Par Autan, mise en scène et scénographie de François Tanguy

Par Autan, mise en scène et scénographie de François Tanguy

Des bourrasques amènent puis emportent les sept interprètes: un défilé permanent mais en constante transformation. La dernière fabrique d’images de François Tanguy décédé il y juste un an, nous plonge dans un tourbillon poétique et nous saisit d’émotion. L’autan, ce vent du Sud, dit le «vent des fous», a donné  son  titre à une dramaturgie éolienne où les rafales dispersent éléments de décor et acteurs, avant de les rassembler en de nouveaux paysages qui se transforment à vue avec des châssis qu’on installe. Dans cette boîte à jouer, évoluent Frode Bjørnstad, Samuel Boré, Laurence Chable, Martine Dupé, Erik Gerken, Vincent Joly et Anaïs Muller.

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© Lestournet 

Le metteur en scène, lors d’un atelier au Théâtre des 13 Vents à Montpellier, avait tendu des draps entre quatre arbres mais le vent s’est levé, bousculant tout… Restait à imaginer pour ce Par Autan, des séquences où les acteurs en costumes comme sortis des malles d’un vieux théâtre, jouent brièvement les personnages échappés de la bibliothèque de François Tanguy… Pour un voyage aux climats variables: le cimetière du Prince de Hombourg, les paysages impressionnistes au bord du lac Léman des Microgrammes de l’écrivain suisse Robert Walser (1878- 1956)  ou une auberge des Alpes.
On entend aussi les affres métaphysiques des hommes envoyés par Richard III assassiner Clarence, la confession et sa parabole du petit oignon de
Grouchenka des Frères Karamazov Et le duo Vladimir/Estragon d’En attendant Godot, avec tout l’humour de Samuel Beckett, est aussi philosophique que l’histoire d’Agnès et du Triton dans Crainte et Tremblement de Søren Kirkegaard, ou les réflexions de Nina, la Mouette d’Anton Tchekhov

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© Lestournet 

Des rideaux coulissants blancs à la Brecht flottent au vent comme les robes et manteaux, et dévoilent les espaces.  Une longue planche un peu bancale accueille cette revue farfelue aux allures felliniennes, sur des airs de piano enregistrés ou joués sur scène, des chants d’oiseaux et cigales, des sons métalliques: une partition sonore d’Eric Goudard et François Tanguy qui a aussi imaginé avec François Fauvel les objets, meubles, rideaux, costumes et éclairages.

Un théâtre d’artisan poétique et cocasse à la fois, où le temps et l’espace s’articulent de manière organique. «Mais, écrivait François Tanguy, comme dirait l’autre de la fable impossible à reconstituer, on ne peut pas faire projet d’autre chose, que lancer le trait: «Allons donc, ça! Une pièce de théâtre? Oui, c’est ça le sujet : cette rencontre…cette randonnée. (…)  Et quoi ? -et non, te dis-je : un détachement-une attention, une persistance rétinienne, un gazouillement, te dis-je, une respiration, un âne, contre les essieux des chars. Mais les cieux eux aussi dans le litige : alors oui, une gravitation, un précipité parmi les trous et les trouées de sens, une retenue sans retenue au détour d’une chanson, et les oiseaux et les vallées, les ombres et les senteurs des trompettes (per la selva oscura) ou tout autre… Un recommencement. On reprend. » 

Cette œuvre inclassable ne se raconte pas mais se vit, s’éprouve… Et on en redemande, mais il n’y aura plus d’autres spectacles après ce Par Autan, créé en mai l’an passé au Théâtre des 13 Vents… Reste le désir de la compagnie maintenant conduite par Laurence Chable, sa fondatrice, de continuer à faire partager cette pièce et Item (2019). Reste aussi la Fonderie, une fabrique théâtrale installée au Mans depuis 92. Il faut espérer que la traversée du Radeau sera encore longue, pour que vive l’œuvre de cet artiste regretté.

Mireille Davidovici

Spectacle vu le 18 novembre, dans le cadre du festival d’Automne, au T2 G, 41 avenue des Grésillons, Gennevilliers  (Seine-Saint-Denis). T. : 01 41 32 26 26.

La Fonderie, 2 rue de la Fonderie, Le Mans (Sarthe). T. 02 43 24 93 60.

Item
du 15 au 24 mars, Théâtre de l’Aquarium, Cartoucherie de Vincennes,  dans le cadre de BRUIT, festival de théâtre et musique.

Traces, un numéro hors-série de la revue Frictions dirigée par Jean-Pierre Han.

Trait, dessins de François Tanguy, galerie Hus, 4 rue Aristide Bruant, Paris (XVIII ème) du 1er novembre au 31 décembre.

Trait, François Tanguy,  une sélection de ses dessins par Laurence Chable et Anne Baudoux, introduction de Marie-José Mondzain, éditions Actes-Sud.

 


Archive pour 21 novembre, 2023

J’ai oublié un truc… mais ça va revenir ! de Benoît Rosemont, mise en scène de Daniel Krellenstei

 

J’ai oublié un truc… mais ça va revenir ! de Benoît Rosemont, mise en scène de Daniel Krellenstein

 Sur la scène, un tableau d’école, un grand jeu de taquin à la verticale et entre les deux, une banderole avec des lettres sur cartons. Le régisseur du spectacle présente avec humour, cette « conférence », « un bref exposé de dix minutes » sur la mémoire prodigieuse, une discipline spirituelle popularisée par Jacques Inaudi (1867-1950), l’un des plus extraordinaires calculateurs mentaux de tous les temps.

Sur des arrangement musicaux de Katy Varda, arrive alors le conférencier (Benoît Rosemont) en veste avec des roses ( comme son nom !) , chemise blanche et gros nœud-papillon, pantalon à pli, lunettes rondes et montre à gousset. Il semble coincé comme un vieux garçon d’autrefois et parle dans une français daté aux belles tournures de phrase. Un des nombreux leitmotivs : il s’adresse à sa mère, comme Norman Bates (en moins psychopathe… quoi que) dans le roman Psychose de Robert Bloch (1959) qui inspira à Alfred Hitchcock son célèbre film sorti l’année suivante. Et il fait la cour de façon empruntée aux spectatrices qu’il a invitées sur scène.

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Le conférencier se présente comme dit-il: «Benoît Rosemont, comme une rose sur un mont ! Le premier contact avec la mémoire , c’est à l’école quand on apprend l’alphabet. » Et il se dit « mnémoniste» c’est à dire une personne capable de mémoriser de très grandes quantités d’informations, qu’elles aient du sens ou non, grâce à un entraînement  quotidien et à une bonne faculté de mémoire.
Il y a
un carton où est écrit : compliment d’accueil (sic) !  Il parle en rimes et propose une série «de récréations mnémoniques et autres divertissements qui se font avec les nombres».  Il mémorise à l’envers comme pour s’échauffer cérébralement, puis récite la moitié de l’alphabet à l’endroit: de A à M et l’autre moitié: de Z à N. Puis il le récite à nouveau mais dans un ordre aléatoire et invite un spectateur à venir accrocher et isoler sur un ruban rouge, treize lettres choisies au hasard par le public. Il nomme ensuite les treize lettres, et celles non choisies qui restent sur la structure. Pour finir, il récite, à nouveau mais à l’envers., les treize lettres choisies

Ensuite Benoît Rosemont va jouer avec les nombres grâce au taquin, un jeu solitaire en forme de damier créé vers 1870 aux États-Unis et revendiquée par Sam Loyd.
Le modèle ici est placé à la verticale pour une meilleure visibilité avec un châssis sur pied. Composé de quinze petits carrés numérotés de un à quinze mais où la case n°16 est laissée vide. Il faut faire glisser et mettre dans l’ordre les quinze carrés numérotés après les avoir mélangés…

Pendant qu’un spectateur est invité à le faire, Benoît Rosemont range consciencieusement les lettres de l’alphabet dans de petits sacs brodés par sa mère. Un moment de comédie ponctué par la phrase : « C’est maman. »
Il se met alors un bandeau sur les yeux et dit qu’il va reconstituer l’ordre en quinze secondes mais n’y arrive pas. Il recommencera l’exercice plusieurs fois au cours du spectacle…
Puis il présente une expérience qui a fait la popularité du grand Jacques Inaudi. Deux  calculatrices sont distribuées dans la salle et une spectatrice va être priée d’utiliser l’option calculette de son smartphone.
Benoît Rosemont va alors deviner les extractions de racine carrée consécutives de trois nombres dites au hasard entre un et cent. Le premier élevé au cube (quatre chiffres), le deuxième à la puissance 4 (six chiffres) et le troisième à la puissance 5 (dix chiffres).

« La première calculatrice, c’est la main. », dit Benoît Rosemont qui donne l’exemple de la table de 9, avec la technique du doigt baissé. Il va alors se servir en magnésium dans un petit pot en verre pour reprendre des forces ; une « préparation de son apothicaire » qui évoluera en pot à cocaïne avec une paille (un autre leitmotiv…).
Bien « remonté», il va à nouveau essayer de gagner au jeu du taquin mais échouera encore.
«L’apprentissage des départements français à l’école était un excellent exercice pour la mémoire. Aujourd’hui, dit Benoît Rosemont, le jeu du bingo a pris la relève et sauvera la géographie en France ! »
Et une spectatrice est invitée à tirer six billes numérotées au hasard dans un bocal transparent en contenant quatre-vingt quinze. Les nombres sont inscrits sur le tableau d’école, avec, à chaque fois, le nom du département et celui de la ville où est la Préfecture.
Benoît Rosemont élève alors au carré les premiers nombres et note le résultat. Les deux suivants sont élevés au cube, puis à la puissance 4 et le dernier, à la puissance 5. Il va se lancer dans plusieurs opérations fantaisistes mais finalement logiques pour un consommateur de magnésium! Il demande : «Combien de semaines en février ? » et il annonce : « Treize semaines », à la grande stupéfaction de la salle.
Il va alors le démontrer dans une série d’opérations irrésistibles qui amusent les enfants mais qui procurent des maux de tête aux autres. Benoît Rosemont va à nouveau essayer de réussir au taquin, en se donnant, cette fois deux minutes. Encore un échec !

Il demande ensuite au public de lui dire cinq nombres de deux chiffres entre 1 et 100, pour composer un numéro de téléphone. Il répète l’opération avec une nouvelle série de cinq nombres pour composer un numéro de téléphone dans cent ans. Il récite ensuite la série des dix nombres, en dansant un tango….
Benoît Rosemond
pose alors une série de questions surréalistes et drôlissimes mais par thématique, dont une à rallonge : il lit un timbre-poste pour déterminer une suite aléatoire de : oui, ou de : non et qui sera inscrite au hasard par une spectatrice dans les dix-huit cases d’une spirale dessinée (un coquillage paléolithique) sur le tableau.
Il la regarde et mémorise alors rapidement la suite en partant du centre de cette spirale, puis demande à un spectateur de dire n’importe lequel de ces nombres de un à dix-huit (jusqu’à épuisement) et nomme les oui ou les non inscrits à la place correspondante.

Après l’avoir appelée par de petits noms doux et imagés tout au long de cette « conférence », Benoît Rosemont remercie la spectatrice et lui offre trois bouquets de fleurs artificielles. Il propose alors de réciter à nouveau le numéro de téléphone à rallonge, dix minutes après l’expérience et il y réussit ! Il se gratte beaucoup la tête, et complètement décoiffé, est de plus en plus comique.
Il reprend alors du « magnésium » pour faire une dernière expérience : u
n numéro de mnémotechnie célèbre mais jamais réalisé de la sorte !  Sur un tableau numéroté de un à vingt, sont être inscrits vingt mots, de préférence originaux ou incongrus, lancés par les spectateurs dont l’un va assister le mentaliste, en écrivant les mots à l’emplacement qu’ils désirent.
Pour le dixième mot, un numéro de série est inscrit avec lettres et chiffres différents. Benoît Rosemont, dos tourné au tableau, va mémoriser un par un les vingt mots et leur numéro. Puis il les récite ensuite, suivant un ordre aléatoire dicté par le public.
Plus l’expérience avance, plus le mentaliste stresse, il se touche les cheveux ou défait son nœud papillon et ses boutons de chemise pour dramatiser la situation (qu’il maîtrise bien entendu totalement !). Une fois les vingt mots devinés avec leur numéro, il doit aussi deviner ceux des cinq mots épelés au hasard puis faire l’inverse avec les numéros. Il complète la liste dans le désordre. Fin en apothéose : il récite toute la liste à l’envers de vingt à dix et de un  à  dix, plus le numéro de série du dixième mot. Mal de crâne assuré pour tout le public!
Benoît Rosemont a une une énergie débordante. Il se relève les manches et veut enfin gagner à ce taquin maudit! Il demande un nombre au hasard à un spectateur. C’est le trente. Il propose de le résoudre «à l’envers», c’est-à-dire derrière le cadre mais c’est encore raté…
Il s’agit en fait d’une ruse pour conclure la séquence en un carré magique impromptu: chaque colonne, additionnée à la verticale et à l’horizontale donne le même résultat : trente. Mais aussi en diagonale, au centre et aux extrémités !

Ce spectacle créé il y a dix ans sous le titre de Mnémosys est très bien rodé. Mise en scène, rythme, numéros et personnage sont au diapason pour offrir au public des moments de virtuosité qui ont exigé en amont, un énorme travail pendant des années et un entraînement quotidien. Durant quatre-vingt dix minutes, Benoît Rosemont se soumet à une gymnastique cérébrale, digne de grands athlètes… Nous restons stupéfaits.
Pour mieux faire passer les démonstrations de calculateur prodige et mnémomentaliste, souvent austères, il a choisi de jouer la comédie… Pari gagné avec cette double performance: extraordinaires facultés mentales et d’acteur  avec la création d’un personnage de fils à maman délicieux et crédible.
Benoît Rosemont, en accentuant mimiques et tics de langage, amuse le public qui rit beaucoup… Un spectacle magistral et unique dans le domaine ultra-formaté du mentalisme, fondé sur un décalage entre le sérieux des expériences et une remarquable posture clownesque…

Sébastien Bazou

Spectacle vu le 12 novembre au Théâtre du Rempart, Semur-en-Auxois, (Côte-d’Or). (benoitrosemont.com)

Our of context-for Pina, conception et mise en scène d’Alain Platel

Our of context-for Pina, conception et mise en scène d’Alain Platel

Treize ans après sa création au Théâtre de la Ville à Paris, cette pièce mythique de l’artiste flamand a reçu l’accueil triomphal d’un nouveau public.
«Ce sont, disait-il, des gens qui arrivent quelque part et y restent trop longtemps, comme l’écrivait à l’époque Jean-Marc Adolphe. L’un après l’autre, donc, ils arrivent et se dévêtent de leur quotidien, ne gardant que leurs sous-vêtements (…) dans de frêles couvertures rose saumon.

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Suggérant la détresse de naufragés échoués, ou l’apparat d’un énigmatique rituel communautaire. Ensemble et séparément, les voilà comme fragments d’une humanité en quête de ce qui l’assemble, fût-ce à la lisière d’une bestialité fragile qui les voit se humer naïvement, avec une tendresse un peu gauche; en fond sonore, des brames se mêlent à un air d’opéra. Jamais pourtant, l’assemblée ne tourne à la meute. »

Ici, à Bobigny, les mêmes artistes sont présents dans une exceptionnelle complicité. Les tableaux conçus par Alain Platel, mélancoliques et pleins d’humour marqueront  la mémoire du public…  Chaque interprète avec sa personnalité et ce chorégraphe, comme Pina Bausch, travaille avec de «belles personnes, avec qui on a envie de partager un verre après le spectacle.» Mathieu Desseigne Ravel, Kaori Ito, Mélanie Lomoff, Ross McCormack, Quan Bui Ngoc, Romeu Runa, Elie Tass, Rosalba Torres Guerrero, Hyo Seung Ye, une tribu bienveillante…

Il y a aussi des accessoires atypiques, comme ces deux micros sur pied qui ont aussi leur vie. Tour à tour, les danseuses et danseurs jouent avec, en testent le son ou se prennent les pieds dans les fils. Le plateau nu rayonne de leur présence et de leur animalité. Quan Bui Ngoc se perd en contorsions au milieu du public, surpris et amusé; à la fin, Romeu Runna nous invite à danser avec lui.
Il y a une certaine nostalgie dans le choix des musiques des années quatre-vingt dont Aicha, la fameuse chanson de Khaled, ici chantée par Hyo Seung Ye.

Kaori Ito nous surprend toujours avec sa danse dissociée mais gracieuse. Comme les créations de Pina Bausch, Out of context-for Pina s’inscrit dans l’histoire du spectacle actuel. Merci à Alain Platel d’avoir faire revivre ce moment unique en une heure trente. Un des plus beaux hommages à la chorégraphe allemande disparue en juin 2009.

Jean Couturier

Spectacle vu le 18 novembre, MC93, 9 boulevard Lénine, Bobigny (Seine-Saint-Denis). T. : 01 41 60 72 60.

 

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