Les Méritants, texte et mise en scène de Julien Guyomard
Dans un contexte de post-apocalypse et un décor de bric et de broc, quelques rescapés tentent de survivre en créant une organisation soumise à un comité. Que s’est-il passé ? L’apocalypse, tant de fois annoncée a eu lieu ! Singulière, allégorique! Survivants à présent seuls sur terre ? Non ! Bien vite ils sont rejoints par les Zombiss : la peur et l’inquiétude de cette présence inattendue, bizarre et étrangère s’installent ! Que faire ? Faut-il les éliminer ? : Raimi: On est cernés ! Sam / Voilà… Partout ! Partout autour ! Les zombis. (Brouhaha de panique. Charles blêmit). (…) Marie : Bon. On va essayer de rester construit et rationnel. Charles : Allez chercher les armes ! Bouclez le périmètre ! Eteignez tout !
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Les méritants vont-ils, avec ces intrus accomplir leur projet existentiel et politique d’un monde nouveau et plus juste ? Le petit groupe n’avait nullement envisagé l’intervention impensable de ces morts-vivants ! Mais cette frayeur ne fait que passer, et nos rescapées réalisent que les zombies envahisseurs peuvent avoir un rôle productif dans cette nouvelle société.
« Un nouvel ordre social entrain de s’inventer » dit Julien Guyomard, inspiré par le thème de l’idéologie de la méritocratie avec une hiérarchie sociale qui en dépend. La fable qui a parfois des allures de farce, nous invite à une réflexion jouissive mais lucide et sans détour, à propos de l’homme d’hier et d’aujourd’hui, face au pouvoir, et au destin, au mérite.
Comme l’avait si bien perçu William Shakespeare qui avec, « la roue de la Fortune » entre autres dans Hamlet ou Le Marchand de Venise : «La fortune en somme / Va me sauver ou me damner parmi les hommes » s’exclame Maroc qui convoite Portia et s’apprête à tenter sa chance dans l’épreuve des trois coffrets.
Depuis des siècles et encore au XXI ème, malgré la naissance de la République à la Révolution française et le progrès, la modernité dans nos société occidentales, l’homme reste toujours aussi prisonnier de son hubris et de son besoin de dominer, coûte que coûte. Mais dominer qui, quoi, et dans quel but, quand tout a été anéanti ?
Et tant qu’il y a de la vie, il y a de l’espoir, aussi minime soit-il… Où en d’autres mots moins romantiques mais qui sont tellement d’actualité dans la langue de nos politiques «Si on veut on peut ». Ainsi la petite communauté des survivants un peu désemparée et le comité vont reprendre les choses en main et reconstruire un ordre social, plus juste et nouveau., -Jean « Si on est les seuls à avoir survécu, c’est pas un hasard, c’est le destin. Et c’est pas si mal… »
Le public très attentif est à la fois fasciné par l’actualité de la situation à la fois comique, absurde et sans beaucoup d’espoir et une mise en scène poétique, inventive, pleine d’esprit. Les scènes et les éléments de décor se succèdent avec minutie et intelligence théâtrale, tout en offrant au public, une représentation au rythme endiablé.
L’écriture paraît parfois schématique avec des répliques un peu attendues. Mais sous la direction de son auteur et metteur en scène, se crée à travers le jeu, un décalage intéressant d’un point de vue dramaturgique en offrant à l’art de la représentation, une présence sensible et jouissive, forte, de la théâtralité… Les comédiens tous excellents interprètent les situations avec une énergie et une véracité féroce et comique.
Le décor artisanal et ingénieux, les costumes et un éclairage sombre sont remarquables . Ils font exister un théâtre inventif avec des matériaux bruts, des éléments de décor simples, à la fois réalistes et symboliques. En totale adéquation avec le chaos de cette situation de fin du monde et de son espoir de changement !
Belle trouvaille : une croix verte de pharmacie s’éclaire au moment ou l’un des méritants zombis pédale sur un vélo pour faire fonctionner à nouveau l’électricité. Image humoristique pour symboliser la complexité mais aussi le côté dérisoire du projet politique et idéaliste mené par le comité au départ très volontaire. Le souhait profond d’une révolution pour une vie humaine et sociale plus équitable et harmonieuse laisse place à l’anéantissement de tout renouveau. Les zombis finissent par délaisser les méritants, laissant derrière eux resurgir le chaos…
Une vision sociale drôle et acerbe qui n’épargne personne. Les politiques, les médias, les sachants experts en zombie, travailleur de l’E.S.S? (Economie Sociale et Solidaire) sans oublier les leaders pétris de bonnes intentions, slogans égalitaires, éléments de langage et slogans scandés comme des mantras: «Egalitaire Egalitaire Horizontal…Travailler plus pour mourir moins, lien social vivre ensemble , projets », rien ne manque. L’auteur met en valeur une langue creuse, vide et inaudible qui résonne amèrement. Marie au public: On ne va pas se démobiliser. Le comité et moi-même, on est aux manettes. Faites-nous confiance. Et avec un peu de réorganisation et de… Ça va aller… Ça va aller… Hein ? Voyant Clairvius. Et… Et Clairvius est là ! Oui ! Il est là ! Et… Il va nous aider… Et lui aura le courage de faire ce que les autres ne font pas… Il va… Il est prêt à faire l’effort. Hein, Clairvius ? Il suffit d’un vrai méritant. Il en suffit d’un. Hein, Clairvius ? «
Un rude constat! Les bonnes intentions collectives se heurtent à l’individu. Et à sa résistance à se soumettre à une autorité pour le bien de l’être humain et de la société ? Illusoire ? Qui dépend de qui ? Quelle légitimité ont les dirigeants, le vote démocratique… y-a-t-il une autre solution que la fuite ?
Elisabeth Naud
Spectacle vu au Théâtre de la Tempête, route du Champ de Manœuvre, Cartoucherie de Vincennes. Métro Château de Vincennes + navette gratuite. T. : 01 43 28 36 36.
Le 11 novembre, Théâtre Roger Barat, Herblay-sur-seine (Yvelines). Le 4 avril 2024 au Nouveau Relax, à Chaumont.
Le texte de la pièce est publié aux éditions ESSE QUE.