Loin dans la mer d’après La Petite Sirène d’Hans-Christian Andersen, mise en scène de Liza Guez

Loin dans la mer d’après La Petite Sirène d’Hans-Christian Andersen, écriture et mise en scène de Liza Guez

Loin dans la mer (13)

© Aude-Marie Boudin

Les comédiens de l’Oiseau-Mouche nous livrent une version librement inspirée de ce conte cruel, allégée par leurs mots et leur vision du monde. Un récit pris en charge par cinq interprètes qui se glissent dans la peau de la grand-mère (Frédéric Foulon), mémoire vivante des poissons et qui attise l’envie de la Petite Sirène (Dolorès Dallaire) d’arriver au monde d’en haut en lui promettant une âme immortelle;  la sorcière tyrannique (Marie-Claire Alpérine), entourée de ses sbires monstrueux et qui métamorphose en jeune fille, l’héroïne amoureuse du Prince (Frédéric Lefevre); la sœur (Chantal Foulon) qui essaye de dissuader la Petite Sirène de quitter sa famille pour un monde hostile et dangereux.  Liza Guez s’adresse ici aux adolescents et l’amour pousse l’héroïne à tout sacrifier pour rejoindre le Prince et elle racontera sa souffrance de ne pas être aimée en retour.

Les acteurs s’adressent d’abord au public: «Etes-vous déjà tombés amoureux ? Avez-vous été prêts à tout abandonner pour vivre avec l’être aimé?» «Il y a des gens qui meurent d’amour.», dit l’un. «Mais il y a aussi ceux que l’amour élève, réplique un autre. «Ça, c’est de la connerie pour se remonter le moral» dit une troisième…
Liza Guez, comme avec Les Femmes de Barbe-Bleue que nous avions beaucoup apprécié (voir Le Théâtre du Blog), remet en perspective la fiction d’Hans-Christian Andersen, après un atelier avec les artistes en situation de handicap de l’Oiseau-Mouche: «Ensemble, nous avons cherché ce qui nous touchait le plus dans La Petite Sirène : l’envie d’être différent, le déracinement, la sensation de ne pas être compris par l’autre… »
Autant de thèmes qui renvoient aux situations vécues par les handicapés dans notre société. Comme l’héroïne à qui la sorcière a coupé la langue en échange de sa métamorphose en personne humaine, ils n’ont guère droit à la parole. Comme le peuple de la mer, ils vivent dans un autre monde et observent avec curiosité et incompréhension l’attitude des humains qui s’agitent sur leurs jambes terminées par d’étranges chaussures…

La metteuse en scène défend aussi un point de vue féministe: «On a quelque chose à régler avec le personnage du Prince! », dit une actrice révoltée par le sort réservé à la Petite Sirène. Chacun, dans le procès intenté à ce jeune homme léger, prend partie ou lui trouve des circonstances atténuantes. Et tous les personnages vont être mis en cause: la Petite Sirène trop naïve «qui sacrifie sa vie pour quelqu’un difficile à avoir», La Grand-mère et ses affabulations tentatrices, La Sœur qui la couvait trop, La Sorcière avide…. «J’ai tout gâché dit-ellepour un rêve bizarre.» . Mais dans cette histoire, chacun a ses raisons…

Liza Guez a écrit cette pièce avec simplicité et en connivence avec les acteurs et l’a mise en scène sans artifice. Un décor réduit à des éléments mobiles, quelques effets-lumière et du brouillard pour figurer les lieux, et des éléments de costumes pour situer les personnages…
Les interprètes s’engagent avec sincérité dans leur personnage tout en gardant une distance avec le conte. Et malgré sa noirceur, Loin dans la mer a une fin réconfortante et pleine de générosité.
Il faut aller voir les spectacles de l’Oiseau-Mouche. Basée à Roubaix, cette troupe atypique regroupe des artistes handicapés mentaux ou psychiques Créée en 1989, elle compte aujourd’hui vingt comédiens professionnels permanents et gère aussi un restaurant, Le Colibri où travaillent quarante employés handicapés.
La compagnie a deux salles et deux studios de répétition où elle accueille surtout des compagnies des Hauts-de-France: «Il s’agit d’une programmation pluridisciplinaire qui n’a rien à voir avec le handicap.» dit Léonor Baudoin qui dirige l’Oiseau-Mouche depuis trois ans.
Le cœur du projet reste ses acteurs et ceux qui sont embauchés ont déjà joué avant, la plupart en amateurs. On les recrute sans se poser la question de leur handicap. (…) La compagnie n’a pas de directeur artistique et chaque spectacle naît d’une rencontre avec un réalisateur invité. Puis, comme dans n’importe quelle autre compagnie, nos créations sont diffusées: projets et formats en alternance permettant de circuler dans plusieurs réseaux. »

On a pu ainsi voir à la chapelle des Pénitents Blancs au festival d’Avignon 2021, Bouger les lignes-Histoires de cartes de Nicolas Doutey, mise en scène de Bérangère Vantusso.  Un spectacle ensuite joué cent-quarante fois et qui est encore en tournée. On peut aussi découvrir actuellement des spectacles de l’Oiseau-Mouche créés à Roubaix comme Saturne de Noëmie Ksicova, Madisoning d’Amélie Poirier, Cœurs à l’envers d’Amélie Perrot et Yuwal Rozman.

 Mireille Davidovici

 Spectacle vu le 25 octobre, au Musée du Louvre-Lens (Nord), (tout public à partir de dix ans).

Les 9 et 10 novembre, Lieux Culturels Pluriel-Le Grand Sud, Lille (Nord) ; le 14 novembre, Studio 4, Marquette (Nord).

Du 7 au 9 décembre, Le Volcan-Scène nationale du Havre (Seine-Maritime).

Du 6 au 16 février, Comédie de Béthune-Centre Dramatique National/Itinérance, Béthune (Pas-de-Calais).

Les 14 et 15 mars, Le Canal, Théâtre du Pays de Redon, Redon (Ile-et-Vilaine).

Le 27 mars, Conservatoire de la baie de Somme, Abbeville (Somme).

Et du 28 mai au 2 juin,Théâtre des Abbesses-Théâtre de la Ville-Sarah Bernhardt, Paris (XVIII ème).

Compagnie l’Oiseau Mouche, 28 avenue des Nations Unies, Roubaix (Nord). T. : 03 20 65 96 50.


Archive pour 27 octobre, 2023

Les Méritants, texte et mise en scène de Julien Guyomard

Les Méritants, texte et mise en scène de Julien Guyomard

 

Dans un contexte de post-apocalypse et un décor de bric et de broc, quelques rescapés tentent de survivre en créant une organisation soumise à un comité. Que s’est-il passé ? L’apocalypse, tant de fois annoncée a eu lieu ! Singulière, allégorique! Survivants à présent seuls sur terre ? Non ! Bien vite ils sont rejoints par les Zombiss : la peur et l’inquiétude de cette présence inattendue, bizarre et étrangère s’installent ! Que faire ? Faut-il les éliminer ? :  Raimi: On est cernés ! Sam / Voilà… Partout ! Partout autour ! Les zombis. (Brouhaha de panique. Charles blêmit). (…) Marie : Bon. On va essayer de rester construit et rationnel. Charles : Allez chercher les armes ! Bouclez le périmètre ! Eteignez tout ! 

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Les méritants vont-ils, avec ces intrus accomplir leur projet existentiel et politique d’un monde nouveau et plus juste ? Le petit groupe n’avait nullement envisagé l’intervention impensable de ces morts-vivants ! Mais cette frayeur ne fait que passer, et nos rescapées réalisent que les zombies envahisseurs peuvent avoir un rôle productif dans cette nouvelle société.
« Un nouvel ordre social entrain de s’inventer » dit Julien Guyomard, inspiré par le thème de l’idéologie de la méritocratie avec une hiérarchie sociale  qui en dépend. La fable qui a parfois des allures de farce, nous invite à une réflexion jouissive mais lucide et sans détour, à propos de l’homme d’hier et d’aujourd’hui, face au pouvoir, et au destin, au mérite.

Comme l’avait si bien perçu William Shakespeare qui avec, « la roue de la Fortune » entre autres dans Hamlet ou Le Marchand de Venise : «La fortune en somme / Va me sauver ou me damner parmi les hommes » s’exclame Maroc qui convoite Portia et s’apprête à tenter sa chance dans l’épreuve des trois coffrets.
Depuis des siècles et encore au XXI ème, malgré la naissance de la République à la Révolution française et le progrès, la modernité dans nos société occidentales, l’homme reste toujours aussi prisonnier de son hubris et de son besoin de dominer, coûte que coûte. Mais dominer qui, quoi,  et dans quel but, quand  tout a été anéanti ?

 Et tant qu’il y a de la vie, il y a de l’espoir, aussi minime soit-il… Où en d’autres mots moins romantiques mais qui sont tellement d’actualité dans la langue de nos politiques «Si on veut on peut ». Ainsi la petite communauté des survivants un peu désemparée et le comité  vont reprendre les choses en main et reconstruire un ordre social, plus juste et nouveau., -Jean « Si on est les seuls à avoir survécu, c’est pas un hasard, c’est le destin. Et c’est pas si mal… » 
Le public très attentif est à la fois fasciné par l’actualité de la situation à la fois comique, absurde et sans beaucoup d’espoir et une mise en scène poétique, inventive, pleine d’esprit. Les scènes et les éléments de décor se succèdent avec minutie et intelligence théâtrale, tout en offrant au public, une représentation au rythme endiablé.

L’écriture paraît parfois schématique avec des répliques un peu attendues. Mais sous la direction de son auteur et metteur en scène, se crée à travers le jeu, un décalage intéressant d’un point de vue dramaturgique en offrant à l’art de la représentation, une présence sensible et jouissive, forte, de la théâtralité… Les comédiens tous excellents interprètent les situations avec une énergie et une véracité féroce et comique.

Le décor artisanal et ingénieux, les costumes et un éclairage sombre sont remarquables .  Ils font exister un théâtre inventif avec des matériaux bruts, des éléments de décor simples, à la fois réalistes et symboliques.  En totale adéquation avec le chaos de cette situation de fin du monde et de son espoir de changement !
Belle trouvaille : une croix verte de pharmacie s’éclaire au moment ou l’un des méritants zombis pédale sur un vélo pour faire fonctionner à nouveau l’électricité. Image humoristique pour symboliser la complexité mais aussi le côté dérisoire du projet politique et idéaliste mené par le comité au départ très volontaire. Le souhait profond d’une révolution pour une vie humaine et sociale plus équitable et harmonieuse laisse place à l’anéantissement de tout renouveau. Les zombis finissent par délaisser les méritants, laissant derrière eux resurgir le chaos…

 

Une vision sociale drôle et acerbe qui n’épargne personne. Les politiques, les médias, les sachants experts en zombie, travailleur de l’E.S.S? (Economie Sociale et Solidaire) sans oublier les leaders pétris de bonnes intentions, slogans égalitaires, éléments de langage et slogans scandés comme des mantras:  «Egalitaire Egalitaire Horizontal…Travailler plus pour mourir moins, lien social vivre ensemble , projets », rien ne manque. L’auteur met en valeur une langue creuse, vide et inaudible qui résonne amèrement. Marie au public:  On ne va pas se démobiliser. Le comité et moi-même, on est aux manettes. Faites-nous confiance. Et avec un peu de réorganisation et de… Ça va aller… Ça va aller… Hein ? Voyant Clairvius. Et… Et Clairvius est là ! Oui ! Il est là ! Et… Il va nous aider… Et lui aura le courage de faire ce que les autres ne font pas… Il va… Il est prêt à faire l’effort. Hein, Clairvius ? Il suffit d’un vrai méritant. Il en suffit d’un. Hein, Clairvius ? « 

Un rude constat! Les bonnes intentions collectives se heurtent à l’individu. Et à sa résistance à se soumettre à une autorité pour le bien de l’être humain et de la société ? Illusoire ? Qui dépend de qui ? Quelle légitimité ont les dirigeants, le vote démocratique… y-a-t-il une autre solution que la fuite ? 

Elisabeth Naud

Spectacle vu au Théâtre de la Tempête, route du Champ de Manœuvre, Cartoucherie de Vincennes. Métro Château de Vincennes + navette gratuite. T. :  01 43 28 36 36.

Le 11 novembre, Théâtre Roger Barat, Herblay-sur-seine (Yvelines). Le 4 avril 2024 au Nouveau Relax, à Chaumont. 

 

Le texte de la pièce est publié aux éditions ESSE QUE.

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