Anselm (Le Bruit du temps), un documentaire de Wim Wenders

 Anselm (Le Bruit du temps), un documentaire de Wim Wenders

Le réalisateur sait filmer les artistes. Avec Pina, il nous emmenait en 3 D dans l’univers de la chorégraphe allemande. Il nous balade ici dans l’œuvre d’Anselm Kiefer, une heure trente quatre, sans commentaires et toujours en 3 D. Guidé par l’artiste, de noir vêtu et fort peu disert.

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©x Wim Wenders

En lui inventant un double enfant, Wim Wenders trouve une certaine légèreté, même s’il remonte dans l’Histoire qui a façonné l’homme adulte. Avec des images de l’hiver nazi, et de ruines à Berlin après la guerre. Des images d’actualité qui résonnent avec l’œuvre monumentale d’Anselm Kiefer, placée sous le signe de Paul Celan, le poète roumain (1920-1970) qui récite son poignant Todesfuge (Fugue de mort) avec ces mots célèbres: «Der Tod ist ein Meister aus Deutschland » (La Mort est un Maître d’Allemagne).

La plupart des extérieurs sont tournés en hiver ce qui ajoute à la noirceur de l’univers du peintre. « J‘ai fait le film avec mes tripes.» confie le cinéaste à l’antenne de RFI.  Ami de longue date et contemporain de cet artiste, il porte avec lui un regard sévère sur son pays. Anselm (Le Bruit du temps) nous rappelle une performance d’Anselm Kiefer: en 1969, il se photographia, faisant le salut hitlérien en uniforme de la Wehrmacht de son père, dans plusieurs pays. (ci-dessous)Un geste mal compris dans une Allemagne voulant oublier son passé… Ces scènes ambigües et audacieuses lui valurent d’être soupçonné de néo-nazisme par la critique d’art, comme le montrent des reportages de l’époque.

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©x Anselm Kiefer

Le film établit un parallèle entre les villes en ruine, les paysages ravagés de cette «mère blafarde» et les immenses ateliers de l’artiste, aménagés en véritables décors de théâtre. La caméra se promène dans la briqueterie d’Odenwald (Hesse), maintenant ouverte aux visiteurs. Elle explore aussi la Ribaute, une ancienne filature à Barjac près de Nîmes, dans un domaine boisé de quarante hectares, que l’artiste vient de quitter après trente ans, pour s’installer aux environs de Paris.
Dans les locaux de l’atelier cévenol et la futaie avoisinante (désormais visitables), s’exposent des robes de plâtre fantomatiques, des gerbes d’herbes sèches. Des voix flûtées murmurent quelques textes évocateurs. Et, dans une étrange bibliothèque, Anselm Kiefer feuillette les pages noircies de grands livres sinistres. L’un d’eux montre le cerveau du philosophe Martin Heidegger adhérent au parti nazi de 1933 à 1944, rongé par le cancer!
On voit aussi le peintre à l’œuvre parcourant les lieux à la recherche de matériaux stockés sur de hautes étagères, ou travaillant à grands coups de truelle sur des tableaux gigantesques. Il y brûle de la paille avec un chalumeau ou y verse du plomb fondu. Un titan acharné et rageur mais aux allures impassibles, en long manteau noir, cigare à la main…

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Ce film nous fait doucement entrer avec documents d’époque et musique classique, dans une œuvre aride et noire portant en elle les déchirures d’une âme hantée par le passé. Malgré la présence de l’enfant (Anton Wenders, petit-neveu du cinéaste) qui apporte un peu de fraîcheur,  l’artiste reste d’une froideur glaçante et se livre peu.

Il laisse son travail parler pour lui, grâce à la caméra complice: « Au début, dit Wim Wenders, j’ai eu peur de notre ressemblance, et si c’était un piège ? Nous sommes nés la même année, en 45, nous avons joué dans le même fleuve, le Rhin. Nous avons vécu les mêmes silences sur le passé de l’Allemagne. Nous avons éprouvé les mêmes questionnements. Jeune, je voulais être peintre, et lui m’a confié avoir voulu devenir cinéaste.»
Ils ont une histoire commune mais le regard du réalisateur n’est pas contaminé par la morbidité de son ami et il essaye d’insuffler ici un supplément de poésie…

Mireille Davidovici

Sorti le 18 octobre, le film est encore visible dans plusieurs salles .


Archive pour novembre, 2023

Maxime Mandrake, quelques réflexions sur la magie

Quelques réflexions sur la magie, de Maxime Mandrake

 A sept ans, j’ai été fasciné par un magicien de close-up mais c’était juste le début. Le lendemain, à un autre événement, je l’ai croisé à nouveau. Impressionné, j’ai demandé à mes parents de le voir pour en apprendre davantage. Il m’a alors dirigé vers La Cité Magique, un magasin à Pontillas en Belgique où j’ai acquis mes premiers tours. L’enthousiasme que j’ai alors suscité dans la famille, a été une révélation et cela a augmenté ma passion…

 Puis mes parents m’ont inscrit à des stages de théâtre, cirque et magie quand j’avais huit ans. Yann Lejeune nous a appris quelques tours. Par la suite, j’ai suivi ses cours une fois par semaine, en consacrant d’innombrables heures à l’apprentissage des pratiques. Les livres et DVD sont aussi devenus une source inépuisable pour enrichir mon répertoire. À dix ans, j’ai commencé à animer des anniversaires pour enfants.

Mon père et ma mère m’ont toujours soutenu et accompagné et aussi géré ma promotion. Lui, cherchait des musiques et elle, concevait les décors. Ils ont produit mon tout premier spectacle devant plus de cent personnes: j’avais quatorze ans. Yann Lejeune a été aussi précieux pour la conception des scénarios et la mise en scène. Participer à des réunions de magiciens à Bruxelles m’a permis de rencontrer Paul Mandrex, un mentor  très compétent. Vers mes dix-sept ans, je me suis entouré d’un éclairagiste, d’un costumier, et d’un «webmaster» pour m’aider. Et l’année suivante, j’ai été engagé au cabaret Le Canon d’Or à Lille où j’ai parlé à des professionnels, notamment Nicolas Bernard qui m’a enseigné la rigueur et m’a aidé à écrire mes textes de scène pour en faire des histoires captivantes.

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Depuis cinq ans, ma compagne Sophie Detry, diplômée en décoration intérieure et marketing, s’investit activement dans la promotion et l’aménagement de l’espace de mes spectacles. Les nombreuses rencontres dans ce métier offrent des opportunités pour des collaborations fructueuses et réaliser des innovations.
Mais ma première tournée auto-produite avec dix-huit représentations sur deux mois dans les plus grands théâtres àNamur, Mons, Forum de Liège…) a été complexe à gérer,. J’avais investi beaucoup d’énergie et j’ai eu bien des difficultés mais cela m’a fait avancer. Une leçon enrichissante ! Et aujourd’hui, avec les producteurs, c’est beaucoup plus clair…

Magic Minds est la structure essentielle pour la gestion administrative et financière, marketing et réseautage. Développer une idée artistique implique aussi la direction d’un équipe et la création des réseaux sociaux, ce que j’ai progressivement appris. Business est plus long que le mot: show et crucial pour le développement artistique. Ceux qui réussissent, ont du talent mais aussi une fibre pour le show-biz.

Je travaille dans mon atelier de répétitions mais aussi avec mes costumiers, éclairagistes, assistants et décorateurs  qui élaborent de nouvelles créations avec moi.  En close-up, magie digitale… pour des évènements, par exemple l’animation magique et en présentiel au World of mind à Bruxelles).
J’ai moins de temps aujourd’hui pour animer  anniversaires, mariages, etc. Ma préférence va à la magie de scène et aux grandes illusions : j’ai imité David Copperfield dont j’ai regardé les spectacles en boucle et je me suis inspiré de ses musiques ! J’apprécie Dani Lary, pour son talent à créer des univers et des histoires. Laurent Beretta, un artiste complet et très inspirant qui a su conserver une humilité que j’apprécie énormément. Siegfried & Roy pour l’ensemble de leur œuvre et ce moment intimiste où je les ai croisés au Secret Garden à Las Vegas. Et j’aime aussi James Thierrée, le Cirque du Soleil, des comédies musicales telles que
Mozart, l’opéra rock ou encore Les Misérables que j’ai eu la chance d’applaudir à Londres.

La magie nouvelle cherche à renouveler la classique mais sans la renier, en utilisant  les nouvelles technologies et cela m’intéresse : j’essaie de combiner les deux et apprécie les spectacles avec une histoire touchante et un message positif. J’ai une attirance pour la magie « vintage » avec magnifiques objets et superbes boîtes: il faut connaître le passé pour évoluer vers l’avenir. Créer une histoire dans un décor sublime m’enthousiasme. Comme le disait Jean-Eugène Robert-Houdin: «Le magicien est avant tout un acteur qui joue le rôle d’un magicien… »

Quand on débute, outre la pratique régulière de conception et présentation de tours, il faut lire la richesse littérature spécialisée, les écrits historiques, biographies et ouvrages techniques. C’est  une mine de connaissances qui offre une perspective globale de cet art. Comprendre l’évolution, les écoles de pensée, les artistes révolutionnaires et les grands classiques de l’illusionnisme est fondamental pour trouver sa voie.
Aller aussi à des cercles, clubs, forums, permet d’échanger ses idées, partager des expériences, discuter de techniques émergentes. C’est un apprentissage continu et un espace pour présenter ses tours devant un public bienveillant, obtenir des retours constructifs qui aident beaucoup  à améliorer son art.

Et pour tout jeune magicien en devenir, la richesse du bagage littéraire et l’interaction avec la communauté sont fondamentaux pour progresser en illusionnisme. Il est essentiel d’apprendre des générations précédentes et s’inspirer de la création actuelle, qui est en pleine effervescence et mêle traditions ancestrales et innovations. Les limites entre réalité et illusion se réduisent grâce aux avancées technologiques.
J’observe avec fascination et enthousiasme les artistes d’aujourd’hui qui excellent dans la création de performances toujours plus immersives et captivantes. Grâce à l’hybridation entre magie classique et magie numérique, il y a des spectacles très divers et alliant techniques traditionnelles et effets innovants. Ma magie reflète plusieurs approches artistiques, des nouvelles technologies, mais je veux qu’elle garde le charme intemporel des classiques de l’illusion qui sont une véritable source d’inspiration.

La Culture a, j’en suis certain, une importance capitale pour notre art et est un terreau essentiel pour développer une magie authentique et en résonance avec le public. Références historiques, faits réels, traditions, contes et légendes, enrichissent nos spectacles. Nous pouvons tisser des liens entre l’art de l’illusion et la culture d’un public. De plus, c’est un fondement inestimable pour l’originalité des tours.
Avec une palette infinie de références et symboles, cela nous permet de transcender les frontières artistiques et de créer des spectacles plus riches et mieux adaptés au public du XXI ème siècle.
Passionné par les musiques de film, j’ai aussi la chance d’avoir une bonne oreille et cela m’aide beaucoup dans mon travail. Pendant mon temps libre, je joue du piano, de la guitare…. J’adore voyager et connaître de nouvelles expériences mais la magie est toute ma vie et la passion autour de laquelle tout gravite…

 

Sébastien Bazou

 

Interview réalisée à Dijon (Côte-d’Or) le 26 novembre https://www.maximemandrake.com/

 

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Birget : ways to deal, ways to heal, chorégraphie d’Annabelle Bonnéry

Festival de danse de Canne-Côte d’Azur

Birget : ways to deal, ways to heal, chorégraphie d’Annabelle Bonnéry

La Compagnie Nationale norvégienne de danse contemporaine présente un spectacle  engagé sur la vie du peuple autochtone Sàmi. Le pays a nié pendant de nombreuses années sa culture, jusqu’en 1997. Après une période de transition,un Parlement a été officiellement inauguré en 2000 par le roi Harald V de Norvège, à Karasjok en Laponie. Cette assemblée élue a été mise en place  pour traiter des affaires concernant les Sàmis.

Le discours royal est diffusé en voix off au début du spectacle, seul moment compréhensible de cette création. Même si la cause est légitime et si on parle ici de l’activité essentielle des  Sàmis: l’élevage de rennes, on ne peut pas se satisfaire de tableaux parfois esthétiques mais difficiles à interpréter !
A quoi correspond une vidéo avec des personnes dont on ne connaît rien? Lors du bord de plateau qui suit la représentation, on apprend que ce sont des Sàmi, filmés et diffusés en direct ! Quant aux plastiques jaunes placées sous les sièges que le public mettra sur le plateau comme le demandent les interprètes… ce sont en fait, nous dit-on,  des emballages  de croquettes, nourriture essentielle des rennes aujourd’hui….

© J.C.

© Haara

Mais la chorégraphie de  la Française Annabelle Bonnéry qui dirige aussi cette compagnie, n’a pas de ligne dramaturgique et les treize danseurs semblent avoir subi la dictature du scénographe Joar Nango et de la chorégraphe Elle Sofe Sara, membres de la communauté Sàmi.
Ils courent autour d’un poteau en bois au centre de la scène, puis réunissent les plastiques autour. Pour un feu?  La démarche des créateurs peu lisible, l’est sans doute par des Norvégiens mais beaucoup moins par le public de ce festival à Cannes. Et ce spectacle aurait dû être complété par le documentaire de trente minutes qui a été réalisé par Andreas Leonardsen (2023). Il montre la rencontre entre Elle Sofe Sara, Joar Nango et les artistes, techniciens et administratifs de la compagnie nationale norvégienne, quand a été créé cet ovni artistique…

Jean Couturier

Spectacle vu le 26 novembre au Palais des festivals et des congrès, 1 boulevard de la Croisette, Cannes (Alpes-Maritimes).

 

La Esmeralda, opéra de Louise Bertin, livret de Victor Hugo, direction musicale et arrangements de Benjamin d’Anfray, mise en scène de Jeanne Desoubeaux

La Esmeralda, opéra de Louise Bertin, livret de Victor Hugo, direction musicale et arrangements de Benjamin d’Anfray, mise en scène de Jeanne Desoubeaux

Le texte du troisième opéra de la compositrice créé à l’Académie royale de musique en 1836, est une adaptation en quatre actes de Notre-Dame de Paris, faite par l’auteur lui-même, d’un épisode de son célèbre roman.
La musique simple et radicale de Louise Bertin (1805-1877)  éclaire d’un jour nouveau ce drame que la metteuse en scène resserre avec seulement quatre chanteurs et un comédien, autour du destin tragique d’Esmeralda, victime ici du harcèlement masculin. Elle dit non aux grossières avances de Frollo et cède tout juste à la passion qu’a pour elle, Phœbus un beau et noble capitaine.
Quasimodo, ici en dehors de l’affaire, est le témoin du drame où l’héroïne sera amenée au bûcher pour meurtre et sorcellerie, suite à une machination de Clopin Trouillefou, le roi des gueux.

Nous sommes à la cour des miracles aux alentours de la cathédrale Notre-Dame à Paris.  «Vive Clopin, roi de la thune/Vivent les gueux de Paris / Faisons nos coups à la brune/ A l’heure où tous les chats sont gris. » annonce au public Clopin Trouillefou (Arthur Daniel).
Esmeralda, la jeune bohémienne (Jeanne Mendoche, soprano) est convoitée par Frollo, un prêtre libidineux (Renaud Delaigue, basse) et par un jeune homme de bonne famille, Phœbus ( Martial Pauliat, ténor) dont elle tombera amoureuse. Quasimodo (Christophe Crapez, baryton) l’aime en secret et Esmeralda éprouve pitié et sympathie pour cet être contrefait qui chante au son des cloches: «Je suis laid/ Boom boom boom /Dans mon âme/ Je suis beau/ Boum boum boum… »

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Ces personnages vivent entre la cathédrale, la place de grève, la prison et un cabaret miteux. Cécile Trémolières a imaginé que cela se passait dans le chantier actuel de réhabilitation de Notre-Dame de Paris. Echafaudages avec colonne à moitié érigée, rosace du chœur, cloches, ruelles sombres et voilées par des bâches translucides, et où circulent ouvriers et protagonistes. Clopin Trouillefou, dont le personnage a été étoffé par la metteuse en scène, est ici un bateleur qui fait le lien entre les chanteurs, l’orchestre à jardin et le public.

Jeanne Desoubeaux a créé une ouverture en forme d’opéra rock-punk discordant avec accessoires clinquants  et mimiques outrées. Et les costumes d’Alex Costantino ne sont pas du meilleur goût: du Moyen-Age, du XlX ème siècle et de notre époque. Bref, cela commence mal mais ensuite et heureusement, la musique et le livret reprendront leurs droits.
Dirigé par Benjamin d’Anfray qui est aussi au piano, l’ensemble Lélio fait revivre La Esmeralda. La musique de Louise Bertin, comme le texte, n’a rien de romantique et met en valeur le rythme hugolien. Avec une surprenante âpreté rendue par des arrangements radicaux et un jeu sec au piano, violoncelle, clarinette, violon et basson d’époque. Ici, les chanteurs retrouvent le style vocal des années 1830, marqué à la fois par l’école de déclamation française et la souplesse du lyrisme italien. De la belle ouvrage qui fait oublier le début du spectacle..

La Esmeralda n’a pas connu le destin qu’elle méritait, contrairement à Carmen,  elle aussi belle et rebelle, tuée par amour. La première représentation fut bien accueillie mais l’œuvre fut ensuite chahutée pour des raisons politiques (la compositrice était la fille d’un journaliste indépendant) et il y eut seulement quelques représentations.
Hector Berlioz dirigea les répétitions à l’Opéra et reconnut la qualité comme la nouveauté, de la musique de celle qui fut  son élève. Pourtant, on déniait à une femme l’aptitude à composer une telle œuvre et on prêta à Berlioz -mais il le réfuta- «l’air des cloches» de Quasimodo, bissé à l’époque par le public!

Louise Bertin avait-elle trouvé un double fictionnel dans cette Esmeralda, harcelée et méprisée par un groupe d’hommes ne pouvant tolérer qu’une femme soit libre? Jeanne Desoubeaux, elle, entend surtout mettre en scène un féminicide. «À la fin de l’acte III, dit-elle, le trio Frollo, Esmeralda et Phœbus est une scène malaisante où Frollo, aidé par Clopin, observe par le trou de la serrure ce Phœbus qui essaye de coucher avec Esmeralda. Cela n’a rien d’un trio amoureux mais d’une relation sexuelle non consentie sur fond de voyeurisme.»

Le spectacle créé à l’Opéra de Saint-Etienne rend justice à une compositrice dont l’œuvre, comme celles de beaucoup d’autres, est tombée dans l’oubli. Et surtout La Esmeralda résonne avec l’actuelle croisade contre les violences faites aux femmes. Depuis quelques années, les spécialistes réintègrent les compositrices dans l’histoire de la musique. Comme Louise Bertin, elles ont beaucoup de choses à nous dire…

Mireille Davidovici

Jusqu’au 3 décembre, Théâtre des Bouffes du Nord, 37 bis boulevard de la Chapelle Paris (X ème). T. : 01 46 07 34 50.

Les 8 et 9 décembre, Opéra du Grand Avignon (Vaucluse).

Le 18 janvier, Centre d’Art et de Culture, Meudon (Hauts-de-Seine).

Le 2 février, Opéra de Vichy (Allier).

Les 30 et 31 mars, Grand Théâtre-Opéra de Tours (Indre-et Loire).

 

Kaldûn, texte et mise en scène d’Abdelwaheb Sefsaf

Kaldûn, texte et mise en scène d’Abdelwaheb Sefsaf

En 1870, Les Prussiens sont aux portes de Paris, les Communards refusent la capitulation et ne reconnaissent pas la légitimité du gouvernement et en mars 71, les Versaillais réagissent. Le 28 mai, après soixante-douze jours, la Commune est vaincue. Et l’année suivante, 3.800 Communards dont l’institutrice Louise Michel (1830-1905) et le journaliste Henri de Rochefort ( 1831-1913) , figures emblématiques de cette révolte, seront déportés en Nouvelle-Calédonie.

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©x Louise Michel

En Algérie, éclate la révolte de Mokrani dont les insurgés sont aussi exilés avec eux. Ils partiront ensemble de Brest dans des bâteaux, enfermés dans des cages! Une occasion pour Communards et Algériens de fraterniser…

1878: en Nouvelle-Calédonie, la France s’approprie les mines, cours d’eau, sources, zone de pêche… Les tribus qui protestent sont lourdement sanctionnées et en sept ans, les deux tiers de la population kanake sont tués. Ataï, grand chef de Komalé, incarne l’âme de la révolte et attaque Nouméa. Réaction militaire immédiate et énergique. Le 1er septembre, Ataï, son fils, et son sorcier furent décapités par les Kanaks de Canala.
Louise Michel écrira : «Ataï lui-même fut frappé par un traître. Que partout les traîtres soient maudits!» La tête d’Ataï sera exhibée au musée de la Société d’anthropologie et à nouveau, à l’Exposition universelle à Paris!
Les Communards, eux, bénéficieront en 90 d’une amnistie mais la plupart des Algériens exilés en Nouvelle-Calédonie y finiront leur vie. Libres mais prisonniers de l’île, ils y fonderont de nouveaux foyers. Par l’entremise des sœurs du couvent Saint-Joseph, des candidates au mariage leur seront présentées : seul chemin vers une possible liberté. Mais ils n’auront même pas le droit de donner à leur enfants un prénom musulman…

Ici, un narrateur est aussi un personnage qui va rencontrer Louise Michel, Bou Mezrag El Mokrani et Ataï. Dans la casbah de Béjaïa, en rade de Brest, à Nouméa, à Paris Belleville, Marseille et Sydney. « Trois peuples, trois révoltes, trois continents, dit Abdelwaheb Sefsaf. Dans Kaldûn, nous glisserons d’un continent à l’autre et nous en parlerons les langues pour mieux comprendre celle de la révolte. Depuis la Commune de Paris, en passant par Béjaïa et la révolte des Mokrani, jusqu’à l’insurrection des Kanaks en 1878, nous sonderons ces récits de combats pour la dignité humaine et révolutions qui fondent, aujourd’hui encore, le socle de notre identité. Autour du récit d’Aziz, se construit la chronologie de notre histoire. Sur un plancher à la dérive comme un pont de bateau, nous évoquerons la longue traversée qui conduisit les insurgés vers leur exil lointain. »

 

© Raphaëlle Bruyas

© Ch. Raynaud de Lage

Ici, sur le côté puis au centre de la scène, les neuf musiciens de l’ensemble de musique ancienne, les cinq acteurs et le formidable danseur slameur kanak, Simanë Wenethem qui s’adresse au public Et il a aussi quelques dialogues et les longs solos d’Abdelwaheb Sefsaf pour raconter cette honteuse épopée qui fait, hélas partie de l’histoire des Français qui ignore pour la plupart  que  Napoléon III cherchait une terre nouvelle, libre de toute occupation européenne pour y fonder une colonie pénitentiaire mais aussi renforcer la présence de la France dans le Pacifique, encore faible face aux Néerlandais et surtout aux Britanniques.
Vint ensuite la découverte de mines de nickel qui fit de la Nouvelle-Calédonie, le troisième producteur mondial. Puis des événements ont marqué des générations jusqu’à récemment sous la fin de règne de François Mitterrand, le triste épisode avec la prise d’otages en 88 de la grotte d’Ouvéa…

Ce n’est pas vraiment une comédie musicale mais un très bon orchestre tient une place prépondérante et Laurent Guitton, Lauryne Lopès de Pina, Jean-Baptiste Morrone, Johanna Nizard, Malik Richeux, Abdelwaheb Sefsaf, Simanë Wenethem Canticum Novum Emmanuel Bardon, Henri-Charles Caget, Spyridon Halaris, Léa Maquart, Artyom Minasyan, Aliocha Regnard, Gülay Hacer Toruk, malgré des micros HF et une mauvaise balance, font tous un travail remarquable.

© Raphaëlle Bruyas

© Ch.Raynaud de Lage

Il y a ici comme une débauche de moyens et une scénographie imposante mais peu réussie : des praticables à double face qu’on déménage sans arrêt, un crâne de plusieurs m3 en lattes de bois, des projections de grande photos de paysage urbains ou ruraux (sans grand intérêt) en fond de scène. Et nous aurons droit à quelques fumigènes,comme partout ailleurs!
Mais cette accumulation de faits historiques avec allers et retours permanents n’est pas fondée sur une véritable dramaturgie et il n’y a pas d’écriture  théâtrale: c’est le point noir de ce spectacle qui se balade entre fausse comédie musicale et théâtre documentaire qui ne dit pas son nom…
Ces deux heures et demi pas justifiéessont bien longuettes…Heureusement, il y  l’excellence de l’orchestre et la magnifique présence de Simanë Wenethem. A vous de voir si l’enjeu vaut le coup.

Philippe du Vignal

Spectacle vu le 26 novembre au Théâtre des Quartiers d’Ivry-Centre Dramatique national de Val-de-Marne.

Théâtre de Sartrouville-Centre Dramatique National,, du 29 novembre au 2 décembre. Retour par bus vers Paris à l’issue du spectacle.

Sémaphore de Cébazat (Puy-de-Dôme) le 7 décembre.

Les Célestins, Théâtre de Lyon, du 13 au 17 février.

Le Carreau, Scène Nationale de Forbach et de l’Est mosellan, le 14 mars.

Festival de Danse Cannes Côte-d’Azur Les Saisons, chorégraphie de Thierry Malandain, musique des Quatre Saisons de Vivaldi et des Quatre Saisons de l’année de Giovanni Antonio Guido

Festival de Danse Cannes-Côte d’Azur

Les Saisons, chorégraphie de Thierry Malandain, musique des Quatre Saisons de Vivaldi et des Quatre Saisons de l’année de Giovanni Antonio Guido

 Une idée de Laurent Brunner, directeur de la filiale spectacle du Château de Versailles et de Stefan Plewniak, violoniste et chef d’orchestre de l’Opéra royal: ce ballet est fondé sur la célèbre musique de Vivaldi et celle de Giovanni Antonio Guido, son contemporain né vers 1675 et mort après 1729, excellent violoniste qui donna un concert mémorable au château de Fontainebleau.
Sa musique était déjà éditée en CD, quand les auteurs de ce projet l’ont proposée à Thierry Malandain qui s’est inspiré de morceaux de ces compositeurs pour réaliser des images mentales qui prennent ensuite vie grâce à ses fidèles danseurs. « Mais je
ne sais pas copier, dit-il,je ne veux pas être influencé par le travail des autres et j’ai mon propre langage chorégraphique intuitifEt il a imaginé une sorte de «millefeuille visuel»:  une géométrie dans l’espace à partir de ces œuvres musicales, avec succession de portés rapides, alternance de duos et scènes de groupe, farandoles éclatées et parfois inspirées des danses traditionnelles basques.

© O. Houeix

© O. Houeix

Un ballet très esthétique, avec décor et costumes de Jorge Gallardo: les interprètes évoluent entre le fond de scène et les murs latéraux garnis de grands pétales de rose calcinés, symbolisant une nature en deuil. Selon le chorégraphe, «les costumes idéalisés» à partir de la musique de Guido représentent un passé baroque disparu quand les danseurs se couvriront  de ces pétales noirs annonçant un sombre avenir…
Une création mondiale reprise en décembre à l’Opéra Royal de Versailles, puis en tournée; ce spectacle est porteur d’un message sur les dangers que court notre planète et les mille cinq cents spectateurs auront sans doute clairement reçu le message.

 Jean Couturier

 Spectacle vu le 25 novembre au Palais des festivals et des congrès, 1 boulevard de la Croisette, Cannes (Alpes-Maritimes).

Opéra Royal de Versailles (Yvelines) du 14 au 17 décembre.

New Report on giving birth concept et chorégraphie de Wen Hui

New Report on giving birth, concept et chorégraphie de Wen Hui

Ça danse et pour ce qu’on en a vu, plutôt bien. Mais assez vite c’est du théâtre et face au théâtre, la danse ne peut rien et perd la bataille à tous les coups. On annonçait ce spectacle dans la catégorie: danse et on nous assurait qu’au Living Dance Studio fondé en 94 par Wen Hui, il y a «des artistes de toutes les disciplines pour créer des spectacles qui intègrent la danse, le théâtre et toutes les formes d’art ». Oui, mais ici, les mots, qu’on le veuille ou non, priment sur les gestes, et le contenu dame le pion à la forme.

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Ainsi, le silence inaugural accompagnant l’occupation en douceur du plateau est rompu par des monologues dans la langue véhiculaire du titre.  Peu après leur entrée sur scène depuis la salle et l’extinction de ses lumières, Alessandra Corti, Patcharaporn Krüger-Distakul, Parvin Saljugi et Wen Hui,se transforment en actrices. Tour à tour, chacune expose ses idées sur la maternité et nous fait part de son souhait d’enfanter, ou de ses réticences.

© N.V.

© N.V.

Avec un décalage d’une cinquantaine d’années par rapport au combat mené (et remporté) en France par les féministes, la Chine semble se mettre à jour… Elle avait imposé par la loi en 79 l’enfant unique mais, quarante ans après, elle incite les femmes, à en avoir trois. La chorégraphe quand elle était jeune, avait choisi, elle, de refuser la maternité. Et il est maintenant possible d’évoquer le corps féminin, les règles, la ménopause…

Quatre ballots déballés puis remballés symboliseront l’enfant à naître. La vidéo de Rémi Crépeau a une fonction illustrative mais aussi informative. Un montage, style soirée diapos, montre avec retours en arrière une danseuse à plusieurs époques de sa vie et, dans un bref entretien,l a mère de Wen Hui évoque l’enfance de sa fille.

Les images sont projetées sur des draps sortis des baluchons et étendus sur des cordes à linge. Ou bien, comme les sous-titres en français, projetées sur le mur du fond. Le précepte: fumigènes = pas de plaisir, est ici respecté. Nous avons donc échappé aux vapeurs colorées et aux feux d’artifice…

 Nicolas Villodre

 Spectacle joué du 22 au 25 novembre au Théâtre de la Ville-Les Abbesses, 31 rue des Abbesses, Paris (XVIII ème).

Danses sans Frontières!Soirée d’ouverture du festival de danse à Cannes

Ouverture du festival Danses sans Frontières à Cannes

«Il y a plusieurs années, il me semblait que quelque chose de grave pour nos sociétés se préparait: marginalisation sociale, montée des nationalismes, repli sur soi de certains pays, nouvelles formes d’exclusion, » écrivait Didier Deschamps, alors à la tête de Chaillot-Théâtre national de la Danse et qui a succédé ici à Brigitte Lefèvre.
La situation a gravement empiré et ce festival arrive comme une bulle de liberté artistique. Et ce festival est un des plus importants, avec sur plus de quinze jours, vingt-sept compagnies de treize pays et des œuvres de grands noms de la danse contemporaine: Sharon Eyal, Thierry Malandain, Jan Gallois, Trisha Brown, Damien Jalet, Thomas Lebrun… Avec aussi au programme, documentaires et ateliers.

© J. C.

© J. C.

En ouverture,une performance des écoles nationales supérieures avec soixante-dix jeunes interprètes dirigés par Annabelle Bonnéry, ont investi le Salon des ambassadeurs, au Palais des festivals. Dans ce bel espace dominant le port de Cannes, grâce aux baies vitrées et à des jeux de lumière, nous avions l’illusion es voir dans Cannes.
Pour Didier Deschamps, «cette performance souligne bien l’esprit de cette Biennale de la danse; la formation en France est polymorphe et certains anciens élèves choisissent une carrière en danse classique ou néoclassique, d’autres, en danse contemporaine, hip hop ou jazz avec des envies différentes mais au plus haut niveau possible.» Comme on l’a ressenti en voyant ces jeunes interprètes des C.N.S.M.D. de Paris et de Lyon, ceux du C.N.D.C. d’Angers, du Ballet Rosella Hightower….

 Ce programme réalisé en seulement en huit jours de répétition, avec extraits de créations et pièces du répertoire de chaque école, exprimait une joie de danser communicative. En circulant autour des estrades dans la salle, le public a apprécié la vitalité des solos, duos ou tableaux de groupe. «Aujourd’hui, malgré et grâce à ces différences, dit aussi Didier Deschamps, ces chorégraphies peuvent nous rassembler, pour vivre émotion et beauté.»

 Jean Couturier

 Spectacle vu le 24 novembre au Palais des festivals et des congrès, 1 boulevard de la Croisette, Cannes (Alpes-Maritimes).

 

Einstein on the Beach de Philip Glass et Robert Wilson, direction musicale d’André de Ridder et Jürg Henneberger, mise en scène de Susanne Kennedy

 

Einstein on the Beach de Philip Glass et Robert Wilson, direction musicale d’André de Ridder et Jürg Henneberger, mise en scène de Susanne Kennedy

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© Ingo Hoen

Le mythique opéra créé au festival d’Avignon 1976, puis revisité en 1992 et ensuite vingt ans après par ses  concepteurs, retrouve une jeunesse dans une version de trois heures trente, au lieu des quatre heures trente à l’origine. La directrice de la Volksbühne de Berlin et Markus Selg, le complice de ses autres spectacles qui en a imaginé  la scénographie, ont voulu se libérer de la mise en scène historique et sont partis de la musique cyclique de Philip Glass: «Markus a imaginé une scène-paysage, dit-elle, et c’est à partir de cet ensemble déterminant l’espace et le temps, que j’ai pu en faire la mise en scène. »

 Ici, plus de trace du génie qui a donné son titre à l’œuvre. «Enfant, dit Philip Glass, Einstein était un de mes héros. » Mais son opéra en quatre actes pour ensemble, chœur et solistes, ne racontait pas la vie du savant, juste personnifié par un violoniste lui ressemblant un peu et quelques photos. Susanne Kennedy a légèrement modifié le livret original, retirant certains textes et en improvisant d’autres. Mais sans conséquences: il n’y avait pas d’intrigue mais des poèmes de Christopher Knowles, peintre et écrivain, que Robert Wilson connut jeune autiste… il y a un demi-siècle. Mais aussi de textes courts de la chorégraphe Lucinda Childs et du danseur Samuel M. Johnson.

Ici, pas de succession ou superposition linéaire de tableaux, comme lors de la création originelle,  mais une mise en scène conçue avec une large tournette placée au centre du plateau et comportant plusieurs décors: une sorte de temple hindou, une grotte sous un escalier monumental menant à une arche, un feu de camp, des marches où se tient le chœur… Le sol est tapissé d’une moquette sable imprimée de mystérieux ossements.
Sur de nombreux écrans -certains fixes et d’autres tournant avec le décor- défilent sans relâche arbres exotiques, verts feuillages, étendues désertiques, 
paysages d’hiver ou embrasements apocalyptiques,…Dans cet espace en mouvement, le public va de la salle, à la scène et peut s’installer où bon lui semble, et s’attarder au passage devant les séquences dansées et chantées.

Costumes à la fois archaïques et futuristes à dominante rose: les acteurs, chanteurs et danseurs forment une étrange tribu, rassemblée pour des cérémonies d’un autre âge. Ils échangent des bribes de paroles, répétées en boucle et leurs gestes solennels tiennent de rites chamaniques ou hindous…
Un clin d’œil à la partition de Philip Glass qui s’est inspiré de la musique hindoustanie qu’il a étudiée notamment avec Ravi Shankar.

«C’est dans la musique que nous sommes allés chercher les gestes utilisés lors de rituels dont nous ne savons plus rien, dit Susanne Kennedy. » L’ensemble vocal Basler Madrigalisten a pris le relais des chants  des solistes, en écho avec la musique jouée par l’orchestre dans une petite fosse à l’avant-scène. En solo, sur les différents décors,  la violoniste virtuose Diamanda La Berge Dramm au toucher diabolique…

 L’Ensemble Phoenix Basel dirigé avec subtilité par André de Ridder, surnommé “le chef électrisant“, comprend deux claviers et six vents installés dans une  fosse peu profonde  à l’avant scène, au milieu des spectateurs. Avec eux, nous avons retrouvé avec bonheur la musique envoûtante de Philip Glass: elle ondule en longues boucles autour de chiffres chantés en anglais  et répétés inlassablement: one, two, three three, four, five, six seven, eight…Et de temps à autres, des variations sur la gamme en do majeur (en français): do, ré, mi, fa, sol, la, si.

Des écrans aux quatre coins de la salle relaient la battue dynamique et décontractée du chef,  à l’intention du chœur, de la violoniste Diamanda Dramm et des chanteuses solistes : Alfheiđur Erla Guđmundsdóttir  et Emily Dilewski (soprano),  Sonja Koppelhuber et Nadia Catania (mezzo-soprano) .

Dans cette immense installation, le public a un regard et une écoute actifs et sa perception change selon qu’il tourne avec le décor central, s’adosse à un rocher factice près de l’orchestre ou qu’il regagne les gradins. Il peut alors soit se laisser porter par la musique et les textes pour avoir une impression globale, soit aller près des interprètes dont certains équipés de petits hauts-parleurs diffusent des voix enregistrées mais audibles seulement par ceux qui s’en approchent….

Le dispositif scénique, très sophistiqué et habité de corps en mouvement, a demandé une coordination minutieuse qu’il faut saluer. Le spectacle est comme une illustration de la musique: une vibration colorée, une fabrique d’images passantes jusqu’à la saturation. Ce manège, ludique au premier abord, peut lasser et paraître vain mais la musique nous attrape encore, et même si elle nous est devenue familière, nous prenons plaisir à la redécouvrir sur scène.

Plusieurs mises en scène d’Einstein on the Beach ont été réalisées sans Phil Glass et Bob Wilson: celle d’Achim Freyer au Sttaatsoper de Stuttgart (1988). Mais elle a été  jugée trop abstraite par leurs créateurs. Puis celle de Kay Voges à Dortmund, deux ans plus tard,  ou encore celle de Daniele Finza Pasca qui triompha au Grand Théâtre de Genève en 2019. Susanne Kennedy, elle, nous fait littéralement entrer dans cet opéra. Libre à nous d’y circuler, d’en sortir ou d’y demeurer jusqu’à la fin… Mais certains resteront  certainement à la porte.

Mireille Davidovici

Du 23 au 26 novembre, La Villette, avec la Philharmonie de Paris, Grande Halle 211 avenue Jean Jaurès, Paris (XIX ème). T. : 01 40 03 75 75.

 

Bâtards, texte et mise en scène de Louise Dupuis

Bâtards, texte et mise en scène de Louise Dupuis

Chaque année, le Nouveau Théâtre de l’Atalante à Paris, maintenant dirigé par Bruno Boulzaguet, organise en début de saison un festival. De jeunes compagnies sont sélectionnées sur appel à candidature pour présenter une création dans des conditions professionnelles. Sans contrainte de thème, forme, esthétique…

© Louise Dupuis

© Louise Dupuis

Bâtards, créé cette année  au concours du Théâtre 13 mais que nous n’avions pu voir, a été lauréat avec mention spéciale du jury. L’histoire? Louise et Julien nous invitent à assister à la naissance puis à la fin de leur grand amour, après s’être rencontrés sur le chemin du pèlerinage de Saint-Jacques de Compostelle où ils croiseront… Jean-Luc Mélenchon.
Elle veut écrire une fiction, inspirée de leur histoire d’amour et nous allons assister aussi à l’histoire des répétitions de ce spectacle qui ne pourra jamais avoir lieu, à cause de leur rupture.
Par ailleurs, Louise va rencontrer Ariel, une jeune femme énergique qui vit dans le foyer de jeunes travailleurs où ils répètent. Et  leur histoire amoureuse prendra le relais de celle qui est maintenant finie…

«J’écris d’un endroit de rage que j’essaie de transformer en ardeur dit Louise Dupuis. Comment s’invente une histoire ? Peut-on encore écrire une histoire d’amour hétérosexuelle aujourd’hui sans la placer dans un système de violences patriarcales? Comment la fiction et la réalité s’entremêlent? Je fais l’aveu rageur de mon incapacité à raconter l’histoire d’amour d’un homme et une femme dans un monde dominé par les violences patriarcales. » 

Ce Bâtards tient à la fois du théâtre dans le théâtre (un thème plus qu’usé, mais bon…) mais aussi d’une sorte de performance poétique avec une licorne en baudruche (drôle mais pas écolo du tout!) Le tout sur vieux fond de casserole féministe : genre transformation socio-politique via les textes entre autres, de Monique Wittig (1935-2003) romancière avec L’Opoponax et Les Guerrillères, philosophe, théoricienne du féminisme et icône de la pensée politique lesbienne. Adorable avec les femmes mais virulente envers les hommes, elle trouvait absolument normal après une interview avec une jeune critique (expérience vécue!), qu’un représentant de cette race toxique fasse un très bon dîner, puis la reconduise chez elle en voiture tard dans la nuit à l’autre bout de Paris pour qu’elle économise un taxi. «Bizarre, comme c’est bizarre. »
Autre référence: celle à l’œuvre de David Lynch qui, après Elephant ManBlue VelvetSailor et Lula, a voulu casser les codes de lisibilité du récit. Louise Dupuis s’y amuse aussi, souvent avec grand talent. Sur cette petite scène, aucun décor sauf deux pupitres en tôle noire au début puis un ridicule tapis d’herbe synthétique pour figurer le chemin de Compostelle. Drôle et bien vu.

Les hommes, ici, ne se font plus trop d’illusions et en prennent pour leur grade. Comme Thomas à qui on a proposé d’incarner Jean-Luc Mélenchon mais qui veut arrêter de faire du théâtre. Et Julien, mal à l’aise, quand Louise le traite de machiste.
La jeune autrice qui a déjà une belle expérience du théâtre, a une envie d’en découdre avec le monde actuel  et où enfin, les femmes pourraient se reproduire sans le sperme des hommes. Enfin rayée une fois pour toutes de la terre, la prédominance des mâles politiques,  le machisme du clergé catholique exclusivement masculin, encore d’une redoutable puissance en Pologne, Amérique du Sud, etc.) Pas mal vu…
Mais cette théâtralité avec brouillage permanent entre réalité et fiction, non-jeu et interprétation,  vrai et faux, vie des acteurs réels et personnages, est souvent un peu datée  et le texte part un peu dans tous les sens.

Louise Dupuis brouille constamment les pistes avec un malin plaisir en passant sans arrêt d’une histoire à une autre. Et elle sait diriger ses acteurs et créer des personnages comme ce jeune Jean-Luc Mélenchon volontairement  pas crédible mais en même temps si touchant en intellectuel paumé. Ou cette jeune apprentie-comédienne, plus vraie que nature. Et
on sent poindre une certaine tendresse entre Julien et Louise.
Cette apologie du féminisme n’est pas toujours convaincante mais 
Ariel, d’un milieu social défavorisé, qui n’est jamais allée au théâtre, a une belle clairvoyance sur la domination de Julien et Thomas, mais aussi de Louise. Et la jeune actrice est impressionnante de colère et de volonté pour mettre à bas la société masculine et une hétérosexualité violente.
Côté mise en scène, Louise Dupuis qui joue Louise sait y faire: précision, sensibilité, gestion de l’espace et du temps, remarquable direction d’acteurs… Si elle avait pu nous épargner quelques inutiles rafales de fumigène (seulement le deuxième d’une semaine qui n’est pas finie, cela aurait été encore mieux mais bon!) Nous aimerions bien revoir un travail d’elle sur le texte d’un grand auteur : elle  prouve ici  qu’elle en a les moyens.

 Philippe du Vignal

Ce spectacle a été joué les 22, 23 et 24 novembre, à l’Atalante, place Charles Dullin, Paris (XVIII ème).
Le festival continue avec Monad de Gabriel Tur, du 29 novembre au 1er décembre; Tomber dans les arbres de Camille Plocki par la compagnie de la Hutte, du 6 au 8 décembre; Adèle Choubard par la compagnie Adèle Bazar 7 jours du 13 au 15 décembre; L’Enfant sauvage par  la compagnie Hums,  du 20 au 22 décembre.

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