Si vous voulez de la lumière, conception et mise en scène de Florent Siaud
Si vous voulez de la lumière, conception et mise en scène de Florent Siaud
Le titre fait référence aux derniers mots de Johann Wofgang Goethe avant de mourir: «Mehr Licht ! » (Plus de lumière !). La pièce créée au Printemps à Montréal s’inspire des deux Faust du grand poète allemand. Un pari risqué pour Florian Siaud et son équipe…
Cela commence dans un service de cancérologie où Faust, un éminent professeur se désespère de son impuissance quand il veut lutter contre contre la mort. Il rencontre Méphisto, un étrange personnage qui s’immisce dans sa vie. Enhardi par ses conseils, le docteur tombe amoureux d’une patiente, Margot, atteinte d’une leucémie au stade terminal.
Il essaye contre la volonté de la malade et au mépris de toute déontologie, un traitement expérimental qui ne la sauvera pas…
On le retrouve avec son rusé compagnon en Californie: la forêt brûle mais, encouragé par Méphisto, il revit son idylle avec Margot grâce à l’intelligence artificielle dans une émouvante conversation avec une image animée. On pense au film Her de Spike Jonze (2013).
Après cette expérience frustrante, le voilà au service de l’humanité, sur une île en déshérence (Haïti ?). Il lutte contre un tyran puis la montée de eaux. Mais autant se battre contre des moulins à vent… Méphisto l’a annoncé au seuil du troisième acte: il va falloir se débarrasser de ce personnage encombrant, devenu à la longue l’ombre de lui-même à force de vains combats. Un épilogue consacre sa disparition : Faust est englouti pas sa propre hubris.
Deux siècles après, le metteur en scène remet au goût du jour l’épopée dantesque imaginée par Goethe et nourrie des expériences de toute une vie. Théoricien de l’art, botaniste et ministre du duc de Weimar, ce grand esprit de l’Auklärung allemand a écrit cette histoire sur soixante ans, de 1773 avec Urfaust à 1832 avec Faust II, peu avant sa mort. Il disait que la première partie était l’œuvre «d’un être troublé par la passion, qui peut obscurcir l’esprit de l’homme». La seconde partie révèle un monde moins soumis à la passion et devient une parabole de l’humanité souffrante, tiraillée entre pensée et action.
Ce Faust nouvelle manière balade ces personnages mythiques en trois actes écrits par des auteurs de Madagascar, France, Belgique, Luxembourg, Liban, Bénin, Québec et Haïti : Marine Bachelot-Nguyen, Alexandra Bourse, Céline Delbecq, Ian de Toffoli, Giovanni Houansou, Émilie Monnet, Hala Moughanie, Pauline Peyrade, Guillaume Poix, Jean-Luc Raharimanana, Guy Régis Jr et Rébecca Déraspe-Pont. Bien connus pour la plupart (voir Le Théâtre du Blog)
Pas besoin de se référer à l’œuvre originale pour aborder le spectacle aux thèmes contemporains comme l’acharnement thérapeutique, le rêve post-humaniste, la crise climatique mondiale… Faust et Méphisto évoluent au milieu des folies de l’époque dans une fresque composite.
A l’humour grinçant et au ton quotidien de la première partie, très dynamique, succède un trop long épisode en Californie où la forêt n’en finit pas de brûler et où l’idylle virtuelle entre Faust et Margot tourne à vide.
La troisième partie est plus condensée mais pas très claire avec l’intervention de figurants et un épisode lyrique plutôt malvenu. Heureusement, des images projetées sur des tulles vaporeux nous accompagnent dans cette grande traversée et animent un dispositif impeccable conçu par Nicolas Descoteaux (éclairages), Romain Fabre (scénographie) et Eric Maniengui (vidéo). Du bel ouvrage…
La pièce réunit des comédiens québécois comme Dominique Quesnel qui introduit la pièce avec truculence. Dans le rôle du docteur, Francis Ducharme au jeu distancié dans le premier acte, manque ensuite de folie. Et le Français Yacine Sif El Islam campe un Méphisto aussi séducteur que pervers. Sans cabotiner, il donne de l’élan à la pièce et arrive à établir une connivence avec le public.
Nous sommes sortis mitigés de ce spectacle qui dure deux heures vingt… Mais il faut saluer cette entreprise qui a mobilisé pendant six ans une belle brochette d’écrivains. Leurs voix mêlées et leurs regards croisés sur notre époque de turbulence donnent matière à jouer aux acteurs.
Mireille Davidovici
Jusqu’au 17 octobre, Théâtre de la Cité internationale, 21 A boulevard Jourdan, Paris (XlV ème). T. : 01 43 13 50 60.