Cartographie imaginaire, texte d’Yvan Corbineau, mise en scène d’Elsa Hourcade

Cartographie imaginaire, texte d’Yvan Corbineau, mise en scène d’Elsa Hourcade

2.7Au Soir -Cartographie Imaginaire   01

©Kalimba

Création du collectif Le 7 au Soir et troisième volet du récit d’Yvan Corbineau, La Foutue bande, de loin de la Palestine, qu’il a écrit lors de nombreux séjours en Cisjordanie. Cette “matière-texte“ a donné lieu au Bulldozer et l’Olivier (2017), et à La foutue Bande (2020), à la Scène nationale Culture commune (voir Le Théâtre du blog).
Depuis, cette «foutue» Bande de Gaza est dramatiquement foutue! Comment en parler aujourd’hui ? L’auteur quitte ici les rives du réalisme pour nous entraîner dans l’espace métaphorique d’un territoire mouvant, énigmatique où va se perdre un marcheur solitaire. La carte qu’il a en mains se dérobe à la lecture, faute de légendes et il se heurte à un mur sans issue, réduit à tourner en rond.

 «C’est l’histoire, dit Judith Morisseau, d’un chemin impossible pour les habitants d’un pays morcelé, ou celle d’un auteur égaré.» Comme Alice au pays des merveilles, la comédienne s’engouffre dans un labyrinthe semé d’embûches, représenté par les dessins qui s’inscrivent sur le tulle transparent de l’avant-scène. De petits objets, animés en direct par la graphiste installée à jardin, s’affichent aussi sur l’écran.
La comédienne doit jouer dans les plis et replis d’un immense drap blanc-le désert ?- manipulé à vue par Yvan Corbineau pour créer sans relâche des creux et des bosses, un ciel nuageux, et parfois engloutir la narratrice. Le marcheur anonyme, à la recherche d’une improbable sortie, nous emmène dans un rêve éveillé fantasmagorique où se confondent dans le texte et graphiquement, une multitude de points de vue, contrôle, départ, fuite, mais aussi de points d’orgue, de suspension… Sa carte devient illisible et il doit s’en remettre au hasard à coups de dé, ou consulter le
Livre des légendes qui tombe des cintres mais dont les tiroirs ne livreront pas leurs secrets. D’étape en étape, d’épreuve en épreuve, il revient sans cesse à son point de départ:  un rocher au pied d’un mur sans brèche.
Au gré de ce parcours onirique, Judith Morisseau reste à juste distance de son personnage et navigue avec grâce dans la danse infernale du décor et le paysage sonore crée et diffusé par Jean-François Oliver, parmi les dessins et projections d’objets ludiques imaginés par la scénographe Zoé Chantre, sous les lumières de Thibault Moutin. Une minutieuse coordination orchestrée par Elsa Hourcade.

Le collectif 7 au soir a entamé un long compagnonnage avec Culture Commune. Et le spectacle a eu lieu à l’Espace culturel Jean Ferrat à Avion, partenaire de cette Scène nationale multipolaire qui, de la Fabrique théâtrale de Loos-en-Gohelle ( Pas-de-Calais), rayonne dans l’ancien bassin minier de l’Artois.
Ce soir, les habitants d’Avion sont venus nombreux. Ils connaissent le travail de la compagnie, pour avoir élaboré pendant un an avec elle, un spectacle collectif en marge de la création de
Cartographie imaginaire. Des ateliers d’écriture et de jeu ont abouti à Chemins de traverse, joué par les habitants du quartier de la République avec pour thème, les parcours et itinéraires bouleversés à cause d’un environnement urbain en mutation.

Cartographie imaginaire a vraiment sa place dans cette municipalité communiste jumelée avec le camp de réfugiés palestiniens de Bourj El Barajneh au Liban et la ville de Qustra en Jordanie. Et cette fiction à la tonalité beckettienne nous renvoie avec élégance et pudeur à une situation sans issue. La poésie et la fantaisie constituent ici une échappatoire possible.

«Voilà que nous marchons en silence vers une dernière errance/ Nous nous tenons tous par la main/ Et nous avançons solitaires dans le désert du monde/ Peu nous importe désormais que quiconque nous aime.» C’est un extrait d’un poème écrit le 25 octobre dernier par l’auteur palestinien Samer Abu Hawwash, «dans un moment de douleur et devant le constat que le monde entier a abandonné Gaza ».

Mireille Davidovici

Spectacle vu le 10 novembre au Centre culturel Jean Ferrat, Avion (Pas-de-Calais). Les 30 novembre et 1er décembre, Les Passerelles, Pontault-Combault (Seine-et-Marne). T. : 01 60 39 29 90.

Les 1 er et 2 février, Théâtre Berthelot, Montreuil (Seine-Saint-Denis) T. : 01 71 89 26 70.

En mars, au festival MARTO dans le cadre de la Nuit de la marionnette.

Culture Commune-Fabrique Théâtrale, Scène nationale du Bassin minier du Pas-de-Calais, rue de Bourgogne, Base 11/19, Loos-en-Gohelle (Pas-de-Calais). T. : 03 21 14 25 35.

Foutue Bande, de loin la Palestine est publié aux éditions Passage(s).


Archive pour 14 novembre, 2023

Magie entre potes de Donovan Haessy

Magie entre potes de Donovan Haessy

Originaire d’Hartmannswiller, un village du Haut-Rhin près de Mulhouse, ce magicien de vingt-trois ans est très populaire chez les adolescents, avant même le charismatique Éric Antoine, et cela après seulement quelques années de pratique. Cette « star des réseaux sociaux» a 700.000 abonnés sur YouTube, 321.000 sur Instagram et plus d’un million sept sur TikTok. Spécialité : la magie de rue, très inspirée par celle de David Blaine qu’il admir

 

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Petit, Donovan s’intéresse au paranormal et veut devenir un super-héros. Quand il a onze ans, sa grand-mère lui offre sa première boîte de magie et apprend la prestidigitation avec des livres, des vidéos sur YouTube et Internet. L’année suivante, il commence à se produire dans les restaurants, et de treize à quinze ans, enchaîne les prestations dans la rue mais aussi dans son collège.
En 2015, premier solo et l’année 2017 sera décisive avec un passage à l’émission La France a un incroyable talent qui le révèle au grand public, jusqu’à la demi-finale. Il participe à FantaXYou2, un concours d’influenceurs sur Internet et il rencontre alors des personnalités du web, de la télé, de la chanson et du cinéma qui vont stimuler son ascension. Il y a cinq ans, la chaîne belge RTLTVI lui offre sa propre émission de télé où il réalise des tours dans la rue.
Puis il commence à se produire sur scène en Belgique. De 2021 jusqu’à l’an dernier, il fait une vingtaine de dates en France avant une résidence au Palace, pendant le festival off d’Avignon.

Deuxième saison à Paris pour ce spectacle après des représentations à guichet fermé au Métropole d’octobre 2022 à février de cette année. Il s’est installé à l’Apollo Théâtre (deux cent places), en résidence tous les mercredis cet automne et avec Magie entre potes, nous invite à une soirée genre intimiste qu’il a organisée dans son appartement. Ici, il a reconstitué un salon avec bar, tabourets… Dans son village, dit-il, il n’y a vraiment personne et rien à faire ! Il va demander leur participation à une dizaine de personnes.
«Les premières fois que je suis monté sur scène, dit-il, je n’étais pas bien, j’avais envie de vomir… des cartes!» (production de cartes à la bouche). Il demande au public comment il le connait et la majorité répond : par les réseaux sociaux.
Il se présente ensuite vite fait et dit qu’il vient d’un petit village alsacien où vient d’être installée la wifi 2G ! (il met son téléphone portable en équilibre sur l’index). Le magicien invite ensuite les spectateurs à se mettre à l’aise chez lui et, en retirant sa veste, fait apparaître de sa manche, une grande bouteille dHeineken, mécène de cette soirée.

A dix ans, Donovan avait commencé à faire des tours. Sa première spectatrice qui ne voyait pas grand-chose (cela l’arrangeait bien), fut sa grand-mère… Il utilise des cartes dites jumbo, toutes différentes et qu’il fait défiler. Puis, il va en faire choisir une, à une spectatrice qui jouera le rôle de sa mamie. Il montre ensuite la carte choisie imprimée sur le dos de son T-shirt.
Donovan Haessy l’ouvre et en tire deux foulards qui changent à l’instant même de couleur. Il enclave ensuite deux anneaux chinois et montre malheureusement le truc comme jadis Éric Antoine. Et il réarrange un Rubik’s cube mélangé.
Le magicien met ensuite une cassette audio dans un poste : un anachronisme puisque dans les années 2010, il n’y avait plus de bande magnétique mais plutôt des CD) et il suit les instructions d’une voix pour manipuler un foulard et une banane qui se plie en deux pour être empalmée et disparaître grâce au foulard.

Entre sur scène Kilam, son colocataire et assistant; l’air ahuri, il débarrasse les accessoires. Donovan Haessy répète qu’il s’agit de sa première soirée entre potes et que dans son village de six cent soixante-quatre habitants, les adolescents ont tous quarante-cinq ans! Il demande à deux célibataires majeurs de venir sur scène pour une expérience fondée sur des tests de la NASA pour savoir si des ingénieurs peuvent aller vivre ensemble dans l’espace.
Le magicien présente des caleçons et chaussettes de toutes les couleurs sur un étendoir. La fille et le garçon mettent tout le linge dans une panière et le mélangent. Ils prennent ensuite au hasard et les yeux fermés, un caleçon et une chaussette pour voir s’ils correspondent. Malheureusement ce ne sont pas les mêmes motifs et le plan de rencart a foiré! Mais pas pour tout le monde! Il va montrer qu’il porte la même paire de chaussettes et le même caleçon choisis. Il peut donc, soit repartir avec le garçon, ou avec la fille… Cette séquence présentée avec humour, est en fait l’adaptation du vieux tour dit « à l’enveloppe » , ici transposé avec un panier à linge.

« Dans toutes les soirées, dit le jeune magicien, il y a une contre-soirée où quelques-uns se mettent à l’écart pour discuter d’autre chose.» Et il propose à trois spectateurs une séance de spiritisme pour «s’ambiancer » façon Halloween (nous sommes le 1er novembre). Mais il faut être majeur et exempt de pathologie cardiaque.
Il leur demande quelle est leur passion dans la vie et il fait assoir une jeune femme bras tendus et les yeux fermés sur une chaise au milieu de la scène. Et il prie  la deuxième personne assises aussi sur un tabouret, de se tenir de la même façon et il la touche avec une carte à jouer sur l’avant-bras, ce que ressent la jeune femme à distance. Et ensuite la troisième personne s’assied sur la chaise pour une nouvelle expérience avec Lucie, une poupée vaudou du XVIII ème siècle.
Donovan Haessy établit alors un contact visuel entre la personne et la poupée pour qu’elles soient connectées. Il passe la flamme d’un briquet au dessus de la main de la poupée jusqu’à la brûler et y faire une marque noire… qu’on verra dans la main de l’autre spectateur assis.
Pour terminer, une grande aiguille est piquée sur les fesses de la poupée et au même moment, le spectateur sursaute sur sa chaise. Pour remercier ses invités, le magicien leur offre une bière ou un Fanta… et extrait un Donut de sa bouche.
Cette séance spirite détonne un peu mais est rondement menée avec une belle progression dramatique et Donovan Haessy utilise des techniques simples bien présentées (PK touch, Le tour de la cendre-Vaudou) et la chaise électrique pour une fois « bien » justifiée, même si cela reste douloureux pour le spectateur…)

Aux mêmes invités, il propose un jeu de chaises musicales avec deux tabourets. Le dernier qui arrive à s’assoir dessus, gagne un paquet de chips… Musique ! Les invités tournent et deux arrivent à s’asseoir. Un tabouret est retiré et ne reste finalement plus qu’une jeune femme assise. Elle gagne le paquet de chips contenant une petite enveloppe avec un mot écrit : «Bravo, tu as gagné 1.000€… Sauf, si tu t’appelles Maëlle, si tu portes des lunettes et si tu as gagné un paquet de chips. » (description exacte!)

 Donovan Haessy parle de la magie qu’il préfère et qui l’a fait connaître sur les réseaux sociaux, celle de rue. Il propose à ses invités d’en réaliser un tour sur scène et demande à son colocataire Kilam de lui apporter des accessoires qui « fassent rue », comme ce grand panneau signalétique bleu de parking. On entend alors un fond sonore de voitures. Pour faire monter au hasard une personne sur scène, un nounours géant est lancé deux fois dans la salle et tombe sur un jeune garçon. Donovan Haessy lui demande de choisir entre les familles d’un jeu de cartes (pique, cœur, carreau ou trèfle), ainsi qu’une valeur. Le garçon est invité à regarder dans le dos du nounours où se trouve un jeu de cartes dans un étui. Le magicien révèle la carte choisie, seule carte retournée face en bas dans le jeu (effet Brainwave).

 Il invite ensuite une jeune femme à qui il offre une boisson comme à chaque invité et il propose de montrer une technique pour draguer les filles. Il fait choisir librement à une spectatrice une carte dans un jeu jumbo, puis la lui fait signer. Il plie la carte en quatre et la met dans la bouche de la spectatrice.
Donovan Haessy fait de même avec une carte d’un jeu normal, la signe, la plie et la met dans sa bouche. Il s’approche alors doucement de la carte de la jeune femme et au contact, les deux cartes avec leur signature qui se transpose, changent de place !
Donovan Haessy garde avec lui le jeune garçon et lui demande s’il aime les super-héros et les mangas. Il lui dit qu’enfant, il rêvait d’avoir un super-pouvoirs tel celui de voler comme Spiderman.
Le garçon est alors invité à choisir un manga parmi six et de dire stop sur une page qu’il a choisie, en mémorisant un objet dessus. Le magicien va lire maintenant dans ses pensées en annonçant quelques lettres et en écrivant exactement sur une ardoise l’objet choisi !  Il offre au garçon un bandana (son ancien objet fétiche estampillé « Donovan ») pour lui transmettre ses super-pouvoirs et lui propose de l’aider à faire léviter un tabouret de bar avec la veste du magicien posée négligemment dessus….Une judicieuse variation de la table flottante (Floating table de Dirk Losander), avec un autre petit meuble et une veste, en guise de nappe.

 « Il y a toujours, dit-il, un mec qui reste et traîne en fin de soirée ; il tape l’incruste quand on a déjà tout remballé ». Ce mec, c’est Kilam, invité à ranger l’appartement  mais rien ne va se passer comme prévu…avec Donovan Haessy, il prend bien des rouleaux de papier cuisine pour nettoyer mais ils boivent aussi un dernier verre… là, les choses dérapent avec l’apparition d’une grande bouteille de bière ! Les compères entament alors une chorégraphie avec leur rouleau respectif pour réaliser des transpositions de verre et de bouteille, puis produisent une quinzaine de bières avec plusieurs rouleaux sur une musique rythmée et entraînante. C’est encore une fois une astucieuse adaptation du tour : la multiplication de bouteilles,avec, à la place des tubes en carton qui ne veulent rien dire, un objet usuel qui fait sens.

 Donovan Haessy parle du syndrome contemporain d’immortaliser les choses avec smartphones et réseaux sociaux. Il réalise qu’il est suivi par un million de personnes… Un peu plus que les habitants de son village alsacien ! Toutes ces personnes sont en train de changer sa vie et il les remercie.
Il propose ensuite de réaliser une photo-souvenir Instagram avec ses invités et propose à une spectatrice de s’asseoir sur un tabouret. Il écrit trois mot sur une ardoise mais cachés et lui donne un morceau de papier plié.
Le magicien va maintenant faire choisir trois images d’une série de trois qu’il tire d’un carton à dessin : une ville, un costume et un accessoire.
Les images choisies aimantées sont mises sur le panneau de signalisation pour constituer une image composite décalée (Donovan Haessy en habit de paysan avec un bouclier à New York). Le papier de prédiction est déplié et il y est écrit : « non » (en rapport à la question : as-tu deviné l’image ?).
Ensuite l’ardoise retournée fait apparaître les trois mots qui correspondent parfaitement au choix de la spectatrice. Sur le papier à nouveau déplié, apparaissent maintenant les trois mots identiques et une grande photo A3 correspondant à l’image composite !

 Nous sommes arrivé avec beaucoup de réserves à ce spectacle : la surexposition de Donovan Haessy sur Internet et dans les médias ne présageait pas une conversion scénique réussie. Il y a énormément d’offres de magie sur les réseaux sociaux, jusqu’à l’indigestion. Mais très peu d’élus qui passent du virtuel, au réel : la magie n’est en effet pas la même derrière une caméra avec un point de vue unique, ou à la télévision avec une gestion à 360° des angles morts, ou sur une scène quand il faut construire une mise en scène et à établir une connexion avec la salle.

Nous avons craint le pire au début du spectacle, quand Donovan Haessy reprend certains effets de magie de rue  très basiques et effectue des tours sortis d’une boîte  ringarde, mais après la première séquence, le ton change et il y a des trouvailles originales. Et nous sommes sorti de ce spectacle d’une heure quinze avec une irrésistible envie de mordre la vie à pleine dents.
Au-delà des tours réalisés, Donovan Haessy transmet une joie de vivre, une énergie, avec un sourire ravageur et un charmant petit accent alsacien. Il a un capital sympathie énorme et essentiel pour être populaire et être aimé.
Cela se confirme quand il fait monter sur scène et qu’il traite comme ses potes : avec bienveillance, sincérité et sens de la communication. Après le spectacle,  il n’hésite pas à rencontrer avec une grande humilité le public et signe des autographes, se fait prendre en photos. Il semble vivre ce succès avec un certain détachement…

Nous souhaitons à ce jeune et talentueux magicien  qui connaît une exceptionnelle ascension, de toujours garder la même humilité.

Sébastien Bazou

Spectacle vu le 1er novembre à l’Apollo Théâtre,  18 rue du faubourg du Temple, Paris (XI ème). T. : 01 43 38 23 26.

 

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