Théâtre nô et kyõgen

Théâtre nô et kyõgen

Sur la scène d’un authentique théâtre nô, transporté depuis le Japon dans la salle des concerts de la Cité de la Musique à Paris, un programme typique : une farce (kyõgen) et un drame (nô), précédés d’une invocation aux Dieux a cappella, dite kami-Uta.
Le nô et sa parodie survivent depuis le XlV ème siècle, comme sortis d’un musée avec des costumes amples et chamarrés, répertoire codifié et gestes rituels.Le kami-uta, chœur de voix gutturales semblant venir de la nuit des temps nous projette dans un climat onirique. Avec onomatopées et paroles répétitives et poétiques: « Pour mille générations, que ce règne soit assuré. (…) Puissions-nous atteindre l’âge légendaire de la grue et de la tortue. (…) La grue millénaire chante l’hymne des mille ans. (…) La tortue de l’étang dix fois millénaire porte sur sa carapace le ciel et la terre.»
Les sons s’étirent indéfiniment entre solos et répons. Nous sommes sur un autre planète, prêts à entrer dans ces deux pièces…

UnknownShimizu

Cette bouffonnerie parodie gestes et diction du nô et pourrait se résumer par : à malin, malin et demi. Un valet,Taro Kaja, renâcle à aller chercher de l’eau à la fontaine pour la cérémonie du thé : c’est la mode et, à son maître veut en organiser une, il raconte que la source est hantée par un démon. Craignant pour son précieux baquet que, selon Taro Kaja, le monstre aurait déchiqueté, le maître va à la source et le rencontre, affublé d’un masque effrayant avec une voix d’outre-tombe. Mais il finit par déjouer la fourberie…
Archétype du valet rusé, ce Scapin japonais est incarné par Man Nomura. Né en 1930 et issu d’une longue lignée d’acteurs kyõgen, il a été déclaré « trésor national vivant ». Ancré au sol, il installe avec des gestes lents, une connivence: son personnage est d’une bonhommie populaire qui rappelle ceux de la commedia dell’arte ou de Plaute.
Pour perpétuer cet art toujours vivace au Japon, son fils Manzo Nomura incarne ici le maître avec élégance.

Funa-Benkei de Kanze Kajiro Nobomisu

Dans un tout autre registre, Yoshitsune est un héros légendaire de l’histoire médiévale au pays des guerriers nippons du XII ème siècle. Il a vaincu les Taira en 1185 et a fait l’objet de nombreux nôs et kabuki. Mais aussi d’un film d’Akira Kurosawa, Les Hommes qui marchèrent sur la queue du tigre.
L’auteur de Funa Benkei (1435-1516) met en scène un conseiller qui incite son maître à fuir le courroux d’un demi-frère jaloux. Il le persuade aussi de renvoyer sa maîtresse Shizuka à la Capitale pour lui éviter les périls de la traversée. Dans une longue scène d’adieux, Shizuka, jouée par un acteur au masque blanc, se lamente et danse avec lenteur, accompagnée par l’orchestre et le chœur. Les hommes embarquent enfin…
Au rythme des tambours, un habile batelier mène avec une perche une barque (figurée ici par une découpe en bois posée à terre) contre les vents et flots en furie. Surgit alors un fantôme qui le menace avec une grande lance. Interprété par le même acteur que Shizuko (Kurouemon Katayama), il exécute une danse guerrière.
Son costume blanc et noir et son masque de démon cornu tranchent avec les habits colorés de Yoshitsune et de ses compagnons. «Je suis l’esprit des Tairas!», clame ce spectre vengeur relayé par les voix monocordes des chanteurs.Yoshitsune dégaine enfin son sabre mais seules les prières de Benkei agitant frénétiquement son chapelet, mettront en fuite l’apparition maléfique.

Ces parties contrastées, l’une lente et romantique, la deuxième, épique sont rythmées par des tambours de hanche, d’épaule et à battes, accompagnés par une flûte traversière au son aigrelet (taiko).
Les musiciens sont assis en fond de scène et, à cour, un chœur joint ses psalmodies aux récits des acteurs. Leurs personnages hiératiques en costumes imposants surprennent par leur gestuelle déliée quand ils passent (rarement) à l’action. Mannojo Nomura, le batelier, est le seul personnage du peuple…
Ces artistes exceptionnels nous font partager un art resté intact depuis des siècles. Le nô et son pendant comique, le kyõgen ont conservé l’esprit d’un théâtre de cour, héritier des anciennes danses religieuses.
Les déplacements des interprètes, exclusivement des hommes, sont très lents Avec les musiciens, ils nous offrent ici un voyage hors du temps, comme une parenthèse loin de notre rythme quotidien. Certains ne se sont pas laissé facilement embarquer mais le public a applaudi la beauté et la perfection de ces spectacles qui ont fait salle comble.

 Mireille Davidovici

Spectacle joué du 22 au 26 septembre, Cité de la musique, Philharmonie de Paris, 221 avenue Jean Jaurès, Paris (XIX ème). T. : 01 44 84 44 84.

 

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