Sandra à la lumière d’Akis Dimou, mise en scène de Chryssa Kapsouli

Sandra à la lumière d’Akis Dimou, mise en scène de Chryssa Kapsouli 

Cet auteur grec de cinquante-neuf ans est l’un des plus joués dans le théâtre public ou privé. Diplômé de la Faculté de droit à Thessalonique où il habite aujourd’hui, il a écrit plus de cinquante pièces et nous avions assisté en 94 à la première, Juliette, un monologue.
Ici, devant un tribunal invisible, Sandra témoigne  de la mort d’un «ami». Tout au long de l’interrogatoire et témoignage, elle essaye de garder une distance par rapport à l’accident. Elle raconte les événements qui ont suivi sa rencontre avec un artiste gréco-canadien, Dani Thomasson, spécialisé dans les films de scènes violentes dans l’ensemble du règne animal. 

 

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Un monologue en référence d’abord à un film où on suit les dernières heures d’un scarabée avant que la botte d’un homme ne l’écrase, puis à un autre film que Dani a réalisé à l’insu de Sandra sur ses ébats sexuels !  Son ami Tryphon, fabricant de meubles à Corinthe, découvre ce tournage secret et elle cherchera et finira par rencontrer Dani dans un hall d’exposition où il prépare un nouveau film,  cette fois avec des écureuils. Au cours de la conversation, elle le pousse avec force.  Il tombe alors contre une vitre et se blesse mortellement.
Le plus intéressant ici est le discours fragmenté de Sandra avec des réactions émotionnelles contradictoires quand elle décrit ces événements. Elle  semble observer et évaluer son image à distance, comme si elle était enregistrée par une caméra invisible: celle utilisée par Dani ou celle qui enregistre son interrogatoire. 

Le langage poétique et les images métaphoriques se combinent. Chryssa Kapsouli érige le personnage de Sandra en symbole de toutes les femmes maltraitées, violées et assassinées à cause de leur sexe. Un commentaire de vidéos projetées sur les féminicides en Grèce  souligne le caractère activiste de ce théâtre.
La metteuse en scène dénonce ici avec cet hommage-protestation d’Akis Demou, l’attitude de la Justice envers les victimes et ajoute un bref récit: Marianne Bachmeier (1950-1996) est devenue célèbre en Allemagne après avoir en 1981, tué le meurtrier présumé de sa fille dans la salle du tribunal de Lübeck. Elle avait été condamnée à six ans de prison. 
Interprétation vibrante de Katerina Tsoligka qui EST Sandra et dont le corps-signe nous rappelle des vérités que nous nous préférons souvent ne pas affronter… 

 Nektarios-Georgios Konstantinidis 

 Théâtre Fournos, 168 rue Mavromichali, Athènes. T. : 0030 210 6460748.


Archive pour octobre, 2023

La Paix perpétuelle de Juan Mayorga, traduction d’Yves Lebeau, mise en scène d’Hervé Petit

La Paix perpétuelle de Juan Mayorga, traduction d’Yves Lebeau, mise en scène d’Hervé Petit

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Un rectangle tracé au sol figure une cage entourée de murs aveugles où trois personnages vont être jetés brutalement par un garde-chiourme masqué. Il s’agit de trois chiens postulant à la brigade anti-terroriste. Mais il y a un seul poste à pourvoir…
Cassius, vieux labrador borgne et boiteux, usé d’avoir trop servi la cause, dirige les épreuves. Choisira-t-il le fringant John-John, croisé entre plusieurs races de combat, frais émoulu de l’Ecole de police, Odin, un rottweiler, mercenaire rusé et désabusé ou Emmanuel, un berger allemand philosophe, nommé ainsi par son ancienne maîtresse en hommage à Emmanuel Kant.

Dans ce huis-clos, les concurrents cherchent à prendre le dessus et à s’éliminer par des jeux d’alliance éphémères. Emmanuel leur brouille la tête en leur exposant le pari de Pascal. Le penseur, face à une alternative existentielle: Dieu existe ou n’existe pas, conclut que le meilleur choix est de croire en Dieu. On retrouve cette problématique lors de l’épreuve qui départagera les candidats: face à un terroriste potentiel, doit-on l’éliminer sans autre forme de procès, ou pas? La faveur irait à Emmanuel : dans le doute, il prône la justice démocratique. Mais sa position est démentie par le personnage de l’Humain, jusque là masqué et muet qui prend la parole avec emphase et brouille les pistes entre l’idéal qu’Emmanuel Kant a exposé dans Vers la paix perpétuelle (1795) et la raison d’Etat qui justifie la violence inique…

Hervé Petit qui joue aussi Cassius, le meneur de jeu, n’a pas demandé aux acteurs de mimer des chiens mais s’est inspiré de la lutte sportive pour traduire l’animalité des personnages. Nicolas Thinot (Odin), Raphaë̈l Mondon (Emmanuel) et David Decraene (John-John) s’affrontent physiquement dans des corps-à-corps, métaphores des débats idéologiques qui sous-tendent la pièce. Ce qui donne à la représentation une grande théâtralité. Rien d’abstrait dans le jeu de ces chiens policiers trop humains ni dans les dialogues écrits dans une langue fluide et habilement rendue par Yves Lebeau, le traducteur.

Qui a raison, des trois candidats? La Paix perpétuelle écrite en 2004 après les attentats à Madrid, n’apporte pas de réponse définitive mais reste d’une grande actualité. Et la conclusion nous échappe avec un monologue délivré par l’Humain, à qui appartient le mot de la fin mais qui ne nous éclaire en rien… Faiblesse du texte ou de l’actrice qui l’interprète ? 

Reste une œuvre forte, bien jouée et mise en scène où chacun projettera ses questionnements personnels en résonnance avec l’actualité.

En France, les pièces de Juan Antonio Mayorga ont été souvent montées, entre autres, par Jorge Lavelli : Himmelweg, Lettres d’amour à Staline, Le Garçon du dernier rang) qui a été adaptée au cinéma par François Ozon sous le titre Dans la maison. Juan Mayorga, cinquante-huit ans, philosophe de formation et dramaturge, a écrit une trentaine de pièces et d’essais sur la politique et sur le rapport du théâtre à lʼHistoire. Un thème que l’on retrouve ici dans La Paix perpétuelle. Une  pièce à voir et à lire.

Mireille Davidovici

Jusqu’au 5 novembre, Théâtre de l’Épée de Bois, Cartoucherie de Vincennes, route du Champ de Manœuvre. Métro : Château de Vincennes + navette gratuite. T. : 01 48 08 18 75.

La Paix perpétuelle et d »autres pièces de Juan Mayorga sont publiés aux Solitaires Intempestifs.

 

Tachkent de Rémi De Vos, mise en scène de Dan Jemmett

Tachkent de Rémi De Vos, mise en scène de Dan Jemmett

Avec cette comédie au titre « exotique » et à l’humour féroce, Rémi De Vos met en scène un auteur de théâtre au bout du rouleau, enfermé dans ses obsessions. Son entourage essaye de le faire sortir de sa léthargie (feinte ou réelle). Hervé Pierre incarne cet écrivain, un personnage monolithique, accablé par la vie! Il ne communique plus avec le monde mais se lance dans des diatribes musclées contre les metteurs en scène.
Sa compagne, ex-toiletteuse de chiens, s’occupe de lui mais n’y comprend rien ! Elle espère seulement toucher les droits d’auteur à sa mort… Dans ce rôle, Valérie Crouzet joue les parfaites godiches face à l’ex-épouse de l’écrivain, une actrice assez connue (interprétée par Clotilde Mollet) qui vient lui rendre visite en espérant peut-être le reconquérir.
Elle prend des airs de diva et établit un semblant de complicité avec le vieil homme en riant des malheurs de tous les écrivains russes : Tchekhov, Dostoïevski, Maïakovski… Et un comédien raté (Grégoire Oestermann obséquieux à souhait) tente de séduire le dramaturge.

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Devant ces personnages virevoltant autour de lui, Hervé Pierre d’un regard malicieux prend le public à témoin de leurs grossières manœuvres pour tirer quelque bénéfice de son état…Il ne leur répond jamais mais ses sourires et ses coups d’œil en coin en disent long et il se contente de bordées haineuses contre les metteurs en scène, dignes d’un Thomas Bernard. Il les accuse de spolier les écrivains et d’exercer leur pouvoir sur leur dos: pour eux, un bon auteur est un auteur mort ! Rémi De Vos sait de quoi il parle et les gens de théâtre se reconnaîtront dans ces portraits.

Mais Tachkent échappe à l’entre-soi du théâtre en tissant une comédie sur un mode désabusé.  Rémi De Vos a l’art de la formule qui fait mouche et offre une belle matière à ce quatuor d’acteurs exceptionnels. Dan Jemmett n’utilise pas les ressorts psychologiques du théâtre de boulevard comme, entre autres, la rivalité entre deux femmes. Sa mise en scène tire la pièce vers la farce (parfois un peu trop forcée !). Le burlesque des situations permet de dépeindre la férocité des rapports de force et l’hypocrisie qui prévalent dans toute société humaine.

Mieux vaut en rire, comme nous le propose l’auteur, retranché dans un Ouzbékistan mental et dont la dernière pièce, ironise le texte, sera jouée au fin fond du Caucase.

Mireille Davidovici

Jusqu’au 5 novembre, Théâtre Marigny-Studio, Carré Marigny, Paris (Vlll ème). T. : 01 86 47 72 77.

Tachkent est publié chez Actes Sud-Papiers.

Pierre, Feuille, Pistolet de Maciek Hamela

Pierre, Feuille, Pistolet de Maciek Hamela

Au 31 mai dernier, l’Allemagne a accueilli 1,1 million d’Ukrainiens et la Pologne, 991 000 : environ la moitié de habitants qui ont fui leur patrie après l’invasion de l’armée russe… De nombreux bénévoles polonais vinrent à leur aide, en les accueillant à la frontière ou en allant les chercher dans leur pays.
Maciek Hamela, un documentariste qui a fait ses études en Angleterre et en France, est l’un d’eux et son film dont le titre en anglais, In the Rearview (Dans la Lunette arrière) est plus explicite que Pierre, Feuille, Pistolet . Il a, dit-il, obéi à un réflexe humanitaire en allant avec un van qu’il a loué, chercher des civils en Ukraine pour les emmener jusqu’à la frontière polonaise.
L’idée de filmer cette expérience lui est venue plus tard et il invita alors un ami directeur de la photo, Wawrzyniec Skoczylas. Yura Dunay, Marcin Sierakowski et Piotr Grawende sont venus le relayer. Le cinéaste conduisait piloté par son smartphone… Cet «homme à la caméra » veut participer à la dénonciation des crimes de guerre et son témoignage de première main  pourra un jour servir de preuve devant le Tribunal international de La Haye.

Les images vues par les fenêtres du van ne montrent pas la guerre mais ses traces: des ponts effondrés, immeubles en ruine, routes défoncées ou impraticables. Maciek Hamela a tourné ce long métrage en six mois et dit avoir transporté environ quatre cents personnes.. Le film se déroule de façon ininterrompue mais il ne l’a pas traité de façon réaliste, avec arrêts, changement de voyageurs, problèmes d’hébergement… Il a fait des coupes et un travail de montage pour que ce trajet semble continu. Ce qui se passe à l’extérieur est ici moins crucial que les paroles des rescapés.

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Pour les recueillir, Maciek Hamela s’est inspiré du dispositif imaginé par le cinéaste iranien Abbas Kiarostami (1940-2016) dans Ten (2002) où dix femmes sillonnent Téhéran en taxi et se confient à la conductrice.
Dans Pierre, Feuille, Pistolet, on voit seulement les visages des passagers assis un peu serrés les uns à côté des autres. Maciek Hamela dirige sa caméra vers cette communauté éphémère….Les langues se délient, sur le mode de la confidence. Une paysanne, les larmes aux yeux, raconte comment elle a dû quitter sa ferme et sa vache Beauté.
Puis dit une femme portant en souvenir une photographie de son grand-père un papillon à la main: «Je viens d’une famille aristocratique. Maintenant, je ne suis plus qu’une grenouille en vadrouille.»
Et il y aussi Gloria, une Congolaise très grièvement blessée. Et Sofia, cinq ans, qui porte une feuille avec ses nom et adresse… Elle est en mesure de nommer ce qu’elle a vécu mais n’a pas perdu espoir et quand elle voit couler le Dniepr qu’elle prend pour la mer, elle imagine des vacances d’été.

Mais la guerre est bien là dans toute sa logique absurde. Deux adolescentes racontent comment,sous leurs yeux, un tout jeune homme a été arrêté, dépouillé de ses vêtements et vêtu de l’uniforme de l’occupant. « Les Russes lui ont mis une mitraillette entre les mains, en lui disant : maintenant, tu es avec nous. »
Ce long métrage donne une vision très différente, anti-spectaculaire, d’ un des plus graves conflits actuels. Il lui prête des visages et des voix, comme dans un « road movie » à huis-clos. Il faut absolument aller le voir.

 Nicole Gabriel

 Sortie nationale de Pierre, Feuille, Pistolet dans vingt villes le 8 novembre .

Soudain, l’été dernier de Tennessee Williams, traduction d’Adonis Galéos, mise en scène de Lilly Melemé

Soudain, l’été dernier de Tennessee Williams, traduction d’Adonis Galéos, mise en scène de Lilly Melemé 

Le monde du grand écrivain américain (1914-1983), ce sont avant tout ces hommes et ces femmes qui, au-delà ou en deçà de la psychologie traditionnelle, se désirent et se haïssent parfois sans le savoir et toujours sans le vouloir. Ils s’entre-déchirent dans une atmosphère élégante et tragique où, sous le raffinement, rôde la sauvagerie.
En costumes d’un blanc immaculé, les corps transpirent, les glaçons tintent dans les verres d’alcool qui fait des ravages. Des personnages simples comme des héros des westerns ou de grandes tragédies vivent dans un climat lourd d’avant l’orage, comme un signe de leur destin.  Les odeurs entêtantes s’entremêlent avec les cris stridents des oiseaux de proie ou ceux des enfants, rappelant que le monde est une jungle. Il y a aussi la musiques nostalgique d’airs de jazz jouée sur de vieux pianos qu’on entend dans le lointain.

 

© Patroklos Skafidas

© Patroklos Skafidas

Tennessee Williams ici convoque les thèmes qui lui sont chers comme la vieillesse,  la beauté des femmes, la folie et son cortège diabolique sous un soleil blanc  incandescent… Cela donne un charme salé mais insupportable à ce Suddenly, Last Summer (1958).
Dans un jardin tropical vénéneux et inquiétant, la richissime Mrs Venable essaye d’en convaincre le jeune et beau docteur Coukrowicz (sucre en polonais): sa nièce Catherine est  responsable de la mort de Sébastien, son fils unique et adoré qui est mort dans des circonstances étranges l’été dernier. La sentence exigée par la vieille dame est terrible: faire subir une lobotomie à Catherine pour qu’elle cesse ses insupportables ragots!
Mais où est la vérité ? Sébastien, dont l’appétit n’était jamais satisfait, sera littéralement dévoré par des enfants maigres, affamés et acharnés comme des oiseaux. Les hommes, comme les femmes, sont victimes de cette solitude fondamentale qui est notre lot à tous, « condamnés à la réclusion solitaire à l’intérieur de notre propre peau. » Le «lyrisme personnel » est le cri d’un prisonnier dans la cellule où il est comme nous enfermé pour la durée de ses jours.
D’abord m
ise en scène par Karolos Koun en 1959, cette pièce riche de possibles interprétations fait souvent l’objet de réalisations en Grèce. Celle-ci  est simple mais pauvre en idées et Lilly Melemé n’arrive pas à avoir une nouvelle approche de ce texte fabuleux. Et même si on l’entend clairement, tout reste à la surface…
La metteuse en scène souligne la dépendance de chacun des personnages à Madame Venable qui les manipule pour cacher la vérité… Son fauteuil au centre de la scène, indique bien que cette femme est très autoritaire mais les grandes idées, le conflit, les paradoxes et les contrastes, les refoulés et sous-entendus, bref toute la poétique magique et obscure de la partition de Tennessee Williams passent inaperçus. Et même s’il y a de bons moments, le compte n’y est pas. Dommage…

Nektarios-Georgios Konstantinidis 

 Théâtre Akadimos, 17 rue Ippokratous, Athènes, T. : 0030 2103625119.

Loin dans la mer d’après La Petite Sirène d’Hans-Christian Andersen, mise en scène de Liza Guez

Loin dans la mer d’après La Petite Sirène d’Hans-Christian Andersen, écriture et mise en scène de Liza Guez

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© Aude-Marie Boudin

Les comédiens de l’Oiseau-Mouche nous livrent une version librement inspirée de ce conte cruel, allégée par leurs mots et leur vision du monde. Un récit pris en charge par cinq interprètes qui se glissent dans la peau de la grand-mère (Frédéric Foulon), mémoire vivante des poissons et qui attise l’envie de la Petite Sirène (Dolorès Dallaire) d’arriver au monde d’en haut en lui promettant une âme immortelle;  la sorcière tyrannique (Marie-Claire Alpérine), entourée de ses sbires monstrueux et qui métamorphose en jeune fille, l’héroïne amoureuse du Prince (Frédéric Lefevre); la sœur (Chantal Foulon) qui essaye de dissuader la Petite Sirène de quitter sa famille pour un monde hostile et dangereux.  Liza Guez s’adresse ici aux adolescents et l’amour pousse l’héroïne à tout sacrifier pour rejoindre le Prince et elle racontera sa souffrance de ne pas être aimée en retour.

Les acteurs s’adressent d’abord au public: «Etes-vous déjà tombés amoureux ? Avez-vous été prêts à tout abandonner pour vivre avec l’être aimé?» «Il y a des gens qui meurent d’amour.», dit l’un. «Mais il y a aussi ceux que l’amour élève, réplique un autre. «Ça, c’est de la connerie pour se remonter le moral» dit une troisième…
Liza Guez, comme avec Les Femmes de Barbe-Bleue que nous avions beaucoup apprécié (voir Le Théâtre du Blog), remet en perspective la fiction d’Hans-Christian Andersen, après un atelier avec les artistes en situation de handicap de l’Oiseau-Mouche: «Ensemble, nous avons cherché ce qui nous touchait le plus dans La Petite Sirène : l’envie d’être différent, le déracinement, la sensation de ne pas être compris par l’autre… »
Autant de thèmes qui renvoient aux situations vécues par les handicapés dans notre société. Comme l’héroïne à qui la sorcière a coupé la langue en échange de sa métamorphose en personne humaine, ils n’ont guère droit à la parole. Comme le peuple de la mer, ils vivent dans un autre monde et observent avec curiosité et incompréhension l’attitude des humains qui s’agitent sur leurs jambes terminées par d’étranges chaussures…

La metteuse en scène défend aussi un point de vue féministe: «On a quelque chose à régler avec le personnage du Prince! », dit une actrice révoltée par le sort réservé à la Petite Sirène. Chacun, dans le procès intenté à ce jeune homme léger, prend partie ou lui trouve des circonstances atténuantes. Et tous les personnages vont être mis en cause: la Petite Sirène trop naïve «qui sacrifie sa vie pour quelqu’un difficile à avoir», La Grand-mère et ses affabulations tentatrices, La Sœur qui la couvait trop, La Sorcière avide…. «J’ai tout gâché dit-ellepour un rêve bizarre.» . Mais dans cette histoire, chacun a ses raisons…

Liza Guez a écrit cette pièce avec simplicité et en connivence avec les acteurs et l’a mise en scène sans artifice. Un décor réduit à des éléments mobiles, quelques effets-lumière et du brouillard pour figurer les lieux, et des éléments de costumes pour situer les personnages…
Les interprètes s’engagent avec sincérité dans leur personnage tout en gardant une distance avec le conte. Et malgré sa noirceur, Loin dans la mer a une fin réconfortante et pleine de générosité.
Il faut aller voir les spectacles de l’Oiseau-Mouche. Basée à Roubaix, cette troupe atypique regroupe des artistes handicapés mentaux ou psychiques Créée en 1989, elle compte aujourd’hui vingt comédiens professionnels permanents et gère aussi un restaurant, Le Colibri où travaillent quarante employés handicapés.
La compagnie a deux salles et deux studios de répétition où elle accueille surtout des compagnies des Hauts-de-France: «Il s’agit d’une programmation pluridisciplinaire qui n’a rien à voir avec le handicap.» dit Léonor Baudoin qui dirige l’Oiseau-Mouche depuis trois ans.
Le cœur du projet reste ses acteurs et ceux qui sont embauchés ont déjà joué avant, la plupart en amateurs. On les recrute sans se poser la question de leur handicap. (…) La compagnie n’a pas de directeur artistique et chaque spectacle naît d’une rencontre avec un réalisateur invité. Puis, comme dans n’importe quelle autre compagnie, nos créations sont diffusées: projets et formats en alternance permettant de circuler dans plusieurs réseaux. »

On a pu ainsi voir à la chapelle des Pénitents Blancs au festival d’Avignon 2021, Bouger les lignes-Histoires de cartes de Nicolas Doutey, mise en scène de Bérangère Vantusso.  Un spectacle ensuite joué cent-quarante fois et qui est encore en tournée. On peut aussi découvrir actuellement des spectacles de l’Oiseau-Mouche créés à Roubaix comme Saturne de Noëmie Ksicova, Madisoning d’Amélie Poirier, Cœurs à l’envers d’Amélie Perrot et Yuwal Rozman.

 Mireille Davidovici

 Spectacle vu le 25 octobre, au Musée du Louvre-Lens (Nord), (tout public à partir de dix ans).

Les 9 et 10 novembre, Lieux Culturels Pluriel-Le Grand Sud, Lille (Nord) ; le 14 novembre, Studio 4, Marquette (Nord).

Du 7 au 9 décembre, Le Volcan-Scène nationale du Havre (Seine-Maritime).

Du 6 au 16 février, Comédie de Béthune-Centre Dramatique National/Itinérance, Béthune (Pas-de-Calais).

Les 14 et 15 mars, Le Canal, Théâtre du Pays de Redon, Redon (Ile-et-Vilaine).

Le 27 mars, Conservatoire de la baie de Somme, Abbeville (Somme).

Et du 28 mai au 2 juin,Théâtre des Abbesses-Théâtre de la Ville-Sarah Bernhardt, Paris (XVIII ème).

Compagnie l’Oiseau Mouche, 28 avenue des Nations Unies, Roubaix (Nord). T. : 03 20 65 96 50.

Les Méritants, texte et mise en scène de Julien Guyomard

Les Méritants, texte et mise en scène de Julien Guyomard

 

Dans un contexte de post-apocalypse et un décor de bric et de broc, quelques rescapés tentent de survivre en créant une organisation soumise à un comité. Que s’est-il passé ? L’apocalypse, tant de fois annoncée a eu lieu ! Singulière, allégorique! Survivants à présent seuls sur terre ? Non ! Bien vite ils sont rejoints par les Zombiss : la peur et l’inquiétude de cette présence inattendue, bizarre et étrangère s’installent ! Que faire ? Faut-il les éliminer ? :  Raimi: On est cernés ! Sam / Voilà… Partout ! Partout autour ! Les zombis. (Brouhaha de panique. Charles blêmit). (…) Marie : Bon. On va essayer de rester construit et rationnel. Charles : Allez chercher les armes ! Bouclez le périmètre ! Eteignez tout ! 

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Les méritants vont-ils, avec ces intrus accomplir leur projet existentiel et politique d’un monde nouveau et plus juste ? Le petit groupe n’avait nullement envisagé l’intervention impensable de ces morts-vivants ! Mais cette frayeur ne fait que passer, et nos rescapées réalisent que les zombies envahisseurs peuvent avoir un rôle productif dans cette nouvelle société.
« Un nouvel ordre social entrain de s’inventer » dit Julien Guyomard, inspiré par le thème de l’idéologie de la méritocratie avec une hiérarchie sociale  qui en dépend. La fable qui a parfois des allures de farce, nous invite à une réflexion jouissive mais lucide et sans détour, à propos de l’homme d’hier et d’aujourd’hui, face au pouvoir, et au destin, au mérite.

Comme l’avait si bien perçu William Shakespeare qui avec, « la roue de la Fortune » entre autres dans Hamlet ou Le Marchand de Venise : «La fortune en somme / Va me sauver ou me damner parmi les hommes » s’exclame Maroc qui convoite Portia et s’apprête à tenter sa chance dans l’épreuve des trois coffrets.
Depuis des siècles et encore au XXI ème, malgré la naissance de la République à la Révolution française et le progrès, la modernité dans nos société occidentales, l’homme reste toujours aussi prisonnier de son hubris et de son besoin de dominer, coûte que coûte. Mais dominer qui, quoi,  et dans quel but, quand  tout a été anéanti ?

 Et tant qu’il y a de la vie, il y a de l’espoir, aussi minime soit-il… Où en d’autres mots moins romantiques mais qui sont tellement d’actualité dans la langue de nos politiques «Si on veut on peut ». Ainsi la petite communauté des survivants un peu désemparée et le comité  vont reprendre les choses en main et reconstruire un ordre social, plus juste et nouveau., -Jean « Si on est les seuls à avoir survécu, c’est pas un hasard, c’est le destin. Et c’est pas si mal… » 
Le public très attentif est à la fois fasciné par l’actualité de la situation à la fois comique, absurde et sans beaucoup d’espoir et une mise en scène poétique, inventive, pleine d’esprit. Les scènes et les éléments de décor se succèdent avec minutie et intelligence théâtrale, tout en offrant au public, une représentation au rythme endiablé.

L’écriture paraît parfois schématique avec des répliques un peu attendues. Mais sous la direction de son auteur et metteur en scène, se crée à travers le jeu, un décalage intéressant d’un point de vue dramaturgique en offrant à l’art de la représentation, une présence sensible et jouissive, forte, de la théâtralité… Les comédiens tous excellents interprètent les situations avec une énergie et une véracité féroce et comique.

Le décor artisanal et ingénieux, les costumes et un éclairage sombre sont remarquables .  Ils font exister un théâtre inventif avec des matériaux bruts, des éléments de décor simples, à la fois réalistes et symboliques.  En totale adéquation avec le chaos de cette situation de fin du monde et de son espoir de changement !
Belle trouvaille : une croix verte de pharmacie s’éclaire au moment ou l’un des méritants zombis pédale sur un vélo pour faire fonctionner à nouveau l’électricité. Image humoristique pour symboliser la complexité mais aussi le côté dérisoire du projet politique et idéaliste mené par le comité au départ très volontaire. Le souhait profond d’une révolution pour une vie humaine et sociale plus équitable et harmonieuse laisse place à l’anéantissement de tout renouveau. Les zombis finissent par délaisser les méritants, laissant derrière eux resurgir le chaos…

 

Une vision sociale drôle et acerbe qui n’épargne personne. Les politiques, les médias, les sachants experts en zombie, travailleur de l’E.S.S? (Economie Sociale et Solidaire) sans oublier les leaders pétris de bonnes intentions, slogans égalitaires, éléments de langage et slogans scandés comme des mantras:  «Egalitaire Egalitaire Horizontal…Travailler plus pour mourir moins, lien social vivre ensemble , projets », rien ne manque. L’auteur met en valeur une langue creuse, vide et inaudible qui résonne amèrement. Marie au public:  On ne va pas se démobiliser. Le comité et moi-même, on est aux manettes. Faites-nous confiance. Et avec un peu de réorganisation et de… Ça va aller… Ça va aller… Hein ? Voyant Clairvius. Et… Et Clairvius est là ! Oui ! Il est là ! Et… Il va nous aider… Et lui aura le courage de faire ce que les autres ne font pas… Il va… Il est prêt à faire l’effort. Hein, Clairvius ? Il suffit d’un vrai méritant. Il en suffit d’un. Hein, Clairvius ? « 

Un rude constat! Les bonnes intentions collectives se heurtent à l’individu. Et à sa résistance à se soumettre à une autorité pour le bien de l’être humain et de la société ? Illusoire ? Qui dépend de qui ? Quelle légitimité ont les dirigeants, le vote démocratique… y-a-t-il une autre solution que la fuite ? 

Elisabeth Naud

Spectacle vu au Théâtre de la Tempête, route du Champ de Manœuvre, Cartoucherie de Vincennes. Métro Château de Vincennes + navette gratuite. T. :  01 43 28 36 36.

Le 11 novembre, Théâtre Roger Barat, Herblay-sur-seine (Yvelines). Le 4 avril 2024 au Nouveau Relax, à Chaumont. 

 

Le texte de la pièce est publié aux éditions ESSE QUE.

Un message d’ Hala Mouganie

 Un message d’Hala Moughanie

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Cette autrice libanaise, connue chez nous, notamment aux Francophonies de Limoges (voir Le Théâtre du Blog) a, dit-elle, « toujours été fascinée par la propension innée du milieu artistique et culturel français à se saisir de causes diverses au nom de la Justice et par cette indignation naturelle. Cet engagement est inscrit dans son A.D.N. Même si je n’ai pas toujours partagé ses combats, j’ai été éblouie par ce génie français qui consiste à se soulever d’un coup, au nom de la liberté et du respect de l’autre. 

Mais où sont donc tous les artistes, intellectuels, écrivains, quand la Palestine est rasée? Où sont ceux-là même qui portent bien haut les étendards de l’égalité, du pluriversalisme, du décolonialisme et autres, alors même qu’on meurt ailleurs ici, pas loin, en combattant le dernier bastion colonial de la planète? « Nous savons bien que notre liberté est incomplète sans la liberté des Palestiniens », disait Nelson Mandela,  un gars qui s’y connaissait en apartheid…

Même une tribune du monde de la culture parue discrètement hier dans le quotidien L’Humanité, deux semaines après le début de l’horreur  et non relayée (y compris par ceux qui ont signée cette tribune) est bien molle à désigner le mal. Et elle s’assure de renvoyer dos à dos les deux parties… Le monstre sans visage auquel on se heurte est pourtant simple à nommer: il s’agit bien d’un système d’oppression et prédation que les Palestiniens affrontent avec courage et désespoir, conscients qu’ils offrent leur vie en sacrifice à l’humanité.
Rien n’a changé depuis les mots de Sankara : « Courageux, déterminés, stoïques et infatigables, les Palestiniens rappellent à chaque conscience humaine, la nécessité et l’obligation morale de respecter les droits d’un peuple. » 

Où sont les voix si promptes à s’imposer et la rage qui s’exprime habituellement avec tant d’engagement et radicalité? Quand des hôpitaux sont rasés, que des femmes accouchent de morts-nés parmi les gravats, qu’on opère des nourrissons sans anesthésie et qu’un père emporte les membres de ses enfants morts dans des sacs en plastique? Cette orgie de mort ne vous remue-t-elle pas ?
Les Palestiniens sont-ils à sauver quand ils sont des victimes muettes,  et à abandonner quand ils refusent le joug? Y-a-t-il des exactions plus acceptables que d’autres? Des nettoyages ethniques plus propres que d’autres? 

Peu importe les enjeux politiques! Un peuple en ce moment même se fait effacer de la carte. La rage de ce côté du monde est immense. La dépossession des Palestiniens n’est que la trace visible de la dépossession séculaire de nos terres du Proche-Orient et arabes, de nos cultures, de nos mémoires, de notre Histoire. Face à elle, le silence des milieux culturels en France! Ses piliers seraient-ils enclins au double discours, une marque de fabrique de la politique politicienne française?

De quoi avez-vous peur?

Hala Moughanie

Yannick, un film de Quentin Dupieux

Yannick, un film de Quentin Dupieux

On n’en attendait pas moins de ce cinéaste que ce film déjanté, avec une prise d’otage ne ressemblant à aucune autre. Pas de musique frissonnante,  ni effet spécial.
Dans le huis-clos d’un théâtre, ce qui se passe sur scène relève d’une comédie de boulevard.  Et pour les quelques minutes qu’on verra de la pièce Le Cocu, on se croirait devant certaines retransmissions sur les chaînes de service public.

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Cela se passe dans une cuisine des années cinquante. Les trois comédiens parlent fort, quelques petits rires émergent du public-une petite demi-salle-quand un spectateur, mécontent et frustré, interrompt la représentation et va clamer haut et fort sa déception.
C’est l’heure des règlements de compte. « Moi, gardien de nuit, j’ai pris un jour de congé, j’ai passé quarante minutes dans les transports pour venir de Melun et j’ai fait ensuite quinze minutes à pied, pour me divertir. Et vous ne me divertissez pas ! »

La querelle s’envenime et le mécontent sort puis revient parce qu’il a entendu rire à ses dépens et il prend un revolver : la prise d’otage se resserre. Mais la question, celle du théâtre qui n’est ici ni décor ni prétexte, est une affaire sérieuse… et il croit répondre au goût du public (Hum, vous iriez voir Le Cocu, vous, au XXI ème siècle ?) mais ignore ce qu’il demande au spectateur.
Oui, la troupe (les excellents Pio Marmaï, Blanche Gardin et Sébastien Chassagne) a travaillé des mois,mais sur quel texte censé divertir qui? Et pour transmettre quoi? Avec quelle méconnaissance du public et quelle indifférence à ce qui n’est pas l’appel à un rire mécanique ?

Le public, tout aussi paresseux, croit trouver dans Le Cocu, un divertissement ! Tant pis s’il est usé jusqu’à la corde. Le terroriste -pardon d’employer ce mot dans les circonstances actuelles- serait-il finalement le seul qui attende quelque chose du théâtre? Tenant les acteurs sous la domination de son revolver, il écrit sur le pouce et leur impose une contre-pièce, pas vraiment meilleure mais plus ambitieuse. Retournement, bagarres, un des acteurs (Pio Marmaï) réussit à s’emparer du revolver, humilie le «terroriste » et se laisse reprendre l’arme.
Mais quelque chose s’est passé. La royauté de l’acteur, du haut de la scène, est tombée, d’abord à ses propres yeux. Quel est cet art dont il ne reste qu’une chose : courir le cachet ? Quelle est la magie et la puissance de la scène? Quelle est cette vanité de l’artiste face au prolo ?

Peu à peu et en douce, Quentin Dupieux nous fait glisser vers autre chose: le respect et et la confiance réciproques: les conditions de la liberté et de l’audace qui manquent si fort entre public et interprètes. Cela pourra s’esquisser avec ce personnage de rebelle dans un petit moment de « syndrome de Stockholm ». De la générosité sans complaisance, c’est demander beaucoup au théâtre et en attendre trop…

Mais pourquoi et comment ce film modeste, sans effets spectaculaires, concentré en un seul lieu autour d’un petit groupe d’acteurs impeccables, tient l’affiche depuis le 2 août ? Pas seulement par la grâce de son acteur principal « que tout le monde aimerait avoir comme fils ou petit-fils »,  selon un critique. Pas non plus pour le suspense : des films avec prise d’otage, on en a vus, traités en détail et avec des raffinements de cruauté.
Le secret est ailleurs : du côté du mystérieux et tenace prestige du théâtre. Il doit y avoir un désir à peine conscient, un rêve de théâtre chez ce qu’on appelle le « non-public » dans la France périphérique de Melun ou ailleurs. Un terme  introduit pour la première fois lors de la déclaration dite de Villeurbanne, écrite par Francis Jeanson en mai 1968…

Ce simple mot : théâtre existe, résonne et inspire même ceux qui n’y sont jamais allés. Au fond, tout en restant «divertissant» -rien ne nous a poussés à perturber la séance et à crier à l’escroquerie, sans compter notre bonne éducation- ce film est comme un traité politico-sociologique. 10% seulement de la population (une fourchette plutôt haute) fréquente les théâtres. Mais difficile à chiffrer, si l’on y inclut les spectacles de rue, gratuits, et très appréciés par toute une population, notamment rurale.

Une énorme demande faite au théâtre se cache dans ce petit film aux couleurs ternies comme celles d’une salle de spectacle vieillotte, et qui se permet même d’être drôle ! Que votre art à vous qui êtes sur scène, soit vraiment grand et fort, même quand il a une petite fonction de divertissement. Et qu’il soit à la hauteur de chacun. Moi, spectateur, je ne suis pas un cochon de payant, mais suis celui auquel vous vous adressez. Vous me parlez, à moi, Yannick et c’est une responsabilité…

Christine Friedel

Le film de Quentin Dupieux est actuellement en salles.

 

Pauline et Carton, d’après les textes de Pauline Carton, adaptation de Virginie Berling, Christine Murillo et Charles Tordjman, mise en scène de Charles Tordjman

lr19094309to108957-scaled-tt-width-600-height-340-crop-0-bgcolor-000000 Pauline & Carton, d’après les textes de Pauline Carton, adaptation de Virginie Berling, Christine Murillo et Charles Tordjman, mise en scène de Charles Tordjman

Christine Murillo traverse la salle pour gagner la scène où une petite table  et une chaise l’attendent. Elle va commencer à se raconter, en feignant des trous de mémoire et devient Pauline Carton au soir de sa vie…  Cette actrice, chanteuse et autrice (1884-1974) joua surtout les rôles de concierges, soubrettes ou mégères, au cinéma comme au théâtre. A la ville, il en allait tout autrement.

«Une voix de canard, un nez en pomme de terre et le goût des rôles ancillaires.» se définit-elle dans Les Théâtres de Carton (1938). D’après ses écrits*, Christine Murillo est Pauline Carton et nous balade avec malice entre les mots de celle qui fut le témoin d’un demi-siècle de vie culturelle parisienne,  et ses commentaires à elle…

«Quand j’étais jeune, disait Pauline Carton, j’avais le visage lisse et des robes plissées, maintenant, c’est le contraire.»  Christine Murillo a le don de restituer sa verve caustique quand elle évoque et imite des acteurs comme Michel Simon et Bourvil ou l’écrivain Jean Cocteau. Elle raconte le passage du cinéma muet, au parlant, les tournées théâtrales et la précarité des acteurs de second rôle… Un bel hommage à tous ces disparus connus ou ceux restés anonymes.

Il y a une pointe d’émotion quand elle nous parle de son grand ami Sacha Guitry ou du poète suisse Jean Violette, l’unique amour de sa vie. Toujours avec lui en août à Genève Pauline Carton refusait de jouer à ce moment-là: «En août, je ne tourne pas. Je fais l’amour. »

Sait-on aujourd’hui qu’elle a écrit Sous les Palétuviers, un tube repris depuis par nombre d’artistes, dont Julien Clerc? Christine Murillo interprète plusieurs de ses chansons, entre autres, J’ai un faible pour les forts, avec toute la gouaille de Pauline Carton qui l’enregistra en 1972… Irrésistible! Elle nous fait aussi partager l’autodérision de celle qui donna son corps à la faculté de médecine, en précisant : «Je ne peux pas dire que je ferai un beau cadeau aux étudiants. J’ai même pensé à me faire tatouer autour du cou: « Tant pis pour vous ! »

 Une table, une chaise, un carton d’où elle tire quelques accessoires : il faut trois fois rien à Christine Murillo pour redonner vie à cette femme à l’esprit frondeur et libertaire. Visage expressif, regard malicieux, elle nous communique son plaisir de jouer, entre rire et émotion. Pauline & Carton est un petit bijou et fait… un carton ! Une bouffée d’air frais.

Christine Murillo partage avec son personnage le sens du comique. Elle a écrit Gazettes de coulisses. Elle a coécrit et joué pour notre plus grand plaisir avec Jean-Claude Legay et Grégoire Oestermann, Le Baleinié ou Dictionnaire des tracas et la suite** décliné en trois spectacles : Xu: objet bien rangé mais où ,Oxu: objet qu’on vient de retrouver et qu’on reperd aussitôt , Ogzu: urne dont on ne sait pas quoi faire, une fois les cendres dispersées… (voir Le Théâtre du Blog). On la retrouvera dans La Mouche de Christian Hecq et Valérie Lesort en février prochain.

 Mireille Davidovici

Jusqu’au 17 décembre, le samedi à 19 h 30 et le dimanche à 15 h 30. La Scala, 13 boulevard de Strasbourg, Paris (X ème). T.: 01 40 03 44 30.

 * Les Théâtres de Carton, Librairie académique Perrin, réédition J’ai lu (1947). Histoires de cinéma, de Pauline Carton éditions du Scorpion (1958).

** Le Baleinié ou Dictionnaire des tracas, éditions du Seuil (2003).

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