Festival d’Automne Angela (a strange loop), conception, texte et direction de Susanne Kennedy, conception et mise en scène de Markus Selg (en anglais surtitré)

Festival d’Automne:

Angela (a strange loop), conception, texte et direction de Susanne Kennedy, conception et mise en scène de Markus Selg (en anglais surtitré)

 «C’est quoi ce bordel.» dit un comédien vers la fin de la pièce mais en voix enregistrée en studio comme pour ses camarades. Une voix retravaillée par les créateurs et par Richard Janssen, designeur sonore. «Le temps se transforme en espace. (…) Tu dois accoucher de toi même (…) Pour se défaire d’un tourment, il faut commencer quelque part! Tu as toussé un bébé. »
Susanne Kennedy, quarante-sept ans, est une créatrice allemande qui, en 2019, a conçu avec l’artiste Markus Selg, Coming Society, un projet de théâtre interactif présenté à  la Volksbühne de Berlin.
Angela (a strange loop) a été créé au dernier festival d’Avignon, un texte d’inspiration surréaliste de Susanne Kennedy sur la vie d’une jeune influenceuse atteinte d’un covid long qui, dit-elle, s’apparente presque à une maladie auto-immune où le corps lutte contre lui-même. Le virus est parti depuis longtemps mais le corps d’Angela surréagit. Durant le confinement, je me suis beaucoup intéressée à l’explosion sur les réseaux sociaux, du phénomène des influenceurs.
J’ai suivi certains des comptes où les gens parlaient beaucoup d’eux-mêmes et parfois de leurs maladies et j’y ai trouvé des pistes fascinantes pour imaginer ce personnage d’Angela. Je me suis aussi beaucoup intéressée au Théâtre et la Peste d’Antonin Artaud. Selon lui, la maladie affecte le corps, mais aussi la société. »

© Julian Röder

© Julian Röder

Quand ils veulent faire du théâtre « décalé », certains se réfèrent toujours à Antonin Artaud, sans en avoir en rien son génie…. Ici, malgré un parti pris de non-jeu, il y a la belle présence d’Ixchel Mendoza Hernández (Angela) et la qualité-voix et violon-de Diamanda La Berge Dramm, une étrange femme à moitié nue et le crâne totalement rasé.Qui incarne-t-elle? Un ange tombé du ciel ou  l’inconscient d’Angela… En tout cas, elle est surprenante et capte les regards.
La scénographie s’inspire de l’esthétique des jeux vidéo, avec couleurs flashy très mode et projections en trois D dans une cuisine fonctionnelle Ikea, puis dans les mondes colorés et hypnotiques de la science-fiction.

Mais cet objet théâtral expérimental distille un ennui profond, malgré sa relative courte durée (une heure quarante ! ). Une fois raccourci, il aurait -peut-être- une place comme performance dans un musée d’art contemporain. Son « esthétique » marquera éventuellement la mémoire des seuls spectateurs qui n’ont pas dormi. Après le spectacle, certains vont sur le plateau vérifier la réalité des éléments de décor et les accessoires. Prêts à les acheter ?

 Jean Couturier

Jusqu’au 17 novembre, Odéon-Ateliers Berthier, 1 rue André Suarès, Paris (XVII ème). T. : 01 44 85 40 40.

 


Archive pour 15 novembre, 2023

Un Pas de chat sauvage de Marie NDiaye, adaptation de Waddah Saab, Blandine Savetier, mise en scène de Blandine Savetier

Un Pas de chat sauvage de Marie NDiaye, adaptation de Waddah Saab, Blandine Savetier, mise en scène de Blandine Savetier

 La metteuse en scène, comme l’autrice, ont été artistes associée au Théâtre National de Strasbourg sous la direction de Stanislas Nordey. Blandine Savetier  a présenté  dans ce lieu Love and Money de Dennis Kelly en 2014, et créé Neige d’Orhan Pamuk en 2017, L’Odyssée d’Homère en 2019 et 2020, Nous entrerons dans la carrière (voir Le Théâtre du Blog) l’année suivante et sa dernière création, Un pas de chat sauvage, de Marie NDiaye, en Mars 2023. Elle a choisi d’adapter ce récit,  envoûtant et d’une grande finesse littéraire, en théâtre musical. Un pari esthétique risqué mais assumé et réussi !

La narratrice, une professeure d’université et chercheuse, veut écrire un roman sur Maria Martinez, chanteuse cubaine, surnommée la Malibran noire. Mais elle ne trouve pas l’inspiration. Son roman stagne et l’angoisse de la page blanche entraîne la chercheuse dans un espace intérieur insupportable. Première étape d’un cheminement existentiel qui va s’avérer plein de mystères et de moments cruels.
Fascinée par Marie Martinez, la narratrice n’est pas la seule! Elle reçoit un courrier électronique d’une femme se faisant appeler Marie Sachs qui lui demande où elle en est dans ses recherches… Comment sait-elle qu’elle veut écrire un livre sur cette chanteuse noire? Premier mystère ! La narratrice refuse de lui répondre, puis finit par lui envoyer un message.
Marie Sachs et Marie Martinez: même prénom, et comme la Malibran noire, chanteuse! Elle invite la romancière  en mal d’inspiration, à venir la voir chanter au cabaret de l’Alhambra. C’est le premier des trois tours de chant auxquels Marie Sachs la convie. Ces moments de cabaret comme les actes d’une tragédie, font progresser en intensité tragique, leur relation et leurs destinées dionysiaques.

L’existence et le rapport à l’autre face au modèle, l’idole : La Malibran, -rapport mimétique à souhait, la narratrice est à la fois fascinée et rebutée par Marie Sachs - vont se manifester crescendo en ne cessant d’accroître le sentiment de cette passion effrénée pour Marie Martinez, vécue par les deux femmes. La narratrice : l’ intellectuelle, Marie Sachs : l’artiste, deux univers opposés : celui d’Apollon et celui de Dionysos. 

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Studio ERE

Marie Martinez  a existé et est dans le récit, un personnage testamentaire. Cette singularité du personnage dramatique donne à la pièce,  la capacité de faire revivre notre XIX ème siècle, à travers l’existence de la Malibran. Cette pièce musicale est aussi documentaire. Personnage mythique, la  chanteuse et guitariste est née en 1820 à La Havane et a vécu à Paris, aux Etats-Unis et en Angleterre, avant de mourir mystérieusement.
Nous ressentons la dimension tragique du récit, les tempéraments forts et si différents, les obsessions et angoisses intimes des personnages. Natalie Dessay dans son interprétation de la chercheuse universitaire est bouleversante ! Marie NDiaye a écrit ce  Pas de chat sauvage avec une grande sensibilité, un esprit pertinent, et peu commun. Blandine Savetier a su, en nuance subtile,  traduire le colonialisme, le statut de la femme-artiste, le racisme, la puissance et l’insolence de l’art face à la bourgeoisie, la difficulté d’être soi, le rapport à l’autre, la jalousie…La transposition, du texte à la scène, en le geste artistique et politique de la metteuse en scène, fait vibrer et résonner avec perspicacité toute la théâtralité enfouie dans le texte littéraire et poétique de Marie NDiaye.  

Marie, prénom de femme, prénom sacré: Sainte-Marie, est porté par les trois personnages féminins : deux artistes et une intellectuelle, le théâtre et la vie réelle se retrouvent ! Et nous restons fascinés par la beauté et justesse de cette mise en vie de leur destin incroyable. 
Décor sobre mais d’une grande intensité : juste un piano entre la scène et les gradins, et une toile sur laquelle est reproduite la salle à l’italienne de l’Odéon à Paris…
A mesure que la pièce évolue, la toile s’affale et laisse apercevoir en fond de scène, la loge de l’artiste faiblement éclairée par une lampe de chevet avec quelques photos et un tableau de Marie Martinez par le célèbre photographe Nadar. Autre élément marquant, la projection en fond de scène d’une photo cadrée sur un  regard profond aux yeux d’une douce beauté mélancolique, et noble.  
Le public est émerveillé par les chants et les danses interprétés avec grâce et joie par Anne-Laure Segla et à un moment marquant par Natalie Dessay.  Une surprise : la présence inattendue et bienvenue du compositeur de la musique, Greg Duret. Il est aussi personnage du spectacle ! Magicien, diablotin, meneur de revue, bigarré et burlesque, il incarne l’art du théâtre et ses masques. La comédie prend place dans le drame tragique…

La scénographie de Simon Restino et la mise en scène de Blandine Savetier mettent en valeur la dimension dionysiaque du récit. Les costumes inventifs aux merveilleux et élégants tissus, variés en terme de style et plein d’élégance mais aussi d’humour, et en parfaite résonance avec les contextes de l’histoire,  la création des lumières de Louisa Mercier, un jeu subtil entre le sombre et les rouges, le vert et le noir et blanc, laissent éclater les tourments profonds mais aussi le lien violent entre Marie Sachs et la narratrice, et l’irrésistible appel de l’autre.
La musique originale en live sur scène de Greg Duret et tout l’univers sonore : les bruits, les cris, sont d’une force rare tout comme les moments chorégraphiques, d’une poésie et d’une maîtrise exceptionnelles. 
La danseuse, chanteuse et comédienne Anne-Laure Segla reprenait ce soir-là pour la première fois le rôle. Superbe performance ! 

Nous sommes à la fois touchés et fascinés: la puissance de l’art se heurte ici avec un violent désir, à celle de la connaissance. La sensibilité et la beauté de cette pièce musicale, sa fougue et sa liberté de ton, son sens de la vie indépendante de tout système, son écoute des lointains et son « pas de chat sauvage » rappellent au public enthousiaste qu’on ne peut supporter le chaos de l’existence sans «ce mensonge utile» et esthétique de la transfiguration poétique. Ce spectacle avec le jeu puissant de tous les comédiens-chanteurs,  traduit la beauté, l’émotion et la pensée d’un récit captivant, ici transposé à merveille sur scène…

 Elisabeth Naud

Spectacle créé au T.N.S. à Strasbourg et vu à la Maison de la Culture de Bourges (Cher) le 8 novembre.

Le 15 novembre, Le Carreau, Scène Nationale de Forbach (Moselle).

Du 12 au 22 mars, Théâtre des Bernardines-Les Théâtres, Marseille (Bouches-du-Rhône).

Du 29 juin au 21 juillet, Théâtre des Halles, Avignon (Vaucluse).

Le texte de Marie NDiaye est publié aux éditions Flammarion.

Hélène après la chute,texte et mise en scène de Simon Abkarian

Hélène après la chute, texte et mise en scène de Simon Abkarian

L’auteur-metteur en scène et ancien acteur du Théâtre du Soleil, avait créé en 2012 Ménélas Rebétiko Rhapsodie le roi de Sparte blessé se confiait sur l’enlèvement d’Hélène, sa femme par le jeune et beau Pâris, fils de Priam, roi de Troie. Puis une version de la fameuse tragédie de Sophocle avec Électre des bas-fonds.
Ici, la guerre de Troie entre Grecs et Troyens est finie, Pâris, l’amant de la belle Hélène  est mort au combat et elle retrouve Ménélas retrouve dans sa chambre, celle de Pâris. Rideaux rouge et bleu, murs dorés, miroirs un peu partout comme dans un bordel au luxe bien vulgaire, grandes portes en fond de scène coulissantes avec ensuite, une grande statue noire amputée des bras, un grand canapé monté sur roulettes (Hélène y restant assise ou pas ou avec Ménélas, c’est selon).

© Antoine Agoudjian

© Antoine Agoudjian

On le sait, ce genre de clin d’œil scénographique, ici très appuyé ! fonctionne rarement au théâtre ou alors il y faut du génie et il écrase ici les protagonistes. L’ensemble du décor aussi imposant que laid, ne facilite en rien le jeu des acteurs. Et côté costumes, Hélène (Aurore Frémont) aux longs cheveux blonds mais (mal) décolorés est en maillot de bain noir, les seins presque nus  et vêtue d’un long manteau, avec de hautes chaussures dorées. Comme le tissu du grand canapé, lui aussi doré comme les murs… Tous aux abris. La tenue militaire de Ménélas (Brontis Jodorowsky)- un habit bleu foncé (à boutons eux aussi dorés)  et un grand manteau de tulle noir)- est sobre et plus convaincante !

Un bon argument de pièce et  à notre connaissance, pas exploité. Là, Simon Abkarian a visé juste. L’ancien couple qui s’est autrefois aimé, se retrouve après dix ans d’une guerre terriblement longue et épuisante pour leurs pays. Ménélas a été blessé physiquement et moralement mais cherche quand même à revoir Hélène. » Tu es parie sans te retourner et moi j’ai souffert sans désir de guérison. (…) Vous avez embarqué en dansant, enlacés l’un dans l’autre. L’au n’efface rien, tout est gravé dns mes yeux. Ce matin-là, debout sur la jetée, j’ai cessé d’être Ménélas. Ce matin-là, le roi de Sparte est tombé à genoux dans le creux d’une vague qui s’échouait sans fin. » On le devine, les retrouvailles ne vont pas être des plus faciles (sinon il n’y aurait pas de pièce!) et une joute verbale commencera très vite entre eux…
Les personnages tragiques féminins, contrairement à ce que l’on dit souvent, ne manquent pas dans le théâtre antique. Et cela dès Eschyle, avec dans Les Perses, Atossa, la vieille reine sublime et mère de Xerxès, puis dans Les Sept contre Thèbes, Ismène et Antigone, dans L’Orestie: Clytemnestre, Electre, Cassandre, la déesse Athéna et les terribles Euménides. Et chez Sophocle, de nouveau, Electre, Antigone, mais aussi Jocaste.
Et chez Euripide, encore Electre et Clytemnestre, mais aussi Andromaque, Hermione, Alcmène, Vénus, Phèdre, Diane, Les Bacchantes, et encore Antigone et Ismène  Et Hélène, personnage d’une tragédie éponyme (pas la meilleure du grand dramaturge…) Et c’est bien une des rares Hélène avec celle de L‘Iliade d’Homère avec celle de la célébrissime opérette La Belle Hélène de Jacques Offenbach…

Simon Abkarian lui, habilement, fait se retrouver dans une après-guerre Ménélas et Hélène.  Avec leurs vies respectives depuis dix ans, leurs promesses, leurs souvenirs, leurs échecs et leurs reproches et qui sait, peut-être un vieux reste de passion amoureuse… ils ont sûrement des choses à se dire. Mais pourquoi Pâris tient-il à revoir Hélène qui n’est sûrement plus celle qu’il a connue. «Pourquoi m’as-tu fait venir? dit-elle Que veux-tu de moi ? Que vas-tu faire de moi ? »
Dans la légende homérique, Ménélas pardonnera à Hélène. Ils mettront huit ans à revenir à Sparte, après avoir connu diverses errances en Méditerranée.
Et elle aurait alors été une épouse fidèle.
Ici, Pâris lui fait bien comprendre que, guerrier accablé par le temps à faire cette guerre, il reste aussi un homme juste et doux… Mais elle doit aussi admettre qu’il a tout pouvoir sur celle qui a vécu avec un homme du camp adverse.
Qu’ont-ils à gagner l’un et l’autre à ces retrouvailles? Pourront-il refaire l’amour ensemble? «Ce qui m’a toujours ému dans les tragédies, ce sont ces moments fatidiques où le temps s’arrête et où les personnages qui sont censés être l’un à l’autre, ne savent plus se reconnaître, dit subtilement Simon Abkarian.  Ils ne savent plus croire ni au retour ni à la résurrection de l’autre. Malgré leurs yeux et leurs oreilles, ils nient l’évidence même de la présence et exigent autre chose qu’un corps. Ce qu’ils veulent, c’est un souvenir venu du fond de leurs mémoires, un récit qui saurait déjouer les doutes les plus coriaces, un secret qui les lierait dans la nuit de leurs étreintes perdues. »

Simon Abkarian brode avec subtilité  (les dialogues poétiques ont quelque chose de La Guerre de Troie n’aura pas lieu de Jean Giraudoux) sur l’histoire de cette Hélène devenue, après la mort de Pâris, la femme de Déiphobos, un autre fils de Priam. Mais une fois finie la guerre de Troie, elle retrouva Ménélas qui la ramena dans son palais à Sparte, après huit ans de voyage. Ici, nous la voyons seulement partir avec lui , la main dans la main vers la grande porte du fond, une  très belle image…
Cela dit, la mise en scène est loin d’avoir la même qualité que le texte. Mais surtout la direction d’acteurs est aux abonnés absents! Brontis Jodorowsky a une présence indéniable mais laisse souvent tomber ses phrases dans sa barbe.
La qualité de la gestuelle d’Aurore Frémont ne laisse aucun doute (merci l’Ecole Jacques Lecoq) mais, côté diction là, cela ne va ps et on l’entend souvent très mal. Sauf, quand à de rares moments, elle est face public. Simon Abkarian doit revoir les choses en urgence: c’est vraiment dommage que ce texte intéressant soit aussi mal dit. Alors à vous de voir si cela vaut le coup mais vous l’aurez compris, ce spectacle est bien décevant et la salle était loin d’être pleine!

Philippe du Vignal

Jusqu’au 25 novembre, Théâtre de l’Athénée-Louis Jouvet, 2-4 Square de l’Opéra-Louis Jouvet,  Paris (IX ème). T: 01 53 05 19 19.

Le 15 décembre, Théâtre de Suresnes ( Hauts-de-Seine).

Les 19, 20, 21 et 22 décembre, La Criée-Théâtre national de Marseille. Le texte de la pièce est édité chez Actes-Sud-papiers.

 

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