Sandra à la lumière d’Akis Dimou, mise en scène de Chryssa Kapsouli

Sandra à la lumière d’Akis Dimou, mise en scène de Chryssa Kapsouli 

Cet auteur grec de cinquante-neuf ans est l’un des plus joués dans le théâtre public ou privé. Diplômé de la Faculté de droit à Thessalonique où il habite aujourd’hui, il a écrit plus de cinquante pièces et nous avions assisté en 94 à la première, Juliette, un monologue.
Ici, devant un tribunal invisible, Sandra témoigne  de la mort d’un «ami». Tout au long de l’interrogatoire et témoignage, elle essaye de garder une distance par rapport à l’accident. Elle raconte les événements qui ont suivi sa rencontre avec un artiste gréco-canadien, Dani Thomasson, spécialisé dans les films de scènes violentes dans l’ensemble du règne animal. 

 

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Un monologue en référence d’abord à un film où on suit les dernières heures d’un scarabée avant que la botte d’un homme ne l’écrase, puis à un autre film que Dani a réalisé à l’insu de Sandra sur ses ébats sexuels !  Son ami Tryphon, fabricant de meubles à Corinthe, découvre ce tournage secret et elle cherchera et finira par rencontrer Dani dans un hall d’exposition où il prépare un nouveau film,  cette fois avec des écureuils. Au cours de la conversation, elle le pousse avec force.  Il tombe alors contre une vitre et se blesse mortellement.
Le plus intéressant ici est le discours fragmenté de Sandra avec des réactions émotionnelles contradictoires quand elle décrit ces événements. Elle  semble observer et évaluer son image à distance, comme si elle était enregistrée par une caméra invisible: celle utilisée par Dani ou celle qui enregistre son interrogatoire. 

Le langage poétique et les images métaphoriques se combinent. Chryssa Kapsouli érige le personnage de Sandra en symbole de toutes les femmes maltraitées, violées et assassinées à cause de leur sexe. Un commentaire de vidéos projetées sur les féminicides en Grèce  souligne le caractère activiste de ce théâtre.
La metteuse en scène dénonce ici avec cet hommage-protestation d’Akis Demou, l’attitude de la Justice envers les victimes et ajoute un bref récit: Marianne Bachmeier (1950-1996) est devenue célèbre en Allemagne après avoir en 1981, tué le meurtrier présumé de sa fille dans la salle du tribunal de Lübeck. Elle avait été condamnée à six ans de prison. 
Interprétation vibrante de Katerina Tsoligka qui EST Sandra et dont le corps-signe nous rappelle des vérités que nous nous préférons souvent ne pas affronter… 

 Nektarios-Georgios Konstantinidis 

 Théâtre Fournos, 168 rue Mavromichali, Athènes. T. : 0030 210 6460748.


Archive pour 30 octobre, 2023

La Paix perpétuelle de Juan Mayorga, traduction d’Yves Lebeau, mise en scène d’Hervé Petit

La Paix perpétuelle de Juan Mayorga, traduction d’Yves Lebeau, mise en scène d’Hervé Petit

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Un rectangle tracé au sol figure une cage entourée de murs aveugles où trois personnages vont être jetés brutalement par un garde-chiourme masqué. Il s’agit de trois chiens postulant à la brigade anti-terroriste. Mais il y a un seul poste à pourvoir…
Cassius, vieux labrador borgne et boiteux, usé d’avoir trop servi la cause, dirige les épreuves. Choisira-t-il le fringant John-John, croisé entre plusieurs races de combat, frais émoulu de l’Ecole de police, Odin, un rottweiler, mercenaire rusé et désabusé ou Emmanuel, un berger allemand philosophe, nommé ainsi par son ancienne maîtresse en hommage à Emmanuel Kant.

Dans ce huis-clos, les concurrents cherchent à prendre le dessus et à s’éliminer par des jeux d’alliance éphémères. Emmanuel leur brouille la tête en leur exposant le pari de Pascal. Le penseur, face à une alternative existentielle: Dieu existe ou n’existe pas, conclut que le meilleur choix est de croire en Dieu. On retrouve cette problématique lors de l’épreuve qui départagera les candidats: face à un terroriste potentiel, doit-on l’éliminer sans autre forme de procès, ou pas? La faveur irait à Emmanuel : dans le doute, il prône la justice démocratique. Mais sa position est démentie par le personnage de l’Humain, jusque là masqué et muet qui prend la parole avec emphase et brouille les pistes entre l’idéal qu’Emmanuel Kant a exposé dans Vers la paix perpétuelle (1795) et la raison d’Etat qui justifie la violence inique…

Hervé Petit qui joue aussi Cassius, le meneur de jeu, n’a pas demandé aux acteurs de mimer des chiens mais s’est inspiré de la lutte sportive pour traduire l’animalité des personnages. Nicolas Thinot (Odin), Raphaë̈l Mondon (Emmanuel) et David Decraene (John-John) s’affrontent physiquement dans des corps-à-corps, métaphores des débats idéologiques qui sous-tendent la pièce. Ce qui donne à la représentation une grande théâtralité. Rien d’abstrait dans le jeu de ces chiens policiers trop humains ni dans les dialogues écrits dans une langue fluide et habilement rendue par Yves Lebeau, le traducteur.

Qui a raison, des trois candidats? La Paix perpétuelle écrite en 2004 après les attentats à Madrid, n’apporte pas de réponse définitive mais reste d’une grande actualité. Et la conclusion nous échappe avec un monologue délivré par l’Humain, à qui appartient le mot de la fin mais qui ne nous éclaire en rien… Faiblesse du texte ou de l’actrice qui l’interprète ? 

Reste une œuvre forte, bien jouée et mise en scène où chacun projettera ses questionnements personnels en résonnance avec l’actualité.

En France, les pièces de Juan Antonio Mayorga ont été souvent montées, entre autres, par Jorge Lavelli : Himmelweg, Lettres d’amour à Staline, Le Garçon du dernier rang) qui a été adaptée au cinéma par François Ozon sous le titre Dans la maison. Juan Mayorga, cinquante-huit ans, philosophe de formation et dramaturge, a écrit une trentaine de pièces et d’essais sur la politique et sur le rapport du théâtre à lʼHistoire. Un thème que l’on retrouve ici dans La Paix perpétuelle. Une  pièce à voir et à lire.

Mireille Davidovici

Jusqu’au 5 novembre, Théâtre de l’Épée de Bois, Cartoucherie de Vincennes, route du Champ de Manœuvre. Métro : Château de Vincennes + navette gratuite. T. : 01 48 08 18 75.

La Paix perpétuelle et d »autres pièces de Juan Mayorga sont publiés aux Solitaires Intempestifs.

 

Tachkent de Rémi De Vos, mise en scène de Dan Jemmett

Tachkent de Rémi De Vos, mise en scène de Dan Jemmett

Avec cette comédie au titre « exotique » et à l’humour féroce, Rémi De Vos met en scène un auteur de théâtre au bout du rouleau, enfermé dans ses obsessions. Son entourage essaye de le faire sortir de sa léthargie (feinte ou réelle). Hervé Pierre incarne cet écrivain, un personnage monolithique, accablé par la vie! Il ne communique plus avec le monde mais se lance dans des diatribes musclées contre les metteurs en scène.
Sa compagne, ex-toiletteuse de chiens, s’occupe de lui mais n’y comprend rien ! Elle espère seulement toucher les droits d’auteur à sa mort… Dans ce rôle, Valérie Crouzet joue les parfaites godiches face à l’ex-épouse de l’écrivain, une actrice assez connue (interprétée par Clotilde Mollet) qui vient lui rendre visite en espérant peut-être le reconquérir.
Elle prend des airs de diva et établit un semblant de complicité avec le vieil homme en riant des malheurs de tous les écrivains russes : Tchekhov, Dostoïevski, Maïakovski… Et un comédien raté (Grégoire Oestermann obséquieux à souhait) tente de séduire le dramaturge.

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Devant ces personnages virevoltant autour de lui, Hervé Pierre d’un regard malicieux prend le public à témoin de leurs grossières manœuvres pour tirer quelque bénéfice de son état…Il ne leur répond jamais mais ses sourires et ses coups d’œil en coin en disent long et il se contente de bordées haineuses contre les metteurs en scène, dignes d’un Thomas Bernard. Il les accuse de spolier les écrivains et d’exercer leur pouvoir sur leur dos: pour eux, un bon auteur est un auteur mort ! Rémi De Vos sait de quoi il parle et les gens de théâtre se reconnaîtront dans ces portraits.

Mais Tachkent échappe à l’entre-soi du théâtre en tissant une comédie sur un mode désabusé.  Rémi De Vos a l’art de la formule qui fait mouche et offre une belle matière à ce quatuor d’acteurs exceptionnels. Dan Jemmett n’utilise pas les ressorts psychologiques du théâtre de boulevard comme, entre autres, la rivalité entre deux femmes. Sa mise en scène tire la pièce vers la farce (parfois un peu trop forcée !). Le burlesque des situations permet de dépeindre la férocité des rapports de force et l’hypocrisie qui prévalent dans toute société humaine.

Mieux vaut en rire, comme nous le propose l’auteur, retranché dans un Ouzbékistan mental et dont la dernière pièce, ironise le texte, sera jouée au fin fond du Caucase.

Mireille Davidovici

Jusqu’au 5 novembre, Théâtre Marigny-Studio, Carré Marigny, Paris (Vlll ème). T. : 01 86 47 72 77.

Tachkent est publié chez Actes Sud-Papiers.

Pierre, Feuille, Pistolet de Maciek Hamela

Pierre, Feuille, Pistolet de Maciek Hamela

Au 31 mai dernier, l’Allemagne a accueilli 1,1 million d’Ukrainiens et la Pologne, 991 000 : environ la moitié de habitants qui ont fui leur patrie après l’invasion de l’armée russe… De nombreux bénévoles polonais vinrent à leur aide, en les accueillant à la frontière ou en allant les chercher dans leur pays.
Maciek Hamela, un documentariste qui a fait ses études en Angleterre et en France, est l’un d’eux et son film dont le titre en anglais, In the Rearview (Dans la Lunette arrière) est plus explicite que Pierre, Feuille, Pistolet . Il a, dit-il, obéi à un réflexe humanitaire en allant avec un van qu’il a loué, chercher des civils en Ukraine pour les emmener jusqu’à la frontière polonaise.
L’idée de filmer cette expérience lui est venue plus tard et il invita alors un ami directeur de la photo, Wawrzyniec Skoczylas. Yura Dunay, Marcin Sierakowski et Piotr Grawende sont venus le relayer. Le cinéaste conduisait piloté par son smartphone… Cet «homme à la caméra » veut participer à la dénonciation des crimes de guerre et son témoignage de première main  pourra un jour servir de preuve devant le Tribunal international de La Haye.

Les images vues par les fenêtres du van ne montrent pas la guerre mais ses traces: des ponts effondrés, immeubles en ruine, routes défoncées ou impraticables. Maciek Hamela a tourné ce long métrage en six mois et dit avoir transporté environ quatre cents personnes.. Le film se déroule de façon ininterrompue mais il ne l’a pas traité de façon réaliste, avec arrêts, changement de voyageurs, problèmes d’hébergement… Il a fait des coupes et un travail de montage pour que ce trajet semble continu. Ce qui se passe à l’extérieur est ici moins crucial que les paroles des rescapés.

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Pour les recueillir, Maciek Hamela s’est inspiré du dispositif imaginé par le cinéaste iranien Abbas Kiarostami (1940-2016) dans Ten (2002) où dix femmes sillonnent Téhéran en taxi et se confient à la conductrice.
Dans Pierre, Feuille, Pistolet, on voit seulement les visages des passagers assis un peu serrés les uns à côté des autres. Maciek Hamela dirige sa caméra vers cette communauté éphémère….Les langues se délient, sur le mode de la confidence. Une paysanne, les larmes aux yeux, raconte comment elle a dû quitter sa ferme et sa vache Beauté.
Puis dit une femme portant en souvenir une photographie de son grand-père un papillon à la main: «Je viens d’une famille aristocratique. Maintenant, je ne suis plus qu’une grenouille en vadrouille.»
Et il y aussi Gloria, une Congolaise très grièvement blessée. Et Sofia, cinq ans, qui porte une feuille avec ses nom et adresse… Elle est en mesure de nommer ce qu’elle a vécu mais n’a pas perdu espoir et quand elle voit couler le Dniepr qu’elle prend pour la mer, elle imagine des vacances d’été.

Mais la guerre est bien là dans toute sa logique absurde. Deux adolescentes racontent comment,sous leurs yeux, un tout jeune homme a été arrêté, dépouillé de ses vêtements et vêtu de l’uniforme de l’occupant. « Les Russes lui ont mis une mitraillette entre les mains, en lui disant : maintenant, tu es avec nous. »
Ce long métrage donne une vision très différente, anti-spectaculaire, d’ un des plus graves conflits actuels. Il lui prête des visages et des voix, comme dans un « road movie » à huis-clos. Il faut absolument aller le voir.

 Nicole Gabriel

 Sortie nationale de Pierre, Feuille, Pistolet dans vingt villes le 8 novembre .

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