Un communiqué de Wajdi Mouawad,directeur du Théâtre de la Colline

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Un communiqué de Wajdi Mouawad, directeur du Théâtre de la Colline

Au cours de ces dernières années, La Colline a eu la chance d’accueillir régulièrement des artistes iraniens, israéliens, libanais, palestiniens, syriens animés par l’amour des mots, la puissance de l’esprit, la volonté de partager et de témoigner du monde.
De Tous des oiseaux, à House, de Salman Rushdie, à Amos Gitaï, d’Aïda Sabra, Leora Rivlin, Jalal Altawil, à David Grossman, la question de l’Autre, de l’ «ennemi» et du dialogue nécessaire n’a eu de cesse d’être au centre de nos réflexions.

 Une semaine après les massacres de civils israéliens, perpétrés par les miliciens du Hamas dont l’organisation ne cherche rien de moins que la destruction d’Israël, massacres qui renvoient, par leur cruauté, autant à ceux du Rwanda, de Sabra et Chatila et des pires pogroms et qui s’inscrivent dans la longue liste des obscurités :massacres des Amérindiens comme ceux de Srebrenica et en mars 2022 de la ville de Boutcha par les militaires russes sur les civils ukrainiens.

Et tant d’autres, si longs à énumérer ici, massacres où, toujours, enfants, femmes, hommes, vieillards sont assassinés, avec la préméditation et l’intention de les assassiner, une semaine donc après ces massacres que rien ne peut ni justifier ni excuser et que rien ne peut contextualiser, aucun de ce genre, jamais ne peut, ni ne doit se contextualiser – l’effort de réfléchir à la manière de rester humain dans une situation inhumaine s’impose à nous avec une violence folle.
Nous voici face à ce que la barbarie exige de dépassement pour continuer à créer des espaces où les « ennemis» peuvent encore dialoguer et faire entendre ensemble une voie, même infiniment petite, qui ne soit pas celle de la haine.

 Le théâtre peut en ce sens être cet espace. Alors que les civils palestiniens de Gaza, aujourd’hui, à leur tour meurent, et mourront sous les bombes israéliennes, comme ils meurent déjà depuis trop longtemps dans le manque de dignité, espoir et reconnaissance d’être un peuple. Qu’ils meurent dans l’attente d’un État que bien des forces contraires s’entêtent à leur dénier, qui meurent depuis si longtemps dans l’impossibilité de rêver, de partager, d’être dans le monde, dans l’égarement de leur terre, spoliée par la colonisation meurtrière dans l’indifférence presque totale, aujourd’hui donc que la violence qui va s’exercer sur eux sera impitoyable par la volonté politique d’un gouvernement israélien d’extrême-droite aussi impitoyable que raciste, impitoyable parce que raciste, irresponsable devant l’avenir.

Face à cette vague immense de haine, La Colline, comme bien d’autres à travers le monde, goutte d’eau à contre-courant, tâchera de participer à recoudre la trame de l’espoir, mille fois déchirée, mille fois déchiquetée, mise en lambeaux.
Participer en tentant de continuer à être un espace de rencontre et de dialogue par l’art, entre acteurs, artistes, techniciens et spectateurs, participer, du moins en ne participant pas à ajouter haine et fragmentation à toute la haine et toute la fragmentation que le sang versé ne manquera pas de décupler, préparant à son tour d’autres massacres dans l’addition des malheurs.

 Wajdi Mouawad, directeur du Théâtre de la Colline à Paris, ce 16 octobre.


Archive pour octobre, 2023

Qui êtes vous Raymond Crowe ?

Qui êtes-vous, Raymond Crowe ?

Enfant, il adorait la magie, les marionnettes, la ventriloquie et, au fil des années, il a développé d’autres compétences variées. Il se dit interprète «insolite»… Il avait seulement six ans, quand on lui a offert sa première boîte de magie et… son premier tour a été de s’arracher la peau d’un pouce!
Il a eu quelques mentors comme Gene Raymond, un magicien australienet il étudié le mime à Adélaïde ( Australie) avec la danseuse et chorégraphe tchèque Zora Šemberová (1913-2012).

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Ce « magicien, comédien physique, mime, ventriloque, inventeur et ombromane» comme il se qualifie, a présenté ses spectacles populaires en tournée dans toute l’Australie et la Nouvelle-Zélande. Il anime aussi des événements télévisuels et d’entreprise, internationaux et nationaux comme The Illusionists et Raymond Crowe participe à de nombreux festivals de magie à travers le monde et donne aussi des conférences.
Son numéro-signature The Shadows est devenu un phénomène sur Internet avec plus de quatre cents millions de vues et présente des ombres complexes sur la musique de What a wonderful world de Louis Armstrong

Fred Kaps, Buster Keaton et Charlie Chaplin l’ont marqué et son type d’illusion préféré est celui où des objets inanimés prennent vie, qu’il s’agisse de simples papillons en papier, d’une veste de danse empruntée ou d’ombres projetées sur un mur…
« Il n’a jamais été aussi facile, dit-il, d’apprendre la magie. Il existe de nombreuses vidéos et livres pour apprendre les techniques mais pour moi,  le véritable secret est la capacité à réaliser et partager la magie avec d’autres. Mais je conseille de suivre des cours de danse, théâtre et chant, car il faut aussi être un bon acteur. »

Pour lui, la culture devrait façonner chaque artiste et son travail doit refléter le monde où il vit. Il crée aussi des marionnettes et découpe de silhouettes. C’est aussi un adepte du marketing numérique et il aime écrire des scénarios et faire des randonnées dans la brousse.

Sébastien Bazou

Entretien réalisé à Dijon le 15 octobre. 

https://www.raymondcrowe.com/

 

La Note, texte et mise en scène d’Audrey Schebat

La Note, texte et mise en scène d’Audrey Schebat

Ce théâtre historique, anciennement salle Choiseul, a pris le nom de Bouffes-Parisiens en 1856, quand Jacques Offenbach le dirigeait. Dans les escaliers et couloirs qui mènent à la salle, des photos en noir et blanc de Sophie Marceau et François Berléand en répétition, témoignent d’une belle complicité entre eux. Et cela se confirme sur le plateau.

Ici une comédienne chante à l’avant-scène, un air du célèbre Orphée aux enfers de l’ancien maître des lieux. Après les trois coups, le rideau rouge se lève! Le public  n’a aucun mal à s’identifier au couple que forme Julien, un célèbre psychanalyste et Maud, une pianiste mondialement reconnue. Bien interprétés par François Berléand et Sophie Marceau, revenue à la scène après douze ans d’absence.

 

© Bernard Richebel

© Bernard Richebel

Bref, un mariage presque idéal selon les critères de la bourgeoisie. Mais il y a un vers dans le fruit de ce couple harmonieux qui a deux grands fils: Julien pour des raisons personnelles… (et légitimes?) veut se pendre. Il est dans le salon la corde au cou, quand elle revient de Berlin, sans doute plus tôt que prévu et va donc sauver Julien.«On n’a pas réussi, dit-il, à faire de nous autre chose, que ce que on est. (….) Pour être vainqueur, il faut être vaincu.» Il faut toujours se méfier des psychanalystes qui s’ennuient dans la vie… Un métier de société nantie.

Ils vont faire un bilan de leur vie avec une certaine mélancolie mais aussi avec humour: tous deux, la cinquantaine, ils ont conscience de l’usure de leur couple et elle, de son désir: « Tout le monde attend, dit Maud, que sa vie commence avant qu’elle se termine ». Et il lui répond: « J’ai voulu me donner la mort, mais pas me prendre la vie ».
Quelque chose perturbe aussi Maud. Pourquoi avant de vouloir commettre son geste fatal, son mari n’avait-il pas au moins laissé un mot d’adieu pour expliquer sa volonté de suicide. C’est le socle de cette comédie douce-amère, teintée de nostalgie… Maud et Julien se retrouveront-ils ou se quitteront-ils?

Unité de temps, d’action et de lieu: on retrouve ici tous les codes des pièces de boulevard, avec, entre autres, le téléphone, unique lien de Julien avec ses patients et la sonnerie de la porte d’entrée qui sont aussi des personnages.
Audrey Schebat n’a pas la volonté de changer le monde mais sa pièce (qui n’a rien d’exceptionnel, comme sa mise en scène) se laisse écouter… Cette petite musique de nuit a quelque chose de rassurant en ces temps difficiles.

 Jean Couturier

 Jusqu’au 31 décembre,Les Bouffes-Parisiens, 4 rue Monsigny, Paris (II ème). T. : 01 86 47 72 43.

Isabelle Rimbaud, mon Arthur à moi d’Efstathia, mise en scène de Vicky Volioti

Isabelle Rimbaud, Mon Arthur à moi d’Efstathia, mise en scène de Vicky Volioti 

Efstathia est une auteure-compositrice, interprète et dramaturge grecque. Diplômée de la faculté de théologie de l’Université d’Athènes, elle a publié cinq albums personnels de ses chansons et a écrit, entre autres, une pièce: L’Apologie de Marie Curie. Elle a toujours ressenti le besoin de promouvoir des modèles d’intellectuels pour créer un éveil de la société sur les questions d’écologie, de respect mutuel et d’autonomie des femmes.
Dans ce monologue polyphonique, elle donne la parole à Isabelle Rimbaud (1860-1917),  la plus jeune sœur du poète. Quand il tomba gravement malade  elle le veilla à chaque instant de la fin de sa vie et devint son légataire universel.
La pièce s’inspire de son livre Mon frère Arthur, de lettres et documents authentiques et des grands recueils poétiques: Les Illuminations, Une Saison en enfer, Le Bateau ivre.  Un abbé représentant la foi chrétienne et Isabelle tracent le portrait de cet enfant terrible. Avec des lettres choisies de la correspondance de sa sœur avec sa mère au sujet d’Arthur sur qui elle veilla sur durant sa longue agonie. Avec aussi des souvenirs de la vie du poète et des vers de lui.

 

© Marita Amorgianou

© Marita Amorgianou

Isabelle, femme simple, humble, à l’ombre de son frère, sans reconnaissance sociale, est une sœur aimante, imprégnée d’une éducation chrétienne et rigoriste qui admirait tellement. cet «homme aux semelles de vent» et qu’elle évoque avec lyrisme.  Dans le temps du deuil et avec un ressenti intact, elle nous parle d’une expérience salvatrice d’amour fraternel. Elle consacra sa vie à bâtir sa légende. Témoin privilégié des derniers jours de Rimbaud, elle défendra sa mémoire, avec son futur mari Paterne Berrichon, artiste et homme de lettres lui aussi. 

La metteuse en scène souligne le contraste entre le «péché» d’une âme pure et libre et la «piété» d’un monde hypocrite et corrompu. Une longue table avec une bougie allumée renvoie au rituel catholique et à la messe. Tout en créant un univers religieux et poétique à la fois, elle suggère un espace de confession et d’isolement où la sœur d’Arthur Rimbaud  nous offre ses souvenirs. 

Vicky Volioti incarne une Isabelle d’une intimité touchante qui gagne le public dès les premiers instants. Assise au début parmi les spectateurs, elle partage avec eux des photos de la famille Rimbaud, créant ainsi une émotion palpable. La lumière de la salle s’éteint, l’actrice gagne la scène et exprime remarquablement cette Isabelle qui, à la fin, dira quelques vers de Départ, un poème des Illuminations:  «Assez vu. La vision s’est rencontrée à tous les airs./Assez eu. Rumeurs des villes, le soir, et au soleil, et toujours. /Assez connu. Les arrêts de la vie. –Ô Rumeurs et Visions ! /Départ dans l’affection et le bruit neufs !
Ce petit hommage théâtral à Rimbaud restera gravé dans notre mémoire…

 Nektarios-Georgios Konstantinidis 

 Théâtre Mikro Anessis, 14 avenue Kifissias, Athènes. T. : 00302107718943.

Le festival de Piatra Neamt


Le festival de Piatra Neamt

Sa trente-quatrième édition vient d’avoir lieu en Roumanie au Théâtre de la Jeunesse, édifié entre les deux guerres dans cette petite ville industrielle entourée de montagnes, en Transylvanie  Il a toujours constitué un lieu où de bons metteurs en scène pouvaient plus ou moins travailler en paix, loin du pouvoir central de Bucarest.

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Depuis 2017, ce théâtre est dirigé par Gianina Carbunariu, auteure et metteure en scène connue en France. A Piatra Neamt où il n’y a pas d’Université, elle mène une politique culturelle engagée à l’égard des jeunes dont les spectacles scolaires ont leur place dans ce festival annuel depuis qu’elle l’organise.

Ce n’est pas facile d’arriver là. Un vol depuis Beauvais nous a emmené à Iasi où la mémoire juive est très forte et il faut encore deux heures de voiture pour atteindre Piatra Neamt dont le nom: « pierre allemande » évoque un peu la complexité de cette Europe centrale. La ville a été à 50% juive et a compté jusqu’à vingt-et-une synagogues qui ont été détruites entre les années cinquante et soixante-dix.
Aujourd’hui, il n’en reste qu’une en bois et qui a été restaurée. Douze personnes venaient y prier avant la pandémie mais il en reste deux aujourd’hui. Le gardien du lieu, un écrivain, un sage, la fait visiter à ceux qui s’intéressent à la culture yiddish mais il constate lucidement : « La culture réunit les gens, les églises les séparent. »
La synagogue sert de lieu d’expositions, ou pour des colloques autour de la «bima», l’estrade peinte en bleu où on lit la Thora et autour de laquelle les «hassidim» (juifs orthodoxes) dansaient autrefois. C’est à Victor Brauner, figure importante du surréalisme et natif de la ville, que les tableaux exposés en septembre sont dédiés.

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Gianina Carbunariu dirige donc ce Théâtre de la Jeunesse depuis 2017 et en est à son sixième Festival. A cause de la pandémie, celui de 2020 a été supprimé mais cela n’a pas empêché ce théâtre d’être très actif et de donner de nombreux spectacles en plein air ou sur la façade, en utilisant fenêtres et balcons.
Le thème du festival 2023: Zone de sécurité  ne signifie pas Zone de confort mais celle où les droits humains sont respectés, bien commun, zone de solidarité et non de polarisation, comme le précise le programme en rouge, blanc et bleu ciel.
Y étaient invités les théâtres roumains d’Etat venus de Constanza, Bacau, Craïova, Galati, Bucarest, Sibiu, Oradea… Et des compagnies indépendantes : Plateforma de Teatru Politic, Ceva, Reactor…)
Les spectacles avaient lieu sur les trois scènes du Théâtre de la Jeunesse : la principale, la petite et la «scène mobile» ancien gymnase aménagé, précédé d’un espace transformé en délicieux jardin-foyer par Daniel Chirila, un des deux coéquipiers de Gianina Carbonariu, avec Raluca Naclad. Ces spectacles pouvaient aussi circuler dans un environnement rural.

En dehors de la Section nationale, le programme : Quelque chose à déclarer regroupait des pièces de femmes et nous avons pu voir la magnifique performance musicale de Ridina Akmedova, une actrice tchèque d’origine sénégalaise, chanteuse de blues. Avec un «looper» dernier modèle, elle dialogue avec sa propre voix, interprétant ses chansons et improvisant sur des thèmes donnés par le public : adultes et enfants.
La veille, elle avait mis en jeu son poids dans Fat, focalisé sur les attentes d’autrui et l’acceptation de son propre corps, sans aucune provocation.

Tous les spectacles venus de Belgique, du Kosovo (avec une pièce du prolifique Jeton Nejiraz), d’Ukraine, d’Allemagne, Bulgarie et Slovénie faisaient partie de ce programme. Et des expositions, comme Le Monde d’aujourd’hui et la zone de sécurité consacrée au changement climatique, à l’instabilité de l’environnement et à la nécessité d’une adaptation. Mais aussi des films comme  Entre deux Révolutions (1979 en Iran et 1989 en Roumanie) de Vlad Petri, écrit à partir d’archives et de poèmes d’Iraniennes.
Des ateliers et débats sur des livres, surtout après les spectacles avec les artistes et les organisateurs. Ici, le public est composé en grande majorité de gens ordinaires, de «vrais» gens de tout âge mais animés d’une même curiosité, sans préjugés ni snobisme parmi lesquels on se sent bien, un public tel qu’on voudrait en voir partout.

Arrivée vers la fin du festival, nous n’avons pu tout voir mais avons profité de sa simplicité engagée, de son ambiance amicale et dynamique. Les choix de l’équipe du festival sont orientés vers l’actualité, le social, la santé, l’attitude de l’Europe de l’Ouest vis-à-vis de l’Est et vice-versa, les problèmes qui se posent au théâtre roumain, l’histoire du pays sous la dictature de Ceaucescu, les minorités, les femmes… Mais sans jamais oublier la force de l’art du théâtre dont les spectacles doivent être imprégnés.
La danse était de la partie avec Danses nomades, un des projets de Timisoara, capitale européenne de la culture 2023. Ce spectacle a été créé par la chorégraphe Béatrice Tudor qui prend en compte l’espace, l’architecture du lieu choisi-à chaque fois différent-et les relations spécifiques qui se créent entre artistes (danseurs et D.J.), leur corps, les sons et le public rassemblé autour d’eux. Nous avons vu ces Danses nomades sur la grand-place de Piatra Neamt devant un public patient et intéressé sous une pluie fine-l’équipement sonore étant protégé par des parapluies blancs venus à la rescousse.


Enfin Ici. Mélancolie, texte de Daniel Chirila, mise en scène d’Irina Moscu était le premier spectacle d’Unlock the city, un programme financé par Creative Europe 2021-2027 où sont invités à participer ensemble institutions artistiques et scientifiques comme le Théâtre de la Jeunesse de Piatra, le Théâtre Liure de Barcelone, le Toneelhuis d’Anvers, l’Académie des arts scéniques de Prague, l’Académie théâtrale de Norvège et l’Institut polytechnique de Milan. Six pays pour douze spectacles (trois par lieu) des ateliers et des cours thématiques préparatoires sur la relation entre l’espace urbain, son architecture, le public, la communauté, et le théâtre, la ou les relation(s) qu’il induit.

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Il s’agit de repenser le paysage urbain après la pandémie. A Piatra Neamt, le spectacle de 2024 sera confié à Bogdan Zamfir, acteur des spectacles de Gianina Carbunariu, connu aussi en France pour avoir joué chez Joël Pommerat (Ça ira (1) Fin de Louis).

 Dans La Fabrique des acteurs, texte et mise en scène de Matei Lucaci Grunberg, un théâtre de province prépare un spectacle sur l’histoire de la Roumanie à travers mariages et enterrements. Un metteur en scène depuis la salle dirige avec une voix dure les comédiens plutôt insolents qui interprètent chacun à sa façon le thème et critiquent ses indications.La directrice du théâtre qui est également actrice, rappelle sans cesse à tous que des représentants de l’Union théâtrale de Roumanie doivent venir sur son invitation et qu’il faut être prêt, et au niveau….
Cette comédie sans fards a été présentée par le Théâtre municipal de Bacau et le public a vivement réagi, en interrogeant le travail théâtral, les rapports entre les professionnels (une crise violente vient de secouer l’U.N.I.T.E.R.), et montre aussi la contestation du rôle du metteur en scène qui finit par monter sur le plateau.

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Opération Pétard, écrit et mis en scène par Catinca Draganescu au Théâtre Nottara de Bucarest, traite d’une histoire des temps soviétiques, une histoire vraie. Fin des années 80, à l’imprimerie Casa Scanteii de Budapest, des employés s’aperçoivent à leur arrivée au travail qu’on a brûlé pendant la nuit le calicot où un slogan sur le mur d’en face clamait : «L’Ere Ceaucescu est l’Age d’or de la Roumanie ». Entre eux, ils laissent éclater leur joie devant cet acte de résistance anonyme qui détruit un mensonge d’Etat.
Mais commence l’enquête menée par la police et la Securitate (les services secrets) et, à travers l’histoire réelle d’un héros peu connu de la résistance au «Génie des Carpathes» (https://www.rciusa.info/post/the-history-of-romania-in-one-object-valentin-hurduc-s-clandestine-printing-machine),se découvre tout un monde de relations absurdes et paranoïaques.
Le plateau se charge de clairs-obscurs, visions fantastiques et personnages masqués, bruits angoissants ressuscitant un climat de suspicion mutuelle où les personnages en arrivent à se retourner les uns contre les autres, alors qu’ils riaient ensemble de l’action audacieuse découverte un matin. On n’oublie pas le passé en Roumanie, on creuse les tunnels, les grottes et les bassesses. Et, dans une maîtrise de moyens scéniques, la « petite » histoire devient ici une métaphore puissante.

Grand Hôtel Timisoara, mis en scène par le groupe Aualeu, relève du théâtre dit  brut. On y parle français, allemand, anglais, italien, turc, serbe, chinois et roumain, bien sûr non surtitrés. Chaque spectateur saisit ce qu’il peut mais le jeu des acteurs très expressif permet de comprendre l’essentiel de cette comédie humaine qui se déroule dans le hall d’accueil d’un hôtel à Timisoara, ville au statut de Capitale européenne de la Culture, comme on l’a déjà vu.

Un décor très simple où les entrées et sorties se font par des châssis. Le public entoure l’aire de jeu sur ses trois côtés. Au centre, une table chargée de papiers pour la réceptionniste avenante et énergique qui doit répondre à toutes les questions sur les distractions possibles. Elle offre à chacun un petit verre de gnôle ou plus, si besoin est.
Les demandes sont très variées et ses capacités linguistiques ne suffisent souvent pas, ce qui donne lieu à des situations comiques où règne l’improvisation. Un spectacle télévisuel mais le sous-texte délivre une vision très critique de l’être humain-touriste plus ou moins culturel. Nous avons été effrayés par la vision des Européens de l’Ouest mais des Roumains nous ont assuré que le traitement de leurs propres ressortissants était le même, si ce n’est pire encore…

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L’Ukraine était avec nous, représentée par le Left Bank Theatr de Kiev. Avec HA.L.T (soit Hamlet sans les lettres : m et e), écrit par Tamara Trunova-qui l’a mis en scène-et par Maryna Smilianets. Et coproduit par le Deutsches Theater de Berlin où eurent lieu deux représentations ; la troisième étant celle donnée à Piatra Neamt. La troupe est ensuite allée le jouer en Pologne.
Ce spectacle sur le thème de la perte, inscrite dans le titre même, part du projet d’un Théâtre de créer Hamlet en avril 2022 à Kiev.
L’invasion russe a causé l’annulation de la première. Mais l’affiche était déjà visible à l’entrée du Left Bank Theatr de Kiev et suscitait l’attente des habitués qui avaient déjà acheté des billets. Que faire ? Ce HA.L.T (ou Hamlet sans moi) se construit à partir des questions et hésitations à continuer à faire du théâtre. Il nous parle de la vie des artistes qui ont répété cet Hamlet avorté, évoque les morts au combat que l’on cite pour leur rendre hommage. Presque sans décor : des chaises et un rideau rouge qui s’ouvrira sur une forêt de sapins rougis, le spectacle porte les blessures du conflit en cours qu’on retrace en énumérant les villes détruites et les batailles.
C’est comme la répétition d’un Hamlet qu’on ne verra jamais, troué par les doutes :« Jouer ou ne pas jouer ? »  « Nous devons jouer pour nos camarades dans les tranchées. » « Ne pas jouer est un crime.» mais « Je n’ai plus de voix », les déclarations : «Je ne suis pas ce qui m’arrive, je suis celui que je choisis d’être.» Et les méditations des acteurs sur leur condition fantomatique, la sécurité dont ils jouissent à Berlin, sur leur rêve de Hamlet, les grandes répliques de Shakespeare, Les Aveugles de Breughel l’ancien ou encore sur la parabole du rêve du papillon du philosophe taoïste Tchouang Tseu. Un spectacle troublant et déchirant.

 

© Marius Sunlea

© Marius Sunlea

Le festival s’achevait avec Le Dinosaure Magyarosaurus, texte et mise en scène de Gianina Carbunariu, un spectacle qui tranche sur ses créations documentaires et qu’elle a monté au Szigligeti, le Théâtre hongrois d’Oradea en Roumanie. Les acteurs hongrois y ont une excellente réputation, bien méritée. Ils se sont ici confrontés à la pièce de Gianina Carbunariu qui a mené de très longues recherches sur le personnage central historique et sur cette forme qui participe du théâtre et de la comédie musicale.
Ferenc Nopcsa, un baron hongrois né en Transylvanie, est un érudit d’envergure européenne qui s’est illustré par la découverte du plus petit des dinosaures connus (voir le titre). C’est une figure de la haute société qui a vécu plusieurs vies : chercheur, scientifique, homosexuel, espion, politicien qui va décider, entre autres, de devenir roi d’Albanie. Son destin balance entre richesse et misère dans un kaléidoscope où sont mises en jeu toutes les couches sociales, puisqu’il est, par exemple, amoureux de son domestique. Ferenc Nopcsa est joué à tour de rôle par les quinze acteurs de la distribution qui évoquent à travers lui la mosaïque complexe de l’Europe centrale fin XIX ème-début XX ème siècles.

Ce Nopcsa a de multiples facettes: la plus sombre et qui contraste avec sa personnalité ouverte à d’innombrables aventures intellectuelles et politiques, est son antisémitisme, souvent négligé dans les livres d’histoire.
Les vestes et corsages chatoyants ont été empruntés aux réserves du théâtre, seuls les collants bigarrés que portent tous les personnages ont été achetés.Le dispositif est dominé par la figure mobile d’un dinosaure en carton découpé et complété par des photos d’époque. Des tubes fluo cernent le cadre de scène ou découpent, dans l’espace du plateau, les différentes séquences, comme en gros plan. Les musiciens qui sont les acteurs, se succèdent aux instruments placés de part et d’autre, des tubes fluo.Un spectacle étrange, bigarré, au rythme entraînant où un aventurier de haut vol traverse au galop la géographie et l’histoire de l’Europe centrale… Il nous apparaît très actuel, porteur de multiples ambiguïtés mais qui sont des faits historiques avérés.
D’autant plus actuel qu’en introduction, il y a une scène étonnante en costumes d’époque et documentaire dont toutes les répliques sont tirées de la presse de Budapest en 1897, étudiée par la metteuse en scène,  un épisode «Me too»  avant la lettre. En effet, Elek Nopcsa, père de Ferenc et directeur du Théâtre et de l’Opéra nationaux qui abuse des jeunes ballerines, est mis en cause par la rébellion ouverte de l’une d’entre elles, Katica Müller dont le contrat n’a pas été renouvelé. Son témoignage public déclenchera en série celui de ses camarades.

Le Dinosaure Magyarosaurus devrait être invité en Hongrie au prochain MITEM (voir Le Théâtre du blog: Festival en Hongrie ce 28 août). Mais le sera-il, malgré de très bons articles à Budapest ?
Il faut terminer ce compte-rendu rapide et partiel d’un festival dynamique aux formes variées, inscrites dans l’actualité de la Roumanie et de l’Europe, porteur de sens et de questionnements nécessaires, partagés et accessibles à tous, grâce aux belles, intenses et joyeuses images que nous avons  pu regarder, car nous n’avons pas pu voir le spectacle.
Liée au Théâtre de la Jeunesse de Piatra Neamt où elle a fait ses débuts, Maïa Morgenstern, immense actrice très connue des Roumains comme des étrangers par ses rôles au cinéma, est venue à ce festival avec une de ses mises en scène pour le Théâtre juif d’Etat de Bucarest qu’elle dirige depuis 2012.

 

© Marius Sunlea

© Marius Sunlea

Composé de textes de Vasile Alecsandri, célèbre auteur roumain du XIX ème siècle, Vitzn, spritz et kapritzn fait redécouvrir au public Chirita Bârzoi, un personnage malin et très populaire avec ses plaisanteries et jeux de mots dans un roumain mélangé (gréco-franco-moldave). Maïa Morgenstern a tenu à le présenter non en ville mais à Pangarati, un petit village dont les habitants qui ont construit en plein air pour elle et son spectacle, une scène en bois, les ont accueillis avec enthousiasme.

Béatrice Picon-Vallin

 Le festival a eu lieu du 8 au 21 septembre à Piatra Neamt (Roumanie). https://www.teatrultineretului.ro/?page_id=2919

 

Quand je serai grand, je serai Nana Mouskouri de David Lelait-Helo, traduction d’Aggeliki Vouloumanou, mise en scène d’Elissaios Vlachos

Quand je serai grand, je serai Nana Mouskouri de David Lelait-Helo, traduction d’Aggeliki Vouloumanou, mise en scène d’Elissaios Vlachos 

Après avoir obtenu un doctorat en littérature et civilisation hispaniques à l’Université de Montpellier, cet écrivain de cinquante-et-un ans enseigne l’espagnol. Il se consacre en particulier dans ses livres à des personnalités féminines comme Eva Peron, Maria Callas, Barbara, Dalida…
Parus en 2016, ce roman d’initiation et d’apprentissage est aussi une auto-fiction. Milou, un adolescent dont l’auteur se dit très proche, devient un grand admirateur de Nana Mouskouri, chanteuse grecque de réputation internationale devenue eurodéputée.

© Ana-Athina Liaskou

© Ana-Athina Liaskou

Solitaire et rêveur, Milou touché par sa voix, s’éclaire soudain, désire l’imiter, s’habiller et s’exprimer comme elle. Il prend alors la décision de sa vie: il sera Nana Mouskouri. Même si il n’est pas grec, s’il n’a pas de longs cheveux noirs, s’il ne chante pas, s’il ne porte pas de lunettes. Et pire, s’il est un garçon !  David Lelait-Helo raconte les étapes par lesquelles passe un adolescent qui découvre son identité, en évoquant largement le pouvoir des rêves. Milou réalise finalement que son vrai but n’est pas de devenir la Mouskouri mais d’accepter sa nature et de s’ouvrir aux autres sans avoir peur. À travers son déguisement, il tracera son chemin vers le bonheur. 

Le spectacle  est touchant, ludique, plein de trouvailles originales qui renforcent les points forts du texte, tout en accentuant les non-dits refoulés du personnage. Le metteur en scène révèle l’admiration,  l’enthousiasme, la naïveté, la passion mais aussi l’angoisse, la rêverie et toute la soif qu’a Milou de découvrir le monde.
Elissaios Vlachos souligne ici avec discrétion le sentiment d’être différent des autres et son acceptation sereine. Grâce également aux décors et costumes de Sémiramis Moshovaki, à la musique de Nikos Kollaros et aux lumières de Yorgos Ayiannitis. 

De ce roman, Virginie Lemoine avait fait une adaptation avec Didier Constant au off d’Avignon 2019.  David Lelait-Helos serait sans doute très heureux de voir jouer Manos Karatzoyannis dans cette autre adaptation de Quand je serai grand, je serai Nana Mouskouri . Une interprétation exceptionnelle de Milou !
L’acteur bouleverse les stéréotypes de la masculinité et de la féminité qui peuvent cohabiter sous un seul corps.. Il sait aussi recréer dans un méta-texte, l’itinéraire de l’adolescence, à l’âge adulte, avec une riche palette d’émotions.  La sincérité de Manos Karatzoyannis,  sa gestuelle et son regard sensibles bafouent l’homophobie et touchent profondément le public. Un spectacle à ne pas manquer!   

 Nektarios-Georgios Konstantinidis 

Théâtre Stathmos, 55 rue Victor Hugo, Athènes. T. : 00302105230267 

https://www.youtube.com/watch?v=pg522nnkHR4 

 

Les quarante ans de la compagnie Generik Vapeur, à Marseille

Les quarante ans de la compagnie Générik Vapeur à Marseille

© Guillaume Castelot

© Guillaume Castelot

C’était une évidence. Je savais que je devais y aller mais je ne ne savais pas vraiment pourquoi. Cela s’est passé  à la Cité des Arts de la Rue dans les quartiers Nord.
A peine arrivé, je vois qu’ils sont tous là, ceux de mon époque… Tous bien érodés, bien ravinés par leur vie intense.

Philippe Foulquié, un de nos anciens administrateurs de notre Théâtre de l’Unité et le  fondateur de la Friche de la Belle de Mai à Marseille me dit : « Si on n’avait pas voulu être malade, il fallait mourir plus jeune. « Nous formons un petit cercle. Tous cancéreux. Celui qui manque: Michel Crespin  mort en 2014. Il avait fondé  le Centre national de création des arts de la rue à Marseille en 82, puis le festival d’Aurillac en 86 qu’il a dirigé jusqu’en 93 et il a été l’initiateur de la Cité des Arts de la rue à Marseille et de la FAI-AR. (Formation Avancée des Arts de la Rue).

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Et c’est à son opiniâtreté de fils de résistant fusillé que nous devons tout cela. Ici, nous sommes au moins 3.000. Pas que des anciens. J’ai l’impression que nous sommes 10.000, 20.000, 100.000 !

Quelqu’un me glisse à l’oreille : « C’est vous aussi tout cela, vous avez engendré ce mouvement des Arts de la rue, vous avez quitté le confort des théâtres étriqués pour le grand air et la place publique, vous avez renoué avec les racines dionysiaques du théâtre et plus de 10.000 artistes vous ont suivi, telle est l’incontournable vérité. »

Que répondre ? Oui, peut-être! Mais nous n’étions pas seuls et, à l’époque, notre souci n’était pas tant de sortir le théâtre dans la rue, que d’attirer un nouveau public dans les théâtres. Incroyable, ce mouvement des Arts de la rue: une admirable solidarité, un élan, une passion.  Pas d’ego, pas de carrière, pas de cérémonie des Molières mais d’innombrables tournées dans le monde entier. C’est certain et c’est un oracle ce que je dis : nous ferons partie de l’Histoire du théâtre de la fin du vingtième siècle. Je suis à ma place, je me sens bien et sais pourquoi je suis venu.
Jacques Livchine, co-directeur avec Hervée de Lafond, du Théâtre de l’Unité. 

Les quarante ans de la compagnie Générik Vapeur ont été célébrés le 13 septembre à Marseille.

Les quarante ans de la compagnie Générik Vapeur à Marseille de Bertrand Dicale et Michel Peraldi, est paru aux éditions Deuxième Epoque. 21 €.
 

Révolte ou Tentatives de l’échec, mise en scène de Johanne Humblet, Les Filles du Renard pâle

Révolte ou Tentatives de l’échec, mise en scène de Johanne Humblet

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©Kalimba

 La démarche de cette artiste, directrice artistique des Filles du Renard pâle, s’inscrit dans une constante recherche du dépassement de soi et la quête des limites pour mieux les repousser. Troisième volet d’un triptyque, après Résiste (2019),  » pièce pour fil instable et funambule secouée » et Respire (2021), « traversée funambule à grande hauteur, » réalisés en espace public, cette création au féminin a été conçue pour une salle de spectacle avec cinq interprètes au plateau. Autour de la funambule Johanne Humblet: Violaine Garros, danseuse aérienne, Marica Marinoni (en alternance avec Noa Aubry) à la roue giratoire. Les musiciennes Annelies Jonkers et Fanny Aquaron relayent avec leurs chants et leurs instruments, la partition enregistrée de Jean-Baptiste Fretay qui rythme le spectacle à la manière d’un opéra rock-punk. Agiles, elles participent aussi aux acrobaties aériennes.

Révolte ou Tentatives d’échec est construit comme une succession de défis rageurs à la pesanteur et à l’équilibre. Dans un cône de lumière, à travers le clair-obscur savamment créé par Clément Bonnin et Bastien Courthieu et des fumigènes bien dosés, une acrobate se met à courir telle un écureuil en cage dans une roue giratoire. Personnage central qui, tout au long du spectacle, se débattra pour sortir de cet engrenage. Cet agrès inédit avec trois cercles de rotations distincts, permet de faire des chutes et glissades sur trois cent-soixante degrés.

 Pendant que la roue tourne et pivote sous l’impulsion de sa captive, Violaine Garros et Johanne Humblet, femmes-araignées, s’agitent au bout de leur fil aux prises avec un grand filet qui leur barre la route. On les retrouve sur un câble tendu en travers du plateau, jouant les équilibristes et se servant de leur perche comme des gamines sur une balançoire ou ’affrontant dans une bagarre inspirée des femmes volantes de la série japonaise Dragon Ball Z. Un duo aérien prodigieux sous une pluie battante…

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Johanne Humblet ©Kalimba

 Bravant la tempête, dans une furie de tonnerre et d’éclairs embrasant les nuages, la rousse Johanne Humblet s’aventure seule sur le fil: sorcière majestueuse  « J’ai un sentiment de révolte extrême en moi, dit-elle. Toute cette actualité, tout ce sentiment de ne pouvoir rien faire et de subir… J’ai l’impression qu’aujourd’hui la révolte est synonyme de confrontation à un mur et qu’elle doit être forte pour être entendue, ce qui ne veut pas dire : écoutée. » L’envie d’abandonner la submerge par moments, d’où le sous-titre de la pièce : Tentatives d’échec. Mais, dans ce spectacle très réussi avec une chorégraphie de corps voltigeurs et d’inoubliables images, ces cinq lutteuses enragées se libèrent, de tableau en tableau, des fils qui les retiennent à leurs agrès, pour un envol gracieux au-dessus du tumulte.

 La pièce créée à Bonlieu-Scène nationale d’Annecy où Les filles du Renard pâle sont artistes associées, demande encore quelques ajustements de rythme vu la complexité des dispositifs. Mais elles nous entraînent avec elles dans leur volonté farouche de se battre et nous adressent un message d’espoir. Suivons-les.

Mona Chollet avait écrit en 2018, dans Sorcières-La Puissance invaincue des femmes: «Quand elles ont l’audace de prétendre à l’indépendance, une machine de guerre se met en place pour les y faire renoncer par le chantage, l’intimidation, la menace. Tout au long de l’histoire, chaque progrès dans leur émancipation, a suscité une contre-offensive.»

 Mireille Davidovici

Spectacle créé le 11 octobre, Bonlieu-Scène Nationale d’Annecy (Haute-Savoie). T : 04 50 33 44 11.

Les 9 et 10 novembre, Le Cratère, Alès (Gard);  dans le cadre du festival « Temps de Cirques » avec La Verrerie d’Alès

les 24 et 25 novembre, Le Cado-Scène Nationale d’Orléans (Loiret).

Les 6 et 8 décembre, Le Train-Théâtre, Portes-lès-Valence (Drôme) ; les 14 et 16 décembre, Théâtre-Scène nationale de Saint-Quentin-en-Yvelines.

Le 23 janvier, Théâtre Jean Arp, Clamart (Hauts-de-Seine); le 26 janvier ; L’Avant-Seine, Colombes (Hauts-de-Seine).

Le 4 février, Théâtre Jean Lurçat, Aubusson (Creuse); le 8 février, Théâtre Molière, Scène nationale, Archipel de Thau-Sète (Hérault). Les 7 et 8 mars, Scène nationale de Bourg-en-Bresse (Ain) ; du 13 au 15 mars , Théâtre de Villefranche-sur-Saône (Rhône) ; les 18 et 19 mars, La Rampe, Échirolles (Isère) ; les 21 et 22 mars, Théâtre André Malraux, Chambéry (Savoie) ; les 25 et 26 mars, Festival UP -Théâtre Varia, Bruxelles (Belgique) ; les 28 et 29 mars, Le Prato-Pôle National Cirque, Lille (Nord) . Les 4 et 5 avril L’ACB-Scène Nationale, Bar-le-Duc (Meuse); le 9 avril, Le Carreau-Scène Nationale, Forbach (Moselle). Les 14 et 15 mai, Théâtre d’Angoulême-Scène Nationale (Charente).

Poupées persanes d’Aïda Asgharzadeh, mise en scène de Régis Vallée

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Poupées persanes 
d’Aïda Asgharzadeh, mise en scène de Régis Vallée

C’est une reprise de ce conte sur fond autobiographique créé l’an passé dans le off à Avignon: cela se passe en Iran avec l’histoire de deux couples d’universitaires en 1971. Le spectacle commence avec « Eki boud, Yeki naboud, les premiers mots des histoires dans ce pays, du genre : « Il était une fois…. Les personnages vivent sous la dictature du Shah puis arrive la révolution avec l’arrivée de Khomeiny, autre dictateur et du régime islamiste.
Puis
, au tout début de l’année 2000, on retrouve deux sœurs ados et leur mère célibataire dans un chalet à Avoriaz, avec quelques petits secrets de famille quand deux incroyables tempêtes ravagent la France. Mais il y aussi l’évocation de la légende persane de Bijan et Manijeh. Vous mixez le tout et vous avez une pièce? Pas vraiment et on s’y perd un peu dans ce texte tricoté par l’autrice et loin d’être convaincant : à mi-chemin entre un théâtre documentaire qui n’ose vraiment dire son nom et une intrigue, souvent à la hauteur de Plus belle la vie !
Les petites scènes se succèdent sans arrêt entre évocation de la situation politique en Iran dans les années soixante dix et au-delà, et scènes de famille amenées par date et le lieu projetés. Il y a quelques éléments de décor (pas très réussis) pour signifier le chalet, l’appartement, la prison….

Mais la mise en scène est bien sage-heureusement il y a quelques images vidéo d’époque bien choisies et qui font sens- Régis Vallée peine à donner une vie réelle à ces silhouettes de personnages. Et il aurait pu nous épargner ces fumigènes à plusieurs reprises pour dire les nuages dans la montagne ou les gaz lacrymo contre les manifestants hostiles au régime islamiste.
Heureusement, il y a pour sauver l’ensemble, une délicieuse musique persane en toile de fond et surtout le jeu solide des acteurs qui jouent tous plusieurs personnages :
Aïda Asgharzadeh qui est aussi l’autrice de la pièce, Juliette Delacroix, Kamel Isker, Toufan Manoutcheri, Sylvain Mossot. Mention spéciale à Azize Kabouche.

Mais rien à faire, malgré ce beau titre, le compte n’y est pas, la piécette n’arrive à décoller et cette heure et demi passe bien lentement. Le public-âgé en grande majorité-semblait prendre plaisir à voir évoqués des événements qui, quand ils étaient jeunes et beaux, avaient fait la une de l’actualité en France: Khomeini avait été accueilli en 78 et était admiré par Michel Foucault et Jean-Paul Sartre! Lequel Khomeini arrivé au pouvoir fera ensuite exécuter plusieurs milliers de prisonniers politiques.
Bref, il y a de la nostalgie dans l’air mais ce spectacle qui a récolté deux Molière l’an passé, celui l’auteur francophone vivant ???? et celui justifié du second rôle pour Kamel Isker, reste sous des airs un peu contemporains, très conventionnel et décevant.
A voir? Mieux vaut ne pas être trop exigeant… et être prêt à payer cher votre place : carré Or : 41 et 48 €, catégorie 1 : 38 et 44 € ; strapontins pour les moins de vingt-six ans, 12 €. « Nous vivons une époque moderne » comme le disait Philippe Meyer.


Philippe du Vignal

La Pépinière-Théâtre, rue Louis-Le Grand, Paris (Ier)

Blind Runner, écriture et mise en scène d’Amir Reza Koohestani (en farsi sur-titré)

Blind Runner, écriture et mise en scène d’Amir Reza Koohestani (en farsi sur-titré)

L’artiste iranien revient au théâtre de la Bastille où nous avions découvert Dance on glasses et Timeloss, Hearing, puis Summerless, créé au festival d’Avignon 2018 (voir Le Théâtre du Blog). Ici, il met en scène deux femmes et un homme dans une œuvre minimaliste où la course à pied s’inscrit comme une échappatoire à l’enfermement.

Une voix off appelle les détenues dans le parloir d’une prison où un homme rend visite à son épouse. Les murs qui les séparent, s’épaississent de visite en visite. On comprend petit à petit que la détenue a pris cinq ans à cause d’un « post».  Une deuxième femme s’immisce dans le couple : une marathonienne aveugle : l’épouse (qui court elle aussi dans les couloirs de la prison) convainc son mari de guider la sportive lors d’une course organisée à Paris . On lui proposera l’asile politique en France mais cette militante blessée par balle dans une manifestation et devenue aveugle, refuse d’être une «migrante privilégiée» et demande à son entraîneur de traverser avec elle les vingt-sept kilomètres du tunnel sous la Manche par solidarité avec ceux qui gagnent l’Angleterre sur des embarcations de fortune. Il accepte, avec l’accord de sa femme, au risque d’être écrasés par le train s’ils ne couvrent pas le trajet en moins de six heures.

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De part et d’autre des murs de la prison, grâce à leurs échanges par informatique, mari et femme retrouvent un lien et, avec cette course pour la liberté, donnent un sens à leur vie. Le dispositif scénique d’Eric Soyer et le travail des vidéastes Yasi Moradi et Benjamin Krieg permettent de franchir les parois mentales qui séparent les protagonistes. Un jeu de captations démultiplie leur image et de gros plans sur le mur du fond les rapprochent. Entre les séquences, les acteurs arpentent la scène obscure et nue. 

Ce scénario s’inspire d’un fait réel : en Iran, une femme s’est entraînée à courir en prison, avec son mari, de l’autre côté du mur. Mais la suite est pure fiction: «Je souhaite, dit l’auteur, rendre compte d’un problème politique global : l’exil. Certes, il y a la dictature en Iran avec l’arbitraire, l’injustice, la brutalité… Mais cet enjeu, de mon point de vue, va de pair avec le problème des migrants en Europe. Il m’a paru nécessaire d’aller un peu plus loin  et de montrer la dialectique de l’exil.»

 Amir Reza Koohestani parle de politique mais emprunte la voie de la métaphore chère à la poésie iranienne et il aborde les questions de société par l’intime. Mais il n’y a pas de traitement psychologique des personnages, d’où une certaine rugosité dans le jeu d’Ainaz Azarhoush qui incarne les deux femmes, et celui de Mohammad Reza Hosseinzadeh. La lecture des sur-titres de Massoumeh Lahidji et les multiples niveaux de lecture demandent une grande concentration aux spectateurs. Mais les interprètes dans leur langue chantante font vivre intensément leurs personnages . Un exercice de style captivant!

Amir Reza Koohestani a fondé le Mehr Theatre Group à Téhéran et, de création en création, a su imposer son style, en rompant avec le naturalisme du théâtre traditionnel iranien. Dans Blind Runner créé au Kunstenfestival des arts à Bruxelles, il aborde des questions délicates en laissant au spectateur le soin de lire entre les lignes…
Quand il raconte la genèse de
Blind Runner, son propos est plus explicite, ce qui peut-être manque à ce spectacle d’une heure. «En 2022, dit-il, Niloofar Hamedi est la première journaliste à relater l’hospitalisation et la mort de Masha Amini, après un passage à tabac par des agents de la police des moeurs. Ce reportage déclenchera le soulèvement social : «Femme, Vie, Liberté».

Mais quelques jours après, Niloofar Hamedi est arrêtée et, sans aucun procès, incarcérée. Elle et son mari -marathonien par ailleurs- ont lancé des campagnes pour faire entendre la voix des prisonniers politiques: la course de cette femme dans la prison et celles qu’organise son mari pour la libération de son épouse.

Amir Reza Koohestani s’est aussi mis à courir après la répression du mouvement de 2009 : «Une alternative aux manifestations qui n’avaient plus lieu et à la liberté qui nous a quittés. La liberté est un état, tout comme la course à pied. »

Mireille Davidovici

Jusqu’au 20 octobre, dans le cadre du Festival d’automne, Théâtre de la Bastille, 76 rue de la Roquette, Paris (Xl ème). T. : 01 43 57 42 14.
Et en tournée internationale.

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