Loin dans la mer d’après La Petite Sirène d’Hans-Christian Andersen, mise en scène de Liza Guez
Loin dans la mer d’après La Petite Sirène d’Hans-Christian Andersen, écriture et mise en scène de Liza Guez
Les comédiens de l’Oiseau-Mouche nous livrent une version librement inspirée de ce conte cruel, allégée par leurs mots et leur vision du monde. Un récit pris en charge par cinq interprètes qui se glissent dans la peau de la grand-mère (Frédéric Foulon), mémoire vivante des poissons et qui attise l’envie de la Petite Sirène (Dolorès Dallaire) d’arriver au monde d’en haut en lui promettant une âme immortelle; la sorcière tyrannique (Marie-Claire Alpérine), entourée de ses sbires monstrueux et qui métamorphose en jeune fille, l’héroïne amoureuse du Prince (Frédéric Lefevre); la sœur (Chantal Foulon) qui essaye de dissuader la Petite Sirène de quitter sa famille pour un monde hostile et dangereux. Liza Guez s’adresse ici aux adolescents et l’amour pousse l’héroïne à tout sacrifier pour rejoindre le Prince et elle racontera sa souffrance de ne pas être aimée en retour.
Les acteurs s’adressent d’abord au public: «Etes-vous déjà tombés amoureux ? Avez-vous été prêts à tout abandonner pour vivre avec l’être aimé?» «Il y a des gens qui meurent d’amour.», dit l’un. «Mais il y a aussi ceux que l’amour élève, réplique un autre. «Ça, c’est de la connerie pour se remonter le moral» dit une troisième…
Liza Guez, comme avec Les Femmes de Barbe-Bleue que nous avions beaucoup apprécié (voir Le Théâtre du Blog), remet en perspective la fiction d’Hans-Christian Andersen, après un atelier avec les artistes en situation de handicap de l’Oiseau-Mouche: «Ensemble, nous avons cherché ce qui nous touchait le plus dans La Petite Sirène : l’envie d’être différent, le déracinement, la sensation de ne pas être compris par l’autre… »
Autant de thèmes qui renvoient aux situations vécues par les handicapés dans notre société. Comme l’héroïne à qui la sorcière a coupé la langue en échange de sa métamorphose en personne humaine, ils n’ont guère droit à la parole. Comme le peuple de la mer, ils vivent dans un autre monde et observent avec curiosité et incompréhension l’attitude des humains qui s’agitent sur leurs jambes terminées par d’étranges chaussures…
La metteuse en scène défend aussi un point de vue féministe: «On a quelque chose à régler avec le personnage du Prince! », dit une actrice révoltée par le sort réservé à la Petite Sirène. Chacun, dans le procès intenté à ce jeune homme léger, prend partie ou lui trouve des circonstances atténuantes. Et tous les personnages vont être mis en cause: la Petite Sirène trop naïve «qui sacrifie sa vie pour quelqu’un difficile à avoir», La Grand-mère et ses affabulations tentatrices, La Sœur qui la couvait trop, La Sorcière avide…. «J’ai tout gâché dit-ellepour un rêve bizarre.» . Mais dans cette histoire, chacun a ses raisons…
Liza Guez a écrit cette pièce avec simplicité et en connivence avec les acteurs et l’a mise en scène sans artifice. Un décor réduit à des éléments mobiles, quelques effets-lumière et du brouillard pour figurer les lieux, et des éléments de costumes pour situer les personnages…
Les interprètes s’engagent avec sincérité dans leur personnage tout en gardant une distance avec le conte. Et malgré sa noirceur, Loin dans la mer a une fin réconfortante et pleine de générosité.
Il faut aller voir les spectacles de l’Oiseau-Mouche. Basée à Roubaix, cette troupe atypique regroupe des artistes handicapés mentaux ou psychiques Créée en 1989, elle compte aujourd’hui vingt comédiens professionnels permanents et gère aussi un restaurant, Le Colibri où travaillent quarante employés handicapés.
La compagnie a deux salles et deux studios de répétition où elle accueille surtout des compagnies des Hauts-de-France: «Il s’agit d’une programmation pluridisciplinaire qui n’a rien à voir avec le handicap.» dit Léonor Baudoin qui dirige l’Oiseau-Mouche depuis trois ans. Le cœur du projet reste ses acteurs et ceux qui sont embauchés ont déjà joué avant, la plupart en amateurs. On les recrute sans se poser la question de leur handicap. (…) La compagnie n’a pas de directeur artistique et chaque spectacle naît d’une rencontre avec un réalisateur invité. Puis, comme dans n’importe quelle autre compagnie, nos créations sont diffusées: projets et formats en alternance permettant de circuler dans plusieurs réseaux. »
On a pu ainsi voir à la chapelle des Pénitents Blancs au festival d’Avignon 2021, Bouger les lignes-Histoires de cartes de Nicolas Doutey, mise en scène de Bérangère Vantusso. Un spectacle ensuite joué cent-quarante fois et qui est encore en tournée. On peut aussi découvrir actuellement des spectacles de l’Oiseau-Mouche créés à Roubaix comme Saturne de Noëmie Ksicova, Madisoning d’Amélie Poirier, Cœurs à l’envers d’Amélie Perrot et Yuwal Rozman.
Mireille Davidovici
Spectacle vu le 25 octobre, au Musée du Louvre-Lens (Nord), (tout public à partir de dix ans).
Les 9 et 10 novembre, Lieux Culturels Pluriel-Le Grand Sud, Lille (Nord) ; le 14 novembre, Studio 4, Marquette (Nord).
Du 7 au 9 décembre, Le Volcan-Scène nationale du Havre (Seine-Maritime).
Du 6 au 16 février, Comédie de Béthune-Centre Dramatique National/Itinérance, Béthune (Pas-de-Calais).
Les 14 et 15 mars, Le Canal, Théâtre du Pays de Redon, Redon (Ile-et-Vilaine).
Le 27 mars, Conservatoire de la baie de Somme, Abbeville (Somme).
Et du 28 mai au 2 juin,Théâtre des Abbesses-Théâtre de la Ville-Sarah Bernhardt, Paris (XVIII ème).
Compagnie l’Oiseau Mouche, 28 avenue des Nations Unies, Roubaix (Nord). T. : 03 20 65 96 50.