Edelweiss (France Fascisme),texte et mise en scène de Sylvain Creuzevault
©x
Le metteur en scène avait créé avec succès à Strasbourg en mai dernier d’après L’Esthétique de la résistance, un roman de Peter Weiss (1916-1982) qui raconte l’histoire du mouvement ouvrier allemand et son échec, de la République de Weimar, à 1945. (voir Le Théâtre du Blog).
Cette fois, Sylvain Creuzevault a voulu parler de l’occupation des armées allemandes en France pendant la seconde guerre mondiale… Un épisode national tragique mais maintenant terra incognita pour la majeure partie des Français: là-dessus, les livres d’histoire ont été longtemps peu bavards.
Cette occupation commence à l’armistice conclu le 22 juin 1940. Pierre Laval, alors président du Conseil, a des rapports très étroits avec Otto Abetz, ambassadeur d’Allemagne en France. Il rencontre Adolf Hitler à Montoire et y organise une entrevue avec Pétain qui fait le choix de la collaboration. Le territoire sera divisé en deux par une ligne de démarcation. Les Allemands occuperont le Nord, et le Sud restera zone dite libre.
Le régime de Vichy lutta contre la Résistance, persécuta les Juifs, puis aida à les faire déporter en Allemagne et en Pologne occupée. Bref, une des plus sales périodes de notre histoire nationale. Avec au menu: répression systématique, pillage économique et humain, annexion de l’Alsace, manque de main d’œuvre (un million et demi de Français prisonniers en Allemagne!), de charbon et d’électricité), réquisitions alimentaires donc tickets de rationnement pour le lait, le beurre , les œufs, la viande, la farine donc le pain, etc. En ville, les pommes de terre sont introuvables! Restent les rutabagas et topinambours délicieux mais épouvantables quand ils sont cuits à l’eau (seule disponible: l’huile de paraffine mais qui donnait la diarrhée). Aucune voiture sauf les quelques rares à gazogène. Souvent V1 ou V2, ancêtres des missiles passant dans le ciel et descentes rapides dans les caves quand les lugubres sirènes avertissaient d’un prochain bombardement.
©x Ce qui restait de Lisieux
La sinistre Kommandantur exerçait un pouvoir absolu. Nos voisins portaient l’étoile jaune. Jean Zay, ancien brillant ministre du Gouvernement populaire, fut assassiné par la Milice en 44 et nombre de résistants communistes exécutés comme Manouchian et ses amis de la fameuse affiche rouge. Puis à la Libération en 44, des prostituées ou des femmes qui avaient eu des relations-intimes ou pas- avec l’ennemi, furent tondues, insultées et ensuite «promenées» debout dans des camionnettes… Vues de nos yeux de petit enfant qui ne comprenait rien à cette sinistre chose.
Les prisonniers amaigris rentraient…ou pas, comme celui disparu mais dont l’épouse qui habitait près de chez nous et n’avait aucune preuve de son décès, donc aucune pension de veuve! Mais cet homme fut ensuite rencontré par hasard quelques années après en Allemagne par un ami à lui…
Bref, la vie des quelques trente cinq millions de Français traumatisés par quatre ans d’occupation, en fut bouleversée. Ponts souvent coupés. Bombardements par centaines de milliers de tonnes effectués par les alliés (Caen, Lisieux, Vire, mais aussi Bezons, en banlieue parisiennes à deux kms de notre maison) firent des centaines de milliers de victimes. Enfin, messe à Notre-Dame pour la libération de Paris, avec le son du gros bourdon entendu de loin… Des images à jamais ancrées dans notre mémoire.
Mais, de cette époque récente mais déjà lointaine, tous les protagonistes historiques sont morts depuis longtemps. Cette occupation militaire a été le thème en filigrane de nombreux films longtemps après. Entre autres L’Armée des ombres (1969) de Jean-Pierre Melville), Lacombe Lucien de Louis Malle (1974) où un adolescent rejoint la Gestapo, La Ligne de démarcation et La Fleur du mal (2003) de Claude Chabrol. Et bien sûr, Le Dernier Métro (1980) de François Truffault . Et Section spéciale (1975) de Costa-Gavras…Mais guère au théâtre, à part Vichy-Fictions de Michel Deutsch, mise en scène de Jean-Pierre Vincent (1980).
C’est un peu de tout cela que parle le très long spectacle (deux heures et demi sans entracte!) de Sylvain Creuzevault. Cela commence curieusement en 44 sous une lumière glauque dans une grande pièce parquetée avec une rapide évocation du procès de l’écrivain Robert Brasillach, écrivain et journaliste radicalement antisémite: «Il faut se séparer des Juifs en bloc et ne pas garder de petits. »
Le Général de Gaulle malgré la pétition signée, entre autres par Jean-Louis Barrault, Jean Paulhan, Paul Valéry, Albert Camus, Paul Claudel refusa de gracier ce condamné à mort pour collaboration et intelligence avec l’ennemi: « Un intellectuel n’a pas plus de titre à l’indulgence. Son engagement dans la collaboration a renforcé les nazis. (…) Quand vient l’heure de la justice, il doit payer. »
Puis Syvain Creuzevault opère un retour en arrière en 1941 jusqu’à la Libération et à la chute du régime de Vichy. Sont passés en revue : entrevue de Pétain avec Hitler à Montoire, rafle du Vél d’hiv, sabordage de la flotte française à Toulon, Service du Travail Obligatoire pour les jeunes Français en Allemagne mis en place par Pierre Laval, négociations avec Otto Abetz, diplomate allemand, ambassadeur du Troisième Reich à Paris de 40 à 44, création des réseaux de résistance FTP-MOI du groupe Manouchian…
Sylvain Creuzevault a voulu faire parler, non le maréchal Pétain grand absent de cette pseudo-fresque historique mais les collabos les plus notoires comme Pierre Laval, chef du gouvernement qui se suicidera juste après son procès mais sera fusillé, Philippe Henriot , Marcel Déat.
Et plus connu, Jacques Doriot, ancien maire communiste de Saint-Denis (Seine-Saint-Denis) dont la voiture fut mitraillée par un avion sans doute allemand ou anglais quand il se réfugia outre-Rhin. (Il était le père de la la grande actrice Madeleine Marion.)
Et des écrivains comme Robert Brasillach, Lucien Rebatet, un critique d’art. Drieu la Rochelle était très impliqué dans l’extrême droite mais ami d’André Malraux, Jacques Lacan et Aragon qu’il protégea. Il fera libérer son ancienne épouse juive ainsi que ses deux fils du camp de Drancy en 1943. Il se suicidera aussi.
On apercevra dans le spectacle le plus connu: Louis-Ferdinand Céline. Après la Libération, Pierre Laval, chef du gouvernement, qui s’était d’abord enfui en Espagne, se suicida au cyanure mais fut quand même fusillé. Comme Joseph Darnand, secrétaire général et véritable chef opérationnel de la Milice française, supplétive de la Gestapo, chargée de la traque des résistants, des Juifs, des francs-maçons et réfractaires au S.T.O, qui s’engagea dans les Waffen-S S en août 1943 !
Fernand de Brinon, représentant du gouvernement de Vichy auprès du haut-commandement allemand fut lui aussi exécuté. Philippe Henriot, secrétaire d’État à l’Information et à la propagande du gouvernement Laval, avait déjà été tué par un commando militaire de la Résistance.
Lucien Rebatet fut gracié, comme le maréchal Pétain détenu à l’Ile d’Yeu et mort en 51 Otto Abetz condamné à vingt ans de prison sera ensuite lui aussi gracié par le Président de la République René Coty.
Quelle tragédie nationale qui laissera longtemps des traces mais l’écriture de ce texte n’a rien de convaincant et ces petites scènes bancales aux dialogues sans intérêt se suivent sans véritable fil rouge. Sylvain Creuzevault se contente paresseusement de les relier par une série de gros titres en vidéo et utilise souvent des pancartes avec les noms de personnages que tiennent les acteurs. Malgré leur solide métier-tous remarquables, ils font le maximum-cette dramaturgie pseudo-brechtienne ne tient pas la route. La réalisation est précise mais il y a là un manque flagrant d’écriture.
Et quand Sylvain Creuzevault essaye de mettre en scène cette période très noire mais diablement intéressante, cela ne fonctionne pas. Pourquoi fait-il crier en permanence ses comédiens dans leurs micros H.F.? Ce qui manque de nuances et devient vite insupportable. Pourquoi, au lieu de remettre les faits dans leur contexte, fait-il parler à quelques exceptions près, les politiques du régime de Vichy .
Pourquoi ne parle-t-il pas vraiment de cette partie de l’élite française qui admirait le Troisième Reich et y collabora de près ou de loin? Comme bien d’autres, Jean-Paul Sartre n’adhéra qu’à la fin à la Résistance et publia avant des articles dans la revue collaborationniste Comœdia. Mais il fit ensuite partie des instances chargés de juger les artistes estimés collabos. Pourquoi des cinéastes français voulurent-ils quand même tourner des films grâce à la société franco-allemande Continental qui, de 40 à 44 surveille les tournages et ne se gêne pas pour censurer les films? Pourquoi en 42, des vedettes françaises comme Danielle Darrieux, Viviane Romance, Albert Préjean acceptent de faire une voyage de propagande en Allemagne? Ce qui favorisait une politique de collaboration entre les grandes industries du cinéma des deux pays… Sacha Guitry, lui, avait de bonnes relations avec l’état-major allemand et réussira ainsi à sauver Tristan Bernard qui devait être envoyé dans les camps, parce que juif.
Mais pourquoi un directeur de galerie bien connu, accepta-t-il de faire fortune en vendant fort cher des tableaux de Braque, Picasso, etc. à des épiciers enrichis grâce au marché noir et qui le payaient, bien entendu, en liquide? Les frontières étaient souvent plus floues qu’on ne le pense, et dans tous les milieux, y compris artistiques.
©x
Sylvain Creuzevault, lui, survole juste ce qui fut un bouleversement des valeurs dans la vie quotidienne des Français. Parfois, avec une certaine habileté et de légères touches de comique: il y a ainsi un court et beau dialogue entre deux agriculteurs venus se plaindre auprès de Pierre Laval. Mais l’auteur et metteur en scène qui a pioché dans les textes et discours de l’époque semble plus fasciné par les discussions entre des fantoches de collabos au pouvoir, que par la vie lamentable des Français, humiliés et épuisés, et dont certains sont morts de faim. Ainsi les malades d’hôpitaux psychiatriques comme en 43, Camille Claudel.
Bref, il aurait fallu un vrai dramaturge pour évoquer un moment tragique de l’histoire de France et une solide mise en scène. Malheureusement cette juxtaposition de petites scènes ne fait jamais sens, même accompagnée d’images d’époque, mixées et projetées à toute vitesse… Et il n’y a curieusement aucune émotion et cette pièce qui veut être une réflexion sur la montée du fascisme s’achève dans un épais nuage de fumigène (un de plus en cette rentrée déjà fumeuse!!!) mais en silence et avec une pancarte: «Méfiez-vous de vos désirs. Ils arrivent.»
La salle était pleine et peu de gens sont sortis avant la fin, mais l’ennui était au rendez-vous et les applaudissements étaient juste polis. Sylvain Creuzevault a eu une belle idée mais s’est planté: dommage! Surtout au moment où Issak Manouchian va entrer au Panthéon, quatre-vingt ans après avoir été fusillé. Enfin cet Edelweiss donnera peut-être à de jeunes metteurs en scène de reprendre le flambeau avec un pièce sur le même thème mais avec une écriture et une mise en scène beaucoup plus convaincantes…
Philippe du Vignal
Jusqu’au 22 octobre, Odéon-Ateliers Berthier, 1 rue André Suarès, Paris (XVII ème).
A consulter: Paris, Berlin, 1940-1945, Paris, Tallandier, 2014. Près de six cent documents, affiches, rapports, lettres, journaux intimes, insignes, tracts, procès-verbaux, mains courantes, pièces à conviction, registres d’écrou, albums-photos, objets… commentés de juin 40 à avril 45.
Et l’incontournable livre d’Alan Riding sur la vie culturelle frnaçaise pendant l‘Occupation, Et la fête continue.