Reflections, chorégraphie d’Adi Boutrous

Reflections,chorégraphie d’Adi Boutrous

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© Efrat Mazor

Remarqué dans le duo qu’il dansait avec Hillel Kogan, We love Arabs (2013) l’artiste israélien qui appartient à la minorité arabe de son pays, a, depuis sa première création, What Really Makes Me Mad (Premier prix au Shades in Dance 2013), signé plusieurs pièces, dont dernièrement, Submission (2018) et One MoreThing (2020), programmés au Théâtre des Abbesses : deux duos en miroir, l’un masculin, l’autre féminin, formant un ensemble organique autour des identités du genre et des rites de passage, souvent en rapport avec sa terre natale.

Avec toujours la même physicalité, héritée de l’acrobatie et de la break dance qu’il a pratiquées, Adi Boutrous place Reflections sous les auspices de l’art pictural et aux racines du christianisme, sa religion: «J’entame ce voyage par la peinture de la Renaissance avec son esthétique et ses symboles qui nous parlent beaucoup du cycle de la vie et de la mort .»

Avec lenteur, les artistes composent des images qui s’inscrivent souvent dans la répétition, comme au premier tableau : sur un châssis de bois -lit ou cercueil- gît un danseur immobile. Puis vient un deuxième, nu qui l’en chasse et s’y recroqueville… La scène se reproduit jusqu’au moment où trois autres interprètes les rejoignent. Les figures se complexifient et naissent alors d’étonnantes combinatoires et d’étranges portés.

 On reconnaît dans ces postures ici des piétas, descentes de croix, crucifixions, scènes bibliques, et sans qu’on puisse nommer telle ou telle peinture, affleurent des réminiscences comme Le Retour du fils prodigue de Rembrandt, Scène du déluge de Girodet, L’Annonciation de Fra Angelico ou La Piétà de Michel-Ange s’infiltrent  discrètement dans des  corps à corps discrets mais très charnels, à deux, trois, quatre ou cinq dont lui-même. Les deux femmes sont en longue robe de velours aux couleurs sourdes et les trois hommes en pantalon noir et chemise blanche.

Une longue étoffe brune devient traîne, linceul, draperie couvrant la nudité d’un corps. « Et, dit cet artiste, je signe ma première scénographie, un tissu en fond de scène symbolisant la toile du peintre. » A la fin, arraché comme pour effacer ces images évanescentes du passé, ce tissu laissera place au mur nu du théâtre. Faut-il y voir un retour au réel ?

Souvent deux femmes et deux hommes s’accouplent en des étreintes mouvantes sous le regard d’un cinquième… Au fil de la chorégraphie, les artistes s’agglutinent et ne forment bientôt qu’un seul corps qui se disloque et se réagrège en bizarres contorsions de bras, torses et jambes. Là, surgit une danseuse portée très haut, évoquant la Vénus aux cheveux en cascade de Botticelli; ici un corps nu dans un linceul est traîné sur le châssis en bois… Et une mêlée ininterrompue, grouillante de vitalité et en perpétuelle métamorphose, clôt la pièce.

Une grande sensualité émane de cette lente procession silencieuse, parfois soutenue par des musiques baroques ou traditionnelles. On pense aux icônes vivantes du cinéma d’Andrei Tarkovsky, animées de ferveur populaire.

Ido Barak, Neshama Bazer, Adi Boutrous, Stav Struz Boutrous et Uri Dicker avec une grande douceur adoptent une gestuelle acrobatique et solennelle composant un mystérieux cérémonial où la vie côtoie la mort. De cette pièce, créée cette année à la Biennale de Lyon, se dégage une spiritualité ancrée dans la matérialité des corps dansants. Reflections est la treizième pièce d’Adi Boutrous, un artiste à suivre…

 Mireille Davidovici

 Spectacle vu le 27 septembre, au Théâtre des Abbesses-Théâtre de la Ville, rue des Abbesses, Paris (XVIII ème).

Le 3 octobre, Espace 1989, Saint-Ouen (Seine-Saint-Denis). Les 6 et 7 octobre, Fabrik Postdam, Postdam (Allemagne).


Archive pour 2 octobre, 2023

Théâtre nô et kyõgen

Théâtre nô et kyõgen

Sur la scène d’un authentique théâtre nô, transporté depuis le Japon dans la salle des concerts de la Cité de la Musique à Paris, un programme typique : une farce (kyõgen) et un drame (nô), précédés d’une invocation aux Dieux a cappella, dite kami-Uta.
Le nô et sa parodie survivent depuis le XlV ème siècle, comme sortis d’un musée avec des costumes amples et chamarrés, répertoire codifié et gestes rituels.Le kami-uta, chœur de voix gutturales semblant venir de la nuit des temps nous projette dans un climat onirique. Avec onomatopées et paroles répétitives et poétiques: « Pour mille générations, que ce règne soit assuré. (…) Puissions-nous atteindre l’âge légendaire de la grue et de la tortue. (…) La grue millénaire chante l’hymne des mille ans. (…) La tortue de l’étang dix fois millénaire porte sur sa carapace le ciel et la terre.»
Les sons s’étirent indéfiniment entre solos et répons. Nous sommes sur un autre planète, prêts à entrer dans ces deux pièces…

UnknownShimizu

Cette bouffonnerie parodie gestes et diction du nô et pourrait se résumer par : à malin, malin et demi. Un valet,Taro Kaja, renâcle à aller chercher de l’eau à la fontaine pour la cérémonie du thé : c’est la mode et, à son maître veut en organiser une, il raconte que la source est hantée par un démon. Craignant pour son précieux baquet que, selon Taro Kaja, le monstre aurait déchiqueté, le maître va à la source et le rencontre, affublé d’un masque effrayant avec une voix d’outre-tombe. Mais il finit par déjouer la fourberie…
Archétype du valet rusé, ce Scapin japonais est incarné par Man Nomura. Né en 1930 et issu d’une longue lignée d’acteurs kyõgen, il a été déclaré « trésor national vivant ». Ancré au sol, il installe avec des gestes lents, une connivence: son personnage est d’une bonhommie populaire qui rappelle ceux de la commedia dell’arte ou de Plaute.
Pour perpétuer cet art toujours vivace au Japon, son fils Manzo Nomura incarne ici le maître avec élégance.

Funa-Benkei de Kanze Kajiro Nobomisu

Dans un tout autre registre, Yoshitsune est un héros légendaire de l’histoire médiévale au pays des guerriers nippons du XII ème siècle. Il a vaincu les Taira en 1185 et a fait l’objet de nombreux nôs et kabuki. Mais aussi d’un film d’Akira Kurosawa, Les Hommes qui marchèrent sur la queue du tigre.
L’auteur de Funa Benkei (1435-1516) met en scène un conseiller qui incite son maître à fuir le courroux d’un demi-frère jaloux. Il le persuade aussi de renvoyer sa maîtresse Shizuka à la Capitale pour lui éviter les périls de la traversée. Dans une longue scène d’adieux, Shizuka, jouée par un acteur au masque blanc, se lamente et danse avec lenteur, accompagnée par l’orchestre et le chœur. Les hommes embarquent enfin…
Au rythme des tambours, un habile batelier mène avec une perche une barque (figurée ici par une découpe en bois posée à terre) contre les vents et flots en furie. Surgit alors un fantôme qui le menace avec une grande lance. Interprété par le même acteur que Shizuko (Kurouemon Katayama), il exécute une danse guerrière.
Son costume blanc et noir et son masque de démon cornu tranchent avec les habits colorés de Yoshitsune et de ses compagnons. «Je suis l’esprit des Tairas!», clame ce spectre vengeur relayé par les voix monocordes des chanteurs.Yoshitsune dégaine enfin son sabre mais seules les prières de Benkei agitant frénétiquement son chapelet, mettront en fuite l’apparition maléfique.

Ces parties contrastées, l’une lente et romantique, la deuxième, épique sont rythmées par des tambours de hanche, d’épaule et à battes, accompagnés par une flûte traversière au son aigrelet (taiko).
Les musiciens sont assis en fond de scène et, à cour, un chœur joint ses psalmodies aux récits des acteurs. Leurs personnages hiératiques en costumes imposants surprennent par leur gestuelle déliée quand ils passent (rarement) à l’action. Mannojo Nomura, le batelier, est le seul personnage du peuple…
Ces artistes exceptionnels nous font partager un art resté intact depuis des siècles. Le nô et son pendant comique, le kyõgen ont conservé l’esprit d’un théâtre de cour, héritier des anciennes danses religieuses.
Les déplacements des interprètes, exclusivement des hommes, sont très lents Avec les musiciens, ils nous offrent ici un voyage hors du temps, comme une parenthèse loin de notre rythme quotidien. Certains ne se sont pas laissé facilement embarquer mais le public a applaudi la beauté et la perfection de ces spectacles qui ont fait salle comble.

 Mireille Davidovici

Spectacle joué du 22 au 26 septembre, Cité de la musique, Philharmonie de Paris, 221 avenue Jean Jaurès, Paris (XIX ème). T. : 01 44 84 44 84.

Edelweiss (France Fascisme),texte et mise en scène de Sylvain Creuzevault

Edelweiss (France Fascisme),texte et mise en scène de Sylvain Creuzevault

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Le metteur en scène avait créé avec succès à Strasbourg en mai dernier d’après L’Esthétique de la résistance, un roman de Peter Weiss (1916-1982) qui raconte l’histoire du mouvement ouvrier allemand et son échec, de la République de Weimar,  à 1945. (voir Le Théâtre du Blog).
Cette fois, Sylvain Creuzevault a voulu parler de l’occupation des armées allemandes en France pendant la seconde guerre mondiale… Un épisode national tragique mais maintenant terra incognita pour la majeure partie des Français: là-dessus, les livres d’histoire ont été longtemps peu bavards.
Cette occupation commence à l’armistice conclu le 22 juin 1940. Pierre Laval, alors président du Conseil, a des rapports très étroits avec Otto Abetz, ambassadeur d’Allemagne en France. Il rencontre Adolf Hitler à Montoire et y organise une entrevue avec Pétain qui fait le choix de la collaboration. Le  territoire sera divisé en deux par une ligne de démarcation. Les Allemands occuperont le Nord, et le Sud restera zone dite libre.
Le régime de Vichy lutta contre la Résistance, persécuta les Juifs, puis aida à les faire déporter en Allemagne et en Pologne occupée. Bref, une des plus sales périodes de notre histoire nationale. Avec au menu: répression systématique, pillage économique et humain, annexion de l’Alsace, manque de main d’œuvre (un million et demi de Français prisonniers en Allemagne!), de charbon et d’électricité), réquisitions alimentaires donc tickets de rationnement pour le lait, le beurre , les œufs, la viande, la farine donc le pain, etc. En ville, les pommes de terre sont introuvables! Restent les rutabagas et topinambours délicieux mais épouvantables quand ils sont cuits à l’eau (seule disponible: l’huile de paraffine mais qui donnait la diarrhée). Aucune voiture sauf les quelques rares à gazogène. Souvent V1 ou V2, ancêtres des missiles passant dans le ciel et descentes rapides dans les caves quand les lugubres sirènes avertissaient d’un prochain bombardement.

©x Ce qui restait de Lisieux

©x Ce qui restait de Lisieux

La sinistre Kommandantur exerçait un pouvoir absolu. Nos voisins portaient l’étoile jaune. Jean Zay, ancien brillant ministre du Gouvernement populaire, fut assassiné par la Milice en 44 et nombre de résistants communistes exécutés comme Manouchian et ses amis de la fameuse affiche rouge. Puis à la Libération en 44, des prostituées ou des femmes qui avaient eu des relations-intimes ou pas- avec l’ennemi, furent tondues, insultées et ensuite «promenées» debout dans des camionnettes… Vues de nos yeux de petit enfant qui ne comprenait rien à cette sinistre chose.
Les prisonniers amaigris rentraient…ou pas, comme celui disparu mais dont l’épouse qui habitait près de chez nous et n’avait aucune preuve de son décès, donc aucune pension de veuve! Mais cet homme fut ensuite rencontré par hasard quelques années après en Allemagne par un ami à lui…
Bref, la vie des quelques trente cinq millions de Français traumatisés par quatre ans d’occupation, en fut bouleversée. Ponts souvent coupés. Bombardements par centaines de milliers de tonnes effectués par les alliés (Caen, Lisieux, Vire, mais aussi Bezons, en banlieue parisiennes à deux kms de notre maison) firent des centaines de milliers de victimes. Enfin, messe à Notre-Dame pour la libération de Paris, avec le son du gros bourdon entendu de loin… Des images à jamais ancrées dans notre mémoire.
Mais, de cette époque récente mais déjà lointaine, tous les protagonistes historiques sont morts depuis longtemps.
Cette occupation militaire a été le thème en filigrane de nombreux films longtemps après.  Entre autres L’Armée des ombres (1969) de Jean-Pierre Melville), Lacombe Lucien de Louis Malle (1974) où un adolescent rejoint la Gestapo, La Ligne de démarcation et La Fleur du mal (2003) de Claude Chabrol. Et bien sûr, Le Dernier Métro (1980) de François Truffault . Et Section spéciale (1975) de  Costa-Gavras…Mais guère au théâtre, à part Vichy-Fictions de Michel Deutsch, mise en scène de Jean-Pierre Vincent (1980).

C’est un peu de tout cela que parle le très long spectacle (deux heures et demi sans entracte!) de Sylvain Creuzevault. Cela commence curieusement en 44 sous une lumière glauque dans une grande pièce parquetée avec une rapide évocation du procès de l’écrivain Robert Brasillach, écrivain et journaliste radicalement antisémite: «Il faut se séparer des Juifs en bloc et ne pas garder de petits. »
Le Général de Gaulle malgré la pétition signée, entre autres par Jean-Louis Barrault, Jean Paulhan, Paul Valéry, Albert Camus, Paul Claudel refusa de gracier ce condamné à mort pour collaboration et intelligence avec l’ennemi: « Un intellectuel n’a pas plus de titre à l’indulgence.  Son engagement dans la collaboration a renforcé les nazis. (…) Quand vient l’heure de la justice, il doit payer. »

Puis Syvain Creuzevault opère un retour en arrière en 1941 jusqu’à la Libération et à la chute du régime de Vichy. Sont passés en revue : entrevue de Pétain avec Hitler à Montoire, rafle du Vél d’hiv, sabordage de la flotte française à Toulon, Service du Travail Obligatoire pour les jeunes Français en Allemagne mis en place par Pierre Laval, négociations avec Otto Abetz,  diplomate allemand, ambassadeur du Troisième Reich à Paris de 40 à 44, création des réseaux de résistance FTP-MOI du groupe Manouchian…
Sylvain Creuzevault a voulu faire parler, non le maréchal Pétain grand absent de cette pseudo-fresque historique mais les collabos les plus notoires comme Pierre Laval, chef du gouvernement qui se suicidera juste après son procès mais sera fusillé, Philippe Henriot , Marcel Déat. 
Et plus connu, Jacques Doriot, ancien maire communiste de Saint-Denis (Seine-Saint-Denis) dont la voiture fut mitraillée par un avion sans doute allemand ou anglais quand il se réfugia outre-Rhin. (Il était le père de la la grande actrice Madeleine Marion.)
Et des écrivains comme Robert Brasillach, Lucien Rebatet, un critique d’art. Drieu la Rochelle était très impliqué dans l’extrême droite mais ami d’André Malraux,  Jacques Lacan et Aragon qu’il protégea. Il fera libérer son ancienne épouse juive ainsi que ses deux fils du camp de Drancy en 1943. Il se suicidera aussi.
On apercevra dans le spectacle le plus connu: Louis-Ferdinand Céline. Après la Libération, Pierre Laval, chef du gouvernement, qui s’était d’abord enfui en Espagne, se suicida au cyanure mais fut quand même fusillé. Comme Joseph Darnand, secrétaire général et véritable chef opérationnel de la Milice française, supplétive de la Gestapo, chargée de la traque des résistants, des Juifs, des francs-maçons et réfractaires au S.T.O, qui s’engagea dans les Waffen-S S en août 1943 !
Fernand de Brinon, représentant du gouvernement de Vichy auprès du haut-commandement allemand fut lui aussi exécuté. Philippe Henriot, secrétaire d’État à l’Information et à la propagande du gouvernement Laval, avait déjà été tué par un commando militaire de la Résistance.
Lucien Rebatet fut gracié, comme le maréchal Pétain détenu à l’Ile d’Yeu et mort en 51 Otto Abetz condamné à vingt ans de prison sera ensuite lui aussi gracié par le Président de la République René Coty.

Quelle tragédie nationale qui laissera longtemps des traces mais l’écriture de ce texte n’a rien de convaincant et ces petites scènes bancales aux dialogues sans intérêt se suivent sans véritable fil rouge. Sylvain Creuzevault se contente paresseusement de les relier par une série de gros titres en vidéo et utilise souvent des pancartes avec les noms de personnages que tiennent les acteurs. Malgré leur solide métier-tous remarquables, ils font le maximum-cette dramaturgie pseudo-brechtienne ne tient pas la route. La réalisation est précise mais il y a là un manque flagrant d’écriture.
Et quand Sylvain Creuzevault essaye de mettre en scène cette période très noire mais diablement intéressante, cela ne fonctionne pas. Pourquoi fait-il crier en permanence ses comédiens dans leurs micros H.F.? Ce qui manque de nuances et devient vite insupportable. Pourquoi, au lieu de remettre les faits dans leur contexte, fait-il parler à quelques exceptions près, les politiques du régime de Vichy .
Pourquoi ne parle-t-il pas vraiment de cette partie de l’élite française qui admirait le Troisième Reich et  y collabora de près ou de loin? Comme bien d’autres, Jean-Paul Sartre n’adhéra qu’à la fin à la Résistance et publia avant des articles dans la revue collaborationniste Comœdia. Mais il fit ensuite partie des instances chargés de juger les artistes estimés collabos. Pourquoi des cinéastes français voulurent-ils quand même tourner des films grâce à la société franco-allemande Continental qui, de 40 à 44  surveille les tournages et ne se gêne pas pour censurer les films? Pourquoi en 42, des vedettes françaises comme Danielle Darrieux, Viviane Romance, Albert Préjean acceptent de faire une voyage de propagande en Allemagne? Ce qui favorisait une politique de collaboration entre les grandes industries du cinéma des deux pays… Sacha Guitry, lui, avait de bonnes relations avec l’état-major allemand et  réussira ainsi à sauver Tristan Bernard qui devait être envoyé dans les camps, parce que juif.
Mais pourquoi un directeur de galerie bien connu, accepta-t-il de faire fortune en vendant fort cher des tableaux de Braque, Picasso, etc. à des épiciers enrichis grâce au marché noir et qui le payaient, bien entendu, en liquide? Les frontières étaient souvent plus floues qu’on ne le pense, et dans tous les milieux, y compris artistiques. 

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Sylvain Creuzevault, lui, survole juste ce qui fut un bouleversement des valeurs dans la vie quotidienne des Français. Parfois, avec une certaine habileté et de légères touches de comique: il y a ainsi un court et beau dialogue entre deux agriculteurs venus se plaindre auprès de Pierre Laval. Mais l’auteur et metteur en scène qui a pioché dans les textes et discours de l’époque semble plus fasciné par les discussions entre des fantoches de collabos au pouvoir, que par la vie lamentable des Français, humiliés et épuisés, et dont certains  sont morts de faim. Ainsi les malades d’hôpitaux psychiatriques comme en 43, Camille Claudel.

Bref, il aurait fallu un vrai dramaturge pour évoquer un moment tragique de l’histoire de France et une solide mise en scène. Malheureusement cette juxtaposition de petites scènes ne fait jamais sens, même accompagnée d’images d’époque, mixées et projetées à toute vitesse… Et il n’y a curieusement aucune émotion et cette pièce qui veut être une réflexion sur la montée du fascisme s’achève dans un épais nuage de fumigène (un de plus en cette rentrée déjà fumeuse!!!) mais en silence et avec une pancarte: «Méfiez-vous de vos désirs. Ils arrivent.»
La salle était pleine et peu de gens sont sortis avant la fin, mais l’ennui était au rendez-vous et les applaudissements étaient juste polis.
Sylvain Creuzevault a eu une belle idée mais s’est planté: dommage! Surtout au moment où Issak Manouchian va entrer au Panthéon, quatre-vingt ans après avoir été fusillé. Enfin cet Edelweiss donnera peut-être à de jeunes metteurs en scène de reprendre le flambeau avec un pièce sur le même thème mais avec une écriture et une mise en scène beaucoup plus convaincantes…

Philippe du Vignal

Jusqu’au 22 octobre, Odéon-Ateliers Berthier, 1 rue André Suarès, Paris (XVII ème).

A consulter: Paris, Berlin, 1940-1945, Paris, Tallandier, 2014. Près de six cent documents, affiches, rapports, lettres, journaux intimes, insignes, tracts, procès-verbaux, mains courantes, pièces à conviction, registres d’écrou, albums-photos, objets… commentés de juin 40 à avril 45.
Et l’incontournable livre d’Alan Riding sur la vie culturelle frnaçaise pendant lOccupation, Et la fête continue.



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