Binôme # 56: Un Pied dans ta mémoire de Catherine Benhamou,
Binôme#56: Un Pied dans ta mémoire de Catherine Benhamou, par la cie Le Sens des mots
Un titre qui renvoie à une expression tiré d’un manuel de psychologie sociale, Petit traité de manipulation à l’usage des honnêtes gens*. La pièce a été écrite après un échange entre l’autrice et Daniel Priolo, maître de conférences en psychologie clinique et santé à l’Université Paul Valéry, Montpellier III. Ce membre d’un laboratoire de sciences ouvertes vise à rendre accessibles au grand public les publications des chercheurs. Un objectif qui croise celui des Binômes imaginés par Thibaut Rossigneux pour créer des passerelles entre le monde du théâtre et celui des sciences.
Acteur et metteur en scène, avec sa compagnie Le Sens des mots, il passe commande à des écrivains et leur propose de rencontrer des chercheurs en génétique, zoologie, climatologie, médecine, mathématiques, physique… Règle du jeu identique pour tous: après une seule et unique entrevue de cinquante minutes, l’autrice ou l’auteur a un mois et demi pour écrire une pièce de trente minutes pour trois personnages, qui sera lue par un collectif d’acteurs, metteurs en scène et musiciens.
Au fil du temps, 58 Binômes ont donné lieu à autant de pièces et mises en espace et ont aussi fait l’objet de spectacles et publications**. Une manière innovante de rapprocher le grand public des sciences les plus en pointe.
Avec, en main, les grandes lignes de la recherche menée par Daniel Priolo sur le détournement des valeurs libérales pour obtenir le consentement des individus malgré eux,Catherine Benhamou met en scène une femme qui revient sur «les lieux du crime», vingt-sept ans plus tard. Elle nous fait revivre, avec un retour en arrière à la manière du cinéma, les manœuvres d’un professeur pour séduire l’adolescente de quatorze ans qu’elle était. Grâce aux outils de la psychologie sociale, la scène entre le harceleur qui se rejoue devant elle devient un objet d’étude sous son regard lucide. Et ce froid décryptage met à distance le traumatisme enfoui dans sa mémoire. De proie qui se croyait coupable, elle sort de son amnésie pour instruire le procès contre son agresseur.
Sous la direction de Daniel Blanchard, Sandrine Lanno, Emilie Vandenameele et Thibault Rossigneux habitent les personnages sans les caricaturer. Et malgré la gravité du thème, la pièce recèle un certain humour. Rien de pesant ici et l’on retrouve le talent de Catherine Benhamou que nous avions déjà apprécié dans Romance et dans Nina et les entrepreneurs (voir Le Théâtre du blog). Elle traite sans stigmatisation d’un thème de société brûlant… Une vraie réussite.
Après la représentation, l’autrice explique que le questionnement scientifique lui a permis de mettre cette affaire de pédophilie à distance. Après une lecture de la pièce à l’Université Paul Valéry à Montpellier, une jeune fille lui a écrit: cette fiction, dit-elle, lui a permis de démonter les rouages du harcèlement qu’elle a subi et de sortir de sa culpabilité quand elle est tombée dans le piège d’un adulte.
Quel avenir pour cette pièce qui a sa place dans les établissements scolaires? L’équipe de Binômes et son partenaire l’Université Paul Valéry vont prendre contact avec les rectorats pour faire circuler le texte auprès des élèves.
Avis aux programmateurs, enseignants et directeurs de lieux: le collectif propose ses spectacles en tournée…
Mireille Davidovici
Spectacle vu le 7 novembre à La Reine Blanche, 2 bis passage Ruelle Paris (XVlll ème) T. : 01 40 05 06 96.
Prochain Binôme, le 7 décembre à 19h : i = Racine carrée d’imaginaire (Mathématiques Fondamentales) de Pauline Ribat, d’après sa rencontre avec Jasmin Raissy du C.N.R.S.
* Presses universitaires de Grenoble.
** Cinq recueils de Binômes sont publiés aux Solitaires Intempestifs.