Alfred et Violetta de Rezo et Leo Gabriadze (en géorgien surtitré)
Alfred et Violetta de Rezo et Leo Gabriadze (en géorgien surtitré)
Tbilissi, dans les années 90. Alfred et Violetta vivent un amour contrarié par la guerre civile qui éclate à la chute de l’Union Soviétique alors qu’Alfred est parti, invité en Italie à un congrès d’astronomie. De délicieuses marionnettes vont nous raconter leur histoire, inspirée par La Dame aux camélias d’Alexandre Dumas et son adaptation par Guiseppe Verdi La Traviata… Cette version actuelle est teintée du vécu de Rezo Gabriadze, longtemps exilé à l’étranger pour raisons politiques et qui retrouva son théâtre confié à un ami, après cinq ans d’absence, dont plusieurs en France.
Alfred et Violetta fut la première création du théâtre Gabriaze fondé par Rezo à Tbilissi en 1981, dans une petite salle en bois au cœur de la vieille ville. Le grand marionnettiste a remanié sa pièce peu avant sa mort en 2021: nouveaux décors, nouveaux personnages, nouvelles musiques, nouvelles lumières. Leo, son fils, héritier de son œuvre, en a repris la mise en scène et la première mondiale a eu lieu au Théâtre Goldoni, à Venise l’an passé.
Nous sommes accueillis devant le castelet par le vieux directeur du théâtre, une marionnette à la ressemblance de son créateur… Un peu distrait, il nous prie d’être indulgents. Puis le rideau s’ouvre sur les rues de Black Jack, un quartier populaire de Tbilissi où habite Violetta. Sous ses fenêtres, de petits personnages actionnés grâce à des fils et des tringles, bavardent, et parlent littérature et politique.
Les marionnettistes, dont nous devinons le visage et les mains, passent avec une dextérité exceptionnelle d’un personnage à l’autre. Et en un clin d’œil, ils changent les toiles peintes au graphisme coloré, plantent les éléments de décor. Sous leurs doigts agiles, tout s’anime et parle: un bavard et facétieux corbeau propage les nouvelles; un vieux cheval, survivant de Stalingrad dans un ancien spectacle (La Bataille de Stalingrad ) devient ici l’infirmière de Violetta ; la locomotive de Ramona qu’on a pu voir au festival d’Avignon, personnifie avec nostalgie l’ex-Union Soviétique.
Les détails pittoresques s’insinuent dans les tableaux successifs: une mouche taquine un dormeur, un oiseau batifole autour des amoureux, un pigeon s’insurge contre la vente du buste de Karl Marx sur lequel il est né. Et dans un castelet miniature, a lieu une scène parodique de La Traviata à la Scala de Milan. Ces incises poétiques insufflent humour et fantaisie à ce drame qui finira bien.
L’auteur a su créer un univers plastique et graphique singulier, doucement ironique où ses personnages attachants nous bercent dans la langue chantante de l’ancienne Colchide…«Quelle merveille d’être émerveillé ! » disait Peter Brook, quand il découvrit ce théâtre enchanteur dans les années 80 à Tbilissi. Nous espérons que Leo Gabriaze, par ailleurs réalisateur de films d’animation dont Rezo, un documentaire tourné à partir des souvenirs d’enfance de Rezo Gabriadze, continuera à faire rayonner le théâtre de son père.
Mireille Davidovici
Jusqu’ au 30 novembre, La Scala, 13 boulevard de Strasbourg, Paris (X ème). T. : 01 40 03 44 30.