Luz d’Elsa Osorio, adaptation et mise en scène de Paula Giusti
Luz d‘Elsa Osorio, adaptation et mise en scène de Paula Giusti
Luz: lumière, le nom de l’héroïne. L’autrice assistait à la première de ce spectacle de la compagnie Toda Via Teatro, dirigée par Paula Giusti. D’origine argentine, elle a choisi, avec l’adaptation de ce roman qui a connu un beau succès, de témoigner sur la tragédie des « desaparecidos », ces disparus, opposants politiques secrètement arrêtés et tués en Argentine entre 76 et 83 pendant la dictature militaire… Mais sous un nouvel aspect, celui des bébés volés.
Cela nous touche d’autant plus qu’il fait écho à d’autres tragédies, celle des enfants ukrainiens enlevés par les Russes pour se les approprier et les rééduquer, et à celle toute récente des enfants et bébés pris en otage par le Hamas dont on ne sait ce qu’ils deviendront. Ils sont notre avenir mais aussi des proies à saisir pour toutes les dictatures et les politiques totalitaires.
Née en 1976 au début de la dictature argentine, Luz a vingt ans. Fille d’un des responsables de la répression,, elle a des doutes sur sa naissance et, de question en question, va enquêter seule sur l’histoire de son pays et sur ses origines à elle. Pas à pas, fragment après fragment, le spectateur découvre en même temps qu’elle, nous servant de guide, les prisons où les détenues politiques accouchaient et où les médecins falsifiaient les déclarations de naissance pour offrir ces nouveaux-nés à des familles de militaires. Et dans le cas présent, à un couple en mal d’enfant.
Nous ne dévoilerons la trame complexe de cette pièce car une écoute active est proposée au spectateur qui doit réunir bribes et éclats de vérité, se poser des questions et résoudre l’Enigme. Toute une part de mystère est préservée dans l’obscurité du plateau troué de pans de lumière où se développe l’action.
Rien n’est clair sur le moment. Le public, placé en situation de recherche, fait partie du processus. Dominique Cattani, Larissa Cholomova, Pablo Delgado, Armelle Gouger, Laure Pagès et Florian Westerhoff s’adressent à la metteuse en scène, assise dans la salle. Pour accentuer les rebondissements du récit, ils sont constamment en mouvement et deviennent manipulateurs de marionnettes, tout en noir sur leur costume de scène. Les poupées à taille humaine sont parfois réduites à un visage qui emprunte les bras et les jambes des « koken » du théâtre japonais, pour s’animer.
Ainsi est présentée la mère biologique de Luz, qui appartient maintenant au monde des Morts… un magnifique personnage. Parfois ce sont de minuscules créatures comme celles qui représentent les grands-parents dans le petit théâtre d‘une valise ouverte. On voyage. Sur un petit drap tendu par deux acteurs, juste le nom projeté de la ville où se trouve l’enquêteuse, puis le drap s’envole. Et une autre aire de lumière s’ouvre : scènes jouées, conversations téléphoniques, voix off, jeu en ombres chinoises, entrée de Luz indiquant une piste au public.
Aucun pathos mais de petites lampes braquées sur les visages et jouant de leurs reliefs, évoquent aussi les interrogatoires… Carlos Bernardo,installé côté cour près des spectateurs, lance la musique qu’il a composée et introduit les sons. Eclairé par l’ordinateur, son visage et son regard sensible sont visibles et, à chaque seconde, il participe activement à cette quête collective de vérité.
Paula Giusti parle d’un « théâtre de l’urgence ». Urgence de rappeler que la démocratie est en danger, que les dictatures se renforcent, se défendent ou renaissent, menaçantes. Tout ici est fait ensemble, à la manière du Théâtre du Soleil et sans jamais nous plonger dans un désespoir inutile, en nous transmettant, grâce à cette démarche artistique et à cette invention créatrice, l’énergie dont nous avons besoin en ces temps obscurs…
Béatrice Picon-Vallin
Jusqu’au 26 novembre, Théâtre du Soleil, Cartoucherie de Vincennes, route du Champ de Manœuvre. Métro : Château de Vincennes + navette gratuite.
Luz ou le temps sauvage d’Elsa Osorio, traduit de l’espagnol, est édité chez Métailié.