Blind Runner, écriture et mise en scène d’Amir Reza Koohestani (en farsi sur-titré)

Blind Runner, écriture et mise en scène d’Amir Reza Koohestani (en farsi sur-titré)

L’artiste iranien revient au théâtre de la Bastille où nous avions découvert Dance on glasses et Timeloss, Hearing, puis Summerless, créé au festival d’Avignon 2018 (voir Le Théâtre du Blog). Ici, il met en scène deux femmes et un homme dans une œuvre minimaliste où la course à pied s’inscrit comme une échappatoire à l’enfermement.

Une voix off appelle les détenues dans le parloir d’une prison où un homme rend visite à son épouse. Les murs qui les séparent, s’épaississent de visite en visite. On comprend petit à petit que la détenue a pris cinq ans à cause d’un « post».  Une deuxième femme s’immisce dans le couple : une marathonienne aveugle : l’épouse (qui court elle aussi dans les couloirs de la prison) convainc son mari de guider la sportive lors d’une course organisée à Paris . On lui proposera l’asile politique en France mais cette militante blessée par balle dans une manifestation et devenue aveugle, refuse d’être une «migrante privilégiée» et demande à son entraîneur de traverser avec elle les vingt-sept kilomètres du tunnel sous la Manche par solidarité avec ceux qui gagnent l’Angleterre sur des embarcations de fortune. Il accepte, avec l’accord de sa femme, au risque d’être écrasés par le train s’ils ne couvrent pas le trajet en moins de six heures.

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De part et d’autre des murs de la prison, grâce à leurs échanges par informatique, mari et femme retrouvent un lien et, avec cette course pour la liberté, donnent un sens à leur vie. Le dispositif scénique d’Eric Soyer et le travail des vidéastes Yasi Moradi et Benjamin Krieg permettent de franchir les parois mentales qui séparent les protagonistes. Un jeu de captations démultiplie leur image et de gros plans sur le mur du fond les rapprochent. Entre les séquences, les acteurs arpentent la scène obscure et nue. 

Ce scénario s’inspire d’un fait réel : en Iran, une femme s’est entraînée à courir en prison, avec son mari, de l’autre côté du mur. Mais la suite est pure fiction: «Je souhaite, dit l’auteur, rendre compte d’un problème politique global : l’exil. Certes, il y a la dictature en Iran avec l’arbitraire, l’injustice, la brutalité… Mais cet enjeu, de mon point de vue, va de pair avec le problème des migrants en Europe. Il m’a paru nécessaire d’aller un peu plus loin  et de montrer la dialectique de l’exil.»

 Amir Reza Koohestani parle de politique mais emprunte la voie de la métaphore chère à la poésie iranienne et il aborde les questions de société par l’intime. Mais il n’y a pas de traitement psychologique des personnages, d’où une certaine rugosité dans le jeu d’Ainaz Azarhoush qui incarne les deux femmes, et celui de Mohammad Reza Hosseinzadeh. La lecture des sur-titres de Massoumeh Lahidji et les multiples niveaux de lecture demandent une grande concentration aux spectateurs. Mais les interprètes dans leur langue chantante font vivre intensément leurs personnages . Un exercice de style captivant!

Amir Reza Koohestani a fondé le Mehr Theatre Group à Téhéran et, de création en création, a su imposer son style, en rompant avec le naturalisme du théâtre traditionnel iranien. Dans Blind Runner créé au Kunstenfestival des arts à Bruxelles, il aborde des questions délicates en laissant au spectateur le soin de lire entre les lignes…
Quand il raconte la genèse de
Blind Runner, son propos est plus explicite, ce qui peut-être manque à ce spectacle d’une heure. «En 2022, dit-il, Niloofar Hamedi est la première journaliste à relater l’hospitalisation et la mort de Masha Amini, après un passage à tabac par des agents de la police des moeurs. Ce reportage déclenchera le soulèvement social : «Femme, Vie, Liberté».

Mais quelques jours après, Niloofar Hamedi est arrêtée et, sans aucun procès, incarcérée. Elle et son mari -marathonien par ailleurs- ont lancé des campagnes pour faire entendre la voix des prisonniers politiques: la course de cette femme dans la prison et celles qu’organise son mari pour la libération de son épouse.

Amir Reza Koohestani s’est aussi mis à courir après la répression du mouvement de 2009 : «Une alternative aux manifestations qui n’avaient plus lieu et à la liberté qui nous a quittés. La liberté est un état, tout comme la course à pied. »

Mireille Davidovici

Jusqu’au 20 octobre, dans le cadre du Festival d’automne, Théâtre de la Bastille, 76 rue de la Roquette, Paris (Xl ème). T. : 01 43 57 42 14.
Et en tournée internationale.


Archive pour 14 octobre, 2023

Quartiers de femmes, texte de Zazon Castro, mise en scène de Mohamed Bourouissa

Quartiers de femmes, texte de Zazon Castro, mise en scène de Mohamed Bourouissa

 Mohamed Bourouissa (quarante-cinq ans) vit et travaille à Gennevilliers. Son beau travail de photographe a été exposé dans de nombreuses expositions personnelles, entre autres, au musée d’art moderne de la ville de Paris, au Centre Georges Pompidou de Paris, à la fondation Barnes à Philadelphie, au Stedelijk Museum d’Amsterdam, au Basis à Francfort-sur-le-Main…
« Mohamed Bourouissa est notre voisin, dit Daniel Jeanneteau, le directeur du T2 G. Un hasard et une chance. Il connaît mieux la ville que nous et depuis que nous l’avons rencontré, nous rêvons avec lui de tout ce que nous pourrions faire ensemble à Gennevilliers, dans notre quartier et dans la ville autour. Nous avons décidé de travailler ensemble, au gré des rencontres que nous avons faites avec lui durant trois années. »

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Quartiers de femmes est sa première création scénique et la prison est un des thèmes de son travail d’artiste. Comme souvent au théâtre en ce moment . Les quelque 3.000 femmes -70.000 hommes- sont enfermées dans onze établissements situés surtout dans le Nord de la France. Cela limite les visites et les proches des familles habitant le Sud! Dans des conditions de vie correctes mais comme  l’ont bien montré un documentaire d’Arte et Dominique Simmonot, contrôleuse générale des lieux de privation de liberté, il y a  un manque des travailleurs sociaux dans l’administration pénitentiaire, ces femmes de tout âge sont  les oubliées du système carcéral français et il y a un risque réel de perte d’identité. Même quand le médecin  pour les aider, distribue le Lexomil et devient en fait le « dealer officiel » comme le souligne ironiquement Zazon Castro. Et quand ces femmes travaillent (en général à de l’emballage de produits ), le salaire mensuel est de 4 € de l’heure ! Et les chances de véritable réinsertion sont minimes…

Ici, Zazon Castro raconte le parcours d’une jeune femme qui traverse l’expérience de la prison, avec de graves difficultés psychologiques et financières mais aussi de petites joies, des amours cachées. Elle va rencontrer d’autres jeunes prisonnières: elles aussi ne sont pas des anges et ont été condamnées à de longues peines mais, coupées de l’extérieur, elle sont fragiles.
À partir d’ateliers menés dans un centre pénitentiaire, Mohamed Bourouissa met en scène ce solo interprété par Lou-Adriana Bouziouane.
Sur le grand plateau, une caisse dans le fond, un fauteuil en plastique gris où elle s’assied rarement et un micro sur pied. Ce genre de monologue sans décor ni accessoire, plus ou moins comique sur des moments de vie personnelle (stand-up en anglais) ne date pas d’hier et Georges Feydeau avait écrit Les Réformes il y a plus d’un siècle…

Dès qu’elle entre sur le plateau, Lou-Adriana Bouziouane s’impose vite : elle a une remarquable présence et une gestuelle précise efficace. Malheureusement, la direction de Mohamed Bourouissa manque beaucoup trop de la rigueur indispensable et la jeune actrice a souvent une diction des plus approximatives, boule son texte, marche en parlant, s’adresse aux spectateurs du côté cour, tant pis pour ceux du côté jardin. Donc on entend trop mal le texte.
Et le metteur en scène aurait pu nous épargner ce nuage de fumigène, le maudit stéréotype actuel… C’était la première représentation -et la première réalisation scénique de Mohamed Bourouissa- mais bref, il y a encore du travail en perspective et ce spectacle en une heure nous a laissé sur notre faim.

 Philippe du Vignal

Jusqu’au 23 octobre, T2 G, 41 avenue des Grésillons, Gennevilliers (Seine-Saint-Denis). T. : 01 41 32 26 26.

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