L’Odeur de la guerre de et avec Julie Duval, mise en scène de Juliette Bayi et Élodie Menant

L’Odeur de la guerre de et avec Julie Duval, mise en scène de Juliette Bayi et Élodie Menant 

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C’est le n ième solo de la rentrée ! Et cela  se passe  à dix mètres  sous terre  dans la petite salle en amphi de La Scala. Jeanne, une très jeune femme, se prépare à son premier championnat. Adepte de la boxe thaïlandaise, elle raconte le climat de la salle où elle s’exerce, mais aussi l’omniprésence d’une mère autoritaire qui se mêle de la vie de sa fille, son enfance dans le Sud de la France, ses premières règles, les exigences de Francesco, son entraîneur. Et la boîte de nuit où elle a osé être allée avec ses copines, malgré les engueulades maternelles.
Elle nous dit aussi ses révoltes intimes et les agressions qu’elle a dû subir.
  Julie Duval arrive de la salle en short et haut noir. Sur le plateau, rien qu’un punching-ball coloré où elle tapera de temps à autre. Bref, l’odeur de la guerre que cette jeune femme, encore un peu adolescente, ressent quand elle doit affronter ses proches et acquérir son identité dans un monde  impitoyable où tous les coups sont permis.
Ce solo sur fond de féminisme clairement évoqué, est intelligent et bien cadré. Aucun doute là-dessus: Julie Duval joue nombre de personnages et sait embarquer son public pendant un peu plus d’une heure avec une gestuelle irréprochable.
Mais bon,  la jeune actrice  boule trop souvent son texte et sa diction laisse trop souvent à désirer. Il faudrait aussi qu’elle revoit son texte qui passe d’une trop courte scène à l’autre, pour  y revenir ensuite. Bref, il y a un manque de cohérence dramaturgique et là aussi encore du travail.
Nous aimerions revoir Julie Duval mieux dirigée et dans un texte plus convaincant. Donc à suivre…

Philippe du Vignal

Les jeudis et vendredis, La Scala, 13 boulevard de Strasbourg, Paris (X ème). T : 01 40 09 44 30.


Archive pour octobre, 2023

Patrick Kun, magicien

Patrick Kun, magicien

Il se familiarise très jeune avec la magie grâce à l’école, aux magasins spécialisés et à la télévision, il ne s’était jamais lancé dans la pratique avant que son meilleur ami lui montre un tour de cartes. Il en a pris une carte, puis lui a montré cinq autres différentes mais aucune n’était la sienne :«Il a alors placé toutes les cartes entre mes deux doigts et, avec une pichenette, toutes sont tombées, sauf une: celle que j’avais choisie! »
Sans voix et en état de choc, Patrick Hun a dû le supplier de lui apprendre ce tour sans jeu truqué ni accessoires… Plus tard, cet ami a partagé son secret et lui a offert un jeu de cartes.
Patrick Hun a ainsi commencé à pratiquer la magie et à quinze ans, est allé aux États-Unis faire des études secondaires. Il a découvert une boutique de magie en ligne qui vendait des téléchargements où l’on pouvait apprendre tout de suite des tours…
Devenu accro, il a commencé à en apprendre chaque jour de nouveaux  qu’il réalisa devant ses copains à l’heure du déjeuner : «J’étais un jeune homme timide et c’était un moyen de me faire de nouveaux amis et d’avoir plus confiance en moi. J’apprends la magie depuis plus de vingt ans ! »
Son frère qui surveille tout ce qu’il fait depuis ses débuts et son ami l’ont aidé. « Il est important d’avoir quelqu’un qui vous soutient, qu’il soit magicien ou non. Vous apprenez ou pratiquez la magie mais vous avez toujours besoin d’un avis constructif pour vous améliorer. »

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A vingt-deux ans, il a eu la chance d’être consultant et de travailler pour David Copperfield. C’était un rêve pour lui de créer de la magie et d’être entouré par une équipe talentueuse qui l’a aidé à devenir plus créatif et motivé, et à être là où il en est aujourd’hui. «Mon passage dans l’émission America’s Got Talent, il y a deux ans, a été ma plus importante apparition télévisée. C’était une excellente occasion de partager ma magie avec le monde entier. »

Connu pour ses tours de visuels, il n’a pas voulu pas utiliser d’accessoires spéciaux et a développé de nouvelles techniques de cartes pour obtenir des effets donnant l’impression qu’il utilisait des « gimmicks ». «Plus le temps passe, et plus je me concentre sur l’effet que le public voit. J’aime que cela soit compréhensible sans que je dise un seul mot. Mes numéros de close-up sont composés de routines de cartes, objets visuels et magie interactive.

David Copperfield et Cyril Takayama avec leur art de la narration, du visuel, et de la construction de numéros, sont ceux qui l’ont le plus influencé. « Leur style est tellement agréable à regarder, dit-il, et tout ce qu’ils ont fait dans le passé, reste meilleur que ce que nous voyons aujourd’hui..Mais j’apprécie tous les types et styles de tours et numéros avec des effets forts, et qui sont bien construits avec une chorégraphie très soignée. »

Des conseils à donner aux jeunes débutants? Selon lui, il faut tout explorer et il a tout essayé: magie pour enfants, sculpture sur ballons, manipulation, comédie, etc. «Quand on commence, il est normal d’avoir un modèle, de parler et bouger comme lui. Cette personne vous influence mais à un moment donné, il faut se concentrer sur ce qu’on aime le plus et  se développer personnellement. Prenez les meilleures parties de toute la magie que vous voyez et appropriez-vous ce qui vous correspond. Le plus important est d’être original et unique. »

Quand à la magie actuelle, Patrick Kun trouve qu’elle a beaucoup changé et qu’elle est plus populaire: soi-disant tout le monde peut devenir magicien grâce aux médias et réseaux sociaux. «J’ai l’impression qu’une autre génération peut réaliser de nouveaux tours, une minute après s’être entraînée! Les accessoires font alors tout le travail mais il est important de ne pas oublier les fondements de l’art magique et des les étudier en profondeur.  Pourquoi le faisons-nous? Ce que nous choisissons de montrer, représente ce qu’elle est pour des gens normaux  mais la plupart ne l’ont jamais expérimenté… Nous devons toujours donner une bonne impression de la vraie magie.

Sébastien Bazou

Interview réalisée le 20 octobre.

https://www.patrickkun.com/

L’Ombre de Mart de Stig Dagerman, traduction de Marguerite Melberg, mise en scène de Chryssa Kapsouli

L’Ombre de Mart de Stig Dagerman, traduction de Marguerite Melberg, mise en scène de Chryssa Kapsouli 

Cet écrivain et journaliste libertaire suédois né en 1923 se suicidera à trente et un ans. Dans son œuvre (romans, chroniques, essais, théâtre, poésie) qui sera traduite en plusieurs langues, il aborde des préoccupations universelles : morale, conscience, sexualité, philosophie sociale, amour, compassion, justice…Il sonde la douloureuse réalité de l’existence et des émotions comme la peur, la culpabilité et la solitude.

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Dans  L’Ombre de Mart, l’écrivain explore la question du salut et témoigne de l’angoisse de l’homme moderne, vaincu, abandonné par la raison, victime de lui-même et fuyant sa propre histoire.
Cette pièce est aussi une réflexion profonde sur la guerre et ses ambiguïtés et une variation sur le culte du héros mort… Et une tragédie où la femme est objet de désir et cause d’échec et surtout pour un jeune homme, éternel perdant, écrasé par l’ombre de son frère. 

En 1947, Still Dagerman avait rencontré à Paris l’écrivaine juive Etta Federn qui avait survécu à l’occupation nazie. Un de ses deux fils, résistant, a été assassiné par la milice française. L’auteur s’inspire de cette histoire pour écrire cette pièce où il noircit le tableau. Il met en scène une femme monstrueuse et poussant au matricide Gabriel, son fils cadet survivant mais mal-aimé.

Tout commence par une histoire de tableau. On sonne à la porte. C’est le facteur qui apporte un tableau représentant Mart, mort à la guerre en héros courageux et que tout le monde glorifie.
Son ombre, ce fameux « mort à la guerre », pèse lourdement sur le jeune Gabriel. Par lâcheté et comme il a été réformé pour cause de myopie, il n’est jamais allé au front et a continué à vivre normalement. Il va tomber amoureux de Thérèse, l’amante de Mart.

©Patroklos Skafidas

©Patroklos Skafidas

Mais l’amour de sa mère et de Thérèse est digne d’un homme courageux, et non d’un lâche. Victor qui, lui, a combattu, est plus digne. La mère de Mart lui offrira son fusil et Thérèse, son amour. Gabriel se retrouvera alors bien seul…La demeure est comme un mausolée élevé à la mémoire de Mart, héros tué au combat et elle est devenue une maternité nazie où, en dépit d’efforts incessants, on n’a pas encore réussi à éliminer les «mal-faits» comme Gabriel…
Là, se terre « la bête immonde », toujours prête à renaître et tant redoutée par Bertolt Brecht. Tuer sa mère, «crime impensable», devenir «le serpent», c’est anéantir ce cerveau inique et choisir de ne plus avoir de dialogue qu’avec la mort.
Still Dagerman a réussi avec L’Ombre de Marta à écrire  une confession dramatique qui est aussi l’autobiographie d’un poète abandonné par sa mère à la naissance. Il révèle ici les cauchemars qui le hantent et le vide effroyable qui l’a laissé infirme à jamais.

Chryssa Kapsouli a mis en scène ce spectacle avec un bon rythme, et où sont dévoilées les pensées intimes de l’écrivain. Mais elle accentue aussi discrètement l’aspect politique du texte. Cela se passe dans le salon où trône le portrait de Mart, et dans la chambre de Thérèse, un espace de passion/confession: là se révèlent les personnages. La pénombre et les lumières contrastées imaginées par Yorgos Ayiannitis tracent des lignes de séparation entre rêve et réalité.

Aimilia Ypsilandi incarne cette mère despotique, haineuse, et au dynamisme et à la sévérité remarquables. Fotis Karalis souligne la fragilité, la peur et l’instabilité mais aussi et surtout, le traumatisme de Gabriel, ce fils à la recherche d’un amour maternel et charnel à la fois.
Séduction, passion et sensualité féminine : Emmanuelle Kontogiwrgou fait de Thérèse, un personnage complexe et crée le mystère en ajoutant un élément de doute. Enfin, Theofilos Manologlou joue avec clarté un Victor, fat et manipulateur… La mise en scène comme la direction d’acteurs de Chryssa Kapsouli sont remarquables, à la hauteur de ce grand texte.

 Nektarios-Georgios Konstantinidis 

 Théâtre Argw, 15 rue Elefsiniwn, Athènes, T. : 00302105201684 

 https://youtu.be/xe8ZMyToYtg

L’Ombre de Mart, traduction de Gunilla Kock de Ribaucourt est publié aux Presses universitaires de Caen, (1993)

 

Deux chorégraphies du Nederlands Dans Theater (NDT1)

Deux chorégraphies du Nederlands Dans Theater (NDT1)

 NDT 1, 15, chorégraphie et scénographie de Tao Ye

© Rahi Rezvani

© Rahi Rezvani

Nous retrouvons ici une des meilleures compagnies de danse contemporaine au monde et elle le prouve ici avec une impressionnante rigueur dans le geste.Le chorégraphe chinois qu’on a vu avec son Tao Dance Theater, dirige ici quinze interprètes dans un flux permanent de mouvements collectifs d’une grande précision.
Avec des gestes répétitifs aux infimes variations liées à la musique de Xia He. Les artistes forment un triangle d’abord vertical, puis horizontal, les mêmes gestes seront répétés au sol dans une deuxième partie. Les très belles lumières d’ Ellen Ruge participent de cette pièce hypnotique.

 Jakie, chorégraphie et scénographie de Sharon Eyal et Gai Behar

Nous les avions découvert  avec leur compagnie israélienne L-E-V  en 2017 à Chaillot-Théâtre National de la danse de Chaillot avec une création OCD Love. Un choc esthétique mémorable. Cette année Into the Hairy vu au festival de Montpellier, nous avait aussi fasciné. (voir Le Théâtre du blog).

 Sharon Eyal et Gai Behar créent des pièces pour de grandes compagnies internationales. On retrouve ici leur parti pris esthétique avec une animalité qui échappe à toute domestication. Sur la musique de Ryuichi Sakamoto, les artistes dansent sur la pointe des pieds, le corps parfois traversé de micro-spasmes. Parfois, dans la pénombre, un individu s’échappe du groupe.
Sharon Eyal a conçu les costumes, des juste-au-corps transparent qui épouse parfaitement la musculature des interprètes avec un bel érotisme. Comme des spectres, ils font renaître ici les très grandes heures du passé au Théâtre de la Ville où la danse est enfin de retour. Le public a ovationné ces pièces.

 Jean Couturier

Spectacle présenté du 18 au 21 octobre, au Théâtre de la Ville-Sarah Bernhardt, place du Châtelet, Paris (Ier). T. : 01 42 74 22 77.

 

Cabaret de l’exil, Femmes persanes, conception et mise en scène de Bartabas

Cabaret de l’exil, Femmes persanes, conception et mise en scène de Bartabas

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© Hugo Marty

 Le maître des lieux a invité des artistes iraniennes et afghanes à rejoindre la troupe du théâtre équestre Zingaro. Quatre musiciennes vont nous envoûter de leur accords lancinants et des cavalières, voltigeuses et danseuses cheveux au vent, tissent avec des images fortes un hommage aux femmes qui se battent aujourd’hui pour la reconquête de leur liberté confisquée.
Femmes persanes est le dernier volet d’un triptyque commencé il y a deux ans par une immersion dans la culture yiddish et sa musique klezmer, puis la découverte des « nomades d’origine irlandaise en exil dans leur propre pays » ( voir Le Théâtre du Blog)

Nous sommes accueillis chaleureusement dans la grande halle de bois circulaire conçue l’architecte Patrick Bouchain, une sorte de bar-restaurant peuplé de reliques des anciens spectacles de Zingaro, à la manière d’un cabinet de curiosités des cavaliers nomades… Une halte obligée avant d’arriver dans ce théâtre équestre par une passerelle traversant les écuries où l’on distingue dans la pénombre les animaux dans leurs stalles…
De petites tables nous attendent avec du thé et des biscuits, des lumignons se reflètent sur la piste couverte d’eau et un chant de femme diffusé en sourdine nous transporte en Orient.Mais nous n’entrons pas dans un harem des mille et une nuits. « Qu’elles soient afghanes ou iraniennes, dit Bartabas, ces femmes résistantes et révoltées revendiquent leur identité et convoquent la mémoire ancestrale, celle de l’antique civilisation scythe fondée sur le matriarcat.» Chez les peuples nomades d’Asie centrale, chevaucher sur de longues distances et combattre fut l’apanage des femmes autant que des hommes. C’était le temps des Amazones…

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© Hugo Marty

Le cheval devient ici la métaphore de la libération des femmes. On voit une écuyère, sabre au clair  parader sur la piste et deux autres artistes ôtent leur voile gris pour réaliser un équilibre équestre réjouissant.
Sahar Dehghan, une derviche tourneuse, métamorphose cet art cérémoniel soufi réservé aux hommes dans son pays, en un hymne corporel à l’émancipation au rythme d’un cheval blanc galopant autour d’elle. Eva Szwarcer, une danseuse s’élève, longue flamme gainée de noir et virevolte dans les airs suspendue par sa chevelure.

 Rythmés par les chants et les accords de Kamantcheh, Shourangiz, Daf et Santûr et les battements du Tombak, des numéros spectaculaires alternent avec des séquences poétiques… De mystérieux personnages masqués apportent des paonnes blanches mêlant leurs cris à la musique. Une bande d’oies excitées traverse la mare.. Des ânes passent à la queue-leu-leu, chargés d’objets insolites et d’animaux empaillés, menés par des hommes et des femmes en somptueux costumes de plusieurs ethnies, en soie et velours brodé d’or, créés par Chouchane Abello Tcherpachian.

 Quant aux hommes, les séquences comiques leurs sont réservées. Associés à des ânes, déguisés en mollahs enturbannés, aveugles et barbus, brinquebalant sur leur monture, fuyant devant les fières guerrières à cheval…. Ou encore représentés par un âne nain qui, pattes avant sur une chaise d’écolier, reste planté là par sa partenaire, pas plus haute que lui (Perrine Mechekour):« Si tu ne veux pas de moi, dit-elle, prends ton bâton et ton manteau et va-t-en. »

 Les artistes vont dire le désir, l’amour et les exigences de celles qui n’ont plus voix au chapitre. Du haut de leur monture, effrontées, elles vont lancer de brefs poèmes de l’Afghane Bahãr Sa’id : « Au lieu de voiler mon visage/Jette un voile sur tes pulsions coupables. » Ou de la Pachtoune Sayd Bahodine Majrouh : «Si tu baises ma bouche, tu dois donner ton cœur. » Et enfin de l’Iranienne Forough Farrokhzad : « Me voici/ Je suis moi/ Je suis femme/ Et sur mes lèvres passe/ Le chant de l’aube blanche.»

Une maîtresse de cérémonie façon chamane (Catherine Pavet) assure les intermèdes avec des percussions. Elle est aussi aux commandes d’une grande roue qui rappelle la symbolique du zoroastrisme pré-islamique et sa notion cyclique du temps.
Et quand, sur la nappe d’eau rouge, dans un déluge d’étincelles, le cabaret de l’exil brille de ses derniers feux, nous emporterons avec une foule d’images ces mots de Forough Farrokhzad:« Ne livre pas mes lèvres au verrou du silence/ Car je dois dire tous mes secrets/ Et faire entendre au monde entier/ Le crépitement enflammé de mes chants.»

Bartabas offre ici une belle revanche à toutes celles qui n’ont plus le droit de danser, chanter, montrer au monde leur visage, et encore moins cavalcader…

Mireille Davidovici

Jusqu’au 31 décembre, Théâtre équestre Zingaro 176 avenue Jean Jaurès, Fort d’Aubervilliers, Aubervilliers (Seine-Saint-Denis). T. : 01 48 39 54 17.

Autopsie mondiale d’Emmanuelle Bayamack-Tam, mise en scène de Clément Poirée

Autopsie mondiale d’Emmanuelle Bayamack-Tam, mise en scène de Clément Poirée

© Fanchon Bilbille

© Fanchon Bilbille

 

Cela se passe dans une boîte de nuit hors d’âge… Côté jardin, une accumulation très réussie d’écrans de vieilles télés tout format avec des images de poissons dans un aquarium.  (genre « installation » bas de gamme dans un musée d’art contemporain. ( scénographie intéressante d’Erwan Creft).

Côté cour, une porte étroite surmontée d’un EXIT rouge et au milieu, un canapé où dans la pénombre et les fumigènes, deux mannequins: ceux de Michael Jackson (brillantissime Pierre Lefebvre-Adrien) et Britney Spears (Mathilde Auveneux, tout aussi brillantissime que séduisante). Mais ce ne sont pas des mannequins ou des momies… quoique! mais des personnages bien vivants qui se réveillent sur le plateau ou déjà morts, on ne sait plus trop….

 

© Fanchon Bilbille

© Fanchon Bilbille

Puis entre un chanteur en veste rose pailletée qui a pour micro, un fer à repasser. Il interprète entre autres Nirvana. Sylvain Dufour incarne à la perfection ce personnage déjanté.
Quant à Michael Jackson, il dit sans cesse qu’il n’est pas du tout mort et la chanteuse-actrice (quarante-et-un ans) qui s’était fait connaître mondialement en 98 avec Baby one more time et dont les disques ont atteint des records de vente absolus de disques, est bien là. Britney Spears, elle, se disait inspirée par Michael Jackson, Mariah Carey, Cher et Prince, a eu une vie plus que mouvementée jusqu’à être mise sous tutelle… Ici, elle semble être déjà dans un autre monde.

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©Fanchon Bilbille

L’un et l’autre se querellent souvent, interprètent des chansons et dansent. Mais Opinion Mondiale incarnée ici par une Louise Coldefy-excellente-va faire un procès pour pédocriminalité au chanteur. Il y a aussi un fan de Michael Jackson (François Chary très convaincant) et  Stéphanie Gibert aux claviers.
Chez Clément Poirée, ici tout est superbement cousu main, avec une fantaisie et un sens de la dérision indéniables. Il a une solide équipe technique avec lu -le spectacle lui doit beaucoup-et il dirige bien ses acteurs qui ont une gestuelle remarquable, surtout
Mathilde Auveneux en star décadente. Et ce style de spectacle fait parfois penser à ceux de Philippe Adrien, mort il y a deux ans et dont Clément Poirée fut l’assistant.

Mais bon, le texte est bien léger! Clément Poirée pense que l’autrice «nous place au carrefour de nos contradictions et met le doigt sur un moment de bascule. Elle raconte l’instant où les anges ont chu, chassés hors de la scène ( littéralement : devenus obscènes) au profit de l’anonyme et omnipotente opinion publique. »
Soit…mais c’est la créditer d’un bien grand honneur! Ici, de petits dialogues servent le plus souvent de faire-valoir à la musique et aux chansons de cette «dramédie musicale» comme il nomme cette pièce, avec strass, paillettes et lumières de club…
Côté mise en scène, Clément Poirée aurait pu nous épargner ces criailleries aux micros H.F., ces appels à participer à la salle et ces fumigènes qui envahissent régulièrement la scène… et le nez des spectateurs. Comme ces déménagements permanents de praticables et accessoires qui cassent le bon rythme du début. Le metteur en scène semble avoir un meilleur sens de l’espace, que du temps et ces deux heures dix n’en finissaient pas de finir.
Un bon point : le public était, pour une fois, assez jeune. Mais à la fin, il semblait partagé, même quand il était invité à aller danser sur le plateau. Un jeune couple rencontré dans la navette du retour nous a dit avoir été très déçu, surtout par le texte. Bref, malgré de grandes qualités,cette
Autopsie mondiale ne marquera quand même pas d’une pierre blanche cette rentrée théâtrale…

Philippe du Vignal

Jusqu’au 22 octobre, Théâtre de la Tempête, Cartoucherie de Vincennes, route du Champ de manœuvre. Métro: Château de Vincennes + navette gratuite mais attention, peu visible: (derrière l’arrêt du bus 114). T. : 01 43 20 36 36.

Les 17 et 18 janvier, Théâtre des Îlets, Montluçon  (Allier) et le 26 janvier, Manekine, Pont Saint-Maxence (Oise).

 

Claude Duneton façon puzzle

Claude Duneton façon puzzle, à la  Maison de la poésie

Voici déjà onze ans que l’écrivain  (1935-2012) a tiré sa révérence. A l’occasion de la sortie d’un livre collectif* où une centaine de compagnons de route retrace sa carrière multiforme, certains sont venus lui rendre hommage sous forme d’une revue, menée gaiement par Jacques Bonnaffé.

Claude était un artiste de variétés», dit Gérard Mordillat qui signe la préface du volumineux Claude Duneton façon puzzle. «Ensemble, nous avons fait du cinéma et écrit dans l’Antimanuel de français.. »

 

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Deux heures animées avec humour et émotion par l’acteur Jacques Bonnaffé ne suffiront pas à faire le tour des nombreux talents de cet insatiable amoureux de la vie et de la langue populaire. Un pied dans l’édition, l’autre dans son terroir occitan, il a écrit une trentaine de livres -romans, essais, théâtre, poésie- et il  a aussi chanté, fait du théâtre, du cinéma, de la radio et de la télévision…

Comment ne pas saluer la volée de bois vert administrée par ce fils de paysans pauvre, au français des Académiciens dans Parler Croquant... Il avait quitté l’école par manque d’argent et devint apprenti-ajusteur à Brive, avant de reprendre sa scolarité pour intégrer le prestigieux lycée Henri lV à Paris et l’Université.

Il défendit une langue française ouverte aux apports populaires et dialectaux, comme l’est, à ses yeux, l’anglais qu’il enseignera pendant quinze ans. Les hauts fonctionnaires du ministère de l’Education nationale seraient bien avisés de relire Je suis comme une truie qui doute, L’Anti-Manuel de français à l’usage des classes du second degré ou À hurler le soir au fond des collèges: l’enseignement de la langue française.
Ces ouvrages pointent la difficulté à faire aimer les lettres à l’école, à cause du conformisme de l’enseignement de la langue française mais aussi des préjugés de classe.

Lou Wenzel qui fut sa partenaire au théâtre et Gisèle Joly, coordinatrice de Claude Duneton façon puzzle, lisent quelques définitions savoureuses de La Puce à l’oreille, une anthologie des expressions populaires avec leur origine. Un grand succès d’édition plusieurs fois mis à jour où l’auteur déniche et commente savoureusement des trésors de la langue française.
Jacque Bonnaffé nous rappelle, lui,  que Claude Duneton était et  restera toujours un paysan. Sur l’écran en fond de scène, s’affiche la cabane au confort sommaire de cet «homme des bois». On le voit, au soir de sa vie, nous faire les honneurs de la ferme
familiale de ses grands-parents à Lagleygeolle (Corrèze); il nous emmène dans la remise où, dit-il, il lisait et relisait les rares livres qu’il possédait : «C’est comme ça que j’ai appris le français, je finissais par les connaître par cœur. »
Pour situer cette jeunesse précaire,
Aladin Reibel, nous donne un extrait de son spectacle La Chienne de ma vie**, adapté du récit éponyme que Claude Duneton fait de son enfance corrézienne sous l’Occupation… Dans une prose ciselée et alerte en diable, il y parle de la chienne Rita et évoque la détestation de son père pour la vie aux champs, éreintante.

 Une lettre Matthias Langhoff nous révèle ses talents de traducteur. Selon le  metteur en scène allemand, il était le seul à pouvoir transposer en français la riche langue élisabéthaine de La Duchesse d’Amalfi de John Webster. Plus tard, il le fera jouer dans son Rapport 55 sur la colonie pénitentiaire de Franz Kafka.

Mais on avait pu le voir  aussi en 2006 dans Probablement les Bahamas  du dramaturge britannique Martin Crimp, Le Banquet francophone co-écrit et joué avec Jacques Bonnaffé l’année suivante. Puis dans La Jeune Fille de Cranach de Jean-Paul Wenzel (2008),  ou encore La Ferme du Garet d’après Raymond Depardon, mise en scène de Marc Feld qui connut un grand succès en 2010.

 Le grand écran ne l’a pas oublié: nous avons pu voir un extrait de Vive la sociale de Gérard Mordillat avec lequel il tourna plusieurs longs métrages. Mais sa filmographie ne s’arrête pas là. Citons, entre autres, La Passion Béatrice de Bertrand Tavernier (1987) La Double vie de Véronique (1991) et Trois couleurs :Bleu (1993) de Krzysztof Kieślowski ou Quand j’avais cinq ans je m’ai tué, de Jean-Claude Sussfeld (1994), adapté du roman éponyme d’Howard Buten, édité en français par Claude Duneton alors aux éditions du Seuil…

Il était aussi expert ès-amitiés. Pablo Cueco, remarquable percussionniste, après une démonstration de zarb nous raconte l’intimité de longue date entre « Le Claude » et ses parents: Henri et Marinette Cueco, peintres, qui étaient ses voisins en Corrèze. Il relate une anecdote qui fit rire toute leur famille: Claude Duneton avait emmené Jean-Paul Wenzel chez eux et il les avait présentés au jeune metteur en scène d’alors comme « des gens normaux! ». Jean-Paul Wenzel confirme avec malice.

Comme toute soirée amicale, celle-ci finit en chansons en hommage à l’énorme chantier qui occupa l’écrivain pendant quinze ans: Histoire de la Chanson française- des origines à 1860, en deux tomes et deux-mille deux cents pages.
Fort de ses découvertes, il interpréta
aussi comme les chansons des goguettes du XlXème siècle, tirant de l’oubli des auteurs-compositeurs comme Emile Debraux ou Charles Colmance. La Goguette d’enfer, un CD a été publié à titre posthume en 2014  et Gérard Morel nous en a donné un truculent aperçu. Annie Papin nous a raconté ses tournées de chanteuse avec Claude Duneton.  Michel Desproges a cosigné avec lui en 2004 Chansons sensuelles…

Pour en savoir plus sur et inépuisable créateur il faut lire le livre coordonné par Gisèle Joly et Pierre Chalmin et initié par Catherine Merle qui accompagnait Claude Duneton dans ses causeries-chansons au cabaret de la Vieille Grille à Paris.

Mireille Davidovici

 Spectacle vu le 17 octobre à la Maison de la Poésie, passage Molière, Paris (III ème). T. : 01 44 54 53 00.

*Claude Duneton façon puzzle, éditions Unicité (2023).

 **La Chienne de ma vie,, sera présenté au Théâtre du Chien qui fume, au festival d’Avignon off 2024.

Fêu, chorégraphie de Fouad Boussouf

Fêu , chorégraphie de Fouad Boussouf

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© Antoine Friboulet

 Avec une ronde tellurique interprétée par dix danseuses, le chorégraphe renoue avec ses origines marocaines… Comme dans Näss, une pièce pour sept danseurs (2018). Fêu tranche avec Âme, un solo romantique que nous avons découvert au festival Plein Phare, au Centre chorégraphique du Havre-Normandie dont Fouad Boussouf a pris la direction en 2022 (voir Le Théâtre du Blog.)

 Dans la pénombre du plateau nu, la lumière d’un projecteur central à ras du sol crée des ombres mouvantes telles des phalènes. Elles tournoient dans cette lumière qui monte progressivement. Comme un phare dans la nuit, elle révèle une cohorte de corps féminins en mouvement derrière un tulle transparent incurvé à l’avant-scène contenant l’énergie des danseuses. Leur ronde se contracte, puis se rétracte au rythme de sourdes pulsations sonores comme les battements d’un cœur. A cette musique percussive primitive, le compositeur François Caffenne superpose des rythmes de plus en plus complexes et rapides.

Sur cette musique diffusée en continu, les danseuses tournent inlassablement, marchant, courant en avant ou en arrière, à longues foulées ou à petits sauts, comme si elles se livraient à quelque rituel immémorial. Et quand, soudain, le tulle de l’avant-scène tombe, elles redoublent d’énergie. Chacune à son tour sort de la ronde pour une performance où elle confronte son propre style souvent rugueux, à la progression fluide du groupe. Des cris libératoires s’en échappent au bord de la transe dont les mouvements sans fin ont quelque chose d’hypnotique.

Serena Bottet, Filipa Correia Lescuyer, Léa Deschaintres, Rose Edjaga, Lola Lefevre, Fiona Pitz, Charlène Pons, Manon Prapotnich, Valentina Rigo et Justine Tourillon venues d’horizons différents et choisies pour leur personnalité affirmée, empruntent au hip-hop, à la danse contemporaine, au crump ou à l’acrobatie. Et, de ce vocabulaire hybride, nait une force collective enivrante. Toujours debout, elles jouent des bras, frappent des pieds et agitent leurs longues chevelures… Infatigables, elles nous convient à un rituel incandescent, sublimées par les costumes de Gwladys Duthil et les éclairages subtils de Lucas Baccini. Une heure de spectacle tout feu tout flamme, remarquable.

Le théâtre du Rond-Point, nouvelle manière, après One song de Miet Warlop créé l’an passé au festival d’Avignon (voir Le Théâtre du Blog), a attiré avec cette pièce un public jeune. Un effet du hip-hop prisé par la jeunesse et promu au rang de discipline olympique? Grâce à des tarifs de groupe raisonnables, ces spectateurs reviendront, il faut l’espérer, dans ce théâtre qui a changé d’habillage: finie la moquette rouge, les annonces sonores et les uniformes des ouvreuses et ouvreurs… Et dans la foulée de Fêu, un atelier-danse est proposé le 25 octobre, conduit par une danseuse du Phare.

Mireille Davidovici

Jusqu’au 21 octobre, Théâtre du Rond-Point, 2 bis avenue Franklin D. Roosevelt Paris (Vlll ème). T. : 01 44 95 98 21.

Le 10 novembre, Le Figuier Blanc, Argenteuil (Val-d’Oise) ; les 21 et 22 novembre, Le Volcan, Scène Nationale du Havre (Seine-Maritime) dans le cadre du festival Plein Phare.

Le 15 décembre, Scène de Bayssan, Béziers (Hérault); du 20 au 22 décembre, Le Quartz, Scène Nationale de Brest (Finistère).

 Les 2 et 3 février, Théâtre de Saint-Quentin-en-Yvelines; le 7 février, Le Cratère -Scène Nationale d’Alès (Gard); le 9 février, Théâtre de Nîmes (Gard) ; le 8 mars, Théâtre Jean Vilar, Vitry-sur-Seine (Val-de-Marne).

Le 12 avril, Festspielhaus, Saint-Pölten (Autriche); le 20 avril, La Passerelle-Scène Nationale de Saint-Brieuc (Côtes-d’Armor); le 26 avril, Concertgebouw, Bruges (Belgique). Le 29 mai, Théâtre d’Orléans-Scène Nationale d’Orléans (Loiret) ; le 31mai, L’Équinoxe, Scène Nationale de Châteauroux (Indre).

Hiku d’Anne-Sophie Turion et Eric Minh Cuong Castaing

Hiku d’Anne-Sophie Turion et Eric Minh Cuong Castaing

Ces artistes ont déjà créé des spectacles (voir Le Théâtre du Blog) où ils montraient les interactions entre le corps humain et les récentes technologies très sophistiquées.

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Ici, avec Hiku, ils nous font rencontrer en direct donc  à la fois très présents et très lointains trois de ces hikikomoris. Il sont ainsi des milliers de  jeunes Japonais (plus d’hommes que de femmes) à avoir choisi de vivre seuls coupés du monde dans leur chambre, le plus souvent à cause de problèmes d’emploi.
(On voit l’un immobile allongé au sol devant deux grands écrans). Depuis les années quatre-vingt dix, ils s’isolent ainsi pendant des mois, voire des années. Un phénomène qui existe là-bas depuis  mille neuf cent quatre vingt-dix.

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Shizuka, Matsuda et Yagi, ces hikikomoris, qui ne sont en rien des acteurs mais qui ont une grande présence,  parlent en même temps mais sur de grands écrans. Et par le biais de robots avec un écran en guise de tête, ils s’adressent aussi à nous sur ce grand plateau: la surface entière de la grande salle habituelle située au niveau -3 de la Maison de la Culture du Japon. Donc dans un silence total.
Shizuka, Mastuda et Yagi, en phase de resocialisation, parlent depuis leur chambre, sauf l’un dans un champ où il nous dit tous les bienfaits que lui apporte la nature autour de lui. Il y a aussi retransmises, comme si on était vraiment dans les rues d’une grande ville au Japon, des manifestations de hikikomoris  soigneusement encadrés par des agents de police avec un bâton lumineux.
Ils marchent en silence, tenant de grandes banderoles verticales pour dire simplement qu’il existent. Ces manifestations ont été filmées durant plusieurs séjours par les  auteurs,  en lien avec l’association New Start Kansaï. Des images très impressionnantes…

@Anne-Sophie Turion

@Anne-Sophie Turion

Nous sommes invités à nous déplacer et à nous asseoir un peu partout, très près de ces robots qui se déplacent en toute liberté. Yuika Hokama, une performeuse franco-japonaise, traduit en simultané. Nous ne connaissons pas et nous ne reverrons jamais ces hikikomoris si attachants, qu’ils soient encore volontairement enfermés chez eux, ou en train de manifester. Un seul regret:  ne pas savoir ce que sont devenus ceux qui doivent avoir maintenant quarante ans…
Cette curieuse et formidable expérience (virtualité ou réalité?) qui tient à la fois de la performance, du cinéma comme cette image de jeune femme sur un vélo dans la nuit qui revient constamment, et du théâtre documentaire, est remarquablement mise en scène et ne peut laisser personne indifférent.  D’autant plus que ce grave phénomène sociétal est en train de contaminer l’Europe. Quelle est ici la responsabilité des technologies visuelles et de ceux qui les ont conçues? En tout cas, ce sont les mêmes qui nous permettent aussi de voir et entendre ces trois jeunes gens, à des milliers de kms…
A la sortie du spectacle, nous retrouvons de nombreux touristes japonais qui vont voir la Tour Eiffel toute proche… « Nous vivons une époque moderne » comme disait Philippe Meyer.  Il reste encore deux soirs pour voir Hiku à Paris  mais il y a ensuite une tournée  en banlieue et ailleurs.

Philippe du Vignal

Jusqu’au 21 octobre, Maison de la Culture du Japon, 101 bis quai Jacques Chirac, Paris (XV ème). T. : 01 44 37 95 01.

Hiku , lauréat du groupe des 20,  sera les 17- et 18 novembre au Théâtre de Châtillon (Hauts-de-Seine)  dans le cadre du festival OVNI. Les 24 et 25 novembre , Théâtre de Rungis 

Le 15 décembre : Houdremont-Centre culturel,  La Courneuve (Seine-Saint-Denis)

Du 10 au 12 avril,  Comédie de Valence ( Drôme)

Le 15 mai,  Théâtre Bergeries à Noisy-le-Sec (Seine-Saint-Denis). Le 17 mai, Les Passerelles à Pontault-Combault (Seine-et-Marne). Les 23 et 24 mai : Espace Marcel Carné,  Saint-Michel-sur-Orge ( Essone) .

 

Edmond, texte et mise en scène d’Alexis Michalik

Edmond, texte et mise en scène d’Alexis Michalik

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Dimanche dernier, le Théâtre du Palais-Royal a fêté la 1.500 ème représentation du spectacle (plus que La Cage aux folles créé dans ce même Théâtre et un succès comparable de La Leçon et La Cantarice chauve d’Eugène Ionesco qui se joue depuis au Théâtre de la Huchette. Record mondial avec quelques dizaines de milliers de représentations depuis sa création en 57 à Paris.

Alexis Michalik avait été admis en 2003 au Conservatoire national supérieur d’art dramatique mais n’y entrera finalement pas (ce qui ne manque pas de courage!) pour créer en 2005 Une folle Journée, adaptation du Mariage de Figaro de Beaumarchais dans le off d’Avignon.

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L’année suivante, il mettra en scène  La Mégère à peu près apprivoisée au Théâtre La Luna, toujours en Avignon, une comédie musicale d’après Shakespeare. Et en 2008, il crée R&J, une adaptation pour trois comédiens de Roméo et Juliette. Puis il écrit Le Porteur d’histoire sa première pièce avec un succès total ( voir Le Théâtre du Blog). Puis la deuxième, Le Cercle des illusionnistes à La Pépinière-Opéra à Paris (voir Le Théâtre du Blog). En 2014, le spectacle obtient les Molières du  Meilleur spectacle de théâtre privé, du Meilleur auteur francophone vivant, du Meilleur metteur en scène de théâtre privé. Et  le Molière de la révélation féminine .

Deux ans plus tard, Alexis Michalik écrit et met en scène Edmond au Théâtre du Palais-Royal, une pièce relatant la création mouvementée du célèbre Cyrano de Bergerac d’Edmond Rostand.Le dramaturge y est interprété par l’humoriste Guillaume Sentou et l’abonnement aux cascade de Molière continue en 2017… Molière du Théâtre privé, de la Comédie, du Comédien dans un second rôle, de la Révélation masculine, de l’auteur francophone vivant et du Metteur en scène d’un spectacle du Théâtre privé,  et de la Création visuelle… Et il y a deux ans, il adapte Les Producteurs, d’après Mel Brooks et le met en scène…

Créée en 2016, Edmond avait déjà attiré trois ans plus tard quelque 700.000 spectateurs. Du jamais vu dans le théâtre actuel et Alexis Michalik en a aussi tiré un film… Le directeur général du Théâtre du Palais-Royal, Sébastien Azzopardi a de quoi maintenant être plus qu’heureux avec 1.500 représentations!

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Ici, Alexis Michalik raconte le parcours insolite d’Edmond Rostand (1868-1918) un dramaturge de vingt-neuf ans, marié et déjà père de deux enfants, mais qui avait peu écrit et avait bien du mal à se faire reconnaître après l’échec de La Princesse lointaine que joua pourtant Sarah Bernhard. Même s’il avait obtenu ses premiers succès en 1894 avec Les Romanesques, pièce en vers créée à la Comédie-Française, puis avec La Samaritaine.
Il propose alors une comédie en alexandrins inspirée de la vie de l’écrivain Cyrano de Bergerac au grand acteur Constant Coquelin pour les fêtes de fin d’année. Mais elle était loin d’être achevée! Il doit vite la finir et la mettre en scène aussi vite.
Et le 28 décembre 1897, au théâtre de la Porte Saint-Martin, fut créée cette comédie dramatique avec un rôle formidable mais avec quelque 1.600 vers! :  un poète amoureux sans retour de la belle Roxane, amoureuse, elle du beau Christian.  Même Edmond Rostand lui-même ne semble pas trop croire et juste avant la première, dit à Constant Coquelin: «Ah! Pardonnez-moi, mon ami, de vous avoir entraîné dans cette désastreuse aventure! »
Pourtant, elle connut aussitôt un succès populaire foudroyant et ne cessa jamais d’être jouée au théâtre, comme au cinéma. Le premier soir, il y a eu, dit-on, une ovation pendant vingt minutes et le ministre des Finances ôta sa Légion d’honneur pour la lui offrir…
Et depuis, malgré certaines réticences en particulier dans les années cinquante par les brechtiens pur porc qui trouvaient la pièce trop bourgeoise et conventionnelle, Cyrano de Bergerac n’a cessé d’être jouée au théâtre comme au cinéma par les plus grands: Pierre Dux, Maurice Escande, Gérard Philipe, Daniel Sorano, Jean-Paul Belmondo, Jean Piat, Gérard Depardieu denis Podalydès… Et plus récemment Jacques Weber dans une remarquable mise en scène de Jérôme Savary.  Et aussi le formidable Eddy Chignara dans la mise en scène de Lazare Herson-Macarel  (2017) fondée sur les mêmes principes que cet Edmond ( voir Le Théâtre du Blog).

Alexis Michalik a eu le nez creux (sans jeux de mots…) quand il a écrit l’histoire romancée  de cette création mythique qui remonte à plus cent-vingt ans : une  intrigue mouvementée mais sans aucun temps mort avec douze acteurs! Soit quelques protagonistes et de nombreux personnages secondaires joués par les mêmes comédiens.
Après bien des rebondissements et des emprunts de scène à Cyrano, le spectacle se termine par la mort du héros blessé à la guerre. Sur fond en sourdine, du Boléro de Ravel (on est entre confrères du record, puisque c’est l’œuvre la plus jouée au monde!).

Cela commence par une répétition devant une châssis à l’envers (nous sommes dans les coulisses) puis  un beau rideau rouge à franges,  avec tout un mobilier sur roulettes: comptoir, tables et chaises, lit,  bureau, caisses, etc. En fond de scène, des images vidéos pour situer l’action… Mais  comme les scènes sont très courtes, il y  a une incessante circulation de ces meubles… Et nous avons l’impression d’assister à un déménagement permanent en accéléré. Cela parasite le jeu et ne rend pas service au texte.

Ici, le jeune écrivain Edmond Rostand est aux prises avec sa Rosemonde jalouse, des acteurs qui ne lui plaisent pas, des financiers exigeants et est en panne d’inspiration… Bref, tout va bien!  Mais il se met enfin à écrire quand il aide un ami amoureux à déclarer son amour à une jeune personne.
Edmond Rostand va
proposer au grand Constant Coquelin une pièce mais qui est très loin d’être achevée. Mais il faut faire vite : première prévue le 28 décembre 1897 au Théâtre de la Porte Saint-Martin à Paris.

Avec cet Edmond, Alexis Michalik réussit un habile décalque de Cyrano de Bergerac, la pièce française sans doute la plus célèbre et la plus populaire, en reprenant les thèmes développés par Edmond Rostand : le triangle amoureux mais sublimé  par une passion impossible, la vie d’un grand théâtre avec ses artistes et ses régisseurs, la guerre qui bouleverse la vie  de tous, le temps qui passe, la mort… De quoi s’y retrouver, même plus d’un  siècle et demi.
Alexis Michalik  applique ici les mêmes recettes dramaturgiques et de mise en scène depuis une quinzaine d’années. Aucun doute là-dessus, il le fait avec énergie, panache et virtuosité: du théâtre dans le théâtre avec vue sur les coulisses et toujours un portant de costumes (un des stéréotypes du spectacle actuel depuis au moins quarante ans, mais bon!), une intrigue bien ficelée, un temps normal de représentation (une heure et demi) lois des f trois heures réquentesdans le théâtre public, un rythme sans accroc,
des personnages principaux solides comme Rosemonde, l’épouse de Rostand, le grand acteur Coquelin, etc. Ou secondaires mais emblématiques comme Sarah Bernhard, Georges Feydeau, Eugène Labiche, Anton Tchekhov… Ou ces deux proxénètes corses prétentieux mais caricaturaux qui financent le spectacle: (Alexis Michalik n’aurait pas trop intérêt à aller présenter le spectacle sur l’Île de beauté!), et une scénographie avec ces trop nombreux éléments de mobilier sur roulettes ( Le pont faible de la mise en scène.)

Mais tout ici est parfaitement rodé: les acteurs font tous preuve sans exception d’un métier exemplaire que le théâtre dit public peut leur envier. Mention spéciale à Jacques Bourgaux (Coquelin), Nora Giret (Rosemonde) et Valérie Vogt (Sarah Bernhardt). Et même s’il n’y a pas toujours une grande unité de jeu, ils réussissent à conquérir rapidement les spectateurs...
Aucun doute là-dessus, Alexis Michalik sait  tricoter un texte avec habileté,  en adaptant certaines scènes de Cyrano de Bergerac ou en les faisant jouer, comme à la fin, celle de la mort du vieux poète dans le cloître du couvent où s’est retirée la belle Roxane mais plus jeune et où passent dans le fond des religieuses…Le public  (jeunes et moins jeunes) écoute ému cette scène inoxydable où Roxane âgée voit enfin qu’elle a été la victime d’une usurpation d’identité.

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Mais trop tard, son bel amoureux Christian est mort à la guerre et Cyrano, le pauvre et généreux poète, gravement blessé à la tête, va agoniser dans ses bras…

L’ensemble du spectacle avec cette mise en abyme réussie fonctionne bien. Même si les ficelles sont parfois grosses et Alexis Michalik ne craint pas les facilités…
Comme les projections de titres des épisodes, ou des photos projetées pour servir de décor. Et il aurait pu nous épargner ces fumigènes (les quatrièmes en une semaine pour nous, une des plaies du théâtre actuel! ) généreusement dispensés pour évoquer la fumée des trains à vapeur, ou celles des canons au siège d’Arras…

A voir, oui, malgré ces réserves. Cet Edmond avec un tel  succès, fait maintenant, qu’on le veuille ou non, partie de l’histoire du spectacle contemporain et encore une fois, il y a peu de théâtres privés ou publics qui ont eu  1.500 représentations d’une pièce! Mais les places sont chères, la pièce est un peu inégale, donc mieux vaut quand même ne pas être trop pointilleux…
Et Alexis Michalik ferait bien de se méfier le système qu’il a mis en place: il commence à s’user… Mais c’est un bon directeur d’acteurs et il a tous les moyens pour évoluer. Pour le moment au Palais-Royal, tout un public  lui est resté fidèle.  Et comme on nous l’a signalé, une boulangère parisienne qui ne va jamais au théâtre mais a vu les affiches dans le métro, s’est offert des places avec ses enfants et a adoré.

L’ovation debout à la fin de cette 1.500 ème a récompensé  à juste titre cet Edmond et ses remarquables acteurs:  Tiens, pourquoi pas cet Edmond au Cloître des Carmes (déjà pour la fin, un décor tout trouvé!). Enfin, un bon spectacle « populaire »au festival d’Avignon cela nous changerait du si mauvais et si long  Welfare de Julie Deliquet! Non, mais vous rêvez du Vignal…  Et on va sans doute nous répondre le classique: « ce n’est pas pour le public du festival… » Mais qu’en sait-on ?

Philippe du Vignal

Théâtre du Palais-Royal, 38 rue Montpensier, Paris (I er). T. : 01 42 97 59 46.

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