Focus jeunes créateurs Danse Élargie Clameurs de Mithkal Azghair et Rive de Dalila Belaza

Focus jeunes créateurs Danse Élargie


Clameurs
de Mithkal Azghair et Rive de Dalila Belaza

Ces chorégraphes, anciens finalistes de Danse Élargie, ont bénéficié d’un accompagnement des partenaires du concours fondé en 2009 par le Musée de la danse à Rennes, la fondation d’entreprise Hermès et le Théâtre de la Ville à Paris, où les candidats  présentent une pièce de dix minutes maximum avec un minimum de trois interprètes. Mithkal Azghair et Dalila Belaza y reviennent cette année, avec chacun, une nouvelle création.

Clameurs, chorégraphie et interprétation de Mithkal Azghair

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© La Briqueterie

Après Déplacement,  une pièce pour trois danseurs qui lui valut le prix Danse Élargie en 2016, le chorégraphe reprend en solo, le même thème:  un récit d’exil. Sur le plateau où gisent, épars, les débris de continents, découpés dans une matière noire brillante, il danse de dos, les bras étendus comme des ailes d’oiseau migrateur et zigzague à petits pas. Un lent parcours de ci, de là… Et parfois grimace un cri muet sur son visage…
Le danseur syrien, formé à l’Institut supérieur d’art dramatique de Damas par des maîtres de ballet russes rigoureux puis au Centre chorégraphique national de Montpellier, met ses pas dans ceux du Dabke, une danse traditionnelle de Syrie, Palestine, Liban, Jordanie et Irak. Les mouvements partent du pied ensuite évoluent vers une marche mais chaque pays développe son style.

Ici, les déplacements de l’artiste s’ancrent dans le sol, confiants en leurs racines, les  bras vers le ciel, comme des branches d’arbres noueux. Puis, dans une série de gestes rageurs, il tente de recoller les morceaux des pays éclatés au sol…  Patiemment, en piétinant, il s’attelle à ce remembrement. La tâche est longue, voire impossible… Quelques pièces du puzzle restent en souffrance, comme le pays de Mithkal, qu’il a dû quitter pendant la guerre.

« Le Dabke est le lien entre moi et le réel en Syrie.» dit le chorégraphe qui livre ici une pièce intense de cinquante-cinq minutes. « Ces dernières années, tout espoir de pouvoir retourner en Syrie s’est brisé, dit-il dans Dansercanalhistorique. »

 Rive, chorégraphie de Dalila Belaza

Au Cœur, issu de la rencontre entre la danseuse d’origine algérienne et le groupe de danse folklorique Lous Castellous à Sénergues (Aveyron), avait remporté le prix Danse élargie en 2020. Dalila Belaza a continué son exploration des rituels folkloriques et des chorégraphies contemporaines. Longtemps interprète dans les pièces de sa sœur Nacera, elle puise sa grammaire dans les danses des origines: «comme un langage universel et hors du temps».

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Dans le noir, surgit une silhouette grise tournant indéfiniment sur elle-même, d’un pas égal en continu. Point de départ de Rive, une bourrée s’impose à un rythme obsédant et va bientôt gagner dix danseurs sortis de la pénombre, répliques du solo initial. Les corps avancent et reculent, irrigués par le même tempo, pour se disperser ensuite dans la pénombre.. Les mouvements suivent une musique monotone et voyagent dans l’espace, portés par une cadence répétitive et contagieuse. Le rythme s’installe jusqu’à posséder les corps effrénés en une espèce de transe chorale contagieuse.

Ce spectacle né d’une commande faite par le Ballet national de Marseille pour un atelier avec le corps de ballet, fait naître pendant cinquante-cinq minutes une énergie partagée entre interprètes et public, transportés par cette danse à la douceur hypnotique. «Je recherche le récit intime, mystérieux et immuable qui sommeille en nous.», dit la chorégraphe qui réveille en nous de vieux rythmes oubliés…

Mireille Davidovici

Spectacle vu le 11 septembre, au Théâtre de la Ville-Les Abbesses, 31, rue des Abbesses, Paris (XVIII ème). T. : 01 42 74 22 77

Prochain concours Danse Élargie: les 15 et 16 juin au Théâtre de la Ville à Paris.


Archive pour septembre, 2023

Je vous écris dans le noir, d’après le roman de Jean-Luc Seigle, mise en scène de Gilles Nicolas et Sylvie Van Cleven

Je vous écris dans le noir, d’après le roman de Jean-Luc Seigle, mise en scène de Gilles Nicolas et Sylvie Van Cleven

A Essaouira dans les années soixante : cris des mouettes et bruit de l’océan… Dans cette atmosphère sereine, une médecin raconte qu’elle vient de rencontrer un ingénieur. C’est le bonheur. Mais, avant de l’épouser, elle doit lui avouer la vérité et lui écrit: «Je m’appelle Pauline Dubuisson et j’ai tué un homme, mais personne ne naît assassin.»
Des années plus tôt en 1953,  a été requise contre elle la peine de mort pour crime passionnel, le meurtre de son fiancé Félix… Elle ne purgera que neuf ans de prison et, à sa sortie, changera de prénom, reprendra ses études de médecine, puis s’installera au Maroc.

L’affaire Pauline Dubuisson a fait couler beaucoup d’encre. Le cinéaste Henri-Georges Clouzot en avait tiré La Vérité (1960) avec Brigitte Bardot. Dans cette même salle de la Reine Blanche, nous avons vu dernièrement Portrait d’une femme de Michel Vinaver, une reconstitution du procès mise en scène par Matthieu Mari (voir Le Théâtre du Blog).

Jean-Luc Seigle, lui, choisit de se glisser dans la peau de cette jeune femme et dévoile avec une sensibilité à vif les circonstances qui l’ont amenée à cet acte désespéré. A la Libération, elle a dû payer le prix fort pour une liaison avec un médecin allemand, chef de service à l’hôpital où elle travaillait. Elle dit comment, avec d’autres, elle fut tondue et violée avec une rare sauvagerie. Félix, quand il l’apprend, la rejette. Anéantie, elle le tue à bout portant, … Elle essaye de se suicider au gaz mais en vain. Son père, accablé, lui, y réussira.

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© Roland Baduel

Sylvie Van Cleven incarne ici Pauline Dubuisson avec une grande sobriété jusqu’aux moments les plus sombres d’une existence fracassée. Sa présence, solaire au début, se teinte de gravité, à mesure du récit mais sans aller vers le tragique. Un dispositif scénique léger contraste avec la lente descente aux enfers de la jeune femme: un tissu suspendu se déploie comme une voile blanche dans le vent de l’Atlantique, devient la balançoire d’une enfance insouciante, avant d’être le linceul qui l’ensevelira après son suicide, quand, une fois de plus, elle a été rejetée par un homme qu’elle aime…

Ce voyage entre l’univers solaire et sensuel du Sud et la noirceur du passé, est accompagné par des musiques d’époque, des extraits de la bande-son du film d’Henri-Georges Clouzot et la chanson d’Edith Piaf sur le phonographe de Pauline Dubuisson, quand elle se donna la mort avec des barbituriques: «Laissez-le moi encore un peu mon amoureux. » Un parcours sensible grâce à l’écriture élégante et pudique de Jean-Luc Seigle disparu il y a trois ans.

Je vous écris dans le noir est le premier opus du triptyque Les Obstinées : des portraits de femmes réalisés par la compagnie des Sincères. Dans le second volet, À la recherche de Frida K., Gilles Nicolas et Sylvie Van Cleven essayeront de percer la vie de Frida Kahlo, la célèbre artiste mexicaine (1907-1954), engagée et transgressive.
Le spectacle sera créé du 30 mai au 2 juin prochain à Saint-Pol-de-Léon (Finistère). Et enfin,
À Tire d’elle évoquera Adrienne Bolland (1895-1995), aviatrice intrépide malgré les préjugés, et résistante. Elle a été célèbre pour avoir été la première femme à effectuer la traversée en avion de la Cordillère des Andes.

Mireille Davidovici

Du 12 septembre au 19 octobre, Théâtre de la Reine Blanche, 2 bis passage Ruelle, Paris (XVlll ème) T. : 01 40 05 06 96.

Festival le Temps d’Aimer la Danse à Biarritz On achève bien les chevaux, d’après Horace McCoy, adaptation, mise en scène et chorégraphie de Bruno Bouché, Clément Hervieu-Léger et Daniel San Pedro

Festival le Temps d’aimer la Danse à Biarritz

 On achève bien les chevaux, d’après Horace McCoy, adaptation, mise en scène et chorégraphie de Bruno Bouché, Clément Hervieu-Léger et Daniel San Pedro

Avec les interprètes du Ballet de l’Opéra national du Rhin et les acteurs de la compagnie des Petits-Champs, nous assistons à un marathon de danse comme on en organisait vers 1930 aux Etats-Unis, quand sévissait une grave crise économique… De jeunes couples pauvres dansaient plusieurs heures, voire des jours pour obtenir quelques repas gratuits et un hypothétique prix financier…
Sydney Pollack avait adapté le livre d’Horace McCoy scénariste et écrivain américain de romans noirs (1897-1955) pour son film (1969) avec Jane Fonda dans le rôle de Gloria. Publié en 1935, le premier roman noir de l’écrivain sera traduit en français par Marcel Duhamel en 46. On pense aux pays occidentaux qui laissent de plus en plus de gens sur le bord de la route à cause d’un capitalisme envahissant. Et aujourd’hui en France, les Restos du cœur n’arrivent plus à répondre à la demande.

© St. Bellocq

© Stéphane. Bellocq

«Ce théâtre-récit, dit Clément Hervieu-Léger, est l’histoire de gens qui inscrits à un marathon, dansent sans arrêt et  espèrent gagner le gros lot  pour sortir de la misère, quitte à risquer d’en crever.» Ce marathon permet aussi à certains candidats de se faire remarquer par des producteurs ou metteurs en scène… Et le directeur proclame ironiquement: «Nous faisons Culture ensemble. »
Mais la danse n’est pas ici le seul mode narratif et accompagne le texte d’Horace McCoy. La fusion se fait très bien entre les trente-neuf interprètes du Ballet de l’Opéra national du Rhin et les neuf acteurs de la compagnie des Petits-Champs. Accompagnés par un trompettiste, un batteur, un pianiste et un guitariste-tous excellents- qui impriment leur rythme musical à cette succession d’épreuves.

Socks, maître de cérémonie et directeur (exceptionnel Daniel San Pedro) et ses arbitres Rollo (Lucas Besse) et Rocky (Stéphane Facco) vont transformer cette compétition sportive de soixante-trois jours en un combat cruel de gladiateurs. Il prend le public à témoin de ce marathon entrecoupé de pauses et derbys: des courses circulaires qui épuisent les candidats. «Ce qui se passe est à rapprocher des jeux du cirque romains, dit Clément Hervieu-Léger. Dans ces marathons, le public découvrait d’une certaine façon la misère et assistait à une tragédie humaine.»

Ici, à Bayonne, dans un gymnase surchauffé, le corps des artistes et des spectateurs souffrait, ce qui ajoutait du réalisme à la représentation…. Mais les metteurs en scène ont réussi à condenser cette histoire en une heure trente. Pari gagné… comme on aurait aimé en voir au festival d’Avignon, entre autres au gymnase Aubanel…

Julie Deliquet, elle, avait raté sa transposition d’un centre d’action sociale new yorkais dans la cour d’Honneur du Palais des Papes (voir Le Théâtre du Blog). Mais ici, nous assistons à un vrai théâtre documentaire… Un moment de grâce paradoxal, vu cette plongée inexorable dans la misère. Et Bruno Bouché réussit à bien faire danser les acteurs de la compagnie des Petits-Champs, aux côtés de ses interprètes. «ce spectacle qui parle du dépassement de soi, dit Clément Hervieu-Léger, avec une danse qui devient un sport avec les derbys, a été labellisé par les Olympiades culturelles.» On achève bien les chevaux est donc promis à un bel avenir.

Jean Couturier

 Spectacle vu le 9 septembre, salle Lauga 25 avenue Paul Pras, Bayonne (Pyrénées-Atlantiques).

Les 16 et 17 septembre, gymnase Japy, Paris (XI ème) dans le cadre des Journées européennes du Patrimoine et des Olympiades culturelles.

Du 15 au 21 novembre, Maison de la Danse, Lyon.

Du 15 et 16 février au Théâtre de Caen (Calvados).

Du 7 au 10 mars, La Filature de Mulhouse (Haut-Rhin).

Du 2 au 7 avril, Opéra de Strasbourg (Bas-Rhin).

Et les 11 et 12 avril, Maison de la Culture d’Amiens (Somme).

Le roman d’Horace McCoy a été souvent réédité chez Gallimard, Folio policier 117 et la dernière fois, en 99.

Festival Le Temps d’aimer la danse à Biarritz Portrait, chorégraphie de Mehdi Kerkouche

Festival Le Temps d’aimer la danse à Biarritz

Portrait, chorégraphie de Mehdi Kerkouche

Il bondit sur le plateau et on ne voit que lui ! Le jeune directeur du Centre Chorégraphique National de Créteil a remplacé un de ses danseurs pour la suite de cette tournée de Portrait. Nous avions découvert cette œuvre à sa deuxième représentation (voir Le Théâtre du blog) et le temps l’a bonifié.

 

Stéphane Bellocq

©Stéphane Bellocq

Ce spectacle, très joué cet été à la Scala Provence pendant le festival d’Avignon, a trouvé son rythme. Reste à voir la suite pour ce jeune artiste : être danseur, chorégraphe et directeur de structure n’est pas simple, même si l’expression « en même temps » est à la mode. Le grand plateau de l’ancienne gare de Biarritz convient bien à cette histoire de famille. Les lumières, presque exclusivement latérales, de Judith Leray magnifient les mouvements de ce groupe d’interprètes unis qui se dissocie tout au long de la représentation pour se retrouver à la fin autour du portrait d’un chat de gouttière!

Avec sa compagnie Emka, Mehdi Kerkouche, originaire de cette ville, a fait l’ouverture du 31 ème festival Suresnes-Cités Danse en janvier dernier, en présence des siens. Et dans ce Portrait, nous pouvons voir des histoires de famille, mais “chacun, selon le chorégraphe, lit sa propre histoire, en fonction de sa sensibilité et de son vécu.” Les danseurs ont des gestes précis et la bande-son très « dansante » de Lucie Antunes leur insuffle une énergie communicative. Ce spectacle d’une heure a conquis le public de Biarritz et séduira celui de la Scala à Paris. il faudra, bien sûr, suivre le parcours de Mehdi Kerkouche…

Jean Couturier

Spectacle vu le 10 septembre à la Gare du Midi, 23 avenue du Maréchal Foch, Biarritz ( Pyrénées-Atlantiques).

Le Temps d’Aimer la Danse se poursuit jusqu’au 18 septembre avec cinquante spectacles gratuits, la reprise de Cendrillon de Thierry Malandain avec le Ballet Nice-Méditérannée.
Et il y aura aussi des chorégraphes à suivre comme Martin Harriague, Edouard Hue, Christine Hassid…

 

 

 

Festival Spot dixième édition Gloria Gloria de Marcos Caramés-Blanco, mise en scène de Sarah Caramès-Rochette

Festival Spot: dixième édition

Gloria Gloria de Marcos Caramés-Blanco, mise en scène de Sarah Caramès-Rochette

Six jeunes troupes invitées pour cette édition au Théâtre Paris-Villette. La compagnie troisbatailles ouvre le feu. Sur le plateau, dans le fond, une seconde scène avec des sortes de nuages peints, et devant, un praticable avec quelques marches où officie un bruiteur à vue. Devant une étagère, une plaque de cuisson à gaz et sur le côté, un lavabo et côté jardin, un w.c sans porte.
Gloria est une auxiliaire de vie soumise à une vieille dame dictatoriale qui marche avec un déambulateur. Elle passe l’aspirateur, toujours une cigarette au bec et appelle sans arrêt Rita, sa meilleure amie, pour tenir le coup. Elle a aussi un amoureux, José, qui est exigeant et ne fait aucun effort pour chercher du travail. Il est aussi dictatorial que la patronne de Gloria et, comme elle ne le supporte plus, elle prépare vite fait sa valise pour le quitter à jamais. Mais il revient et elle lui prépare une assiette de pâtes…qu’elle saupoudrera vite fait d’un puissant somnifère. Bingo ! Il va s’écrouler la tête dans son assiette. Sans doute mort.

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L’auteur qui dit avoir voulu croiser « Akerman et Almadovar, Genet et Britney, la Divine de John Waters et la Bella du Dirty Weekend d’Henel Zahavi » retrace  vingt-quatre heures de la vie  de cette jeune femme qui veut se libérer de toute obligation sociale et la pièce finira sur une relation amoureuse avec une autre jeune femme dans une sorte de coque feutrée rose ressemblant à un sexe féminin. Enfin libérée de tout lien qui l’empêcherait de vivre…
Il y a aussi une drag-queen, des airs de Patty Smith, et bien conventionnels, des jets de fumigène qui n’ont rien à faire là. Mais cette dramaturgie, très influencée par des scénarios de cinéma avec de courtes scène, ne fonctionne pas. La faute surtout à un texte assez prétentieux et qui voudrait être une sorte de rituel mais qui, après les dix première minutes, part dans tous les sens ! Non, il n’est ni «drôle et touchant» selon la note d’intention et distille un ennui de premier ordre.
Et ce qui aurait pu être un sketch d’une trentaine de minutes sur l’histoire d’une émancipation féminine où l’héroïne dévaste tout, ne tient pas la route sur presque deux heures…

Sarah Delaby-Rochette a conçu une mise en scène précise et d’une grande rigueur, mais, comme elle le reconnaît, «s’attaquer à une pièce de Marcos, c’est être au pied d’une montagne avec seulement ses mains et sueur pour la gravir. » Comme elle dit, cela a peut-être été une «réjouissance» pour elle, mais ne l’est pas vraiment pour les spectateurs… qui ne sont pas les copains des acteurs! Refrain connu…
Nous aimerions revoir dans un texte plus convaincant ces jeunes comédiens. Lucas Faulong, Katell Jan, Benoît Moreira da Silva et surtout la remarquable Gaïa Oliarj-Inès font le maximum pour donner vie au texte de Marcos Carames-Blanco. Mention spéciale à cette jeune actrice en permanence sur la scène. Très investie, elle a une redoutable énergie et grâce à elle, ce spectacle arrive à tenir…

Philippe du Vignal

Spectacle vu le 12 septembre au Théâtre Paris-Villette, jusqu’au  13 septembre, 211 avenue Jean Jaurès, Paris  (XIXème). T. : 01 40 03 74 20.

Du 15 au 16 septembre, La Mécanique des émotions  Eugénie Ravon/ Kevin Keiss; du 18 au 19 septembre La Freak, journal d’une femme vaudou  Sabine Pakora ; du 21 au 22 septembre Le Sommeil d’Adam  Ido Shaked, Lauren Houda Hussein ; Du 25 au 26 septembre : MER Tamara Al Saadi. Du 28 au 29 septembre : Dernier amour Hugues Jourdain.

 

La Mousson d’été 2023 ( suite et fin)

 La Mousson d’été 2023 ( suite et fin)

 Une vingt-neuvième édition marquée par la singularité et la diversité esthétique de textes à forte dimension poétique. Cette année, pas de thème mais «imaginer et interroger notre monde» a été la ligne de Véronique Bellegarde, directrice artistique de cette manifestation en l’honneur de l’écriture dramatique contemporaine. Depuis sa création en 1995, c’est un événement international et unique en son genre ! Pour les artistes comme les intervenants et le public, fidèles ou pour une première, le désir d’assister ou de revenir reste intact.

©x Lluïsa Cunillé

©x Lluïsa Cunillé

Ces trois premiers jours passés furent passionnants ! Avec entre autres : Fendre les lacs de Steve Gagnon (Québec) mais aussi avec Cet air infini de LIuïsa Cunillé (Espagne) ou Les Vies authentiques de Phinéas Gage de Marie de Piemontese et Florent Trochel (France). Et pour finir toute en beauté : Aurora travaille de Mariana de la Mata (Argentine), mise en espace de Laurent Vacher, une des pépites de ce festival.

Au Gymnase, le 24 août, jour d’ouverture, a été présentée en première et seule lecture, Le Cercle autour du soleil de Roland Schimmelpfennig,(voir Le Théâtre du Blog), remarquablement traduite par Robin Ormond. Bien loin d’un univers réaliste et malgré un rythme fragmenté et un récit éclaté, le texte réussit à captiver le public.
La construction originale et très habile de l’écriture nous a surpris. L’espace-temps est ici celui d’ une fête organisée en fin de la première période de la covid. Mais se fait jour «le malaise social que nous vivons au quotidien, les inégalités, le racisme. (…) les mépris de classe: les infirmières mais aussi les petits métiers: serveurs, etc. et des espaces de confinement allant de 10 à 1.000 mètres carrés, maisons de campagnes… » comme le dit Gérard Watkins, dans Temporairement contemporain, la gazette de la Mousson.

Forte émotion du public traversé par ce sentiment d’être invité à partager la fête! Poignante, comique, d’une force d’écriture indéniable : «La grande beauté de l’écriture du dramaturge allemand réside dans son économie de mots qui déploie en quelques lambeaux de phrases des histoires entières », remarque Robin Ormond, le traducteur, dans un entretien d’Arnaud Maïsetti

Pour lire en ouverture, ce texte d’un haut niveau théâtral et d’une dramaturgie complexe avec un temps de répétition très court comme toujours à la Mousson, il fallait l’audace et la confiance envers le public et les artistes de Véronique Bellegarde! Le lancement de cette édition 2023 a fait le bonheur de tous, impatients de connaître les prochains jours. La première journée, 25 août, a laissé place à trois autres lectures, toujours aussi étonnantes.

 

©x Centre national d'Ottawa

©x Centre national d’Ottawa

Fendre les lacs  de Steve Gagnon

Une pièce de l’auteur, comédien et metteur en scène québécois qui a pris soin d’adapter pour un public français les accents et expressions. Sous le chapiteau des marronniers, l’artiste-poète nous ouvre un monde en marge pour une société comme la nôtre, sous le joug d’une consommation sans limites.Steve Gagnon nous alerte et montre comment infatigable, l’économie capitaliste gangrène les espaces les plus reculés. Ici, une forêt au bord d’un lac au Nord du pays, où vivent huit personnages dans des cabanes de chasseurs. Près d’un lac dont il faut bien vivre. Ici, «cela voudrait bien dire survivre à soi (.) vivre par désœuvrement autour du lac, et à rêver d’un ailleurs vainement. »
Un milieu où l’animalité des êtres se confond avec la sensibilité et la conscience humaine. Des personnages en proie à l’ennui, à un exil forcé et au désir d’un lendemain plus radieux. Ce mélange crée une certaine étrangeté dans cette histoire… Nous sommes face à une communauté mi-familiale et l’auteur nous emmène loin, très loin, tout en restant  au bord du lac, un espace clos, point névralgique de tous les désirs, souffrances et angoisses.

Nous allons à la rencontre de ces habitants, étouffés par la nature somptueuse mais lourde et qui les isole, avec leurs douleurs, cauchemars, espoirs : Il faut partir mais où? Et recommencer: mais quoi ?
Rien à voir ici avec une fable traditionnelle. Nous basculons dans un récit théâtral d’une profonde poésie, d’une intensité sensuelle et d’une forte tension. Les personnages qui n’ont rien d’extraordinaire, sont des êtres comme les autres. En lutte avec le monde d’aujourd’hui agité, uniformisé et hostile à l’étranger. Nourri d’injustices et en proie à une pauvreté grandissante. Ils sont en demande d’une vie meilleure, d’amour, et veulent en finir avec une pénibilité de tous les jours.

Du rêve dans leur la vie, de l’excitation, de la beauté, tels pourraient être la signification de leurs cris, déchirures et solitudes. L’auteur a une ligne politique et esthétique : il veut que ses pièces se terminent «bien», ou du moins, nous libèrent du tragique et laissent planer un espoir…
Dans sa direction d’acteurs, Steve Gagnon tient à certains principes : « Pas la peine pour les acteurs d’être lyriques, mais bien concrets, car l’écriture est lyrique. (…) Ils doivent heurter en ligne droite, gueuler fort avec une invention langagière qui nous fait forcément avancer. (…) Dans une lecture, on fait une plongée, je préfère cela, plutôt que des acteurs qui se préservent, mais oui, il y a dans l’écriture du texte, des endroits où l’énergie peut redescendre… »
Ce tempo, bien vivant pendant la lecture, fut mis en rythme et avec grâce par tous les comédiens. Nous avons été réjouis par l’étincelante théâtralité en l’ écriture de Steve Gagnon et par la dimension poétique de cette mise en espace.

Cet air infini de LIuïsa Cunillé, traduction de Laurent Gallardo

En deuxième lecture, vendredi 25 août, Cet air infini, de LIuïsa Cunillé, texte traduit de l’espagnol  par Laurent Gallardo de la Maison Antoine Vitez, habitué du festival. La traduction en français a été demandée par l’autrice catalane. Le texte fait appel à Ulysse et à des figures du théâtre antique grec. Cependant ici, ils ne s’agit pas de réactualiser ces personnages mythiques mais de les inscrire dans une continuité pour les laisser advenir dans notre monde contemporain. Ulysse est ici un ingénieur immigré. Doit-il rester vivre dans la ville qu’il est en train de bâtir, ou reprendre la route pour retrouver son pays et sa famille? Il fait la rencontre d’une femme aux lunettes noires dont l’identité s’avère changeante : «Elle est à la fois Électre qui revient des funérailles de sa mère, Phèdre, tombée amoureuse de lui, Médée qui sort de prison ou encore Antigone, sœur d’un terroriste.»

Un univers dramatique tout autre que celui de la lecture précédente. Comme une variation et avec comme points communs: un paysage du chaos du monde et de ses bouleversements humains et sociaux : la quête de l’identité, du rapport à l’autre, de la différence, qui à leur tour nous interrogent  

Une pièce d’une exigence à la fois poétique, politique et apolitique. «Un théâtre d’art» selon son traducteur Laurent Gallardo. Il souligne que le titre est un vers issu d’un poème de Pedro Salinas : « Civitas dei, aux accents dystopiques sur l’espace urbain moderne déshumanisé. Une des clés de lecture. »
Cette pièce soulève en effet la question de la modernité et de la construction urbaine, une question socio-politique et culturelle concernant les migrants et d’actualité : «Qui a construit la ville nouvelle? Ce sont les migrants. (…) LIusïa Cunillé montre la continuité entre le destin des migrants et la trajectoire de nos propres mythes. (…) Elle ne nous dit pas comment penser le monde, mais nous met face au questionnement de notre identité et de la réalité contemporaine. »

Un moment fort avec une interprétation tout en finesse de Géraldine Martineau et Jackee Toto, sur une musique d’Hervé Legeay. Et sans oublier, une mise en espace ingénieuse de Véronique Bellegarde : la lecture programmée à l’extérieur a dû au dernier moment, face aux caprices de la météo, avoir lieu à l’intérieur. Petite frustration sans doute comblée quand la pièce sera mise en scène: nous ne percevons pas pas toujours, clairement d’un point de vue dramturgique, ici les célèbres figures  de l’antiquité grecque : Électre, Médée, Phèdre, Ulysse…

En ce deuxième jour, samedi 26 août, Aurora travaille de Mariana de la Mata, traduction de Victoria Mariani et Emilia Fullana Lavatelli.

Sous le chapiteau des marronniers un texte de cette autrice argentine. Une magnifique découverte avec une puissante dramaturgie et remarquable interprétation de Pierre de Brancion, Paul Fougère, Christine Koetzel, Charlie Nelson et Alexiane Torrès.

Avec encore une fois, une mise en espace, simple mais évocatrice, cette fois sous la direction de Laurent Vacher. Le metteur en scène est ici au plus proche de cette fiction théâtrale. La sensibilité du jeu, la profération du texte, la stature des comédiens, et les éléments de décor forment un ensemble théâtral dense d’émotion et de pensée

La langue par son mouvement et ses mots, fait naître une foison d’images.Un combat prend naissance avec Aurora pour «traquer les lâchetés et placer entre les mains de femmes vaincues d’hier, les forces de ne pas s’en tenir là – du haut de son toit, observant l’horizon par-delà la forêt. » (…) « Aurora travaille pour d’autres futurs, pour ses frères arrachés à l’abrutissement et pour ses cours d’armes. »
Cette mise en espace met en valeur l’écriture, le sous-texte et l’histoire dans toute la dimension tragi-comique mais aussi politique, de notre temps. Et au plus près des relations humaines, avec une intelligence du cœur et une rare subtilité.
Bouleversant ! Nous retrouvons la pièce comme dans Fendre les lacs, un milieu hostile et misèrable, là, dans la Pampa; au bord de l’autoroute, Aurora vit avec sa mère Irène qui ne cesse de tricoter, simulacre Pénélope et deux «idiots», des adolescents qui passent leur temps à jouer sur leur console.
Jacquot, alcoolique, et libidineux, emploie Aurora à la station-service et lui propose pour compléter son salaire de s’occuper des étrangers venus construire une église évangélique et chasser le cerf.
Partir ? Ou lutter et rester…. Aurora ne se laisse pas dominer et abattre par la violence humaine et la chasse à tous les sens du terme !Comme au premier jour du festival après Fendre les lacs, le public était invité à une conversation chaleureuse et pleine d’humour, avec le traducteur, auteur et metteur en scène Steve Gagnon. Et à un rendez-vous avec Laurent Gallardo, à propos de Cet air infini. Un moment qui s’est révélé passionnant et instructif avec pour thème Le Texte et son contexte : quand faut-il s’arrêter de traduire? Laurent Gallardo a été bien au-delà de cette thématique et les participants ont saisi la complexité et les enjeux poétiques et musicaux du travail minutieux de traduction. Rencontres et débats, en relation étroite avec les lectures à l’affiche, éclairent par leur clarté, l’intelligence des propos, la transmission des écritures traduites.

Autre point fort: l’Université d’été européenne. Un espace pédagogique et culturel de haut niveau mais accessible aux étudiants, professionnels de l’art vivant, enseignants, passionnés… Depuis toujours sous la direction de Jean-Pierre Ryngaert, professeur émérite en études théâtrales à la Sorbonne Nouvelle-Paris III- qui enseigne la dramaturgie à l’École régionale d’acteurs de Cannes et Marseille. Il offrait une possibilité d’analyser en profondeur le programme du festival. Les ateliers étaient animés par une équipe fidèle: Jean-Pierre Ryngaert, Joseph Danan, Nathalie Fillion et Pascal Henry….

« Vivre sa vie coûte que coûte ! » face aux sociétés urbaines ou plus archaïques, et de leurs lois. Explorer « notre contemporain »  où l’exclusion, la tragédie des migrants, le pouvoir économique et le monde virtuel ne cessent de grandir… Des questions souvent tragiques et d’une actualité mondiale habitant les pièces du festival. Elles posent avec pertinence et beaucoup d’imagination,  des interrogations cruciales pour notre avenir et mettent en cause avec esprit, le système capitaliste. « Sommes nous des individus façonnés par les automatismes de notre société ou pouvons-nous tenter la traversée de nos existences comme une aventure personnelle et inédite? » comme le laisse entendre parmi d’autres pièces, l’existence véridique et le destin d’un homme dans Les vies authentiques de Phinéas Gage.

Une édition de la Mousson d’été réussie haut la main ! Avec des pièces de grande qualité qui ont fait résonner sans pathos ni discours moral mais avec un esprit aiguisé, notre XXI ème siècle si mal en point. Et d’avant ! Avec ces incroyables vies authentiques de Phinéas Gage, à la fois récit de vie et théâtre documentaire de Marie Piemontese et Florent Trochel (France). Phineas P. Gage (1823-1860) était un contremaître des chemins de fer américain qui subi un profond changement de personnalité à la suite d’un accident du travail (une explosion qui avait provoqué un traumatisme crânien majeur, ce qui avait fait de lui un cas d’école en neurologie.

Même si, pour quelques textes comme celui de vies authentiques de Phinéas Gage, ou pour Cet air infini, le format de la mise en espace est parfois insuffisant pour rendre compte dans toute son ampleur théâtrale de l’incroyable mais authentique destin de cet ouvrier. Et ce malgré de très bons comédiens. Certaines oeuvres ont besoin d’une mise en contexte produite par la mise en scène et qu’une lecture, parfois,  ne saurait permettre.

La suite de cette Mousson d’été futaussi jubilatoire, et nombreuses sont les pièces représentant nos inquiétudes, à la fois fortes et légitimes. «On pourrait dire que beaucoup de ces textes, prenant le pouls de ce monde, partagent une profonde inquiétude à son égard, mais qu’aucun ne cède au didactisme – certains d’entre eux peuvent être terribles, mais ils le sont d’autant plus qu’ils le font comme à pas feutrés, ou de manière contenue. C’est cette violence sourde, (…) qui me frappe dans beaucoup de ces pièces, comme si à tout moment, tout pouvait s’embraser, individuellement et collectivement.(…) Ce n’est pas nouveau, et peut-être le théâtre, cet art de la relation, est-il le lieu pour cela: c’est aussi en disant une parole aimable que peut se faire entendre une chose terrible », entretien avec Jean-Pierre Ryngaert, directeur des ateliers de l’Université d’été et membre du comité de lecture de la Mousson d’été.

Un point important : dans ces textes, existe aussi une parole théâtrale plus joyeuse, ouvrant sur la vie et ses forces bénéfiques, l’amour et la création, l’invention, et la puissance de l’imagination… Ces thématiques, souvent abordées dans le théâtre contemporain ont fait la preuve en cette édition d’une invention langagière et d’une originalité marquante. Et ce n’est pas un hasard, si elles sont mises en lumière par une place considérable offerte dans ces pièces, à la poésie.

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©x Monica Isakstuen

Autre plaisir, notable, le nombre honorable d’autrices : neuf sur les dix-sept dramaturges au programme : Lluïsa Cunillé (catalane), Mona El Yafi (française), Monica Isakstuen (norvégienne), Mariana de la Mata(argentine), Tatjana Motta (italienne), Mariette Navarro, Marie Piemontese, Pauline Sauveur et Lydie Tamisier (françaises). Une belle reconnaissance à poursuivre !

Cette manifestation suit son cours au-delà du festival ! La Mousson d’été permet à des textes programmés d’être ensuite mis en scène, et de soutenir concrètement des écrivains, des éditeurs et la profession théâtrale dans son ensemble. De nouveaux partenariats avec des universités et d’autres pôles professionnels, et culturels, sont à l’étude pour 2024.

©x Lucien Attoun à droite en 159 jouant Les Perses d'Eschyle à Mers-el-Kébir ( Algérie)

©x Lucien Attoun à droite en 1959 jouant Les Perses d’Eschyle à Mers-el-Kébir ( Algérie)

Pour conclure, rendons hommage à Lucien Attoun, disparu au printemps (voir Le Théâtre du Blog). Il a été l’inventeur en 1968 avec sa femme Micheline de cette pratique artistique et théâtrale, osée: la mise en espace !

Elisabeth Naud


Festival La Mousson d’été, Abbaye des Prémontrés, Pont-à-Mousson (Meurthe-et-Moselle).

 

 

 

Flouz, conception et réalisation d’Olivier Fredj, direction musicale de Shani Diluka

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Flouz
, conception et réalisation d’Olivier Fredj, direction musicale de Shani Diluka

Au Châtelet, le metteur en scène ouvre la saison avec Flouz : cirque financier. Il vient à la fois de l’opéra et des milieux socio-éducatifs et s’est lancé dans une aventure artistique généreuse : dire sur scène le monde actuel du point de vue de ceux qui sont relégués dans les marges et qu’on n’entend jamais : «les sans dents» de François Hollande et «ceux qui ne sont rien» selon Emmanuel Macron.

Paradox Palace, deuxième volet d’un triptyque théâtral et musical a été écrit en milieu carcéral avec Watch, un cabaret musical sur le Temps, créé en 2022 avec la pianiste virtuose Shani Diluka et le DJ Matias Aguayo. « D’où vient l’argent, le pognon, le blé, la thune, le flouz? »
Des ateliers d’écriture ont été menés en partenariat avec le Centre pénitentiaire de Meaux-Chauconin, la D.R.A.C Île-de-France, le Samu social de Paris, l’école élémentaire Jeanne d’Arc Paris (XIIIème), les EPHAD du Centre d’Action Sociale de la ville de Paris et l’Unité mobile des soins palliatifs à la Pitié-Salpêtrière. Et en collaboration avec l’Académie musicale Jaroussky et avec les soutiens de la Fondation La Poste et Humanités Digital Numérique..

Aborder ces questions avec les plus démunis, plutôt qu’avec des économistes et des financiers, inverse notre système de valeurs. Nous sommes surpris par la lucidité et l’humour de ceux qui sont venus en nombre sur le plateau du Châtelet, raconter, avec des mots à eux, leur rapport à cet argent qui mène le monde.
Accompagnés en continu, par la musique minimaliste distillée par Shani Diluka, pianiste virtuose et première femme du continent indien à entrer au Conservatoire de Paris, et par l’Ensemble Intercontemporain dirigé par Jérôme Comte.Les musiques obsédantes de Philip Glass, John Adams, John Cage, Daft Punk, Moondog… alternent avec les boucles électroniques plus festives de Matias Agguyo, idéales pour esquisser des danses urbaines, soutenir des vers slamés, ou encore le poignant récit d’un naufragé en Méditerranée. 

Ici, on comprend mieux la pauvreté que la richesse et comment l’argent a conduit certains à leur perte. «A quoi sert d’amasser du fric ?» demande l’un. «Pourquoi nait-on rentier ?» s’interroge un autre. Une femme raconte comme elle fait la manche et un homme, ce que signifie vivre dans la rue…
Un travailleur social parle d’un système financier qui produit du déchet, y compris humain. Il est question ici de religions, classes sociales, santé, accumulation capitaliste mais aussi de l’empereur Vespasien qui créa à Rome une taxe fiscale sur la collecte durine.
Une visite humoristique de la prison, palace du pauvre avec petit déjeuner de huit à dix, et cour pour les promenades, nous fait rire mais l’adresse de Sofiane à sa mère nous serre le cœur…. Pour détendre l’atmosphère, une pluie de billets colorés tombe… L’argent a bien une odeur :  il pue!

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Aux paroles des uns et des autres, orchestrées par un Monsieur Loyal virevoltant qui, d’une séquence à l’autre, décortique tous les aspects de «l’oseille », se joignent les cascades des acrobates de la compagnie XY qui escaladent et tombent des échafaudages constituant le décor.
Les voix d’Emma FC, Jacques Mazeran, Nadir Chebila, Hadyl Amar, Frédéric Guiri, Pazzo, Hosmane Chelgoui alias Haiss, Mara, Alphonse. Khalid, Garan, Maher, Jolan, Babe Gucci, C7VilaConho, Mimoun, Lacrim, Jumo, se succèdent, portant leur propre récit ou celui d’un autre. Chaque nom est projeté sur un écran, même ceux des participants qui ne sont pas présents sur scène. Le chien Okami suit joyeusement les interprètes et joue parfois le rôle d’aboyeur.

De cette troupe en perpétuel mouvement, émane une belle énergie. « La polyphonie, c’est la résolution unitaire et parfaite des diversités du son et de la voix, insuffisantes à elles-mêmes dans leur seule spécificité.», écrivait dans son Traité du Tout-Monde, l’écrivain martiniquais Édouard Glissant (1928-2011).

Ce cabaret est à la fois joyeux et émouvant, et toute parole éclairée par la réalisation soignée de grands professionnels de la musique et du théâtre, prend ici de la valeur. Il ne s’arrête pas aux quelques représentations publiques et a facilité la réinsertion socio-professionnelle de plusieurs détenus. Grâce à ce spectacle et à des promesses d’embauche ferme, six personnes ont bénéficié en 2022 de remise de peine, et dix en 2023. Et certains d’entre eux commencent une carrière artistique. Tous sont heureux et fiers d’être entendus.

Match, le troisième volet est en route et on y aborde les questions de l’identité, du regard porté sur soi et sur les autres, des réseaux sociaux et des liens familiaux. Puis un festival, Paradox Stadium, reprendra sur trois jours les travaux réalisés entre 2022 et 2024. A suivre…

Mireille Davidovici

Spectacle joué du 8 au 10 septembre au Théâtre du Châtelet, Place du Châtelet Paris (I er). T. : 01 40 28 28 28.

Anatomie d’une chute, un film de Justine Triet

 Anatomie d’une chute un film de Justine Triet

Sandra, Samuel Maleski et Daniel leur fils malvoyant âgé de onze ans, vivent près de Grenoble. Un jour, Samuel est retrouvé mort en bas de leur chalet dans la montagne. Suicide? Homicide? Une enquête pour mort suspecte est ouverte. Sandra est inculpée malgré le doute. Un an plus tard, Daniel assistera au procès de sa mère. Un film joué par Sandra Hüller, Samuel Theis, Milo Machado Graner, et Sophie Fillières disparue en juillet dernier. Cette fiction a reçu la Palme d’or au festival de Cannes cette année. Intéressante à plus d’un titre mais soulevant de nombreuses questions. Le pédopsychiatre et psychanalyste que nous sommes, demande l’aide d’un avocat…

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Ici, aux Assises, un psychiatre parle de Samuel, son patient défunt et évoque la position «castratrice» de Sandra, son épouse accusée de meurtre.
Passons sur la sottise de ce genre d’argument (en fait un jugement dont la partialité évoque surtout l’étroite relation que ce psychiatre entretient avec son patient) tout comme une identification inconsciente à ses difficultés.
Dans les cas de divorce conflictuel, les hommes sont régulièrement accusés d’être des pervers narcissiques par les avocats des épouses et par leurs psychothérapeutes… Et vice-versa!
Les diagnostics sont alors utilisés comme des insultes.
Plus sérieusement, le psychiatre a-t-il le droit de ne pas respecter dans un tribunal le secret professionnel qui
peut juste être levé en cas de maltraitance d’un enfant, ou de possibilité de passage à l’acte criminel. Mais la violation du secret de ce qu’ont dit les patients est inadmissible… La seule condition du « pouvoir tout dire » à l’analyste, même les choses les plus irrecevables comme l’a institué Sigmund Freud, est une règle fondamentale.

Tout dire, c’est être impitoyable avec soi-même, s’interroger avec rigueur et faire un travail de découverte sur les pensées inconscientes qui sont habituellement refusées/refoulées par le sujet. Et la question de la vérité est précisément celle que pose le film. Elle concerne à la fois le juge, l’avocat et le psychanalyste. Ou encore, le philosophe, ou n’importe quel sujet…
Quelles vérités (inconnues) nous traversent-elles et peuvent-elles être cernées par un couple qui s’interroge? Comment percevoir certaines vérités qui dérangent et mettre des mots sur ce qui lie et délie un couple, sur ce qui tisse le lien amoureux et le défait? Un vaste thème qu’aborde Justine Triet et qui en fait tout l’intérêt…

Nous avons été sensible au caractère dominateur ou «castrateur» de Sandra, comme dit le psychiatre qui prend maladroitement la défense de son patient.  Mais il est mal à l’aise avec la question de la domination féminine (nous inversons à dessein le titre: La Domination masculine de Pierre Bourdieu. Il ressent surtout l’échec de  cet écrivain et son incapacité à écrire, face à la réussite de sa compagne.
Le suicide de Samuel témoigne de son propre effondrement et de son incapacité à exister par, et pour lui-même. Pas la peine d’être jeté dehors, ou par le balcon par sa femme… Lui-même s’est envoyé « ad patres ».
Ici la question se déplace: plus besoin d’accuser Sandra de meurtre… C’est bien utile, le couple! L’un rejette ses propres incapacités sur l’autre et le tour est joué. A la fin, la scène d’explication entre Samuel et Sandra est particulièrement explicite. Elle ne se gêne pas pour dire à son mari toute son impuissance. Sa jalousie  éclate au grand jour et il pense que l’autre, bien sûr, lui vole toutes ses idées et les meilleures pages de ses livres….

On peut penser à des couples comme Jean-Paul Sartre et Simone de Beauvoir, Aragon et Elsa Triolet, ou plus près de nous, Julia Kristeva et Philippe Sollers. C’est leur affaire, nous dira-t-on, et ils se sont arrangés pour résoudre leurs différends. Bien sûr, mais la question est bien celle de l’emprise ou de la fécondité qu’un écrivain peut avoir par rapport à l’autre.
Et n’importe quel couple peut vivre la même chose et en souffrir! Comment fonctionne-t-il? On se soutient, ou on s’entretue… On peut projeter sur l’autre tous ses manques, tous ses échecs. L’amertume et le ressentiment empoisonnent les relations.  Cynthia Fleury, dans son beau livre Ci-gît l’amer, dit qu’il faut rester vigilant. « Le ressentiment est un poison d’autant plus létal qu’il se nourrit du temps pour grossir et gagner en profondeur le cœur des hommes. (…) La faculté d’oubli est un chemin pour se protéger du ressentiment, avec cette faculté essentielle qui consiste à ne pas recouvrir l’oubli par le seul désir d’oublier. »
    
Dans ce film, nous ne saurons jamais qui a vraiment filé par la fenêtre…Dernier point, et non des moindres: la maltraitance d’un enfant ici envahi par les propos d’adultes. Faire comparaître Daniel, onze ans, comme témoin, même assisté, dans une Cour d’assises, est d’une rare cruauté. L’y interroger sans les égards et précautions liées à son âge, alors que sa mère est accusée de meurtre, c’est induire en lui tous les soupçons, faire surgir toutes les angoisses, tous les cauchemars. On manipule ici publiquement un enfant! Pour le pousser  au suicide, on ne fait pas mieux! Et Daniel (onze ans) y pense, quand il est devant la fenêtre d’où son père s’est jeté.

Mais nous avons apprécié cette question de la vérité humaine que traite Justine Triet, et si difficile à cerner. La vérité judiciaire n’est pas la véracité. Mais qu’est-elle? Vaste question.  Indicible, voire irreprésentable. Et en psychanalyse, elle est encore plus abyssale, puisque liée à l’inconscient du Sujet. C’est donc à une vérité bien aléatoire que Daniel, est, comme nous spectateurs, confronté.
Avec intelligence, la réalisatrice n’a pas voulu montrer la chute de Samuel par la fenêtre. Comme la chute, la vérité est indécidable. Souvent fuyante ou à reconstruire, lors des « après-coups « qui permettent de faire retour sur le passé. Sigmund Freud nommait « nachtraglich », cette vision qui remodèle nos souvenirs. Grâce à cet « après coup », même le passé est imprévisible…
Nous avons aussi bien aimé cette scène où Sandra évoque sa position de mère-courage, face au handicap de son fils. Loin de le considérer comme amoindri ou défaillant, elle met l’accent sur ses capacités à vivre et sur tout ce qui peut s’épanouir encore chez lui. Un autre sens du corps pourra alors prendre le relais d’une fonction défaillante. Ray Charles qui avait perdu la vue à sept ans, est devenu un grand musicien… 

Jean-François Rabain

       

Festival du Moulin de l’Hydre (suite) Le Rameau d’or, texte et mise en scène de Simon Falguières

Festival du Moulin de l’Hydre (suite)

Le Rameau d’or, texte et mise en scène de Simon Falguières

Le festival est pour l’auteur-metteur en scène, outre la reprise de son specacle jeune public Morphé ( voir le Théâtre du blog) l’occasion de présenter de nouveau cette pièce, écrite pour les élèves de troisième année du Conservatoire National Supérieur d’Art Dramatique. Simon Falguières nous transporte du mont Olympe où l’on fête en famille le retour de Perséphone, à un pauvre village où sévit la guerre : «Du temps où le dieux se prenaient pour des hommes et les hommes pour des dieux…» 

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© Yacine Bayan

La fille de Déméter revient comme chaque printemps du monde d’Hadès, le roi des Enfers. Le repas promet d’être ennuyeux avec chamailleries autour du sempiternel canard à l’orange, jusqu’au moment où Perséphone raconte une terrible histoire: dans les Enfers, des milliers d’hommes, femmes et enfants entrent avec leur tête sous le bras. Ils ne peuvent pas parler mais écrivent sur le sable le nom de leur persécuteur : Minaï.
Les dieux sont horrifiés. Orphée, invité au banquet, connaît ce personnage. Il leur raconte la tragédie de ce guerrier sanguinaire et le voyage de sa fille Maya, partie de l’autre côté du monde venger sa famille détruite par Minai.

Cette fable aux cinquante personnages conjugue tous les genres théâtraux  et les tableaux empruntent à la mythologie grecque, à L’Enéide de Virgile avec son fameux rameau d’or, un viatique donné ici au compagnon de Maya par Athéna, pour qu’elle pénètre au royaume des morts et retrouve son père.
Il y a aussi du Shakespeare, avec un fou à trois têtes qui attise l’ubris meurtrière de Minaï. Mais loin de la cuistrerie, l’écriture fait une large place à la drôlerie d’un Molière. La Reine et ses courtisans en noir et fraises blanches sont comme tout droit sortis d’un tableau de Vélasquez mais la souveraine, éternellement alanguie, ressemble à la reine de cœur d’Alice au pays des merveilles. En uniforme bleu horizon, des soldats nous transportent au pas cadencé dans une guerre d’autrefois.

L’imagerie,  souvent burlesque,  tisse un récit foisonnant qui enchante le public. Lomane De Dietrich, Théo Delezenne, Hermine Dos Santos, Ryad Ferrad, Myriam Fichter, Mikaël Don Giancarli, Olenka Ilunga, Antoine Kobi, Eva Lallier-Juan, Samantha Le Bas, Tom Menanteau, Julie Tedesco, Zoé Van Herck, Patrig Vion et Joseph Ike Zacsongo se confrontent au plein air. Mais certains ne sont pas tous à l’aise et peinent à s’imposer. Reste la belle écriture et la mise en scène saisissante et  fluide de Simon Falguières, habile conteur…

 Mireille Davidovici

Spectacle joué les 1er et 2 septembre au Moulin de l’Hydre, Saint-Pierre-d’Entremont (Orne).

Reprise de Morphé du 19 octobre au 5 novembre, Théâtre Paris-Villette, Paris (XIX ème).

Le 22 mars, Théâtre du Château d’Eu (Seine-Maritime).

Du 25 au 29 mars, Comédie de Caen-Centre Dramatique National (Calvados).

Du 8 au 13 avril, Transversales-Scène conventionnée de Verdun (Meuse).

Le 4 mai, Saint-Junien (Haute-Vienne).

Wasted de Kae Tempest, traduction de Gabriel Dufay et Oona Spengler, mise en scène de Martin Jobert

Wasted de Kae Tempest, traduction de Gabriel Dufay et Oona Spengler, mise en scène de Martin Jobert

Qui, à quinze ans, ne s’est pas projeté dans un avenir lumineux ? Et que sont, dix ans plus tard, ces rêves devenus ? Trois amis se rassemblent pour fêter la mémoire de leur camarade Toby mort à la fleur de l’âge.
L’occasion de revenir sur le passé et de faire le bilan de leur vie de jeunes adultes. Ted (Tristan Pellegrino) s’ennuie au bureau comme à la maison ; l’habitude n’a-t-elle pas eu raison de son couple? Dan (Simon Cohen) traîne dans le milieu du show-bizz, à la poursuite d’un succès illusoire. Charlotte (Kim Verschueren) enseigne dans une école publique des faubourgs de Londres mais est prête à tout quitter, y compris Dan, trop velléitaire pour s’engager auprès d’elle.

Wasted de Kae Tempest, traduction de Gabriel Dufay et Oona Spengler, mise en scène de Martin Jobert dans actualites

© Gulliver-Hecq

Bière et cocaïne aidant, ils réalisent que le temps aura passé sans qu’ils aient fait grand chose de leur vie. Sont-ils heureux ? Mais qu’est-ce qu’être heureux? «Tony, si tu avais survécu, tu serais devenu gros et chiant ! dit l’un. (…) T’as de la chance. On était les rois du monde.»  Après cette nuit de défonce où tout s’est dit, chacun retrouve son quotidien, résigné mais apaisé.

Ce texte est un adieu désenchanté, sans être désespéré, à la jeunesse. Ecrites dans une langue directe et nerveuse, les répliques font mouche. Pas un mot de trop.  Et, en quelques courts monologues, l’auteur sonde avec finesse les états d’âmes des personnages. Cette prose rythmée nous emporte dans un tourbillon d’émotions sans jamais s’appesantir.

Au centre de la scène, un monolithe rétro-éclairé, évoque à la fois la tombe de Tony et le bar où se retrouvent ses amis.  Les lumières crues soulignent la brutalité de l’espace urbain et les notes discrètes de Raphaël Mars, inspirée par la musique baroque anglaise, contraste avec l’univers underground de Wasted. Tout ici est réuni pour que ce spectacle soit efficace, y compris des traits d’humour comme ces petits nuages de poudre blanche exhalés par les acteurs…
Mais le metteur en scène «déréalise» un peu trop la pièce,
au risque de la faire paraître sophistiquée. Au fil des séquences,
un personnage évanescent à la voix de contre-ténor (Fabien Chapeira) fredonne un air monocorde… Le fantôme de Tony? Une allusion à la non-binarité de l’auteur.e?
De temps à autre, pour faire entendre la musicalité du texte original, les acteurs passent à l’anglais, un exercice laborieux pour certains…Ce détour était-il nécessaire : la traduction de Gabriel Dufay et Oana Spengler est pourtant excellente…

Mais la puissance, la délicatesse de ce texte et la justesse des interprètes nous touchent. Ne sommes-nous pas tous hantés par nos illusions perdues ? Ce spectacle est aussi une belle entrée en matière dans l’œuvre de Kae (ex-Kate) Tempest.
Né.e en 1985, dans la banlieue londonienne, elle/il a fait commencé dans le rap avec des performances de « spoken words», avant d’écrire pour le théâtre notamment pour la Royal Shakespeare Company Wasted (Fracassés) en 2011.  Puis Hopelessly Devoted (Inconditionnelles) en 2013. Son premier roman, The Bricks that built the houses( Écoute la ville tomber) a reçu un bel accueil comme ses albums :  Let them at Chaos  (2016) et The Book of traps and lessons (2019).

Lion d’argent à la 
Biennale de Venise pour son œuvre poétique, elle/il a clos la 76e édition du festival d’Avignon avec un spectacle musical tiré de son dernier album : The Line is a curve ( La Ligne droite est courbe) dans la Cour d’honneur du Palais des Papes.

Mireille Davidovici

Du 3 au 26 septembre, Théâtre de Belleville, 16 passage Piver, Paris (XI ème). T. : 01 48 06 72 34.
Le texte est publié et représenté par L’Arche-Editions.

 

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