Sierras et Songlines deux créations de chorégraphes italiens avec le Ballet de Lorraine
Sierras et Songlines deux créations de chorégraphes italiens par le Ballet de Lorraine
Petter Jacobsson, directeur du Centre Chorégraphique de Lorraine, propose une danse contemporaine libre de toute école formelle et invite des artistes venus d’horizons variés. Comme Maud Le Pladec dont Static Shot qui connait une belle carrière (voir Le Théâtre du Blog). La troupe dont nous avions salué les talents, s’engage ici avec énergie dans ces courtes pièces qui se répondent par leur caractère atmosphérique.
SIERRAS danses atmosphériques, chorégraphie de Michele Di Stefano, musique de Lorenzo Bianchi Hoesch
Sur le sol et le fond de scène blancs brutalement éclairés, vingt-quatre interprètes dans une froideur crépusculaire. Musique cristalline. Les corps, avec une étonnante légèreté, évoluent dans un espace mouvant soumis à de constantes variations de lumière, couleur avec des LED passant par toutes les nuances de l’arc-en-ciel et intensité sonore.
Les danseuses et danseurs se dispersent puis se rassemblent, électrons vibrionnant dans un ordre aléatoire et souvent à contrejour. Ils semblent libres de leurs mouvements, en les répétant tout au long de la pièce sur différents tempos et en se les communiquant dans une solitude partagée. A partir de phrases définies et affinées par eux-mêmes, ces artistes articulent leur gestuelle en fonction d’un environnement instable.
La dramaturgie de Sierras repose donc sur un changement continu d’atmosphère, grâce à la création-lumière de Giulia Broggi, en phase avec les nappes sonores répétitives de Lorenzo Bianchi Hoesch. « La prise de décision que je demande aux danseurs et danseuses en temps réel transforme chacune des phrases en motifs d’ordre presque météorologique, dit le chorégraphe, je qualifierai ces danses d’atmosphériques: elles requièrent un état de corps très précis qui dépasse les simples techniques d’improvisation et transforme l’essence même de l’anatomie.»
En trente-trois minutes, on passe d’un paysage hivernal à un fond sous-marin, de la chaleur dorée de l’été, au rougeoiement d’un coucher de soleil… Aux interprètes de broder avec leur propre dynamique, sur la nudité de ces sites sonores et lumineux. Avec une chorégraphie acérée, Michele Di Stefano met en valeur la personnalité et le style de chacun. Après des études sur le théâtre expressionniste allemand et une expérience de chanteur dans un groupe de new wave, il a eu envie de mettre en valeur des présences scéniques. Avec sa compagnie de danse contemporaine mk, il explore les états des corps.
Bermudas, une création récente, traitait du mouvement perpétuel. Lauréat du Lion d’argent pour l’innovation en danse, à la Biennale de Venise, il est aujourd’hui artiste associé à la Triennale de Milan.
Songlines chorégraphie de Marco Berrettini musique de Daniel Brandt et Paul Frick
Un sol noir luisant où les corps se réfléchissent comme dans un miroir. Les interprètes s’aventurent portés par une musique disco, en ensemble pastel, bleu, jaune ou rose, façon survêtements chics et en chaussures à paillettes.
On les croirait dans un boîte de nuit, à esquisser des pas et à chercher leur place dans les carrés de lumière. D’étranges mouvements parcourent leurs corps quand ils s’approchent les uns des autres, comme électrisés. Puis ils vont défiler à marche forcée dans un «moonwalk» continu (une rétro-glissade avec un pas glissé vers l’arrière) avant de se laisser aller au sol pour un long temps de repos. Quand ils se relèveront, ils iront à reculons d’une coulisse à l’autre, avec de petits gestes libératoires.
Enfin, après un noir sec, nous les retrouvons de l’autre côté du miroir : derrière la toile du fond qui s’est levée, dans un paysage onirique, sous des baudruches dorées bougeant comme des poissons dans un aquarium. Des couples se forment à l’avant-scène avant de se figer en plein élan: arrêt sur image. Puis une grosse chenille argentée rampe en crissant dans le silence.
Le chorégraphe joue des contrastes entre mouvements mécaniques et moments de relâchement. Le titre :«chant des pistes» fait référence au livre de l’Anglais Bruce Chatwin consacré aux rapports des Aborigènes d’Australie avec leur territoire. Ces peuples nomades vivent l’espace comme un labyrinthe de sentiers invisibles qui serpentent dans tout le pays et qui les mènent vers le « voie du savoir ». Sur les pas de leurs ancêtres, ils suivent ces pistes de rêve en chantant.
«Je voudrais transposer ici les questions évoquées par Bruce Chatwin, dit Marco Berrettini : pourquoi l’homme est-il le plus agité et le plus insatisfait des animaux? Pourquoi les errants conçoivent-ils le monde comme parfait, alors que les sédentaires essaient toujours de le changer?» Pour y répondre, il laisse aux danseurs le champ libre pour faire surgir des moments de rêverie, au milieu d’une apparente rigidité.
Le chorégraphe italien né en Allemagne a dansé pour de nombreux chorégraphes en Europe dont Georges Appaix, François Verret et Pina Bausch. En 1986, il a fondé sa compagnie Tanzplantation, renommée ensuite Melk Prod et travaille aujourd’hui en Suisse.
Ici, Il n’utilise pas une grammaire fixe mais cherche à mettre en place des climats ouverts aux actions de ses danseuses et danseurs, vus comme «un organisme doté d’une intelligence propre». Une fois de plus, le Ballet de Lorraine relève le défi avec une belle cohésion.
Mireille Davidovici
Spectacle vu le 12 novembre, à l’Opéra national de Lorraine, place Stanislas, Nancy (Meurthe-et-Moselle).
Ballet de Lorraine, 3 rue Henri Bazin, Nancy. T. : 03 83 85 69 00.