Anselm (Le Bruit du temps), un documentaire de Wim Wenders
Anselm (Le Bruit du temps), un documentaire de Wim Wenders
Le réalisateur sait filmer les artistes. Avec Pina, il nous emmenait en 3 D dans l’univers de la chorégraphe allemande. Il nous balade ici dans l’œuvre d’Anselm Kiefer, une heure trente quatre, sans commentaires et toujours en 3 D. Guidé par l’artiste, de noir vêtu et fort peu disert.
En lui inventant un double enfant, Wim Wenders trouve une certaine légèreté, même s’il remonte dans l’Histoire qui a façonné l’homme adulte. Avec des images de l’hiver nazi, et de ruines à Berlin après la guerre. Des images d’actualité qui résonnent avec l’œuvre monumentale d’Anselm Kiefer, placée sous le signe de Paul Celan, le poète roumain (1920-1970) qui récite son poignant Todesfuge (Fugue de mort) avec ces mots célèbres: «Der Tod ist ein Meister aus Deutschland » (La Mort est un Maître d’Allemagne).
La plupart des extérieurs sont tournés en hiver ce qui ajoute à la noirceur de l’univers du peintre. « J‘ai fait le film avec mes tripes.» confie le cinéaste à l’antenne de RFI. Ami de longue date et contemporain de cet artiste, il porte avec lui un regard sévère sur son pays. Anselm (Le Bruit du temps) nous rappelle une performance d’Anselm Kiefer: en 1969, il se photographia, faisant le salut hitlérien en uniforme de la Wehrmacht de son père, dans plusieurs pays. (ci-dessous)Un geste mal compris dans une Allemagne voulant oublier son passé… Ces scènes ambigües et audacieuses lui valurent d’être soupçonné de néo-nazisme par la critique d’art, comme le montrent des reportages de l’époque.
Le film établit un parallèle entre les villes en ruine, les paysages ravagés de cette «mère blafarde» et les immenses ateliers de l’artiste, aménagés en véritables décors de théâtre. La caméra se promène dans la briqueterie d’Odenwald (Hesse), maintenant ouverte aux visiteurs. Elle explore aussi la Ribaute, une ancienne filature à Barjac près de Nîmes, dans un domaine boisé de quarante hectares, que l’artiste vient de quitter après trente ans, pour s’installer aux environs de Paris.
Dans les locaux de l’atelier cévenol et la futaie avoisinante (désormais visitables), s’exposent des robes de plâtre fantomatiques, des gerbes d’herbes sèches. Des voix flûtées murmurent quelques textes évocateurs. Et, dans une étrange bibliothèque, Anselm Kiefer feuillette les pages noircies de grands livres sinistres. L’un d’eux montre le cerveau du philosophe Martin Heidegger adhérent au parti nazi de 1933 à 1944, rongé par le cancer!
On voit aussi le peintre à l’œuvre parcourant les lieux à la recherche de matériaux stockés sur de hautes étagères, ou travaillant à grands coups de truelle sur des tableaux gigantesques. Il y brûle de la paille avec un chalumeau ou y verse du plomb fondu. Un titan acharné et rageur mais aux allures impassibles, en long manteau noir, cigare à la main…
Ce film nous fait doucement entrer avec documents d’époque et musique classique, dans une œuvre aride et noire portant en elle les déchirures d’une âme hantée par le passé. Malgré la présence de l’enfant (Anton Wenders, petit-neveu du cinéaste) qui apporte un peu de fraîcheur, l’artiste reste d’une froideur glaçante et se livre peu.
Il laisse son travail parler pour lui, grâce à la caméra complice: « Au début, dit Wim Wenders, j’ai eu peur de notre ressemblance, et si c’était un piège ? Nous sommes nés la même année, en 45, nous avons joué dans le même fleuve, le Rhin. Nous avons vécu les mêmes silences sur le passé de l’Allemagne. Nous avons éprouvé les mêmes questionnements. Jeune, je voulais être peintre, et lui m’a confié avoir voulu devenir cinéaste.»
Ils ont une histoire commune mais le regard du réalisateur n’est pas contaminé par la morbidité de son ami et il essaye d’insuffler ici un supplément de poésie…
Mireille Davidovici
Sorti le 18 octobre, le film est encore visible dans plusieurs salles .