Quartiers de femmes, texte de Zazon Castro, mise en scène de Mohamed Bourouissa

Quartiers de femmes, texte de Zazon Castro, mise en scène de Mohamed Bourouissa

 Mohamed Bourouissa (quarante-cinq ans) vit et travaille à Gennevilliers. Son beau travail de photographe a été exposé dans de nombreuses expositions personnelles, entre autres, au musée d’art moderne de la ville de Paris, au Centre Georges Pompidou de Paris, à la fondation Barnes à Philadelphie, au Stedelijk Museum d’Amsterdam, au Basis à Francfort-sur-le-Main…
« Mohamed Bourouissa est notre voisin, dit Daniel Jeanneteau, le directeur du T2 G. Un hasard et une chance. Il connaît mieux la ville que nous et depuis que nous l’avons rencontré, nous rêvons avec lui de tout ce que nous pourrions faire ensemble à Gennevilliers, dans notre quartier et dans la ville autour. Nous avons décidé de travailler ensemble, au gré des rencontres que nous avons faites avec lui durant trois années. »

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Quartiers de femmes est sa première création scénique et la prison est un des thèmes de son travail d’artiste. Comme souvent au théâtre en ce moment . Les quelque 3.000 femmes -70.000 hommes- sont enfermées dans onze établissements situés surtout dans le Nord de la France. Cela limite les visites et les proches des familles habitant le Sud! Dans des conditions de vie correctes mais comme  l’ont bien montré un documentaire d’Arte et Dominique Simmonot, contrôleuse générale des lieux de privation de liberté, il y a  un manque des travailleurs sociaux dans l’administration pénitentiaire, ces femmes de tout âge sont  les oubliées du système carcéral français et il y a un risque réel de perte d’identité. Même quand le médecin  pour les aider, distribue le Lexomil et devient en fait le « dealer officiel » comme le souligne ironiquement Zazon Castro. Et quand ces femmes travaillent (en général à de l’emballage de produits ), le salaire mensuel est de 4 € de l’heure ! Et les chances de véritable réinsertion sont minimes…

Ici, Zazon Castro raconte le parcours d’une jeune femme qui traverse l’expérience de la prison, avec de graves difficultés psychologiques et financières mais aussi de petites joies, des amours cachées. Elle va rencontrer d’autres jeunes prisonnières: elles aussi ne sont pas des anges et ont été condamnées à de longues peines mais, coupées de l’extérieur, elle sont fragiles.
À partir d’ateliers menés dans un centre pénitentiaire, Mohamed Bourouissa met en scène ce solo interprété par Lou-Adriana Bouziouane.
Sur le grand plateau, une caisse dans le fond, un fauteuil en plastique gris où elle s’assied rarement et un micro sur pied. Ce genre de monologue sans décor ni accessoire, plus ou moins comique sur des moments de vie personnelle (stand-up en anglais) ne date pas d’hier et Georges Feydeau avait écrit Les Réformes il y a plus d’un siècle…

Dès qu’elle entre sur le plateau, Lou-Adriana Bouziouane s’impose vite : elle a une remarquable présence et une gestuelle précise efficace. Malheureusement, la direction de Mohamed Bourouissa manque beaucoup trop de la rigueur indispensable et la jeune actrice a souvent une diction des plus approximatives, boule son texte, marche en parlant, s’adresse aux spectateurs du côté cour, tant pis pour ceux du côté jardin. Donc on entend trop mal le texte.
Et le metteur en scène aurait pu nous épargner ce nuage de fumigène, le maudit stéréotype actuel… C’était la première représentation -et la première réalisation scénique de Mohamed Bourouissa- mais bref, il y a encore du travail en perspective et ce spectacle en une heure nous a laissé sur notre faim.

 Philippe du Vignal

Jusqu’au 23 octobre, T2 G, 41 avenue des Grésillons, Gennevilliers (Seine-Saint-Denis). T. : 01 41 32 26 26.


Archive pour octobre, 2023

Danses non humaines, conception de Jérôme Bel et Estelle Zhong Mengual

Danses non humaines, conception et textes de Jérôme Bel et Estelle Zhong Mengual

Au musée du Louvre, une conférencière nous accueille en bas du grand escalier dominé par la célèbre Victoire de Samothrace qui représente la déesse Niké ailée, mais  sa tête et ses bras ont disparu: «Je m’appelle Estelle, j’ai trente-quatre ans et suis historienne de l’art.» Ici, pas question d’intelligence artificielle ou de robots. La jeune femme qui enseigne à l’Ecole  de Sciences Politique à Paris, étudie le statut des animaux, végétaux et éléments naturels dans les œuvres d’art. Elle trouve un nouveau champ de réflexion dans ce parcours dansé, imaginé par Jérôme Bel qui, « depuis longtemps, cherche à sensibiliser le public aux éléments non humains par la danse.»

Dans ce Louvre qui incarne pour eux l’art occidental par excellence, «les seuls humains dans leurs états et leurs drames sont au centre de l’immense majorité des représentations de la peinture et de la sculpture.»

Avec cette déambulation jusqu’à la grande salle Denon, Jérôme Bel ne cherche pas à entrer en dialogue avec les peintures monumentales du XIX ème siècle qui peuplent ici les murs: «Il s’agit, dit-il, de mesurer et analyser ce que certaines représentations dansées de la Nature produisent dans notre culture.» Avec Estelle Zhong Mengual, il interroge les relations que les chorégraphes ont créées avec le monde vivant à travers plusieurs œuvres du répertoire de la danse, dite « savante» occidentale.

Tout d’abord, L’Entrée du Soleil qu’interpréta Louis XIV en Apollon le jour de ses quatorze ans (1653) dans Le Ballet royal de la nuict divisé en quatre partie ou quatre veilles de l’écrivain Isaac de Benserade (1613-1691). Il en reste le texte, la musique et une aquarelle. A partir de là, le danseur Gaspard Charon a imaginé le costume et la marche solennelle du jeune souverain.
Il descend l’escalier cérémonieusement avec petits sauts et entrechats, les bras levés pour signifier l’aurore. «Mais cela ne révèle rien de ce qu’est le soleil, ici instrumentalisé comme symbole de la royauté.» dit notre guide.

Water Studies (1900) d’Isadora Duncan est dansé sur une musique de Frantz Schubert par Elisabeth Schwartz avec des mouvements fluides et naturels qui tranchent avec les contraintes de la danse classique. Mais ici, l’eau n’est pas un thème utilisé pour sa nature mais pour exprimer le sentiment humain de liberté et de sérénité. Elisabeth Schwarz interprète ensuite Danse serpentine (1892), le ballet bien connu de l’Américaine Loïe Fuller qui, disait-elle.  réussissait à donner un autre état du corps. «Je suis dans l’acte. »  Sur le Prélude du Déluge de Camille Saint-Saëns, la danseuse avec de larges déploiements de voile tourbillonne sous la Victoire de Samothrace et produit des formes nouvelles rappelant à Estelle Zhong Mengual « le surgissement à l’infini de la nature plutôt que des sentiments humains ». 

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L’entrainant Nelken Line, extrait de Nelken (Les Oeillets) de Pina Bausch (1982) évoque la morte saison avec des mouvements simples et répétitifs, une sorte d’adieu triste à la nature, cadencé par West end blues de Joseph Olivier, interprété par Louis Armstrong.

Dans The Siberian crane (2019), extrait d’Extinction room (Hopeless) sur un texte de Philip Ingman,  le chorégraphe roumain Sergiu Matis raconte la disparition des espèces. Après un monologue qui relate l’extinction de la grue de Sibérie, Chiara Gallerani incarne l’oiseau migrateur. Imitant ses mouvements et son cri, elle devient «l’interprète des corps qui disparaissent du répertoire de la vie».

© Xavier Le Roy

© Xavier Le Roy

Les lions sont lâchés dans la galerie Denon: Le Vocabulaire des lions du chorégraphe Xavier Le Roy (2011) va plus loin dans la représentation dansée du monde animal. Six interprètes nus marchent à quatre pattes, lentement et en silence. Dans un espace-temps non humain et une autre forme d’expression. Reconnaîtrons-nous dans cette gestuelle, étudiée de près et restituée ici par le chorégraphe, la part animale qui nous habite ?

Jérôme Bel et Estelle Zhong Mengual sont des écologistes convaincus. Le chorégraphe ne prend plus l’avion pour faire ses tournées, même quand il va au Danemark ou en Norvège. Et la jeune enseignante a décroché un bac pro agricole…

Cette « exposition de danses» porte ses fruits et au terme du parcours, quand nous posons les yeux sur le Portrait de Madame Récamier de Jacques-Louis David et Le Sommeil d’Endymion d’Anne-Louis Girodet, ou un autre imposant tableau, notre regard change un peu. La centralité de l’humain dans ces œuvres qui nous entourent saute aux yeux!
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Il faut espérer que Jérôme Bel et sa complice reprendront ce spectacle dans d’autres musées… et remercier Laurence des Cars, première femme à présider à diriger le Louvre, de l’avoir ouvert aux spectacles.

Mireille Davidovici

Jusqu’au 14 octobre, dans le cadre du Festival d’automne à Paris, au musée du Louvre, Paris (I er). T. : 01 40 20 53 17.

À Huis Clos de Kery James, mise en scène de Marc Lainé

À Huis Clos de Kery James, mise en scène de Marc Lainé

Ce rappeur, auteur, compositeur et scénariste avait écrit il y a cinq ans À vif où Soulaymaan, un avocat issu de la banlieue parisienne affrontait un confrère né, lui, dans un milieu favorisé.
Cela se passe sur une scène en rond avec un rail autour pour deux caméras télécommandées. Nous sommes dans l’appartement personnel d’un juge : une grande table avec quelques dossiers, un téléphone et deux photos de femmes, un fauteuil, des chaises confortables, un meuble pour un tourne-disques 33 tours. Au-dessus du plateau, un grand écran où seront projetées les images des acteurs…

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Ici, Kery James met en scène à nouveau ce même personnage de Soulaymaan. A jamais marqué par la mort tragique de son grand frère abattu par un policier qui a tiré sur lui qui s’enfuyait, le jeune avocat n’a plus rien à perdre, même sa vie. Il décide alors d’aller rencontrer le juge qui a présidé le procès où a été acquitté le policier. Il l’accuse d’avoir influencé le vote des jurés mais le Juge lui fait remarquer que c’est lui mais aussi les jurés qui votent à bulletin secret si l’accusé est coupable ou non, et si, oui, qui votent ensuite sur la peine encourue.
Mais Soulaymaan ne lâche rien surtout pas son revolver qu’il braque en permanence sur le Juge. Il lui précise aussi que, de toute façon, il finira par le tuera, après après avoir écouté ses réponses aux questions qui ne cessent de le tarauder. Comme entre autres, ces contrôles au faciès: «Avez-vous déjà été contrôlé? -Non jamais. Et le Juge a bien du mal à se justifier devant cet interrogatoire mené de main de… maître, comme il exige que le Juge l’appelle. Un dialogue intelligent, et souvent brillant. Les deux hommes finiront par se bagarrer, puis la tension diminuera un peu.

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Le Juge parle alors de sa famille à l’Avocat: sa femme est décédée il y a quelques années et il adore sa fille dont on aura entendu la voix sur le répondeur. Après plusieurs fois, elle est excédée par l’absence de réponse… et pour cause, puisque le Juge est interdit de téléphone par Souleymaan qui le tient en otage
Responsabilité d’un Justice débordée et souvent mal vue, parce que tolérant depuis longtemps une déontologie faiblarde quant aux violences policières filmées donc indéniables, maintien de l’ordre en démocratie, amour, pardon… tels sont les thèmes abordés ici avec un remarquable sens du dialogue par Kery James avec des mots qui claquent vite et bien. Mais loin de toute partialité.
A la fin, Souleymaan exigera que le Juge appelle la police dont en entendra vite la sirène du fourgon. La fin de cette singulière prise d’otage qui se joue avec deux professionnels de la Justice? Nous ne vous la dévoilerons pas mais Kery James connait tout de l’art du suspense et de la progression d’un scénario…

Marc Lainé dirige avec doigté ce texte remarquablement bien écrit par Kery James qui joue l’Avocat. Jérôme Kircher (le Juge) et lui sont très justes et souvent exceptionnels de vérité. Mais pourquoi le metteur en scène s’obstine-t-il à vouloir retransmettre sur l’écran l’intégralité de qui se passe sur le plateau? Et ce n’est pas très bien filmé: les acteurs ne sont pas toujours face caméra et souvent de dos ou presque,  …
Résultat: le public ne regarde plus du tout la scène (sous-éclairée) mais seulement l’écran qui, à la toute fin, s’éteint enfin et où on voit enfin les acteurs sur la scène. A ces réserves près, c’est un bon-et court-spectacle. Chaleureusement applaudi par tout un public debout et souvent jeune, ce qui est plutôt rare au théâtre…

Philippe du Vignal

Jusqu’au 14 octobre seulement, à Chaillot-Théâtre National de la Danse, 1 place du Trocadéro, Paris (XVI ème).

Du 15 au 30 novembre, Théâtre du Rond-Point, 2 bis avenue Franklin D. Roosevelt, Paris (VIII ème).

 

 

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La maison de Serge Gainsbourg

 

La maison de Serge Gainsbourg

 © J. Couturier Le mur de la maison de Serge Gainsbourg

© J. Couturier Le mur de la maison de Serge Gainsbourg

Deux visiteurs toutes les cinq minutes: rythme imposé pour une visite confortable, avec guidage  par casque audio: sa fille Charlotte nous fait découvrir le maison de son enfance.
Elle a essayé depuis trente-deux ans d’ouvrir au public ce lieu devenu mythique et a tout fait pour le garder intact, grâce aux bons soins de son régisseur  Jean-Pierre Prioul. Décédé en 91, Serge Gainsbourg  Comme Sacha Guitry, le rebelle et l’icône de la pop culture du XX ème siècle aimait vivre entouré de souvenirs, œuvres d’art mais aussi de nombreux objets et documents en rapport avec sa carrière d’auteur-compositeur-interprète mais aussi peintre, scénariste, metteur en scène, écrivain, acteur et cinéaste.

Dans Gainsbourg, 5 bis rue Verneuil, un livre de photos de Tony Franck et Jean-Pierre Prioul, cette phrase: «Voilà, c’est chez moi. Je ne sais pas ce que c’est : un sitting-room, une salle de musique, un bordel, un musée.» Y entrer est un voyage émouvant, voire étouffant dans le  passé de Serge Gainsbourg. «Quand c’était trop chargé d’histoires, dit Charlotte, mon père partait se réfugier quelques jours dans un hôtel chic.”
L’auteur des Dessous chics (1983), une chanson écrite pour l’album de Jane Birkin Baby Alone in Babylone, se présente comme un timide provocateur: «Les dessous chics, c’est la pudeur des sentiments. Maquillés outrageusement rouge sang. Les dessous chics. C’est se garder au fond de soi. Fragile comme un bas de soie.” Ces paroles lui collent intimement à la peau.

On entre au rez-de-chaussée avec, à droite, un grand salon aux murs noirs, comme ceux de toute la maison sous une faible hauteur de plafond. Avec une accumulation d’objets: entre autres, un écorché d’après Fragonard, un lit une place avec baldaquin en fer, une grande et belle photo de Brigitte Bardot et deux fauteuils qui portent encore l’empreinte du corps de  Serge Gainsbourg… Charlotte nous invite ensuite à prendre le couloir extérieur: on découvre le vaste salon sous une autre perspective et son Steinway demi-queue. Il avait seul le droit d’en jouer.

Dans toute la maison, il y a des articles sous verre, une table basse avec les 45 tours de jeunes chanteuses: France Gall, François Hardy… pour lesquelles il avait composé une chanson et ses Disques d’Or… Charlotte révèle que toute la famille devait écouter religieusement ses nouveaux enregistrements et ses passages à la télévision. Dans la petite cuisine où il mangeait toujours avec la même fourchette, trône un vieux téléviseur et son décodeur Canal +.
Au premier étage, un placard avec quelques vêtements (il mettait presque chaque jour les mêmes: Repetto blanches, vestes à rayures, jeans délavés). Le tout soigneusement plié, ou posé sur des cintres.
Puis l’ancienne chambre de Jane Birkin, dite « Chambre des poupées » après leur séparation, le bureau de Serge Gainsbourg avec ses livres et sa machine à écrire, la salle de bains et sa chambre. Charlotte parle du premier souvenir qui lui vient à l’esprit: la découverte- elle avait dix-neuf ans- de son père, mort sur le côté gauche du lit à épais dessus en velours noir, cigarette à la main. Elle nous livre de nombreux pans de son intimité familiale, ce qui rend la visite parfois un peu gênante…
Jane Birkin, elle, s’est envolée quelques semaines avant que cette maison s’ouvre au grand public, un signe du destin! Mais vu la demande, il n’y a pas actuellement de visites possibles avant plusieurs mois…

Jean Couturier

Maison Serge Gainsbourg, 5 bis rue de Verneuil, Paris (VII ème). De nouveaux billets d’entrée pour 2.024  seront mis en vente courant novembre.

Le musée Serge Gainsbourg, 14 rue de Verneuil, lui est ouvert avec un parcours chronologique de quatre-cent cinquante œuvres et une expérience multimédias de cinquante minutes.
Réservation:  www.maisongainsbourg.fr

Les Nécessaires, texte et mise en scène de Garance Rivoal

Les Nécessaires, texte et mise en scène de Garance Rivoal

par Josic Jégu

par Josic Jégu

Un solo en forme de fable contemporaine. Dans le bureau d’une association qui travaille pour une Préfecture, Diane, une travailleuse sociale est chargée de l’évaluation de l’âge réel des étrangers qui se disent mineurs pour échapper à un refoulement et avoir accès à une aide financière et à un hébergement. Donc à la protection de l’Etat français.
«J’aime mon métier, dit-elle, j’aime mon métier, je crois en son utilité et je crois que chaque jour, je fais du mieux que je peux pour aider. »
Diane est précise et pleine de bonne volonté, mais a du mal à trouver une cohérence entre l’obligation qui lui est faite par ses supérieurs de préparer un dossier social exact et son intention de faire le maximum pour faciliter la vie de ces laissés pour compte en état de grande précarité.
Même si comme elle essaye en vain de le faire comprendre à un de des interlocuteurs, elle n’a aucun pouvoir décisionnaire pour l’aider efficacement. Même en cas d’urgence quand il faut trouver un lit pour la nuit. Donc elle est coincée et aurait tendance à ne pas indiquer l’âge réel, puisqu’on lui demande un quota de plus en plus serré. Une situation ingérable…
Elle va même à frôler le mélange des genres, quand elle accueille chez elle une jeune migrant. Ce que lui reprochera vertement sa directrice. Retournement de situation : c’est elle maintenant qui se retrouvera évaluée voire jugée. Comment tout faire alors pour que son travail ne participe pas au système d’une société qui refuse ou du moins d’accueillir dignement les migrants de pays pauvres et qui demandent l’aide de la France. Et dur retour de manivelle, Diane sera elle encore  jugée par des conseillers administratifs quand elle voudra adopter un enfant…

Sur cette petite scène, un bureau avec une lampe et une chaise où est assise Diane (Alice May) face à ses interlocuteurs bien présents mais en voix off que nous nous ne verrons donc  jamais. Cela fonctionne plutôt bien: l’actrice a une présence indéniable et une belle gestuelle pendant ces soixante-dix minutes. Mais on se demande bien pourquoi elle a un micro H.F.  ( sans raison dans cette si petite salle!) C’était la première, donc soyons indulgent mais il faudrait que Garance Rivoal lui fasse travailler de toute urgence une diction plus qu’approximative ! Et qu’elle-même revoit aussi sa mise en scène. Il n’y aucune raison pour que la jeune accessoiriste déménage le bureau de place toutes les cinq minutes : cela cause un brouillage visuel qui nuit au texte…

A ces réserves près, la pièce est proche d’un bon théâtre documentaire avec un texte inspiré d’un article d’Arnaud Aubry et Karine le Loët. Garance Rivoal a travaillé bénévolement un mois au Centre d’accueil et d’Evaluation des situations à Nanterre, une structure qui dépend de la Préfecture, donc de l’Etat. Elle sait donc de quoi elle parle et cela se sent aussitôt dans la vérité des dialogues. Les Nécessaires sans aucune esbrouffe et loin du prétentieux Welfare de Julie Deliquet sur le même thème: le traitement de l’exclusion sociale (voir Le Théâtre du Blog), mérite d’être vu.

Philippe du Vignal

Théâtre de Belleville, 11 passage Piver, Paris (XI ème). T. : 01 48 06 72 34.

Les 9 et 10 novembre, Théâtre Claude Chabrol, Angers (Maine-et Loire).

 

Avant la Terreur, écriture, mise en scène, conception visuelle et scénographique de Vincent Macaigne d’après Shakespeare et autres textes

Avant la Terreur, écriture, mise en scène, conception visuelle et scénographique de Vincent Macaigne, d’après Shakespeare et autres textes

Après six ans d’absence au théâtre, celui qui avait monté entre autres des relectures de Hamlet (Au moins j’aurai laissé un beau cadavre) et de L’Idiot de Dostoïevski, s’attaque à Richard III, une pièce et un personnage mythiques.
Selon le programme, «en adaptant librement ce grand texte aussi burlesque que glaçant, il offre un grand spectacle de théâtre joyeusement apocalyptique, où le rire est toujours là pour nous venir en aide. (…) Vincent Macaigne fait voler en éclats la pièce de Shakespeare et créée un art inimitable du chaos scénique une expérience énorme, épique, délirante. » (sic)

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©S. Gosselin

Non, désolé mais il  n’y a rien de tout cela. Vincent Macaigne s’est passionné pour l’histoire d’Angleterre avec ces assassinats en série entre la famille des Tudors et celle des Plantagenet. Et au moins, on peut le créditer d’y avoir travaillé avant d’écrire un spectacle avec des extraits de Richard III et d’Henri VI, des bribes d’écriture personnelle mais aussi  des improvisations: cette trop souvent redoutable « écriture de plateau ».
Bien entendu, sauf à de rares moments, ce mélange où les acteurs sont souvent statiques, ne fonctionne pas et après les images des dix premières minutes, on s’ennuie ferme même s’il se passe toujours quelque chose sur  scène.

La faute à quoi? A une dramaturgie et à une provocation au rabais avec un catalogue de stéréotypes qu’il avait déjà employés sans scrupule dans ses précédentes mises en scène. Grand rectangle au sol blanc avec plafond aussi blanc comme décor, fumigènes à gogo dans la salle avant même que le spectacle ne commence et ensuite plusieurs fois, musique très forte (mais sans doute moins qu’avant et on a même droit à des bouchons d’oreille gracieusement offerts à l’entrée !), répliques hurlées en permanence devant des micros H.F. ou sur pied, jeu très fréquent des acteurs dans la salle, démolition à la pioche d’un morceau de paroi, images-vidéo sur grand écran d’accidents de la route spectaculaires, de  Donald Trump,etc..

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© Simon Gosselin

Et- immense nouveauté!-Vincent Macaigne nous offre en prime d’autres images vidéo avec les personnages dans les coulisses ou avec leur visage agrandi sur très grand écran quand ils sont sur le plateau. Un truc usé jusqu’à la corde et introduit il y a plus de vingt ans, notamment  par le metteur en scène allemand Frank Castorf. Et que plus un n’ose faire…
Mais aussi lumières clignotantes, accessoiriste sur le plateau, un karcher à la main, hémoglobine en rafale, une centaine de litres de boue coulant d’un grand sac suspendu et envahissant tout le plateau, caddie de supermarché dévalant à la fin les marches de la salle…
Et les acteurs demandent plusieurs fois au public de se lever, d’applaudir, d’avoir les yeux fermés quelques minutes, de voter en se serrant la main, une fois pour « oui», deux fois pour « non », comme dans une  joyeuse colonie de vacances… Tous aux abris!

Et comment Vincent Macaigne ne voit-il pas que toute cette indispensable électricité pour construire un tel décor, fabriquer avec des métaux rares ces grands écrans vidéo, nettoyer quotidiennement à l’aspirateur cet immense plateau, laver le rideau en tulle, les costumes couverts de sang et de boue , etc. sont en totale contradiction avec ses discours sur le nucléaire et sur la faillite écologique de notre planète. Et côté finances, alors que de nombreuses compagnies peinte à équilibrer leur budget, tout ce fongible est sans aucune doute coûteux comme déjà avec Idiot d’après Dostoievski à Chaillot il y a déjà treize ans et cet Avant la Terreur aurait coûté plus de 500.000 € !, alors que cette provocation bon marché n’arrive même pas à à faire sens et que le burlesque revendiqué reste bien faible! « Les chiffres dit souvent le metteur en scène Jacques Livchine, il n’y a que cela qui compte au théâtre. »
Quant au discours esthético-philosophique de Vincent Macaigne… «La société, dit-il, tend à déserter en ce moment l’espace de la fiction, préférant une restitution du prétendu réel. Or la fiction ouvre un espace critique, on peut prendre position, aimer ou détester. La fascination du réel induit une sorte de chirurgie réparatrice mentale perpétuelle, admise par le spectateur, quitte à se déformer lui-même pour se retrouver dans cette proposition de réel. C’est une nouvelle terreur.»  Comprenne qui pourra à ce sabir …

Bref, Avant la Terreur en deux heures et demi sans entracte,  confus et prétentieux, n’a rien de convaincant et se termine plutôt qu’il ne finit.  Et quand Vincent Macaigne dit qu’il est «très important, surtout en ce moment, de pouvoir continuer à faire des spectacles qui aient une certaine ampleur aux yeux du public (sic), il pousse le bouchon un peu loin. Même s’il a un indéniable savoir-faire…
Des spectateurs n’ont pas résisté et sont partis, les autres ont applaudi mais mollement ! Que sauver de ce qu’il appelle  un feu d’artifice? Sans aucun doute le jeu de ses acteurs, surtout ses fidèles: Thibault Lacroix, Pascal Rénéric,  et Sharif Andoura, (tous passés par l’Ecole du Théâtre National de Chaillot et Jérôme Savary aurait été heureux de les voir aussi solides), et Pauline Lorillard. Ils portent tous le spectacle à bout de bras.

Sur le plan plan graphique, nous avons bien aimé ces grandes traînées noires avec ces mots : Aidez-moi, et même s’il ne fait pas sens et s’il est attendu, à la fin, l’écoulement de boue. Mais nous sommes au théâtre et non dans un musée d’art contemporain… Vincent Macaigne reste un bon acteur de cinéma mais ce spectacle, même s’il a envie d’y croire -un peu naïvement!-  n’est en rien «une source d’énergie tournée vers le monde». Mais un monument d’ennui avec un texte, même inspiré de Richard III, assez faible.
Devant cet Avant la Terreur déguisé en création d’avant-garde, nombre de filles et garçons lucides qui pourraient être ses enfants, n’ont même pas applaudi… C’est rassurant mais nous serions curieux de savoir aussi ce que pensent de jeunes metteurs en scène de ce poussiéreux Avant la Terreur
Vincent Macaigne, encore apprenti-comédien,
trouvait qu’à part Romeo Castellucci, Frank Marthaler, etc. «le théâtre, c’était un truc ultra-chiant, ultra-vieux, ringard» ferait bien de se méfier. Attention: on devient vite le ringard des nouvelles générations d’artistes…
et de spectateurs.

Philippe du Vignal

Jusqu’au 15 octobre, MC 93 Bobigny, avec le Festival d’automne à Paris. T : 01 41 60 72 72.

Le Tandem-Scène nationale de Douai-Arras,  du 7 au 9 novembre; Bonlieu-Scène nationale d’Annecy, les 16 et 17 novembre.

Le Quartz-Scène nationale de Brest, les  11 et  12 avril. Théâtre Vidy-Lausanne, du 19  au 21 avril.

Si vous voulez de la lumière, conception et mise en scène de Florent Siaud

Si vous voulez de la lumière, conception et mise en scène de Florent Siaud

Le  titre fait référence aux derniers mots de Johann Wofgang Goethe avant de mourir: «Mehr Licht ! » (Plus de lumière !). La pièce créée au Printemps à Montréal s’inspire des deux Faust du grand poète allemand. Un pari risqué pour Florian Siaud et son équipe…

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© Nicolas Descoteaux

Cela commence dans un service de cancérologie où Faust, un éminent professeur se désespère de son impuissance quand il veut lutter contre contre la mort. Il rencontre Méphisto, un étrange personnage qui s’immisce dans sa vie. Enhardi par ses conseils, le docteur tombe amoureux d’une patiente, Margot, atteinte d’une leucémie au stade terminal.
Il essaye contre la volonté de la malade et au mépris de toute déontologie, un traitement expérimental qui ne la sauvera pas…

On le retrouve avec son rusé compagnon en Californie: la forêt brûle mais, encouragé par Méphisto, il revit son idylle avec Margot grâce à l’intelligence artificielle dans une émouvante conversation avec une image animée. On pense au film Her de Spike Jonze (2013).

Après cette expérience frustrante, le voilà au service de l’humanité, sur une île en déshérence (Haïti ?). Il lutte contre un tyran puis la montée de eaux. Mais autant se battre contre des moulins à vent… Méphisto l’a annoncé au seuil du troisième acte: il va falloir se débarrasser de ce personnage encombrant, devenu à la longue l’ombre de lui-même à force de vains combats. Un épilogue consacre sa disparition : Faust est englouti pas sa propre hubris.

Deux siècles après, le metteur en scène remet au goût du jour l’épopée dantesque imaginée par Goethe et nourrie des expériences de toute une vie. Théoricien de l’art, botaniste et ministre du duc de Weimar, ce grand esprit de l’Auklärung allemand a écrit cette histoire sur soixante ans, de 1773 avec Urfaust à 1832  avec Faust II, peu avant sa mort. Il disait que la première partie  était l’œuvre «d’un être troublé par la passion, qui peut obscurcir l’esprit de l’homme». La seconde partie révèle un monde moins soumis à la passion et devient une parabole de l’humanité souffrante, tiraillée entre pensée et action.

Ce Faust nouvelle manière balade ces personnages mythiques en trois actes écrits par des auteurs de Madagascar, France, Belgique, Luxembourg, Liban, Bénin, Québec et Haïti : Marine Bachelot-Nguyen, Alexandra Bourse, Céline Delbecq, Ian de Toffoli, Giovanni Houansou, Émilie Monnet, Hala Moughanie, Pauline Peyrade, Guillaume Poix, Jean-Luc Raharimanana, Guy Régis Jr et Rébecca Déraspe-Pont. Bien connus pour la plupart (voir Le Théâtre du Blog)

Pas besoin de se référer à l’œuvre originale pour aborder le spectacle aux thèmes contemporains comme l’acharnement thérapeutique, le rêve post-humaniste, la crise climatique mondiale… Faust et Méphisto évoluent au milieu des folies de l’époque dans une fresque composite.
A l’humour grinçant et au ton quotidien de la première partie, très dynamique, succède un trop long épisode en Californie où la forêt n’en finit pas de brûler et où l’idylle virtuelle entre Faust et Margot tourne à vide.

La troisième partie est plus condensée mais pas très claire avec l’intervention de figurants et un épisode lyrique plutôt malvenu. Heureusement, des images projetées sur des tulles vaporeux nous accompagnent dans cette grande traversée et animent un dispositif impeccable conçu par Nicolas Descoteaux (éclairages), Romain Fabre (scénographie) et Eric Maniengui (vidéo). Du bel ouvrage…  

La pièce réunit des comédiens québécois comme Dominique Quesnel qui introduit la pièce avec truculence. Dans le rôle du docteur, Francis Ducharme au jeu distancié dans le premier acte, manque ensuite de folie. Et le Français  Yacine Sif El Islam campe un Méphisto aussi séducteur que pervers. Sans cabotiner, il donne de l’élan à la pièce et arrive à établir une connivence avec le public.

Nous sommes sortis mitigés de ce spectacle qui dure deux heures vingt… Mais il faut saluer cette entreprise qui a mobilisé pendant six ans une belle brochette d’écrivains. Leurs voix mêlées et leurs regards croisés sur notre époque de turbulence donnent matière à jouer aux acteurs.

Mireille Davidovici

Jusqu’au 17 octobre, Théâtre de la Cité internationale, 21 A boulevard Jourdan, Paris (XlV ème). T. : 01 43 13 50 60. 

Chotto Desh, chorégraphie d’Akram Khan, adaptation de Sue Buckmaster , musique de Jocelyn Pook

Chotto Desh, chorégraphie d’Akram Khan, adaptation de Sue Buckmaster, musique de Jocelyn Pook (à partir de cinq ans)

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©Jean-Louis Fernandez

 

 Pour que les jeunes soient parmi les premiers à découvrir le nouveau Théâtre de la Ville-Sarah Bernhardt, Emmanuel Demarcy-Mota son directeur, a programmé un spectacle d’une heure tout public dans la journée avec cette création présentée en 2017 (voir Le Théâtre du Blog).
La grande salle a été magnifiquement rénovée avec une moquette crème assortie à des sièges en toile écru. Elle résonne de cris d’enfants agités par l’attente : certains sont venus de loin en car ou en train. Un public impressionnant, vite captivé par l’apparition du danseur Nicolas Ricchini (en alternance avec Jasper Narvaez).

Il se présente comme étant Akram et nous entraîne dans son enfance. Nous le suivons dans les rues de Dacca où il passait ses vacances d’été: il danse en se frayant un chemin dans la foule et la circulation des voitures : l’évocation sonore et les contorsions comiques du danseur pour éviter les obstacles nous transportent dans le vacarme et le fourmillement d’une ville du Bangadesh (cent soixante-huit millions d’habitants). Puis on retrouvera le jeune Akram en pleine guerre de libération de ce pays en 1971. 

 Plus tard, il devient le personnage d’une histoire que lui raconte sa mère en voix off, illustrée par un dessin animé sobre et poétique. On suit le danseur derrière le tulle où sont projetées les images de sa vie familiale quand il était enfant et de ses aventures dans la jungle : des arbres, un fleuve, un éléphant, un serpent, des papillons, des abeilles… Pour le grand plaisir des enfants fascinés,il se glisse avec légèreté dans l’univers poétique du Tigre de Miel de l’autrice indienne Karthika Naïr qui a souvent collaboré avec le chorégraphe.

© J.L. Fernandez

© J.L. Fernandez

Chotto Desh, ebengali petite patrie, adaptation pour jeune public du solo Desh (pays (natal) est un récit d’apprentissage où le chorégraphe garde l’esprit du kathak, qui le passionnait enfant. Il avait même endommagé le magnétoscope de ses parents à force de la regarder des heures pour imiter cette danse … Il n’y a rien de folklorique dans la gestuelle de l’interprète ni dans la musique qui nous a paru   quelquefois un peu trop forte. Les plus jeunes retiendront surtout ce conte indien joliment illustré et un tour de passe-passe du danseur : avec quelques traits de crayon sur son crâne rasé, il dessine le visage du père. Avec cette sorte de masque, il caricature  ses gestes avec tendresse. Une belle image que l’on retiendra longtemps.

Les plus grands et leurs parents s’attacheront à l’histoire d’un artiste qui, nourri de plusieurs cultures, a suivi sa passion et mené sa barque, mais sans se couper de ses racines. Une leçon de vie pour tous.

Ce spectacle -pour la majorité des enfants, un premier contact avec la danse et le théâtre- les incitera sans doute à revenir, vu le prix des places très modique pour eux.

 Mireille Davidovici

Ce solo vu le même soir nous plonge dans l’autobiographie du jeune Akram, né en France d’un père venu du Bangladesh et d’une mère philippine. Par la danse et grâce à des projections de figures animées sur un tulle de fond de scène, belle création visuelle de Tim Yip, le chorégraphe raconte la naissance de sa vocation.
Son père veut qu’il lui succède à la tête de  son restaurant parisien, le jeune Akram va trouver dans la danse une échappatoire  « Je veux danser papa, je veux devenir danseur!  ». 
 Héritier d’une double culture, il a été dans son enfance partagé entre cet art qui le fait vibrer et le devoir envers son père. On pense à Freddie Mercury qui, contre l’avis de ses parents, s’est lancé dans la musique et la chanson à corps perdu. 
 Cette pièce demeure un bel hommage touchant et poétique à ses parents. Akram Khan réussit par de simples artifices de jeu à nous emporter dans son histoire. La création musicale de Jocelyn Pook accompagne ce récit.

Jean Couturier

Spectacle présenté les 4 et 5 octobre, au Théâtre de la Ville-Sarah Bernhardt, place du Châtelet, Paris (Ier). T. : 01 42 74 22 77.

 Du 12 au 14 octobre, Le Trident, Cherbourg (Manche).

Les 4 et 5 novembre, Teatro Macedonia Alacala, Oaxaca City Performing Arts Festival, Oaxaca (Mexique).

Le Tigre de Miel de Karthika Naïr, illustré par Joëlle Jolivet, est publié aux éditions Hélium.

Music-Hall Colette, texte de Cléo Sénia et Alexandre Zambeaux , mise en scène de Léna Bréban

Music-Hall Colette, texte de Cléo Sénia et Alexandre Zambeaux, mise en scène de Léna Bréban

D’abord quelques images en noir et blanc des «Actualités » comme on disait à l’époque, projetées dans les cinémas avant le film, des obsèques nationales (première femme en France à laquelle elles ont été accordées) au Palais-Royal où elle habitait. Juste à côté, se trouvent maintenant les colonnes de Buren. Des images aussi émouvantes que celles de la messe d’enterrement de Louis Jouvet à l’église Saint-Sulpice avec une foule immense sur toute la place.
C’est un hommage tout aussi populaire où on voit de nombreuses femmes venir s’incliner devant son cercueil. Il y a un coussin noir où est posée sa grande croix de la Légion d’honneur. Tout à fait impressionnant.

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On entend avec son bel accent bourguignon, la voix de Colette (1873-1954), cette femme d’origine martiniquaise par sa mère. Arrivée très jeune dans la capitale et une fois perdu son paradis de Saint-Sauveur-en-Puisaye (Nièvre) pour des raisons de finances familiales, elle a envie d’en découdre avec Paris où elle aura tout essayé et souvent réussi : pantomimes sexy au Moulin-Rouge, journalisme et critiques de théâtre (elle fut bien la seule à défendre en 35 Les Cenci d’Antonin Artaud), création d’un salon de beauté.

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Mais elle est aussi très bonne romancière. Mariée très jeune par sa mère à un certain  Henry Gauthier-Villars, critique musical très influent et auteur de romans populaires qui introduit sa jeune femme dans les cercles littéraires et musicaux. Poussée par Willy, elle écrira ses souvenirs d’école mais sous le pseudonyme de Willy, Claudine à l’école, Claudine à ParisClaudine en ménageClaudine s’en va. Première à suivre la mode « garçonne » et après leur séparation en 1906, Colette signera de son seul nom la fin de la série des Claudine. Elle aura plusieurs relations, notamment avec Mathilde de Morny, sa partenaire sur scène, Natalie Clifford Barney, une poétesse américaine.
Puis Colette aura une brève liaison avec un homme politique Auguste-Olympe Hériot, avant de rencontrer son futur mari, le diplomate Henry de Jouvenel dont elle aura son seul enfant, Colette Renée de Jouvenel, dite Bel-Gazou (beau gazouillis en provençal).

Elle a quarante ans et sait que son mari la trompe. Elle aura une longue liaison  avec son fils le jeune Bertrand de Jouvenel, seize ans. Ce sera le thème de son roman Le Blé en herbe, adapté plus tard au cinéma par Claude Autant-Lara. Colette  ne cache pas sa bisexualité et c’est son premier mari qui la poussera à avoir des relations avec des femmes. En 1952, deux ans avant sa mort, elle interprète son propre personnage dans le documentaire que lui consacre Yannick Bellon.  Puis après une période d’éclipse, Colette deviendra le symbole du féminisme et évoquée comme telle par Julia Kristeva dans La Révolte intime, et par le magazine Causette.

©Julien Piffaut

©Julien Piffaut

Ici, Alexandre Zambeaux qui avait fait une adaptation très réussie du célèbre roman Sans Famille d’Hector Malot, mise en scène par Léna Bréban à la Comédie-Française, évoque avec Cléo Sénia ce que fut la vie de cette écrivaine: Colette a aussi été une jeune actrice et danseuse au Moulin-Rouge (ce qu’on oublie trop souvent) avant d’être reconnue comme écrivaine.
Sans tomber dans l’hagiographie, ce patchwork va à l’essentiel à la fois avec des récits d’extraits de ses romans, nouvelles et lettres mais aussi un dialogue avec elle-même en portraits vidéo.
Et le public découvre la vie finalement peu connue de cette femme qui avait une énergie sans faille et rêvait de liberté morale et sexuelle : «Moi, c’est mon corps qui pense. Il est plus intelligent que mon cerveau. Toute ma peau a une âme.» Cela pourrait être de Catherine Millet ou de Monique Wittig. Colette était avide de reconnaissance comme écrivaine (elle fut aussi la présidente du jury du prix Goncourt). Ce qui n’était pas du tout évident pour une femme de s’exprimer ainsi.
L’écrivaine féministe, il y a quelque cent ans déjà ne mâchait pas ses mots, quand la société française était dominée par l’Église catholique qui exerçait une véritable censure non avouée mais féroce sur le théâtre, le cinéma et la littérature. Elle le lui fera encore payer post-mortem en refusant des obsèques religieuses! Ici elle raconte ce que fut son existence de jeune artiste en proie à la solitude et à parfois de rudes conditions de travail. « Côté artistes : des cases sordides, sans air et l’escalier de fer aboutissant à des toilettes immondes. » Comme Emile Zola le décrivait dans Nana. Et cela existait encore il y a encore vingt ans dans la salle du syndicat de l’Epicerie, rue Beaubourg…

 

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La mise en scène de Léna Bréban tient d’un parcours sans fautes: direction d’actrice précise et toute en nuances, maîtrise absolue du temps et de l’espace, subtilité des rapports texte-images et choix de ses collaborateurs: Marie Hervé pour la scénographie,  Denis Koransky pour les lumières, Hervé Devolder pour la musique et les chansons, Jean-Marc Hoolbecq pour la chorégraphie. Et Alice Touvet pour les costumes. Mention spéciale à cette créatrice: toujours difficile d’être dans le bon équilibre quand il faut «déshabiller» une actrice toujours en pleine lumière.
Cléo Sénia, seule et toujours en scène, elle joue, fait du trapèze, danse, chante, toujours aussi juste et formidable de vérité et de sensibilité. Il y a aussi en voix off les grands acteurs que sont Martine Schambacher  et François Chattot, dans la salle ce soir-là.
Juste un bémol: Il faudra affiner la balance avec le micro H.F et peut-être limiter un peu le dialogue avec les vidéos, un peu complaisant. Mais allez, osons les grands mots: toute cette équipe a réussi un spectacle populaire et qui fera un tabac en tournée.
Music-Hall Colette fait grand bien, surtout à l’heure des vieux théâtres en plusieurs heures à partir de textes de Shakespeare, avec fumigènes, vidéos sur grand écran, effets spéciaux, boue déversée sur le plateau, cloisons latérales défoncées à la pioche, hurlements au micro, jeu permanent dans la salle, etc. dont nous reparlerons quand même.

Philippe du Vignal

Jusqu’au 7 octobre, Espace des Arts-Scène Nationale de Chalon-sur-Saône (Saône-et-Loire).
Les Scènes du Jura-Scène Nationale-Théâtre de Dôle, les 7 et 8 novembre.
Puis tournée à suivre…
Théâtre Tristan Bernard,  Paris (VIII ème), du 26 janvier au 30 mars. 

 

Zoé [et maintenant les vivants), texte et mise en scène de Théo Askolovitch

Zoé ( Et maintenant les vivants), texte et mise en scène de Théo Askolovitch

Après 66 jours, un monologue sur le combat d’un jeune homme face au cancer qui avait aussi été créé à Théâtre Ouvert, le jeune auteur-metteur en scène parle du deuil, et de la relation très forte entre les vivants et les morts, un thème déjà cher à Anton Tchekhov : «Les vivants ferments les yeux des morts mais les mortsouvrent les yeux de vivants.  »
Ici cela se passe dans une famille juive très attachée aux valeurs religieuses. La mère est morte presque subitement, alors que sa fille Nola qui venait d’avoir son bac était en vacances dans le Sud de la France.
Dix ans après la perte de Zoé, son mari souvient de sa rencontre aux Halles à Paris avec celle qui sera le grand amour de sa vie. Nola et son frère Sacha se souviennent eux aussi des moments de bonheur que leur offrit leur mère si chérie.

 

© Ch. Raynaud de Lage

© Ch. Raynaud de Lage


Ils racontent l’enterrement et les rites de la religion juive après le décès, avec cette shiva contraignante pendant sept jours avec des
obligations très strictes : après un œuf mangé ensemble en présence du rabbin, interdiction de travailler, de se laver, sortir ou avoir des rapports sexuels et des distractions comme regarder la télévision ou écouter la radio. Par respect pour l’être disparu

Sacha a des images qui lui reviennent « comme celle du rabbin au début qui nous a fait manger l’œuf. Il se rappelle d’un moment où ta pote m’avait fait faire des cookies, je me souviens d’un moment où j’ai pris une douche et c’était la première depuis quinze jours. » Nola : Quinze jours ! Mais Sacha, ça dure sept jours la Shiva. (…) Moi je me rappelle de ce que le Rabbin nous avait dit « Je suis là pour vous mais malheureusement, je dois partir bientôt parce que j’enchaîne avec un mariage puis un autre enterrement en fin de journée. »
Puis après le récit de ces moments de vie la pièce bascule… Le père déjà âgé avoue qu’il vit avec une jeune femme et qu’ils ont
eu un enfant. » J’ai rencontré Lucie trois mois après la mort de Zoé. Elle  a été pour moi comme une espèce de bouffée d’oxygène après une apnée beaucoup trop longue. Je n’avais pas le choix. Il fallait vivre et c’était mon moyen de survivre.
Je partais le soir, quand les enfants dormaient, je pleurais sur la route, la rejoignait dans son petit appartement, celui d’une jeune femme. Elle m’attendait dans son lit, je m’accrochais à elle. Puis avant qu’il soit trop tard, je repartais là où on avait besoin de moi,là où j’avais trahi.
Les liens entre ce père et ses enfants restent très forts mais le temps a passé. Lui est arrivé à se réparer et deux nouveaux individus sont arrivés dans la famille.
Le texte sonne très juste et Théo Askolovitch (Sacha) comme Marilou Assiloux (Nola) sont tout à fait crédibles. Serge Avédikian
qu’on avait pu voir dans L’Envol des cigognes et Le Dernier Jour du jeûne de Simon Abkarian, est moins convaincant dans le rôle de ce père paumé, sauf dans un petit moment dansé tout à fait remarquable.

Le spectacle a un bon rythme malgré quelques longueurs mais souffre d’une dramaturgie balbutiante avec, des facilités  comme entre autres, du théâtre dans le théâtre quand  Sacha redevenu à nouveau le metteur en scène Théo Askolovitch descend dans la salle pour diriger ses acteurs! Et même si nous avons échappé aux fumigènes, la mise en scène est une peu trop souvent conventionnelle: plateau blanc très éclairé, acteurs assis face public sur des chaises pliantes façon Stanislas Nordey, sable qui s’écoule sous un pinceau lumineux, portants chargés de costumes sur les côtés du plateau. Des images vues un peu partout. Quant aux micros H.F., une fois de plus, ils ne servent rigoureusement à rien dans cette petite salle et desservent ce texte bien écrit sur le thème de la catharsis et de la réparation et qui ne peut laisser indifférent et il faudra absolument suivre ce jeune auteur.

Philippe du Vignal

Jusqu’au 21 octobre, Théâtre Ouvert, 159 avenue Gambetta, Paris ( XX ème). T. : 01 42 55 55 50.

Le texte est publié aux éditions Esse que. 

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