Cabaret de l’exil, Femmes persanes, conception et mise en scène de Bartabas
Cabaret de l’exil, Femmes persanes, conception et mise en scène de Bartabas
Le maître des lieux a invité des artistes iraniennes et afghanes à rejoindre la troupe du théâtre équestre Zingaro. Quatre musiciennes vont nous envoûter de leur accords lancinants et des cavalières, voltigeuses et danseuses cheveux au vent, tissent avec des images fortes un hommage aux femmes qui se battent aujourd’hui pour la reconquête de leur liberté confisquée.
Femmes persanes est le dernier volet d’un triptyque commencé il y a deux ans par une immersion dans la culture yiddish et sa musique klezmer, puis la découverte des « nomades d’origine irlandaise en exil dans leur propre pays » ( voir Le Théâtre du Blog)
Nous sommes accueillis chaleureusement dans la grande halle de bois circulaire conçue l’architecte Patrick Bouchain, une sorte de bar-restaurant peuplé de reliques des anciens spectacles de Zingaro, à la manière d’un cabinet de curiosités des cavaliers nomades… Une halte obligée avant d’arriver dans ce théâtre équestre par une passerelle traversant les écuries où l’on distingue dans la pénombre les animaux dans leurs stalles…
De petites tables nous attendent avec du thé et des biscuits, des lumignons se reflètent sur la piste couverte d’eau et un chant de femme diffusé en sourdine nous transporte en Orient.Mais nous n’entrons pas dans un harem des mille et une nuits. « Qu’elles soient afghanes ou iraniennes, dit Bartabas, ces femmes résistantes et révoltées revendiquent leur identité et convoquent la mémoire ancestrale, celle de l’antique civilisation scythe fondée sur le matriarcat.» Chez les peuples nomades d’Asie centrale, chevaucher sur de longues distances et combattre fut l’apanage des femmes autant que des hommes. C’était le temps des Amazones…
Le cheval devient ici la métaphore de la libération des femmes. On voit une écuyère, sabre au clair parader sur la piste et deux autres artistes ôtent leur voile gris pour réaliser un équilibre équestre réjouissant.
Sahar Dehghan, une derviche tourneuse, métamorphose cet art cérémoniel soufi réservé aux hommes dans son pays, en un hymne corporel à l’émancipation au rythme d’un cheval blanc galopant autour d’elle. Eva Szwarcer, une danseuse s’élève, longue flamme gainée de noir et virevolte dans les airs suspendue par sa chevelure.
Rythmés par les chants et les accords de Kamantcheh, Shourangiz, Daf et Santûr et les battements du Tombak, des numéros spectaculaires alternent avec des séquences poétiques… De mystérieux personnages masqués apportent des paonnes blanches mêlant leurs cris à la musique. Une bande d’oies excitées traverse la mare.. Des ânes passent à la queue-leu-leu, chargés d’objets insolites et d’animaux empaillés, menés par des hommes et des femmes en somptueux costumes de plusieurs ethnies, en soie et velours brodé d’or, créés par Chouchane Abello Tcherpachian.
Quant aux hommes, les séquences comiques leurs sont réservées. Associés à des ânes, déguisés en mollahs enturbannés, aveugles et barbus, brinquebalant sur leur monture, fuyant devant les fières guerrières à cheval…. Ou encore représentés par un âne nain qui, pattes avant sur une chaise d’écolier, reste planté là par sa partenaire, pas plus haute que lui (Perrine Mechekour):« Si tu ne veux pas de moi, dit-elle, prends ton bâton et ton manteau et va-t-en. »
Les artistes vont dire le désir, l’amour et les exigences de celles qui n’ont plus voix au chapitre. Du haut de leur monture, effrontées, elles vont lancer de brefs poèmes de l’Afghane Bahãr Sa’id : « Au lieu de voiler mon visage/Jette un voile sur tes pulsions coupables. » Ou de la Pachtoune Sayd Bahodine Majrouh : «Si tu baises ma bouche, tu dois donner ton cœur. » Et enfin de l’Iranienne Forough Farrokhzad : « Me voici/ Je suis moi/ Je suis femme/ Et sur mes lèvres passe/ Le chant de l’aube blanche.»
Une maîtresse de cérémonie façon chamane (Catherine Pavet) assure les intermèdes avec des percussions. Elle est aussi aux commandes d’une grande roue qui rappelle la symbolique du zoroastrisme pré-islamique et sa notion cyclique du temps.
Et quand, sur la nappe d’eau rouge, dans un déluge d’étincelles, le cabaret de l’exil brille de ses derniers feux, nous emporterons avec une foule d’images ces mots de Forough Farrokhzad:« Ne livre pas mes lèvres au verrou du silence/ Car je dois dire tous mes secrets/ Et faire entendre au monde entier/ Le crépitement enflammé de mes chants.»
Bartabas offre ici une belle revanche à toutes celles qui n’ont plus le droit de danser, chanter, montrer au monde leur visage, et encore moins cavalcader…
Mireille Davidovici
Jusqu’au 31 décembre, Théâtre équestre Zingaro 176 avenue Jean Jaurès, Fort d’Aubervilliers, Aubervilliers (Seine-Saint-Denis). T. : 01 48 39 54 17.