssis du décor ou le bloc -cuisine et le canapé de la maison? Cette absence- présence aurait mieux convenu à une œuvre filmique comme celle dont si nous avons bien compris, cette pièce est issue. Maxime Le Gac-Olanié (Yoann) se sort plutôt bien de ce rôle pas facile d’ange à la fois là et pas là, séduisant et inquiétant mais dont la présence réelle, finalement ne s’imposait pas vraiment. Et cette réalisation, par ailleurs précise, a souvent un côté statique, surtout quand Laurent Mauvignier fige ses acteurs dans une pose bien conventionnelle…

Malgré ces défauts, cette pièce avec ses personnages qui deviennent de plus en plus attachants, surtout le Père et la Mère, fracassés par cette karchérisation de leur famille, est l’une des plus intéressantes de cette rentrée…

Philippe du Vignal

Jusqu’au 8 octobre, Théâtre de la Colline, 15 rue Malte-Brun, Paris (XXème). T. : 01 44 62 52 52.

Les 12 et 13 octobre, Théâtre du Bois de l’aune, Aix-en-Provence (Bouches-du-Rhône). Le 19 octobre, Le Trident-Scène Nationale de Cherbourg (Manche).

Et en tournée, la saison prochaine.

Le texte de la pièce est publié aux éditions de Minuit.


Archive pour septembre, 2023

Une Maison de poupée, mise en scène d’Yngvild Aspeli et Paola Rizza au Festival de Charleville-Mézières

 

Festival mondial des Théâtres de marionnettes à Charleville-Mézières: vingt-deuxième édition

Une Maison de poupée, d’après Henrik Ibsen, mise en scène d’Yngvild Aspeli et Paola Rizza (en anglais surtitré)

A Doll's House_Stamsund (103 av 32) (c)- copie

© Johan Karlsson

Cette artiste norvégienne a créé en France ses premiers spectacles (voir Le Théâtre du Blog) en France. Elle était venue étudier l’art de la marionnette à Charleville. Mais, comme Maison de Poupée qui ouvre ce festival, Chambre noire (2017), Moby Dick (2020) et Dracula il y a trois ans, ont vu le jour au Figureteatret sur l’île de Vestvago. Elle est directrice artistique de ce récent mais haut lieu de l’art de la marionnette.
Ici, Nora (Yngvild Aspeli) évolue parmi des marionnettes à taille humaine en costume sombre, port et visage sinistre. Il y a là tous les personnages du drame, y compris les trois enfants de Nora et Thorwald, blottis près du sapin de Noël. Les pantins semblent là de toute éternité: on les dirait poussiéreux ! et ils attendent de prendre vie entre les mains expertes de leur créatrice.

«Tout a commencé par le bruit d’un oiseau qui est venu se cogner contre ma fenêtre. (…) « Boom ». (…) C’était comme si, ce moment où les os de l’oiseau s’étaient fracassés contre le verre, quelque chose en verre à l’intérieur de moi s’était cassé aussi. » La marionnettiste se fait narratrice et nous invite à prendre nos distances avec cette pièce créée en 1879 et nous révèle les mécanismes intimes de ce drame  bourgeois mais visionnaire pour l’époque. Avant de mettre la robe de Nora, elle en tire une minuscule réplique d’un oiseau bleu tapi dans sa main.

Cette jeune mariée, alouette aux ailes légères, tendre et insouciante, que son mari Thorvald Helmer appelle de jolis noms d’oiseau, va se cogner aux murs d’une prison invisible quand elle prendra conscience de la réalité du monde qui l’entoure. Puis les austères poupées s’animent en séquences dialoguées, tirées de la pièce. A la fois, comédienne et manipulatrice, Yngvild Aspeli Ysgvilt prête sa voix à tous les personnages qu’elle anime, dont Nora qui virevolte, insouciante dans la maison. De temps à autre, ses enfants, visage poupin et corps de chiffon, sont pendus, muets à ses vêtements…
Nora a une dette qu’elle ne peut rembourser et qu’elle avait contractée en secret pour emmener son mari se soigner guérir en Italie. Plus grave, elle avait contrefait la signature de son père. Quand elle lui avoue sa faute, Thorvald la rejette comme une criminelle: «J’aurais travaillé avec joie nuit et jour pour toi, Nora… J’aurais tout supporté, privations et soucis, pour l’amour de toi. Mais il n’existe personne qui sacrifie son honneur pour l’être qu’il aime. » «Des centaines de milliers de femmes l’ont fait, lui répond Nora. »

Sur ces quelques mots, les illusions quant à son mariage vont tomber et son entourage lui apparait sous un jour nouveau et Nora va vite perdre le contact avec la réalité. La narratrice se dédouble alors en une marionnette qu’elle applique bras et jambes sur son corps. Puis Nora va danser avec elle une tarentelle, pour distraire et séduire son mari. De tarentelle, à tarentule, il n‘y a qu’un pas : une araignée tisse sa toile autour de l’intérieur bourgeois dont les murs au joli papier peint, se transforment en une sinistre toile d’araignée. Déjà plusieurs fois apparue ici, l’insecte change progressivement de taille et devient un monstre qui avale Nora après un corps-à-corps mémorable entre l’actrice, sa marionnette et les pattes velues de l’araignée.
A l’effigie du pantin Thorvald, Viktor Lukawski, apparaît: lui et sa marionnette tiennent un dialogue croisé avec l’actrice et sa poupée Nora
. Un tissage virtuose entre interprètes vivants et doubles factices… Puis, dans cette confusion, tout un bestiaire envahit le plateau: ailes, becs, plumes, pattes, bouches et corps d’araignée. Guro Skumsnes Moe s’est inspirée pour écrire sa musique, du rythme frénétique de la tarentelle, comme la chorégraphe Cécile Laloy,  une musique qui va monter en puissance. Nora avait appris cette danse lors du voyage en Italie…

Le travail visuel et sonore, les marionnettes conçues par Yngvild Aspeli, Sébastien Puech, Carole Allemand, Pascale Blaison et Delphine Cerf, la scénographie de François Gauthier-Lafaye, les costumes de Benjamin Moreau et les éclairages de Vincent Loubière sont à la hauteur des ambitions de la créatrice: mettre en images et en perspective le  drame intime de Nora. Une Maison de poupée, écrite par un homme, pose la question du genre dans un monde dominé par le masculin.
Sans se laisser dévorer par son personnage, Yngvild Aspeli  fait ici preuve d’une absolue maîtrise de son esthétique et  des immenses ressources de la marionnette. A ne pas manquer.

Mireille Davidovici

Ce spectacle a été joué les 16 et 17 septembre au festival mondial des théâtres de marionnettes, place de l’église Saint-Rémi, Charleville-Mézières (Ardennes). T. : 03 24 59 94 94.

En Norvège, du 15 au 17 décembre, Nordland Teater, Moi Rana (Norvège). 

Les 27 et 28 janvier, Notteroy Kulturhus, Tonsberg.

Du 8 au 11 février, Teater Innlandet, Hamar.

Les 6 et 7 juin, festival Heddadagene, Oslo.

Et du 12 au 20 mars, Théâtre-Centre Dramatique National de Dijon (Côte-d’Or). Les 23 et 24 mars,  Les Gémeaux-Scène Nationale de Sceaux (Hauts-de-Seine). Les 28 et 29 mars, Le Bateau-Feu, Dunkerque (Nord).

Festival mondial des théâtres de marionnettes: vingt-deuxième édition: Les Lettres de mon père d’ Agnès Limbos ; Still Life / Nature morte mise en scène de Violaine Fimbel

Festival mondial des théâtres de marionnettes : vingt-deuxième édition

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© Hervé DAPREMONT

Pendant dix jours, Charleville-Mézières est la capitale mondiale de la marionnette. Première édition en 1961, à l’initiative de Jacques Félix (1923-2006). Fondateur de la compagnie des Petits comédiens de chiffon, il créa ensuite l’Institut International de la Marionnette (1981) et six ans plus tard, l’Ecole Nationale Supérieure des Arts de la Marionnette. Grâce à la complémentarité évidente des activités du festival, de l’Institut et de l’E.S.N.A.M., il n’y aura plus, sous la direction de Pierre-Yves Charlois, qu’une seule et même structure en 2025,

Cet art, non réservé aux enfants comme on l’a longtemps cru, est destiné à tous les publics. Largement reconnu aujourd’hui, il bénéficie enfin depuis 2021, d’un label attribué par le ministère de la Culture à six Centres Nationaux de la Marionnette: Espace Jéliote, Oloron-Sainte-Marie (Pyrénées-Atlantiques), L’Hectare-Territoires vendômois, Vendôme (Loir-et-Cher), Le Mouffetard-Théâtre des arts de la marionnette, Paris (Vème); Le Théâtre à la Coque, Hennebont (Morbihan), Le Théâtre de Laval (Mayenne) et Le Sablier /Ifs, Dives-sur-Mer (Calvados).

Pour cette vingt-deuxième édition, le festival accueille, avec l’aide de plus de cinq cents bénévoles très motivés, quatre-vingt six équipes de vingt-cinq nationalités avec quatre cent-quarante-six représentations pour petits et pour grands. Avec un focus Corée du Sud et un hommage à l’Académie de théâtre de marionnettes de Kharkiv (Ukraine).

L’esprit festif a investi la ville, et les réjouissances s’éclatent sur vingt-huit scènes : de la Place Ducale construite en pierre de taille ocre, brique rouge et ardoise bleue dans le plus pur baroque italien XVll ème, aux salles du bord de Meuse ; de la Macérienne, une ancienne usine de cycles aux gymnases du lycée. Et jusqu’à Nouzonville, la banlieue industrielle… Il faut s’équiper de bonnes chaussures pour arpenter les rue animées de Charleville, mais quelques navettes assurent aussi le transbordement de nombreux spectateurs friands de découvertes.

Cela débute en beauté avec des spectacles rodés comme La (Nouvelle) Ronde de Johanny Bert (voir Le Théâtre du Blog) ou Robot, l’amour éternel de Kaori Ito. Et aussi avec nombre de premières mondiales. Notre coup de cœur: Maison de Poupée de la norvégienne Yngvild Aspeli dont nous parlerons et le très remarqué Tout le monde est là de Simon Delattre programmé à Pantin par le Théâtre Mouffetard.
D’autres compagnies nous ont invité à découvrir des pièces fraîchement sorties de leurs cartons. Le Pupenntheater de Magdeburg a ainsi présenté Re-member, né de la rencontre de Julika Mayer et Élise Vigneron, metteuses en scènes et marionnettistes, avec les interprètes du théâtre de marionnettes historique de Magdeburg. Mais ce spectacle est mal ficelé et décevant malgré avec une charmante chorégraphie avec d’émouvantes poupées à fils venues de plusieurs musées d’Allemagne et la manipulation de matériaux naturels : branchages, écorces… Et les textes approximatifs et un fil rouge confus rendent le projet illisible !

 Still Life / Nature morte mise en scène de Violaine Fimbel

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© Hervé DAPREMONT

D’une mer de nuages, émerge un décor gothique avec plantes vénéneuses, globe terrestre ancien, peau de loup, cheminée d’où sortent des ronds de fumée… Sur les murs, des natures mortes représentant des animaux. Dans ce mystérieux cabinet de curiosités, un homme en long manteau (Quentin Cabocel) manipule flacons et objets, tel un alchimiste. D’une valise, il  extrait une tortue qu’il confie à une main squelettique…
Bientôt la végétation bouge et une tortue géante dont la carapace clignote, marche dans le brouillard. L’homme essaye de combattre ces ombres inquiétantes qui finiront par l’engloutir dans leur devenir végétal et animal.  La nature morte prend vit sous nos yeux émerveillés dans une débauche d’effets spéciaux, en particulier, une brume transformée en sculptures vaporeuses, à la manière de l’artiste japonaise Fujiko Nakaya.

Un bestiaire fantastique avec oiseaux de nuit, loup… investit alors le plateau. Images saisissantes d’un voyage fantasmagorique, inspiré d’À rebours, un roman de Joris-Karl Huysmans (1884). Des Esseintes, son héros a fait inscrire au-dessus de la cheminée : Any Where Out Of The World ( N’importe hors du monde ), titre du Petit Poème en prose XLVIII de Charles Baudelaire. Ce dandy fuit son siècle pour se réfugier parmi les chimères d’un monde créé à sa fantaisie. « Des Esseintes rassemble chez lui quelques œuvres suggestives le jetant dans un monde inconnu », écrit l’auteur belge. Il s’entoure d’un musée imaginaire et cultive un improbable jardin de fleurs si monstrueuses qu’elles ressemblent à des fleurs artificielles. » (…)
Le spectacle colle d’abord un peu trop au roman et peine à trouver son rythme mais finit par décoller et nous emmener loin : « Hors du monde ». (…) « Il me semble que je serais toujours bien là où je ne suis pas, et cette question de déménagement en est une que je discute sans cesse avec mon âme.» écrivait Charles Baudelaire à la fin de son poème. « Enfin, mon âme fait explosion, et sagement, elle me crie : « N’importe où ! n’importe où ! Pourvu que ce soit hors de ce monde ! » Faut-il y lire une critique de notre temps ? Mais ici, les images priment.

Saluons la musique psychédélique d’Uriel Barthelemi et la réalisation des créatures par Nicolas Herlin,Milan Jiancic, Marjan Kunaver. Et les complices derrière le décor : Manon Choserot, Cand Picaud et Nicolas Poix. Il faudra suivre le travail de Violaine Fimbel. A sa sortie de l’E.S.N.A.M., en 2014, elle créa la compagnie Yokai (monstre : en japonais) avec un premier spectacle Volatiles très remarqué et qui a été joué notamment en Finlande, Allemagne, Brésil, Japon et en Avignon. Elle explore des formes fantastiques et puise dans les arts visuels et la littérature.

Les Lettres de mon père de et par Agnès Limbos

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© Hervé DAPREMONT

 « J’ai huit ans», dit la comédienne en préambule. Une poupée à son effigie l’attend sur un grand fauteuil rouge, celui de son enfance. Elle la rejoindra bientôt pour nous conter son histoire.
Nous sommes en 1960 et la petite Agnès vit alors au rythme des lettres de ses parents restés au Congo peu avant et après l’indépendance et qui ont envoyé leurs cinq enfants en Belgique à leur oncle Pierre, curé d’un petit village du Brabant.
«A chaque arrivée d’une lettre, raconte-t-elle, notre oncle, cérémonieusement, nous en fait la lecture.» Agnès Limbos en a rassemblé quarante-six et nous ouvre ses souvenirs de famille : «La femme de soixante-dix ans que je suis, désire maintenant entrer en dialogue avec la fillette d’alors.»

Sur de petites tables à roulettes poussées par un complice, elle plante de mini- décors et des personnages: le village belge, le mouton dans un enclos, ses frères perchés dans les arbres, la maison de l’oncle Pierre avec ses grandes fenêtres et son horloge, le réfectoire du pensionnat religieux où une statue de la Vierge Marie distribue la nourriture et la bonne parole aux élèves, le dortoir avec un crucifix géant qui monte au ciel. Bondieuseries dont  Agnès Limbos se moque gentiment comme des bons sentiments distillés dans les missives souvent conclues par des : “Soyez sages”, “Priez pour la paix dans le monde”, « Priez pour les Congolais” et par des formules lapidaires: « Votre papa qui vous aime”, “Bons baisers ». Cela fait sourire mais renseigne sur la mentalité de l’époque.

Avec une naïveté enfantine,Agnès Limbos nous replonge dans le contexte historique. Et en nous faisant entendre ces lettres, elle met le doigt sur l’esprit missionnaire de son père mais aussi sur le paternalisme et le racisme de son entourage dont elle ne savait rien. 

Elle revit en dialogue avec sa poupée, ses peurs et interrogations de petite fille et elle fait surgir inopinément dans ses maquettes, un crocodile mangeur d’enfants comme celui que son père lui décrit… On retrouve ici le chagrin d’être loin de ses parents et de la vie d’avant.

En écho à ces lettres, le spectacle évoque des épisodes historiques avec des images entre autres celles de mains coupées de Congolais et des documents sonores: le mariage du roi Beaudoin, Patrice Lumumba proclamant l’indépendance… Et la visite du colonel Mobutu à l’Ecole de cadres que dirige le père d’Agnès Limbos, ou les troupes de l’O.N.U. face à des manifestants violents. Une mini-statue du roi Léopold, démembrée par l’actrice, proteste : « Arrêtez de me déboulonner. »

Peu importe si nos connaissances historiques sur le Congo belge sont défaillantes, ce spectacle émeut par sa sincérité. Il n’a pas encore trouvé son rythme dans les dialogues avec la marionnette et la fin est un peu déconcertante : la disparition de la narratrice dans le gros fauteuil rouge truqué aurait suffi. Mais la distance amusée et la poésie des objets manipulés, comme la justesse des documents en contrepoint des lettres, nous ont séduit…

A suivre…

Mireille Davidovici

Jusqu’au 24 septembre, festival mondial des théâtres de marionnettes, place de l’église Saint-Rémi, Charleville-Mézières (Ardennes). T. : 03 24 59 94 94.

 

 

L’Antichambre de Jean-Claude Brisville, mise en scène de Tristan Le Doze

L’Antichambre de Jean-Claude Brisville, mise en scène de Tristan Le Doze

 Jean-Claude Brisville (1922-2014) est un auteur surtout connu pour avoir écrit le scénario du film Beaumarchais, l’insolent et par Le Souper, une pièce où Joseph Fouché et  Talleyrand  en 1815 décident d’imposer un régime monarchique à la France envahie.  Et Édouard Molinaro en  tira un film en 92 avec ces grands acteurs qu’étaient Claude Brasseur (Fouché) et Claude Rich (Talleyrand).

 Cet écrivain qui avait dirigé la fameuse collection du Livre de Poche, était un peu devenu le spécialiste de débats comme, entre autres,  ceux avec Descartes et Blaise Pascal pour la raison et la foi, Talleyrand et Fouché pour le génie politique et l’arrivisme, Napoléon et Hudson Lowe pour le destin tragique et la petitesse. Et dans L’Antichambre, avec  la marquise du Deffand et Julie de Lespinasse où renait l’éternelle querelle des Anciens et des Modernes en littérature, théâtre, danse, musique, arts plastiques…

Cela se passe donc à Paris en 1750. Marie du Deffand a cinquante ans (soit quelque soixante-dix actuellement) et tient un salon très réputé où se croisent aristocrates, écrivains et scientifiques comme Diderot, d’Alembert, Turgot… Mais sa vue baisse et si elle veut continuer à régner dans son salon, elle doit se trouver une lectrice…
Elle choisit sa nièce Julie de Lespinasse, une fille de son frère, mais « bâtarde », comme elle dit, à la condition qu’elle reste discrète et ne lui fasse pas d’ombre… Marie du Deffand, cyniquement, met vite les choses au point : «Et puis, ne me remerciez de rien : je ne fais jamais rien par bonté. » (..) Je vous ai demandé, Julie, de ne plus faire allusion à cette parenté, même entre nous. La réputation de ma famille est à ce prix. Vous devez oublier qui vous êtes. »

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Julie, à l’inverse de sa tante très conservatrice, prendra le parti de Calas, ce protestant condamné à tort puis exécuté: «En acceptant légèrement ce que notre société fait endurer aux pauvres gens, nous nous retrouvons sa complice. Et dans cette complicité, c’est notre âme que nous perdons. »
Marie du Deffand lui clouera le bec de verte façon: «Bien… bien, mademoiselle. Vous aurez eu le dernier mot. Mais assez maintenant sur ce sujet qui ne serait pas de mise au salon. Nos amis ne sont pas venus pour passer la soirée dans le prêche et le prône. »
Et au président Hénault, elle crache son venin: «On dirait que vos fonctions vous tiennent lieu de dignité… » Son grand ami qui vit plus ou moins avec elle, lui obéit mais n’hésitera pas à se venger cruellement de ses rebuffades : il se laissera séduire par Julie et malgré la différence d’âge l’épousera. Belle revanche pour cette bâtarde mal traitée par sa tante!

Et cette nièce ambitieuse aura, elle aussi, commencé à tenir salon dans la très belle chambre que Marie du Deffand lui avait attribuée. Plus toute jeune, elle se retrouvera donc bien seule, après s’être fait évincer par sa nièce qu’elle croyait aussi dévouée que naïve. Et après avoir mis à la porte celui qu’elle pensait être son grand ami… Tout s’expie, le bien, comme le mal, se paie tôt ou tard. Le bien c’est beaucoup plus cher, forcément,  disait Céline…
Ce scénario en vaut un autre mais ses dialogues ciselés sont un peu bavards jusqu’au moment où après quarante-cinq minutes au moins! la pièce commence vraiment…
Il va y avoir une dispute entre Marie du Deffand et Julie de Lespinasse. Puis l’auteur a imaginé une belle scène où celle-ci, en chantant et dansant, se libère de l’emprise de sa tante qui sentait venir les choses.. et qui jalouse, pense qu’on se rassemble autour d’elle un peu trop à son gré!
Mais Marie du Deffand a sous-estimé son adversaire et Julie a du répondant: «Je suis une bâtarde, en effet-la bâtarde de votre frère. À chaque instant depuis mon arrivée chez vous, vous ne cessâtes de me dire… jusque dans votre silence, que je n’étais née de personne, aux yeux des gens, et que ma place auprès de vous tenait à l’oubli de mon ascendance. »
Ce genre de remarque ne s’oublie pas et Julie de Lespinasse aura vite compris qu’elle pouvait se venger cruellement, d’abord en gardant pour elle une information que Turgot lui avait donnée.  Marie du Deffand en sera mortifiée et, comme elle ne fait aucun cadeau, elle ne le recevra plus jamais dans son salon. Et enfin Julie va séduire sans aucun scrupule le président Hénault: «Eh! Bien, je vois que l’on s’amuse.» dit simplement sa tante, quand elle les surprend! Mais bien entendu, la rupture est proche et Jean-Claude Brisville sait écrire un dialogue, même si les répliques souvent faciles, sentent parfois un peu le boulevard : «On se gausse de vous dans tous les salons de Paris » dit-elle à Hénault à propos de son mariage avec une jeunesse. Il lui répond : «Sauf dans le vôtre, puisqu’il est vide. »
Avant leur rupture finale, elle aura un mot cruel: «Et un dernier conseil-le conseil d’une amie sincère : allez prendre les eaux à Forges. Elles vous purgeront de certaines humeurs malséantes à votre âge.» Et elle remettra une dernière couche: « Vous ne reviendrez plus chez moi ? Je m’en consolerai. Allez, monsieur, allez poursuivre où vous voudrez vos amours ancillaires. »

Les dialogues de la fin sont aussi fins et brillants, et on pense souvent au Misanthrope de Molière et surtout aux Liaisons dangereuses de Choderlos de Laclos dont Jean-Claude s’est visiblement inspiré. «Je sais, dit Julie, Nos liens sont tombés. Mon avenir se lève. Le vôtre, c’est la nuit, madame. » Ce à quoi, sa tante répond: «Je préfère le vivre seule, qu’avec une hypocrite, une fille de rien.
Mais Julie enfoncera le clou: »Vous entendrez parler de moi, madame, mais ce ne sera pas par vos amis : ils viennent avec moi. »Cinglante, Madame du Deffand voudra, question de sémantique, avoir le dernier mot: «Mais ils ne sont plus les miens, puisqu’ils sont devenus les vôtres. » Elle ne l’aura pas, ce dernier mot ! Et Julie attaquera avec une indicible cruauté: « Et vous n’avez que peu de temps pour vous en faire de nouveaux. » « Sa tante lui répond: «C’est maintenant que vous êtes vous-même : un serpent.  Oui, maintenant je vous connais.» « Et moi, je ne vous connais plus. Adieu.» conclura Julie.
La vie qui vient aura eu raison de la vie qui s’en va. Toujours debout, Julie aura gagné et battu sans appel Marie du Deffand.
Reste à mettre en scène ce langage virtuose. Là, les choses se gâtent sérieusement. On oubliera la toile pente de cet antichambre tristounet et sans aucun  meuble que deux fauteuils et un tabouret de piano…
La mise en scène de Tristan Le Doze est très statique (les personnages restent souvent assis) et sa direction d’acteurs approximative: au sixième rang, on les entend bien par moments et, à d’autres, presque pas, tant ils chuchotent. Pas un problème de diction pour Céline Yvon et et Rémy Jouvin, mais pour Marguerite Mousset. Plus chanteuse qu’actrice, elle n’est en rien crédible dans ce personnage de jeune personne que l’on croit naïve. Sauf dans la scène où elle va provoquer sa tante en dansant et en chantant. Là enfin, il se passe quelque chose m
ais le long moment où elle séduit le président Hainault ne tient pas la route une seconde…
En ce dimanche de septembre, il n’y avait que dix-sept spectateurs et cela n’aidait sans doute pas les comédiens. Mais vous pouvez vous épargner de rester une heure vingt dans cette Antichambre..
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Philippe du Vignal

Théâtre du Ranelagh, 5 rue des Vignes, Paris (XVI ème). T. :  01 42 88 64 44.

Le Grand Œuvre de René Obscur, texte et mise en scène de Bertrand de Roffignac

© Ch. Raynaud de Lage

© Ch. Raynaud de Lage


Le grand Œuvre
 de René Obscur, texte et mise en scène de Bertrand de Roffignac

C’est le deuxième volet d’une trilogie initiée avec Les sept Colis sans destination de Nestor Crévelong et créée au théâtre de Vanves en janvier dernier. Il s’agit ici non d’une comédie musicale, mais d’un spectacle avec des scènes jouées, des monologues, des numéros d’acrobaties (trapèze et corde, ou chaîne) et des ensembles ou duos dansés). Joué face public sous un chapiteau, au sol, sur une scène et sur de nombreux praticables à roulettes disposés par les acteurs eux-mêmes. En haut, côté jardin, un batteur et côté cour, un synthé.
L’argument? « Dans un continent aux instances démocratiques fracturées, René Obscur, un réalisateur passé maître dans la réalisation de films contestataires porno, a inventé une caméra révolutionnaire. Elle peut produire des films suscitant une jouissance sexuelle et spirituelle inégalée mais en défigurant irrémédiablement les acteurs. Avec ce outil, René veut créer le film parfait et pouvant infléchir l’inertie politique de son temps. Il serait aussi un hommage à Elio, sa muse disparue dans un incendie tragique. Cette quête singulière attire l’attention d’Ange Cratère, héritier d’une des plus grandes fortunes du continent. » C’est du moins, ce que dit la note d’intention… mais que l’on voit moins sur le plateau…

Les images d’une grande force font penser à celles du Bob Wilson il y a bien longtemps entre autres, avec son opéra-culte Eisntein on the beach  comme ces hautes fenêtres aux vitres couvertes de poussière, ou ce René suspendu à un câble et tournant son film avec une très grosse caméra bidonnée en contre-plaqué (remarquable scénographie d’Henri-Maria Leutner très en phase avec le propos).
Et il y a des moments très bien dansés. Bertrand de Roffignac (il joue aussi René) a un sens de l’image  exceptionnel comme, entre autres, l’arrivée de pompiers plus vrais que nature et il sait incontestablement diriger toute une équipe d’acteurs, acrobates et techniciens: Adriana Breviglieri, Axel Chemla, Gall Gaspard, Marion Gautier, Xavier Guelfi, Loup Marcault-Derouard, François Michonneau, Pierre Pleven, Erwan Tarlet, Baptiste Thiébault et lui-même.
Et il réussit à mettre en scène des tableaux expressionnistes avec une grande précision et aux impeccables enchaînements.
Oui, mais… comment ne pas être partagé. Le niveau sonore de la musique est sans raison trop élevé et le metteur en scène fait crier ses interprètes en permanence à des micros H.F. avec une sono réglée au maximum. Résultat : on a plus que du mal à comprendre le texte et on décroche assez vite. Dommage. Et comme Bertrand de Rofignac, par ailleurs très bon acteur, maîtrise mieux l’espace que le temps, ces deux heures sont longuettes et l’énergie du début a tendance à fléchir. Et il aurait tout intérêt à élaguer sérieusement les nombreux monologues qu’il s’offre sans doute avec grand plaisir:  cela apporterait de l’air au spectacle quand même un peu estouffadou…
Pourtant cette œuvre originale a quelque chose de fascinant et a été visiblement inspirée par les univers dystopiques du cinéma fantastique, entre autres, celui du célèbre 
Métropolis de Fritz LangOu par celui de La Cité des enfants perdus de Caro et Jeunet. Mais s’est-il peut-être aussi souvenu de B.D. genre La Brigade chimérique de Fabrice Colin, Serge Lehman, Gess, et Céline Bessonneau où les auteurs reprennent l’esprit des feuilletons fantastiques populaires avec des savants fous et des super-héros. Ou comme  Marie des Dragons  d’Audrey Alwett, Nora Moretti et Marina Duclos, une remarquable série d « horreur-fantaisie ». Bertrand de Roffignac est à l’évidence un réalisateur doué et bien armé pour diriger toute une équipe…

© Ch. Raynaud de Lage

© Ch. Raynaud de Lage


Oui mais voilà son ambitieux récit semble partir un peu dans tous les sens- du moins d’après ce que nous pouvons en entendre! et le metteur en scène aurait pu nous épargner nombre de stéréotypes actuels comme ces nombreux et trop faciles lancers de fumigène blanc, des lumières stroboscopiques insupportables et vues cent fois, des rampes d’éblouisseurs clignotants et des déménagements incessants de praticables qui ne font jamais sens…

Mais, et c’est rare, Bertrand de Roffignac ose créer dans un cirque un spectacle hors-normes qui doit beaucoup à la science-fiction, avec quelques plans érotiques. Et pour une fois, signe qui trompe rarement, es gradins étaient surtout pleins de jeunes gens qui, visiblement, y trouvaient leur compte. Ce qui est exceptionnel dans le théâtre officiel ou privé.(Les places ne sont pas chères et c’est tant mieux.)
Nous n’avions pas vu
Destination de Nestor Crévelong mais nous serons curieux de le découvrir au prochain festival Impatience en décembre au Cent-Quatre à Paris. Il faudra suivre de près Bertrand de Roffignac.

Philippe du Vignal

Jusqu’au 24 septembre, Cirque électrique, place du maquis de Vercors, Paris ( XX ème). Prendre l’avenue des Lilas et à droite, on voit de loin le chapiteau rouge mais c’est tout près du métro Porte des Lilas.

Le nouvel homme, texte de Peter Van den Eede, Natali Broods ,Willem de Wolf, par le collectif de Hoe

Le nouvel homme, texte de Peter Van den Eede, Natali Broods ,Willem de Wolf , par le collectif de Hoe

 

© K. Broos

© K. Broos

Sur le plateau , une série de tables de café nappées de blanc, avec des chaises Thonet en désordre. Au-dessus, une installation de sept châssis lumineux en oblique et un enchevêtrement de barres fluo blanc posée sur un vieux sommier. Comme une sculpture/installation assez banale, telle qu’on en voit dans les musées d’art contemporain occidentaux.
Côté cour, une grosse machine à café de bistrot. Devant et au milieu de la scène quelques potelets noirs avec sangle pour files d’attente semblables dans tous les aéroports.

Willem de Wolf, membre du noyau artistique de la compagnie, avait assisté à une reprise de L’Homme au crâne rasé, un spectacle créé il y a une vingtaine d’années par Natali Broods et Peter Van den Eede Profondément touché par cette histoire d’amour, il leur a proposé d’imaginer ensemble une suite si, vingt ans après, ils se retrouvaient par hasard…
« Pendant quelque temps, disent-ils, nous écrivons chacun de notre côté des scènes, des bribes, une matière autonome qui ne se conforme pas encore à la structure d’une pièce de théâtre. Ensuite nous nous réunissons pour lire nos scènes à voix haute et de ces échanges naissent tout naturellement de nouvelles idées et des dialogues, en réaction aux scènes précédentes. Petit à petit s’impose ainsi une structure. »

© K. Broos

© K. Broos

Ici, ils jouent une actrice et un écrivain qui ont vécu ensemble. Mais, en proie à un amour qui les dévorait, ils se sont séparés depuis quelque vingt ans et se retrouvent par hasard dans un hall de l’aéroport de Rome. Ils s’étaient rencontrés en faisant la queue pour entrer à la chapelle Sixtine. Peter avait été professeur d’histoire de l’art de Natali. Et ce n’est donc pas un hasard, si la pièce se passe en Italie et si elle vit à Rome.

Cela commence dans le noir et on les entend chuchoter. Et il y a très vite une sorte d’ambiguïté. Où est le vrai et la fiction, le vécu et le crédible, le fantasme et la vie réelle? Dans le fond, un homme en T-shirt blanc, le mari de Natali est seul assis sur une chaise; il attend en silence et assiste à leurs retrouvailles… Une rencontre due au hasard ? Pas si sûr comme si elle avait déjà été orchestrée. Natali sait qu’elle est observée par Nico qui doit venir la récupérer à l’aéroport  et il sait qu’elle le sait…
Quant à Peter, il se demande s’il connait finalement bien son ancienne amoureuse et s’il est encore capable de l’aimer, depuis que Natali a viré à l’extrême-droite. Autant de questions qui resteront sans réponse.
Où est ici la vérité? Dans cette pièce, toutes les cartes semblent rebattues et l’espace-temps est bouleversé.  Ce qui était, ou est encore crédible, n’est pas forcément vrai, et vice-versa.
En vingt ans, le monde a beaucoup changé et l’un comme l’autre, ne sont plus jeunes. Natali est une actrice célèbre qui s’est mariée et qui a quatre enfants. Elle dit à Peter que, même si le temps a passé, elle n’a cessé de penser à lui tous les jours! Crédible? Ensuite, elle nuance… Là encore où est la vérité?  Peter, lui, avoue qu’il sait tout d’elle, grâce à son compte Facebook qu’il consulte régulièrement. Du moins, il le prétend.

Souvenirs, souvenirs… que le temps n’a cessé de grignoter. Mais c’est une évidence, ils restent fascinés l’un par l’autre et se parlent beaucoup. Même s’ils ont changé et s’ils ne veulent pas se l’avouer et si elle, de gauche à l’origine, flirte maintenant avec l’extrême droite… Alors que lui, est resté ancré à gauche. Et, après ces révélations, un certain malaise s’installe, comme si quelque chose s’était subitement cassé entre eux. Mais ils finiront par s’embrasser dans une danse magnifique…
A la toute fin, Nico et Peter, donc l’ex-partenaire et le mari de Natali se retrouveront face à face, chacun assis à une table, loin de l’autre. Adversaires politiques, ils essayent de se parler mais en vain, l’un parle italien, et l’autre pas…

C’est un spectacle remarquablement écrit, très bien mis en scène et interprété: Natali Broods, Peter Van den Eede et Nico Sturm ont une présence indéniable dès qu’ils sont sur le plateau.  Et impossible de ne pas être accroché par les retrouvailles de ces anciens amoureux, nième variation sur le célèbre thème du trio boulevardier: femme-amant-mari mais où tout le monde peut se retrouver.
Les bémols: des micros H.F. portés en évidence mais inutiles, des longueurs dans ces dialogues d’une étonnante virtuosité verbale mais qui mériteraient d’être élagués, quelques ruptures de rythme et deux fausses fins.
Mais quelle intelligence et quelle sensibilité théâtrales! Un spectacle comme on aimerait en retrouver plus souvent dans une rentrée assez morose…

Philippe du Vignal

Jusqu’au 29 septembre, Théâtre de la Bastille, 76 rue de la Roquette, Paris (XI ème). T. : 01 43 57 42 14.

La Maison du loup, texte de Benoit Solès, mise en scène de Tristan Petitgirard

La Maison du loup, texte de Benoit Solès, mise en scène de Tristan Petitgirard

Il y a un sous-titre: À la rencontre de Jack London et c’est, en fait, le thème revendiqué de ce spectacle. A l’été 1913, Ed Morrell, un  homme  sortant de prison veut sauver  son ami Jacob Heimer condamné à mort. Et il arrive à la maison du Loup, une vaste demeure isolée où habitent seuls le célèbre écrivain et Charmian, son épouse qui l’a invité… Elle tient à raviver chez son mari l’inspiration qu’il a perdue. Double combat: Ed Morrell sauvera-t-il Jacob, et Jack London écrira-t-il à nouveau?

Jack London (1876-1916), sans doute le plus célèbre des écrivains des Etats-Unis, avec L’Appel de la forêt, Croc-BlancLe Talon de fer et Martin EdenLe Cabaret de la dernière chance, plus autobiographiques, écrivit aussi plus de deux cents nouvelles.
Fils de père inconnu, il mena souvent une vie misérable et aura fait tous les boulots possibles, même les plus ingrats : pelleteur du charbon dans une centrale électrique, pilleur d’huîtres, mousse sur un bateau chasseur de phoques, chercheur d’or mais aussi journaliste, romancier…
Et comme Jack Kerouac, il voyagea beaucoup sur des trains de marchandises ou sur les routes, et ne buvait pas que de l’eau. En 1907, il entame un tour du monde avec son bateau Le Snark. Et il sera enfermé pour vagabondage dans un pénitencier. Cinq ans avant sa mort, Jack London achète avec sa femme une grande propriété: il plante des vergers, des eucalyptus et du maïs, élève des cochons mais continue à voyager en Californie, en Oregon et jusqu’au cap Horn. .

«Pendant le confinement, dit Benoît Solès, j’ai relu Jules Verne, Stevenson, Kerouac, et bien sûr… Jack London et son dernier chef-d’œuvre. Et j’ai découvert que cet Ed Morell avait vraiment existé et avait inspiré l’écrivain! Dès lors, j’ai voulu imaginer leur rencontre, orchestrée par Charmian, la femme de Jack London.»
On retrouve ici les thèmes chers à Jack London: le retour à la Nature, la place de la femme dans la société, la solitude, l’addiction totale à l’alcool, les mauvais traitements infligés aux animaux, les violences et tortures subies dans les prisons, et les condamnations à mort très fréquentes…

Et que donne sur le plateau, cet essai de revisitation de l’œuvre et du personnage de Jack London ? Il y a une scénographie encombrante avec, côté cour, la façade d’une maison avec terrasse en bois et portique à fronton triangulaire blancs (style colonial XVII ème), un rocking-chair, un gramophone et une caisse en bois avec quelques livres reliés en cuir… À jardin, un ancien bateau transformé en banquette et une roue de gouvernail. Dans le fond, des malles de voyage. Et une toile suspendue où est projetée une forêt de pins dont certains couverts de neige, alors qu’on évoque une chaleur caniculaire… Bon ! 

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Amaury de Crayencour, grand et imposant, est un Jack London assez crédible mais Benoit Solès (Ed) et Anne Plantey (Charmian) ont bien du mal à imposer leur personnage. Et, comme la mise en scène de Tristan Petitgirard est aussi laborieuse et tristounette que le texte du même Benoît Solès, on s’ennuie très vite.
« On devra ressentir la chaleur de cette soirée, dans la lumière, le son… dit Tristan Petitgirard. L’atmosphère est explosive et l’étincelle va revivre sous toutes ses formes. L’écriture de Benoit Solès est une écriture de sensations, d’émotions. L’idée ne passe jamais devant le personnage et c’est tout ce que j’aime au théâtre.(…)  Ce qui fait d’ailleurs profondément écho à l’écriture et aux thématiques de London.. »
Malheureusement, de toutes ces belles intentions, que nenni! Et on ne ressent que la chaleur de la récente canicule dans la salle.  Et sur scène, il n’ y a rien d’efficace au plan théâtral: direction d’acteurs faiblarde, pauvreté du scénario et des dialogues, manque de rythme dans la mise en scène… Bref, quatre-vingt dix minutes interminables.

Alors que La Machine de Turing du même auteur et du même metteur en scène, était un spectacle bien réalisé avec un dialogue intelligent, pourquoi cette opération Jack London pour les nuls est-elle aussi mal construite? Que sauver du spectacle? Sans doute les animations sur toile de Matthias Delafu et les illustrations de Riff Rebb’s. Très réussies, elles apportent un peu d’air frais et, à la fin, le récit où Ed/Benoît Solès est émouvant quand il s’adresse au public.
Là, il se passe quelque chose à la fois dans le texte et le jeu: «Cette nuit-là, un terrible incendie ravagea entièrement la maison du loup. L’enquête conclura à la combustion spontanée d’un mouchoir imprégné d’huile de lin. Jack ne s’en remettra jamais. En 1915, la parution du Vagabond des étoiles, son dernier roman, conduit à une grande réforme du système pénitentiaire californien. L’usage de la camisole de force est abandonné et les directeurs de prisons se voient interdire de prononcer la peine capitale. Jack mourra un an plus tard, d’une surdose de morphine, sans que l’on puisse jamais déterminer si elle était accidentelle, ou pas. Il reste, à ce jour, l’écrivain américain le plus lu dans le monde… Charmian publiera plusieurs ouvrages sur les droits des prisonniers. On lui doit aussi l’invention de la jupe fendue, permettant aux femmes de monter à cheval à califourchon, et non plus en amazone.
Jusqu’à sa mort, elle habitera la Vallée de la lune et restera la promotrice infatigable de l’œuvre de son partenaire. Ils reposent désormais côte à côte, sous un bloc de granit, dans le petit enclos de bois, au cœur de la forêt.(…) »

Ah! Si tout était de la même veine! Pour le reste, le spectacle a quelque chose d’un vieux théâtre conventionnel et le public semblait très partagé! Pour nous, il ne mérite pas le déplacement, surtout à des places aussi chères; après le 24 septembre, elles sont de 54 à 30 € ! A vous de voir…

Philippe du Vignal

Théâtre Rive gauche, 6 rue de la Gaieté, Paris (XIV ème). T. : 01 43 35 32 31.

Arrêt immédiat de toute coopération avec les ressortissants du, Niger du Mali et du Burkina Faso! Ce qu’exige un courrier des Directions générales des Affaires Culturelles (de façon comminatoire et très maladroite) Vous avez dit scandale?

Arrêt immédiat de toute coopération avec les ressortissants du Niger, du Mali et du Burkina Faso! Exigé un courrier des Directions générales des Affaires Culturelles, de façon comminatoire et très maladroite…

Vous avez dit scandale? La Macronie décidément n’en est pas à un coup bas près et se trompe de cible! Et jamais une telle mesure d’interdiction d’artistes étrangers en France n’avait été prise par un ou une ministre de la Culture. Ici visiblement sur ordre de la ministre de l’Europe et des Affaires étrangères, directement pilotée par l’Elysée… 
Heureusement, les syndicats du spectacle très représentatifs de la profession, comme le Syndicat des Entreprises Culturelles, l’Association des Centres Dramatiques Nationaux, L’Association des Scènes nationales et celle des Centres Chorégraphiques Nationaux n’ont pas tardé à réagir (voir ci-dessous) et leur colère est à la mesure de cette belle connerie politique… Et effectivement il y a de quoi être inquiet devant la décision de Catherine Colonna pour des raisons de sécurité, puisque les ambassades et consulats sont fermés depuis le 7 août et reconnait que c’est une décision politique. A qui accordera-t-on des visas, et à quelles conditions? Cyniquement, il a été aussi dit qu’il n’y aurait aucune déprogrammation. Et puis quoi encore?

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A quelques jours du festival des Zébrures d’automne à Limoges avec de nombreuses troupes étrangères, cela ne donne pas une bien belle image de la France! Et ce matin, au micro de France-Inter, Hassane Kassi Kouyaté, son directeur, était accablé par une telle situation: »En tant que citoyen je m’interroge : que sont devenues les valeurs de la France, ce pays des droits de l’homme qui a signé la charte de l’Unesco ? En tant qu’artiste, je suis surpris: pourquoi sanctionner les créateurs qui sont souvent les premières victimes des conflits? Et que dire de l’ingérence soudaine du politique dans les programmations culturelles?»

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Et la chanteuse et compositrice malienne Rokia Traoré, toujours au micro de France-Inter,  se dit choquée et ne voit pas comment une telle décision peut apaiser les choses…
L’Elysée va-t-il rétropédaler en levant quelques interdictions? Un vieux truc politique… Qu’importe, le mal est fait et soyons sans illusion mais l’espoir fait vivre.

Et que Rima Abdul Malak, ministre de la Culture ne s’y trompe pas: l’affaire est mal barrée et n’en restera pas là! Elle peut s’attendre à quelques sérieux retours de manivelle…

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Déjà, Christophe Marquis, le directeur de l’Echangeur à Château-Thierry qui accueille samedi prochain l’exposition  du sculpteur et designer burkinabè Kader Kaboré  (Hauts-de-France) a dit qu’il ne changerait rien…
Bien entendu, nous vous tiendrons au courant de l’évolution de cette triste histoire que Macron et son entourage auraient pu nous épargner.

Philippe du Vignal

Communiqué

Les adhérents du Syndeac, de l’Accn, de l’A-CDCN, de l’ACDN et de l’ASN ont été nombreux ce matin à recevoir un message en provenance des Directions des Affaires Culturelles, rédigé sur instruction du ministère de l’Europe et des affaires étrangères. Ce message au ton comminatoire demande à nos adhérents de «suspendre, jusqu’à nouvel ordre, toute coopération avec les pays suivants : Mali, Niger, Burkina Faso. (…) Tous les projets de coopération qui sont menés par vos établissements ou vos services avec des institutions ou des ressortissants de ces trois pays doivent être suspendus, sans délai, et sans aucune exception. Tous les soutiens financiers doivent également être suspendus, y compris via des structures françaises, comme des associations par exemple. De la même manière, aucune invitation de tout ressortissant de ces pays ne doit être lancée. A compter de ce jour, la France ne délivre plus de visas pour les ressortissants de ces trois pays sans aucune exception, et ce jusqu’à nouvel ordre. »

Ce message est totalement inédit par sa forme et sa tonalité, et révélateur de ce que nous dénoncions déjà dans le travail collectif en faveur d’un plan sur la danse. Nous écrivions notamment devoir « veiller à ce que la construction d’une politique culturelle française à l’internationale, qu’il s’agisse de danse ou de tout autre art, soit revisitée à l’aune des artistes et de leurs démarches. Les logiques de rayonnement culturel au service d’enjeux diplomatiques aux antipodes des questions artistiques doivent être remises en cause.

Cette interdiction totale concernant trois pays traversés par des crises en effet très graves n’a évidemment aucun sens d’un point de vue artistique et constitue une erreur majeure d’un point de vue politique. C’est tout le contraire qu’il convient de faire. Cette politique de l’interdiction de la circulation des artistes et de leurs œuvres n’a jamais prévalu dans aucune autre crise internationale, des plus récentes avec la Russie, aux plus anciennes et durables, avec la Chine.

György Kővári: portrait

 

György Kővári: portrait

Il avait huit ans quand ses parents l’ont emmené au Grand Cirque de Budapest et il y a vu Paul Potassy (il s’en souvient encore !). Depuis, il attrapé le virus de la magie et plus tard, il a observé Rodolfo. Puis il s’est lié d’amitié avec Kálmán Latabár dont le père Árpád était une star de cinéma. Son père possédait trois tours que Kálmán pouvait utiliser : Les Bâtons chinois, Le Sac à change et Les Trois dés (trois dés sont empilés les uns sur les autres, et celui du milieu disparaît). Les jeunes Kálmán et György voulaient faire des spectacles en utilisant ce matériel et y sont arrivés !

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Quelques années plus tard, György Kővári a fabriqué son premier jeu de bâtons chinois.  Kálmán et lui ont joué occasionnellement partout où ils pouvaient, mêlant magie et sketches comiques écrits par son père. Cela jusqu’à la révolution hongroise d’octobre 56 : il est alors devenu évident pour ses parents d’émigrer légalement au Royaume-Uni où ils avaient de la famille. György Kővári a alors pris contact avec Rodolfo pour apprendre les bases de la magie. Et il a aussi travaillé pour devenir un vrai professionnel.

Il est arrivé en Angleterre en mai 1957, et dès la première semaine, on l’a emmené à Oxford Street et Tottenham Court Road où il y avait deux magasins de magie. Pour lui, c’était un miracle! Patrick Page dirigeait l’un et Ali Bongo, l’autre. Il lui a conseillé de rejoindre la London Society of Magicians, ce qu’il a fait. Et il s’est retrouvé avec des gens partageant le même intérêt. Il a appris beaucoup de tours, présentations, etc. et a ensuite monté un numéro et commencé à apparaître dans certains spectacles des Magic Societies.
Puis il a assisté à sa première convention de magie en 59, à Buxton. Il a aussi fait la première partie de cette convention et a ensuite intégré le Magic Circle, sans avoir à passer l’examen car il avait déjà participé à certains de leurs spectacles..

On lui a donné des coups de main, notamment Rodolfo et il est devenu un bon magicien ; il a monté un numéro de douze minutes avec quelques nouveaux tours et a joué dans des théâtres de variétés, puis dans des clubs à Manchester. Après son mariage, il a commencé à faire des spectacles au théâtre. Billy McComb devenu son ami, lui a donné toutes ses illusions et les lui a enseignés. Cela lui a permis de construire un spectacle théâtral familial avec sept grandes illusions. Sa femme Susan est devenue son assistante, ainsi qu’Angela, une danseuse. Plus tard, ses enfants Eve et George Jr. sont aussi devenus ses assistants. George Jr. s’est spécialisé dans l’escapologie et a joué deux numéros dans son spectacle.

“J’ai construit, dit-il, certaines de mes illusions comme Dizzy Limits, Sawing in Half, Head Turning, 60 Knives through the body, The Assistants Revenge, etc. Toutes avait un plus, par rapport à ce que l’on pouvait acheter chez un revendeur. En parallèle, je suis devenu marchand de trucs. J’ai assisté à la plupart des congrès en Europe et aux États-Unis où je vendais des tours que je fabriquais moi-même. Mais, j’ai parfois dû jouer dans des circonstances difficiles.A Noël en 77 à Toronto, Ottawa et Hamilton, j’ai dû réaliser mes illusions devant le rideau de scène. Et j’ai adapté le tabouret à lévitation de Yogano : il aurait été trop lourd à transporter sur scène et dehors, à cause de sa grande base. J’ai donc supprimé cette base et le tabouret pouvait, sans problème, être facilement transportable. Quand j’ai vu mon ami Yogano, je lui ai raconté ce que j’avais fait. Il a compris que c’était une bonne chose et l’a décrit dans son livre La Magie de Yogano (2002). »

Mais György Kővári a eu un A.V.C. et a failli mourir ! «On a dit à ma femme que si je restais stable pendant les trois prochains jours, je pourrais survivre et heureusement, dit-il, j’ai récupéré 98% de mes capacités en trois ans mais j’ai perdu mon endurance et ai dû arrêter de jouer sur scène. Depuis, j’ai continué à fabriquer et à vendre quatre-vingts tours et certaines des derniers sont si aboutis, que j’aurais aimé les utiliser moi-même. »

Ses idoles sont Paul Potassy, Rodolfo, Ram Das, Maskar et John Calvert. Pour lui, ils ont accompli des miracles et ont agi comme le public en attend d’un magicien et tout est dans le style qui retient l’attention du public. György Kővári aime la magie divertissante où il n’y a pas de temps mort et aucune démonstration de matériels.
« Pour devenir magicien professionnel, dit-il, il faut absolument sentir que c’est la seule chose que vous voulez faire ! Et si vous apprenez à devenir acteur et si vous suivez des cours de danse, gestuelle et formation au mime, cela peut grandement aider. Dans votre numéro, chacun de vos tours doit être le meilleur dans son genre ; sinon, vous lésez votre public. N’ayez pas de plan B juste pour être différent des autres artistes.
Il y a des années, à une soirée au théâtre à Southport, près de Liverpool) un groupe de magiciens est venu me voir et, après le spectacle, nous avons discuté un moment. Un jeune m’a demandé ce qui est le plus important pour un professionnel? J’ai aussitôt répondu : des contrats. »

Dans la magie actuelle, beaucoup de choses ont changé pou lui au cours des vingt dernières années, depuis qu’il a arrêté de jouer sur scène :« Récemment, de plus en plus de magiciens font des lectures de pensée et du mentalisme. Il y a aussi une magie « numérique » avec de nouveaux gadgets électroniques, comme le portable et ses applications. Et ils sont si légers à transporter ! Cela semble être la tendance actuelle mais je crois que le bon divertissement visuel survivra toujours ! »

 György Kővári aime regarder les matchs de boxe professionnels. Son père, quand il était jeune à Budapest, était un bon boxeur et l’emmenait voir des tournois. Depuis, il a gardé un intérêt pour ce sport et a vu en direct László Papp et Mohamed Ali ! Mais il a des regrets : les spectacles et conventions de magie lui manquent (il ne va plus qu’à Blackpool).
Il a d’excellentes conférences mais ne les vends pas et, depuis la mort de son fils, il aimerait transmettre ses connaissances à un autre artiste qui ait la même philosophie et la même vision de la magie que lui.

Sébastien Bazou

Interview réalisée le 12 septembre. http://kovarimagic.com/

S’abandonner à vivre, Judith Magre lit des nouvelles de Sylvain Tesson, sous le regard de Thierry Harcourt

S’abandonner à vivre, Judith Magre lit des nouvelles de Sylvain Tesson, sous le regard de Thierry Harcourt

Judith Magre revient chaque lundi soir au théâtre de Poche- Montparnasse où elle a déjà joué plusieurs fois. Assise à une table, impeccablement coiffée, elle lit avec à la fois la sensibilité, l’énergie qu’on lui connait, et une diction impeccable, des extraits de ces nouvelles publiées il y a neuf ans.
Bien dirigée par Thierry d’Harcourt avec d’abord La Gouttière où un amateur d’escalade est dans la chambre de son amoureuse, quand arrive son mari, un médecin… Mais l’appartement est situé au sixième étage. Donc seule possibilité envisageable : s’enfuir par la fenêtre et descendre le long d’un tuyau qui court sur la façade. Malgré son expérience, il va tomber sur le trottoir…

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© S. Toubon

Son amoureuse descend terrifiée mais, bien entendu, ne dit rien. Une vieille dame de l’immeuble affolée veut qu’on prévienne son médecin de mari, ce que l’amant refuse évidemment. Cela dit, on comprend mal comment il peut être encore en vie et conscient après une chute de plusieurs étages. Il partira seul dans l’ambulance. Judith Magre heureusement, arrive donner vie à cette fable…

Second volet de cette lecture: L’Exil. Un jeune Nigérien a réussi à économiser sur plusieurs années avec l’aide de toute sa famille l’argent exigé par un passeur pour arriver en France d’abord en camion puis dans dans un bateau insalubre qui a le roulis. Mais le passeur l’a arnaqué, lui comme ses camarades et ils se retrouveront en Italie à quelque 2.000 kms de Paris… qu’il arrive quand même à rejoindre après un voyage très éprouvant.
Il logera dans une chambre de treize m2 avec quatre autres Africains et travaillera très dur pour envoyer le maximum d’argent à sa famille… Ecrite dans une langue claire et précise, c’est sans doute la meilleure de ces trois nouvelles. Judith Magre, là aussi, sait embarquer le public avec un savoir-faire inimitable.
Dernier texte : La Bataille. Une association en Russie reconstitue chaque année la bataille puis la victoire de Napoléon à Borodino. Cette fois-ci, la reconstitution est interdite par la police locale. Mais celui qui incarne le capitaine des Grognards et le chef de la milice ont une amoureuse en commun…
Cette nouvelle n’a sans doute pas la même force que la précédente.. Mais les trois ont en commun: le «pofigisme», un concept russe que Sylvain Tesson définit comme « une résignation joyeuse, désespérée, face à ce qui advient. »Et cela donne une unité à cette lecture dont Judith Magre se sort avec virtuosité. A la fin, elle dit simplement : «Voilà, c’est fini. »
Et elle salue assise, puis un régisseur l’aide à sortir de scène. Le public debout applaudit chaleureusement cette performance plus qu’émouvante ! Un regret? Oui, vu le prix des places, il  y a, comme ailleurs, très peu de jeunes gens dans la salle, alors qu’il y avait encore huit sièges vides. Stéphanie Tesson la directrice pourrait les céder au dernier moment?  C’est une belle leçon de théâtre, même s’il s’agit d’une lecture de nouvelles, dont pourraient profiter les apprentis-comédiens.
Judith Magre a toujours cette incroyable présence qu’on lui connait. Elle aura joué tous les types de théâtre et des centaines de personnages dans les tragédies et comédies classiques : Eschyle, Molière, Tchekhov, mais aussi Brecht, Giraudoux, Dürrenmatt, Camus, Anouilh, Sartre. Et plus près de nous, des auteurs aussi différents que Bernhard, Bond, Koltès, Stoppard, Barillet et Grédy, Vauthier, Duras …
Des rôles assumés, quelle que soit la qualité de la pièce, avec la même passion, le même sens du métier, la même rigueur. Au cinéma, où elle a débuté, elle a joué pour entre autres, Chenal, Malle, Lelouch… Mais la scène est restée, et reste encore sa passion, alors qu’elle n’a plus rien à prouver…
Elle aura très bientôt quatre-vingt-dix sept ans ! Et cela va faire presque soixante-dix ans (de quoi donner le vertige!) que nous l’avions vue, très impressionnante, jouer Huis-Clos de Jean-Paul Sartre au Théâtre en rond, une scène très innovante à l’époque!) place Saint-Georges à Paris et aujourd’hui disparue. Où jouèrent aussi entre autres,
Michel Bouquet,  Madeleine Robinson, Pierre Brasseur… et où François Truffaut tourna en partie Le Dernier métro.
Judith Magre est un trésor national vivant du théâtre français…Et ce spectacle le confirmerait au besoin.

Philippe du Vignal

Théâtre de Poche-Montparnasse, 75 boulevard du Montparnasse, Paris (VI ème). T. : 01 45 44 50 21 seulement tous les lundis à 19 h.

Les nouvelles de Sylvain Tesson sont publiées chez Gallimard.

 

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