Neotango, d’après les musiques d’Astor Piazzola par l’ensemble Octetology
Neotango, d’après les musiques d’Astor Piazzola par l’ensemble Octetology
Huit interprètes ressuscitent, soixante ans après, les partitions disparues du compositeur argentin, dans une ambiance survoltée, au Bal Blomet à Paris.
En 1955, Astor Piazzolla (1921-1992), déjà une grande vedette dans les cercles du Tango, est considéré en Argentine comme l’auteur de LA musique nationale.
Il revint à Buenos-Aires après un séjour de deux ans à Paris où il étudia sous la direction de Nadia Boulanger (1887-1974), compositrice, cheffe d’orchestre et directrice du « Conservatoire américain » organisé au château de Fontainebleau pendant l’été. Cette grande professeure aura formé entre autres nombre d’artistes d’Outre-Atlantique dont, pour ne citer que les plus célèbres, Daniel Barenboim, Leonard Bernstein, Elliott Carter, Marius Constant, George Gershwin, Philip Glass, Pierre Henry, Pierre Schaeffer. Et, dans le monde du jazz, Vladimir Cosma, Egberto Gismonti, Quincy Jones, Michel Legrand, Lalo Schifrin…
Quand Astor Piazzola lui présente ses partitions de musique classique, Nadia Boulanger dit : «C’est bien écrit mais je ne perçois pas votre présence dans cette musique.» Et elle l’encourage à écrire pour son instrument, le bandonéon. Il a fréquenté à Paris les musiciens de jazz et sa conception du Tango a profondément évolué. Il souhaite bouleverser les codes et traditions de cette musique de danse et le Tango devient chez lui une musique concertante.
A Buenos Aires, il revoit pour son Octeto, les arrangements du répertoire, supprime le chant et y introduit la guitare électrique. Cette révolution agite le monde traditionaliste des aficionados du Tango qui le critiquent vigoureusement parfois avec violence et menaces.
A son grand regret, l’Octeto de Buenos Aires sera un échec et il le dissoudra. Mais avant, il enregistrera Tango Progresivo et Tango Nuevo, deux disques microsillons (1957), quasi introuvables aujourd’hui. Et à une soirée arrosée, l’année suivante, il brûlera toutes les partitions de l’Octeto, effaçant ainsi la trace de ce répertoire qui n’a plus été joué jusqu’à aujourd’hui!
Mais durant la retraite imposée par le covid, Lysandre Donoso et Mathias Naon qui participent au renouveau du Tango en France relèvent les morceaux sur partition, à partir des deux disques, bien usagés, s’imprégnant aussi du style de l’orchestre. Au sein du collectif de musiciens Fonica, ils créent l’ensemble Octetology pour populariser ce répertoire disparu à l’occasion du centenaire de la naissance d’Astor Piazzolla.
Soutenus par Radio France, ils jouent dans de nombreux festivals et gagnent le prix du Concours international de Bandonéon, à Castelfidardo (Italie). Ils enregistrent dix partitions et arrangements du maître et leur CD est paru en septembre. En concert, ils jouent aussi cinq ou six morceaux supplémentaires qu’ils réservent à leur prochain disque…
Octetology rassemble de jeunes musiciens autour de la trentaine. Le 29 septembre au Bal Blomet à Paris (XV ème), Octetology on a pu entendre: Emilie Aridon-Kociolek (piano), Adrien Merahi (guitare électrique), Carmela Delgado** et Lysandre Donoso (bandonéon), Mathias Naon et Fanny Stefanelli-Gallois (violon, en replament de sa soeur Aurélie Gallois), Gersende Perini (violoncelle) et Lucas Eubel Frontini (contrebasse).
Presque tous ont des attaches avec l’Amérique latine, et l’Argentine en particulier. Familiers de Buenos Aires, ils y trouvent une créativité bouillonnante et travaillent avec des musiciens et des danseurs locaux.
Tous ont un CV impressionnant : diplômés de Conservatoires et lauréats de concours internationaux, ils mènent aussi une brillante carrière dans des institutions prestigieuses. Ils mènent parallèlement, chacun avec son instrument, une brillante carrière au sein d’institutions prestigieuses mais ils reviennent au Tango au sein de Fonica. Ce collectif leur permet de naviguer dans une demi-douzaine de formations, trio, quatuor ou grands ensembles, consacrés à cette musique de concert sud américaine. Ils ne boudent pas pour autant la variété (accompagnant la chanteuse Juliette), les spectacles de danse ou le milonga, le bal argentin.
Aujourd’hui, le Tango est vivace. A l’origine, cette mouvance fut impulsée en France par Juan Jose Mosalini qui ouvrit, il y a trente ans, la première classe de bandonéon au Conservatoire de Gennevilliers, le seul en France à avoir un département Tango, dirigé actuellement par Juanjo Mosalini, le fils du fondateur. Plusieurs des musiciens d’Octetology y enseignent.
Le nouveau Tango s’abreuve aussi au jazz et à la musique classique et il y a maintenant une quinzaine d’ensembles: Cuarteto Mosalini-Teruggi, Quinteto Emedeo, Trio Tasis, Cuarteto Lunares… où l’on retrouve souvent les participants d’Ocetology. Mais aussi Fleurs Noires, un orchestre féminin, Orquestra Silbando, Spiritango Quartet. Et il existe un étonnant réseau de salles, festivals, dancings sur tout le territoire.
Jean-Louis Mingalon, auteur du Dictionnaire du Tango, confirme : « Le Tango était en perte de vitesse mais séduit maintenant les foules, en Argentine comme en France. A Paris, il existe une vingtaine de salles où l’on peut l’écouter et le danser et les aficionados préfèrent écouter des orchestres, plutôt que les disques. » A la question peut-on danser sur les musiques de Neotango ? il répond : «Les professionnels, oui, quant aux autres… »
Jean-Louis Verdier
Concert entendu le 29 septembre au Bal Blomet, 33 rue Blomet, Paris (XV ème).
Le 7 octobre, Festival Sonates d’automne, Loches (Indre-et- Loire)
Autres dates: https://www.fonicatm.com/agenda
* NeoTango, Hommage à l’Octeto Buenos Aires d’Astor Piazzola, CD 46’48 , Paraty éditeur.
**Carmela Delgado sera en résidence le premier semestre, au Triton, Les Lilas qui lui confiera plusieurs cartes blanches. https://www.letriton.com/programmation