GrandreporTERRE #8 Mémoire pour l’égalité contre le racisme, conception de Lucie Berelowitsch et Rokhaya Diallo

GrandreporTERRE #8 Mémoire pour l’égalité contre le racisme, conception de Lucie Berelowitsch et Rokhaya Diallo
Depuis qu’ils dirigent le Théâtre du Point du Jour à Lyon, Angélique Clairand et Eric Massé ont entamé une série documentaire rassemblant deux fois l’an des artistes et journalistes et que nous avons suivie avec intérêt (voir Le Théâtre du Blog). Ils font de ce lieu une maison de création, avec un programme en prise sur l’actualité et  tissent des liens avec des compagnies locales, hexagonales ou étrangères pour des projets socialement engagés.
Comment faire théâtre à partir d’éléments fournis par un journaliste? A chaque Grand ReporTERRE, sa solution. Pour Lucie Berelowitsch, placer Rokhaya Diallo dans un contexte professionnel, notamment dans des débats houleux quand elle intervient sur les plateaux de télévision pour l’égalité raciale, de genre, et religieuse. On peut entendre ses chroniques sur R.T.L. ,L.C.I., B.F.M. et C8 et sur le podcast Kiffe Ta Race (Binge Audio). Éditorialiste pour le Washington Post et chercheuse au Centre de recherches « Gender+Justice Initiative » de l’université privée de Georgetown à Washington, elle connaît bien les mouvements anti-raciaux et décoloniaux aux États-Unis comme en France. 
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Nous allons partir avec elle et la metteuse en scène sur les traces de ces mouvements en France: « Qui se souvient, dit-elle,  de la marche pour l’égalité et contre le racisme »? Thème du premier documentaire de la journaliste sur un événement né il y quarante ans après de rudes affrontements au quartier des Minguettes à Vénissieux (Rhône), puis sur le meurtre raciste d’un enfant de treize ans à Marseille.

De Marseille, ils partirent à dix-sept, dont neuf issus des Minguettes. A Paris, le 3 décembre, la marche qui a été accueillie partout avec bienveillance, s’achève par un défilé réunissant plus de 100.000 personnes.
Une délégation rencontre le président de la République François Mitterrand qui promet alors une carte de séjour et de travail valable dix ans une loi contre les crimes racistes, et un projet sur le vote des étrangers aux élections locales…
. Une époque où le groupe de raï lyonnais Carte de Séjour chantait ironiquement Douce France/ Cher pays de mon enfance…

Autres temps, autre mœurs: qu’ont à voir les manifestations contre les violences policières ou les récentes émeutes urbaines, quand Nahel Merzouk, un franco-algérien de dix-sept ans a été tué à bout portant à par un policier en juin dernier,  avec cette marche pacifiste inspirée par Gandhi et Martin Luther King?
Le mal profond de la société française s’exprime autrement. Pourquoi ?
« Qui sait, dit Rohkhaya Diallo, que, depuis 2006, le 10 mai est une « Journée nationale des mémoires de la traite, de l’esclavage et de leur abolition“ ? »  Même si la France est le seul État qui ait déclaré la traite négrière et l’esclavage:  » crime contre l’humanité » ,  pour cette journaliste:  «le suprématisme blanc tue toujours ».
De la répression coloniale, à la répression policière, il n’y a qu’un pas et elle évoque la carrière édifiante d’un Pierre Bolotte, chef adjoint du cabinet du préfet du Morbihan en 1944, sous Vichy, puis administrateur colonial en Indochine et Algérie. Nommé au secrétariat général du de la Guadeloupe en 1951, il fait tirer sur les manifestants, avant d’être nommé préfet de Seine-Saint-Denis et de créer la Brigade anti-criminalité (B.A.C.) trop connue des activistes d’aujourd’hui !
Pour aborder toutes ces questions, cinq chapitres ponctués par les chants de Cindy Pooch, accompagnée par Baptiste Mayoraz. Cette artiste lyonnaise née en France, s’inspire du gospel et des musiques du Cameroun où elle a grandi. Elle ponctue le spectacle de ses compositions et reprises de Nina Simonne et évoque aussi son itinéraire. Elle s’est longtemps sentie «invitée» en France, avant de s’interroger sur les questions d’un racisme systémique.
Lucie Berelowitsch et Rokhaya Diallo nous parleront aussi de la fameuse intersectionnalité, un concept popularisé par l’activiste afro-américaine Kimberlé Crenshaw, et désignant les formes croisées de domination, oppression et discrimination selon le genre, la race, la couleur, la religion, la sexualité …..

Un montage ironique d’extraits d’émissions télévisées montre le « manruppting », une pratique masculine: couper la parole aux femmes, en raison de leur genre. Nous voyons clairement des hommes interrompre Rokhaya Diallo, avec mépris et balayer ses arguments sans même l’écouter… On assiste aussi  à l’enregistrement d’un podcast intitulé SDDR, clin d’œil à l’article premier de la Constitution française: «sans distinction d’origine de race ou de religion ».

Enfin, une arrivée-surprise: Toumi Djaidja va recadrer le spectacle. « Bonjour, la France de toutes les couleurs » avait lancé à dix-neuf ans, ce fils de harki en tête de la marche des beurs pour l’égalité et contre le racisme.  Il avait initié cette action après avoir survécu à des blessures infligées par la police: « Il ne faut pas confondre la justice avec le vengeance. « Et à propos des récentes émeutes: «La haine déconstruit, la non-violence déconcerte, désactive la violence. » 

Quarante ans après, son message n’a pas changé: «Il faut continuer à marcher, une marche pour l’égalité pour tous, celle de la France que je chéris.» Pour conclure, un entretien filmé avec Angela Davis mené par Rokhya Diallo, il y a trois ans: «La négritude, dit la militante américaine, c’est se battre pour la liberté de tous. »

Avec ce Grand ReporTERRE, Lucie Berelowitsch,  Rokhaya Diallo et  Cindy Pooch réinterrogent avec humour et sensibilité les dominations et discriminations à la veille des nouvelles lois sur l’immigration.  Ces artistes engagées nous rapellent ces mots du grand auteur nigérian Chinua Achebe, : «Tant que les lions n’auront pas leur propre histoire,cl’histoire de la chasse glorifiera toujours le chasseur. »

 Mireille Davidovici

Spectacle vu le 8 novembre, Théâtre du Point du Jour, 7 rue des Aqueducs, Lyon (Vème). T. : 04 78 25 27 59.

Prochain Grand ReporTERRE : les 15 et 16 février.

 

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